XV – L’Opération Borozinov (2)
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Je m’exécute. On file à l’hôtel, on s’enferme dans ma chambre. Et nous
sommes suivis par une Toyota immatriculée en Espagne, donc une voiture de
location avec deux silhouettes à bord.
Maintenant que je connais le chemin, pas besoin du GPS ni des panneaux de
circulation, on met à peine dix minutes pour rejoindre notre chambre, les deux
lascars dans notre sillage.
« Bon, on s’enferme jusqu’à aller dîner, pour se montrer. On
roucoule un peu et ensuite vous êtes consignée dans votre chambre jusqu’à
demain soir. »
Je ne peux même pas accueillir Gustave et les filles ?
« Non ! Ils vont prendre une deuxième voiture et savent ce
qu’ils ont à faire. Vous avez pu prendre des photos de nos gaillards avec votre
matériel ? »
Oui, bien sûr.
« Il faut les balancer au groupe et à Dimitri. »
Ce que je m’empresse de faire : il faut en sélectionner de bonnes
qualités, avoir une liaison internet et basculer les fichiers « .jpg ».
Waouh ! Passer une nuit complète confinée avec mon boss dans l’unique
grand lit de la pièce, je n’en reviens pas et j’en connais plein qui paieraient
très cher pour être à ma place !
Dire que je n’ai même pas pensé à emporter une nuisette affriolante…
Mais ça ne va pas se passer comme ça.
Nous dînons. Lui un truc infect de petites sèches cramoisies avec toutes leurs
tentacules arrosés d’encre noire (comment peut-on manger ça ?), moi d’un
poisson délicieusement aromatisé et accompagné de légumes cuits-vapeur.
Nos gaillards se mêlent aux touristes à trois tables de la nôtre,
discutant gutturalement dans leur langue maternelle à demi-mot.
Dans ce décor d’estivants, ils font tâche : ce sont les seuls au
teint nettement pâle malgré une barbe naissante.
Ils ne font pas vacancier pour un sou !
Notez que moi, je suis plutôt rose, à force de prendre vent et soleil toute
la journée et Paul est plutôt bronzé, la chemise ouverte sur sa chaîne en or
brinquebalant sur sa toison pectorale.
Il est gai comme un italien qui sait qu’il va avoir du vin (blanc en
l’occurrence), qui s’amuse avec les enfants qui jouent entre les tables et
tient la conversation avec un des serveurs qui est français.
« Mais vous êtes d’où ? »
Paris…
« Et qu’est-ce que vous faites si loin de vos bases ? »
Mais c’est ici désormais, « ses bases »… Sa femme est une autochtone !
« Comme vos beaux-parents, je suppose… »
L’humour parfois lourdingue de Paul.
« Bien » fait Paul en se penchant vers moi et en parlant
tout bas. « Nous sommes un couple illégitime, à cause de nos
passeports, qui passe ses vacances à s’encanailler. Prenez du pain et du
beurre, il y a du thé et du café dans la chambre. Vous aimez quoi comme boisson
alcoolisée ? »
Tu parles d’une question du coq à l’âne ?
« Non mais la journée qui va suivre va être longue : on n’est
censé ne pas sortir et baiser toute la journée et toute la nuit qui vient. »
Ah oui, tout de même…
« Sans sortir prendre un bain ou un repas. Vous commanderez à la
conciergerie et recevrez vos deux repas de midi après avoir fait fonctionner la
douche et fermer la porte pour faire croire que je me lave : moi je file
cette nuit par la fenêtre et la plage. »
Ah oui, tout de même…
Finie la nuit d’amour !
Et où va-t-il ?
« Je rejoins Florence pour une folle nuit d’amour, bien sûr… »
Ah bé voilà… justement !
« … et fignoler les détails de l’opération Borozinov dans sa phase
finale avec le groupe HLM qui est à bord d’Eurydice. »
En fait ils sont arrivés l’avant-veille à Las Palmas de Gran Canaria où
ils n’auront même pas eu le temps de faire du tourisme.
Ils ont été cueillis par Paul, qui rentrait lui-même de Santa Cruz de la
Palma à son bord, à la descente de leur avion pour les embarquer illico-presto.
Il s’agissait de les « aguerrir » un peu au maniement des
jets-skis, des masques à gaz et des grenades lacrymogènes.
Et de leur expliquer leur rôle une fois à bord du sous-marin piraté aux…
pirates de mercenaires ukrainiens !
« Ils ont dû s’amuser ! »
Non, pas vraiment. « Les maniements des armes, ils savent faire,
maîtriser un homme aussi, mais le maniement d’un sous-marin, ce n’est pas
encore ça. Mais ça va finir par leur rentrer dans le crâne. Et après, ce sera
les grandes vacances. En Écosse, ils seront relayés par un équipage venu des
Chagos. »
Et moi ?
« Vous n’ouvrez à personne jusqu’à demain soir, sauf pour le
déjeuner, et vous passerez par l’escalier de secours qui est au fond du couloir
à trois enjambées de votre chambre à la faveur de la nuit, pour vous mettre à
l’abri et rejoindre Gustave et les filles sur la grève. Normalement, il et
elles vous attendront en bordure extérieure de la piscine – on y accède en
sortant de l’enclos – et l’amiral assistera les forces de l’ordre prévenues
dans la journée de l’arrivée sur la plage de deux douzaines de clandestins !
Simple, vous n’aurez pratiquement rien à faire que de nous
donner le « top » départ quand vous verrez filer les hors-bords de
mes kidnappeurs. »
Là, il a besoin d’une position finale qu’on lui transmettra par
Talkie-walkie et, à la seule lueur des étoiles, il n’y aura pas de trop de
quatre paires de jumelles.
Là-dessus, nous sortons de table non sans avoir commandé un seau à
champagne rempli de glaçons et une bouteille de vin blanc canarien, bras
dessus-dessous.
La moquette du couloir n’en est pas une : il s’agit d’un revêtement
qui crisse sous les semelles, probablement spécifique pour pouvoir être
débarrassé facilement du sable sous les pieds des vacanciers qui rentrent
crottés de la plage.
Devant nous un couple d’Allemand. Qui crisse. Mais derrière, au loin,
presqu’encore dans le hall, au niveau de l’entrée de l’ascenseur, un de nos
Ukrainiens cherche à savoir si au bout du couloir nous allons à droite ou à
gauche.
On va à gauche.
Et Paul met le panneau « Don’t disturb » à la poignée avant de
verrouiller la porte.
Ainsi pas très difficile de bien repérer le « nid d’amour »…
Il se verse un verre de vin, passe dans la salle de bain avec sa valise,
se change pour enfiler une tenue toute noire, y compris les chaussures de sport
et chaussettes.
Et il enjambe la balustrade dans l’air un peu frais, même si le vent s’est
adouci.
« Vous fermez la fenêtre derrière moi. Vous déroulez le volet et
tirez les rideaux. »
Je peux lire, au moins, ou regarder la télévision ?
« Oui, laissez la lumière allumée jusqu’à ce que vous vous
endormiez pour simuler une présence. La télé, il n’y a que France24 mais plein
de chaînes espagnoles et anglaises.
Passez une bonne nuit et veillez sur vous jusqu’à demain ! »
Et le voilà qui se laisse tomber souplement sur le niveau inférieur après
avoir enjambé la rambarde de mon balcon (Roméo et Juliette à
l’envers !) : nous sommes au premier étage, celui du hall d’entrée et du
restaurant que nous venons de quitter.
Tu parles d’une nuit ! Je n’ai décidément aucune chance avec les
hommes, moi !
Je saurai plus tard que Paul aura rejoint son yacht à pied en un peu plus
d’une heure. Probablement par le chemin que j’avais pris la veille, là où
j’avais mis presque deux heures.
Je déballe mon matériel et fait une vacation avec Dimitri qui est déjà
chez lui avachi devant sa télé.
Et je m’endors.
Au matin, je suis réveillée par un texto de Gustave qui m’indique qu’ils
ont embarqué à Roissy.
Dans trois heures, ils seront arrivés jusqu’ici.
Pour prendre un « appartement en ville », rue du premier mai,
une de ces longues artères toute droite qui débouche d’un côté sur l’église et
de l’autre sur rien…
Il faut tourner et retourner à travers des terrains vagues pour retrouver
la deux fois deux voies et un peu de circulation quand on est en voiture.
Gustave, en grand-uniforme mobilise la police locale avec quelques
accréditations, paraît-il, restant avec Noeline – son chauffeur – pendant
qu’Anaïs et Delphine font des courses : il y a bien un frigidaire dans
leur trois-pièces (avec balcon donnant sur un palmier) mais il est vide !
Moi, je me fais un tonneau de café, j’ai trouvé une chaîne musicale et
j’ose un petit tour sur le balcon en peignoir de bain et petite tenue, histoire
de voir le ciel et les gamins faire trempette dans la piscine.
Et je me fais livrer deux déjeuners. Paëlla-poisson-crustacés !
Nourrissant et pas besoin de commander un dîner : je finirai les
restes, tiédis avec la vapeur de la bouilloire à thé de la chambre.
J’ouvre un bouquin derrière mes voilages et il fait presque nuit quand je
suis de nouveau réveillée par un texto de Gustave : « Sommes en
place. On vous attend dans une heure. »
Le soleil se couche tard mais vite sous cette latitude et en cette saison.
On a beau être en heure d’été, la journée se prolonge et à neuf heures, je
sors.
Comme prévu, je garde ma clé, laisse le panneau « Don’t
Disturb » et file par l’escalier vers la mer, accueillie par Gustave qui
me guide dans le noir.
On n’est pas tout seul et on doit avoir l’air con à scruter l’horizon où
passe un ferry de liaison au large.
Le groupe ADN s’est étalé depuis la petite jetée jusqu’à plus de 500
mètres vers la grève de pierrailles au Sud.
« Vous prenez ma place et une radio. Moi je vais à la rencontre de
la patrouille de flics. Ils sont arrivés. J’espère qu’ils sont bien armés… »
Où est Paul ?
« Déjà en place avec le groupe HLM. Par-là ! »
fait-il d’un geste du bras. « Mais on ne les voit pas. »
Et il me laisse-là plantée comme une gourde.
On ne voit rien dans ses jumelles. Les lumières de la ville aveuglent et
ensuite, on a du mal à suivre la ligne d’horizon qui sépare la mer du
ciel !
« Les gars sont sur la plage à faire clignoter une lampe torche ! »
Ce doit être un signal.
La voix de Paul crachote dans Talkie-walkie : « Vu aussi. Ils
vont démarrer. Quelqu’un les a-t-il en visu ? »
« Non pas encore ! » répond Anaïs.
« Dispositif policier en place sur la plage. » C’est
Gustave. « Les guetteurs des pirates sont aussi en place. Ça va
effectivement démarrer ! »
De longues minutes passent au bruit des vagues qui viennent mourir
mollement sur la côte.
Quand soudain : « Vu ! J’ai. Écume à midi ! Deux,
non trois sillages… » C’est Noeline.
On braque tous nos jumelles vers l’Est.
« Banane, midi par rapport à quoi ? » C’est Henry.
« Bé à moi, je ne sais pas où vous êtes ! »
« T’inquiète, Noeline, je les vois aussi. Nous sommes dans leur Sud
à moins d’une demie-borne… Ils sont partis un peu plus au large que prévu. On
s’approche doucement, petite allure et sans écume les gars ni bruit de moteur.
Suivez-moi ! »
J’ai beau scruter de tous côtés, je ne vois rien.
« Ils en ont pour un bon quart d’heure avant de débarquer. »
C’est Gustave.
« Tant mieux, on s’approche par l’arrière-tribord… Tout doucement,
moteur au ralenti les gars… Encore quelques minutes. »
À force d’efforts, je parviens à apercevoir droit devant moi des traits
blancs qui fendent la surface de l’eau en approche. Pour les reperdre
aussitôt : bon Dieu, ils étaient pourtant là juste devant !
Et on ne les entend à peine et pas là où ils sont en réalité.
« Go ! On accélère et ensuite on fonce les gars ! »
C’est Paul qui dirige la manœuvre : il se pense assez près pour surprendre
l’équipage resté à bord du sous-marin.
Dix seconde plus tard, la mer s’illumine et on attend encore une demi-dizaine
de secondes pour entendre le bruit d’explosions : l’assaut est donné.
Ce qui n’arrête pas les hors-bords qui finissent par aborder la plage dans
la même minute.
Les guetteurs Ukrainiens semblent s’émouvoir, mais là encore, trop
tard : la Playa-Bianca semble vouloir s’offrir un festival son et
lumière !
Pétarade de rafales, cris, ordres, un couple de touristes qui s’offrait un
bain de minuit dans le plus simple appareil, sort de l’eau en catastrophe à la
recherche de leurs vêtements.
Les hommes du commando reculent, surpris. L’un des guetteurs tente de
s’échapper alors que l’autre tente d’embarquer à bord d’un des deux hors-bords
qui manœuvrent pour reprendre la mer, pendant que celui qui n’avait pas encore
abordé fait bruyamment demi-tour vers le large.
Une vedette de la police, des douanes ou des garde-côtes, les aveuglent de
puissants projecteurs : ils sont tous en pleine lumière. Même la
plage !
Et le gars qui court sur le sable s’arrête et lève les bras, route barrée.
Les deux touristes aussi : ils auront eu à peine le temps de remettre
leur maillot de bain !
L’opération Borozinov est une réussite complète… pour Paul : il l’aura
eu son sous-marin !
Un échec total pour les Ukrainiens.
La presse pourra parler de plusieurs dizaines de clandestins arrêtés sur
la « Playa-blanca » et… réclamer des aides supplémentaires à
Bruxelles….
Et moi, je n’aurai même pas vu le sous-marin !
270 pages – 12,30 €
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