XXX – Manipulation
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
« Comment ça ? Et le lieutenant-colonel David Shevabeer, qui
nous observe depuis le bâtiment d’en face et nous écoute avec un micro-canon ou
grâce à votre portable, vous ignorez qu’il existe ?
Alors dites-moi comment moi je saurai qu’il nous épie ? »
Désarçonnée, la minette de quarante balais lance : « Je peux
éteindre mon smartphone si vous le souhaitez ».
Pas la peine : le micro-canon a déjà pris le relai.
Il est fort, mon Paul !
Elle se recule et se ressaisit : « Désolée, franchement je
ne vois pas de qui vous parlez, Cher Monsieur. Vous fabulez, ce n’est pas très
sérieux finalement. »
« Comme vous voulez. J’emmène ma chère biographe dîner ce soir
vers neuf heures dans un restaurant situé derrière l’hôtel qu’elle veut absolument
me faire découvrir. Sur la Calle Manolo Millares, le El Nido. Le patron lui a
tapé dans l’œil : il est français ! » plaisante-t-il.
Et il se lève, remet ses tongs et file dans sa chambre.
« Il est toujours comme ça, votre patron ? »
m’interroge-t-elle en français.
« Je ne l’ai jamais vu se tromper… C’est comme ça : il faut
s’y faire ! »
Mais peut-être ne parlait-elle pas de ça.
Nous nous toisons jusqu’à ce que je me décide à aller me baigner. L’eau
est un peu fraîche et sent le chlore. Finalement, c’est plutôt agréable.
Quand je ressors, Rachel n’est plus là.
Je rejoins notre suite et Paul, en petite tenue, tapote tranquillement sur
sa tablette depuis la terrasse.
« Alors ? », que je lui demande.
« Dimitri en dit qu’ils papotent avec Rachel et Jérusalem… On a un
peu bousculé leurs premiers plans. Ça les a contrariés de se découvrir « à
découvert ». Pour des espions professionnels, ça ne fait pas trop « la
classe ». »
Oui, mais la suite ?
« Vous verrez bien : la situation tourne à notre avantage et eux
vont se remettre sur pied, ne vous en faites pas. Nous, on va voir Pépé et on a
un rendez-vous à assurer ce soir au restaurant. »
Il a l’air si sûr de lui…
« Pépé » nous attend sur le pas de la porte de son échoppe. Et
il est content de me revoir.
Manifestement, il connaît également Paul.
« Pas avec vous, votre père ? » me fait-il après
m’avoir tapée la bise.
Mon père ?
Ah oui, Gustave ! J’ai failli lui dire que cette fois-ci j’étais venu
avec mon second père, comme d’autres ont un père marié à un deuxième père, mais
il n’aurait pas compris mon humour.
« J’ai une surprise pour vous » dit-il en français.
Je me fais la remarque qu’on ne peut pas surprendre Paul, mais je la garde
pour moi.
Il veut nous montrer son nouveau mannequin revêtu intégralement de sa
« super-peau ».
Au toucher, c’est une réussite. À l’aveugle on ne fait pratiquement pas la
différence, hors la température qui s’élève au fil des caresses qu’on lui
administre, sinon l’absence caractéristique de duvet poilu. Mais comme la
sensation est d’une douce finesse sous les doigts, nettement plus qu’au premier
essai, c’est vraiment bluffant.
« Ça n’a pas été simple » commence-t-il. « D’abord
la programmation de la machine qui m’a posé de nombreux problèmes, ensuite, aux
premiers essais de l’imprimante les buses s’encrassaient. Alors j’ai réduit le
collagène, rajouté un peu de latex et augmenté les proportions de silicone. Et
voilà ! » fait-il assez fier de lui.
« Parfait, Pépé. Je suis très content et ne doutais pas que vous y
arriveriez » lui répond Paul qui examine son prototype sous toutes les
coutures.
Justement, pas une seule trace de « couture »… absolument aucune !
« C’était vraiment la bonne solution que cette imprimante 3D. Je
vous dois combien ? »
« Ah, j’ai eu quelques problèmes et des frais inattendus… »
« Oui, je sais déjà… »
Ragaillardi, il annonce un million d’euro !
« J’ai dû prendre un brevet international. »
Paul lui sourit.
« Franchement, c’est une connerie. Il n’y a pas meilleur moyen de
se faire piquer une invention que de la breveter. Le lendemain, tous les
bureaux spécialisés en ont connaissance et les américains scannent les détails techniques
pour pouvoir le réquisitionner pour raison de sécurité nationale à un
moment ou à un autre !
Mais enfin, puisque c’est fait, je vous achète une licence
exclusive. »
Exclusive ?
« Bé oui, qu’allez-vous faire de votre mélange ? On ne peut
même pas le tatouer comme d’une peau véritable… votre cœur de métier.
D’ailleurs je double le prix payé si j’ai le détail des
composés chimiques et surtout que vous faire un tour chez moi pour expliquer à
mes ingénieurs comment vous préparez votre mixture.
Ça vous va ? »
« Pépé » n’aura jamais eu autant d’argent : il est bon pour
prendre de façon sereine sa retraite anticipée !
Ses yeux et sa bouche s’ouvrent sur un gouffre immense… et des dents
en or (qu’il a nombreuses) ou l’image de la montagne de billets de 5 que ça
représente : comment pourrait-il refuser ?
Son fils pourra faire tourner la boutique en son absence et lui passer
enfin du bon temps avec son épouse à profiter de leurs petits-enfants.
Affaire conclue : il tient absolument à nous recevoir à dîner pour
fêter ça.
Une manie…
« Bé non, nous avons un rendez-vous important à assurer,
figurez-vous ! Mais nous dînerons ensemble chez moi une fois que vous y
viendrez avec vos machines et… les plans, les détails des formules chimiques et
le tour-de-main. »
Et nous sortons après avoir signé les papiers et remis le chèque que Paul
avait dans sa poche.
« On y va à pied… »
D’autant que je sais où c’est.
« Qu’est-ce qui va se passer ce soir avec votre Rachel ? »
Comment va-t-il la convaincre ? En lui sautant dessus ?
« Réfléchissez un peu Anaïs au lieu de dire des bêtises… Dans quel
état d’esprit croyez-vous qu’elle soit ? »
Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Je ne sais pas lire dans les pensées
d’autrui !
« Ce n’est pas une question de télépathie, c’est une question de
logique. »
Je patauge…
Est-ce qu’il peut être plus clair, pour une fois ?
« Simple. Miss Rachel n’est pas vraiment une espionne
professionnelle. Elle a bien travaillé à travers son université pour Tsahal et
a participé à mettre au point le « dôme d’acier ». Mais à la marge.
Son univers à elle, ce sont les mathématiques Booléennes.
De toute façon, elle est mariée avec un Ukrainien qui fait
mercenaire pour le plus offrant.
Aux yeux du Mossad, elle reste donc « suspecte »,
pas fiable. Non pas pour redouter d’agir contre son pays, mais pour être
considérée comme inapte à servir le Mossad. Elle nous a dit qu’elle pensait que
son mari travaillait pour Tsahal… C’est vous dire son côté candide.
Et qu’est-ce que le Mossad ? »
Les services secrets d’Israël…
« Non pas seulement. C’est leur service d’espionnage, un des mieux
organisé et des plus efficace du monde, c’est vrai. Leur métier, c’est de
savoir avant tout le monde ce qui n’a pas à être su afin d’anticiper. Et puis
de faire, à l’occasion, quelques « coups tordus », le tout pour
assurer la sécurité du pays.
Or, quand je me suis présenté à l’observatoire William
Herschel, ça s’est su. Et ils se sont mis à chapeauter.
Pour le Mossad, je suis un « super agent » des
services français. Un allié, un peu douteux, mais moi je suis considéré comme
un « intouchable » et un peu à la marge pour n’avoir aucun rôle
officiel ou officieux, mais un membre de leur communauté du renseignement tout
de même. Donc « intéressant ».
L’occasion en or se présente alors d’en savoir un peu plus
sur mes activités et de comprendre pour quelles raisons les russes, et quelques
autres, s’intéressent tant à moi, ce qu’ils savent probablement déjà depuis
longtemps.
Ils demandent à Rachel d’accepter notre second rendez-vous
de cet après-midi afin de me tirer les vers du nez et lui conseille d’accepter,
au moins provisoirement, la mission que je veux lui proposer. Ils lui suggèrent
de me suivre là où je l’emmènerai.
C’est pour ça qu’elle était là et prête à me séduire façon
Mata Hari si l’occasion se présentait. »
Ah ? Elle n’avait pas à faire beaucoup d’efforts à faire pour en
arriver là : « Je n’aurai pas été là, elle vous emmenait directement
dans son lit, me semble-t-il… »
Je suis méchante, mais c’est comme ça que je l’ai ressenti au bord de la
piscine.
« Oh, détrompez-vous. C’est vrai qu’elle serait dans mon lit, je
n’irai pas passer la nuit dans la baignoire, mais j’ai fait des efforts pour
lui donner le change et des signes… visibles de mon attirance physique pour
elle. »
J’ai vu !
« Notez, ce n’était pas très difficile : il m’a suffi de
penser à Florence ! »
Quel menteur !
« Ce n’est pas le plus important. Ce qui l’a été, c’était la
révélation du rôle joué par son mari lors de notre premier passage à
Fuerteventura.
Je vous l’ai dit, je l’en avais sciemment averti pour toutes
les raisons que vous savez, le sous-marin, etc. »
Je m’en rappelle, effectivement : il me l’a déjà signalé et avait
donné des explications un peu alambiquées il y a deux jours à Gustave et
moi-même à l’occasion du passage du Président Makarond aux Chagos.
De quelle chose importante veut-il parler ?
« Eh bien, dans notre conversation de cet après-midi autour de la
piscine de l’hôtel, où je savais qu’elle était espionnée, forcément puisque
Dimitri avait repéré les traces laissées par l’équipe israélienne avec le
logiciel BBR, il se sont rendus compte que Rachel avait bavé sur ma venue auprès
de son mari, il y a plus de deux mois de ça ce qu’ils ignoraient probablement.
Or, d’une part, un agent ne parle jamais de ses missions en
cours même à son mari ou ses intimes, et, d’autre part celui-ci, s’il a
participé sous l’étendard de la CIA à des opérations en Irak et en Syrie, il
est désormais classé comme un agent-double à la solde des forces russes, dans
les mêmes pays et est versé entre-temps dans le Donbass et ses groupes de
mercenaires paramilitaires.
Ce qui veut dire que Rachel ne sait pas tenir sa langue sur
l’oreiller.
Et tout d’un coup le lieutenant-colonel a fait le
rapprochement avec l’opération de kidnapping me visant, ce qui ne leur avait
pas sauté aux yeux au premier abord alors que les services auraient dû faire le
rapprochement dès l’arrestation de son mari sur la plage blanche d’il y a deux
mois.
Ce qui mettait immédiatement en péril la mission première de
Rachel, parce que mal préparée.
Et elle a passé le reste de l’après-midi à se faire remonter
les bretelles au téléphone. »
Ok, c’est logique.
Mais alors, si sa mission est annulée, pourquoi viendrait-elle à ce
rendez-vous nocturne ?
« Ah bé ça, je pensais que vous connaissiez un peu mieux que ça le
fonctionnement du cerveau d’une femme ! » s’exclame-t-il.
De quoi parle-t-il ?
« Mettez-vous à sa place. Elle a d’abord accepté de rendre service
à son pays pour une mission qui sortait de sa sphère de compétence habituelle
: me suivre avec un objectif improbable.
Elle se fait tancer pour rater la première marche, parce que
c’est une espionne amateure.
Ce soir, elle est complètement perdue parce qu’elle se croit
lâchée avant même d’avoir commencé suite à la séance de remontrances qu’elle aura
subie et mal digérée.
Elle vient de perdre son mari, sa carrière au sein de son
université est désormais fortement compromise et elle s’imagine même menacée de
perdre son boulot au télescope canarien.
Elle n’a plus beaucoup de choix et c’est probablement ce que
le pro du Mossad espère de mieux : soit elle se fait toute-petite et tente
de trouver du boulot aux USA, ce dont elle présume à juste titre qu’elle aura beaucoup
de mal pour être « grillée », soit elle accepte de venir avec nous.
Or, comme elle-même croit encore pouvoir me séduire avec ses
moues à faire bander un moine, ce soir, elle tente cette chance là avant de
reprendre le chemin du retour chez elle. »
Le croit-il vraiment ?
« Et vous, vous croyiez-vous être capable de me suivre quand je
vous ai fait ma proposition de devenir ma biographe ?
Savez-vous ce qui vous a décidé à le faire ? »
Bien sûr : la promesse d’identifier mon père biologique, tiens
donc !
« Eh bien voilà ! Et elle, c’est d’être
« réhabilitée » ! »
Rhôôô, le vilain manipulateur de pauvres faibles femmes…
« A-t-on le choix, avec vous ? »
Oui, bien entendu.
« Mais là, on est dans du situationnisme-appliqué. Qui vous amène
à faire des choses que vous n’auriez pas imaginé pouvoir faire dès lors que ça
ne heurte pas trop vos convictions profondes.
Et encore…
Lisez donc « Au nom du père[1] »
de mon biographe officieux. Ce n’est pas urgent, mais on y redécouvre que sous
couvert de recherche scientifique ou sociologique, plus des deux-tiers de
l’humanité peut se mettre à torturer, tuer, exécuter, assassiner autrui,
absolument froidement et sans aucune raison, simplement sur
« instruction » et même pas un ordre !
Ce sont les expériences de Milgram et notamment le
« jeu de la mort » qui aura été diffusé sur une chaîne publique
d’État dans les années 2000.
Très instructif sur notre capacité à nous soumettre à
n’importe quelle « autorité », immédiatement et sans le moindre
recul. »
Je saurai plus tard que « I comme Icare », un film d’Henri Verneuil,
exclusivement tourné à Paris, avec Yves Montand dans le rôle principal du
super-juge qui enquête sur l’assassinat d’un président d’une grande puissance,
passe justement un bon tiers du script autour de la notion d’assassinat sur
« simple demande », dès lors que le citoyen lambda se retrouve
« mis en situation » de le faire alors qu’il est persuadé que la
responsabilité de son geste est portée par l’autorité.
Exactement ce qu’a pu reproduire en studio le « jeu de la mort[2] » !
Terrifiant…
[1]
Cf. « Les enquêtes de Charlotte », épisode « Au nom du
père », aux éditions I3
[2] NdN :
Absolument authentique ! Le Jeu de la mort est un documentaire écrit par
Christophe Nick, réalisé par Thomas Bornot, Gilles Amado et Alain-Michel Blanc
et coproduit par France Télévisions et la Radio Télévision Suisse en 2009.
Diffusé pour la première fois en mars 2010. Il met en scène un faux jeu
télévisé (La Zone Xtrême) durant lequel un candidat doit envoyer des décharges
électriques de plus en plus fortes à un autre candidat, jusqu’à des tensions
pouvant entraîner la mort. La mise en scène reproduit l’expérience de Milgram
réalisée initialement aux États-Unis dans les années 1960 pour étudier l’influence
de l’autorité sur l'obéissance : les décharges électriques sont fictives, un
acteur feignant de les subir, et l’objectif est de tester la capacité à
désobéir du candidat qui inflige ce traitement et qui n’est pas au courant de l’expérience.
La différence notable avec l'expérience originelle est que l'autorité scientifique
est remplacée par une présentatrice de télévision, Tania Young.
Bien que les participants
aient été informés qu’ils ne gagneraient aucune somme d’argent puisqu’ils
étaient censés participer à une émission test, l’autorité du contexte
télévisuel et de l’animatrice amène les participants à se soumettre. Selon les
premières estimations, le taux d’obéissance est de 81 % ; le documentaire
compare ce résultat aux 62,5 % obtenus lors de l’expérience originale, mais
oublie de préciser que plusieurs reproductions de l’expérience, aux États-Unis
ou en Europe, ont donné des taux supérieurs à 80 % !
270 pages – 12,30 €
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