XXVI – L’ascenseur spatial de Paul
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
« De quel « secret » devions-nous parler ensemble ! »
Décidément, les secrets, il aime ça… Il y en a plusieurs.
« On vole vers mes installations : un spatioport qui sera
géré un peu plus tard par une fondation internationale, une sorte d’ONG à disposition
de l’humanité. Nous serons tous morts quand il sera pleinement opérationnel. »
Quel intérêt alors ?
« Il faut bien commencer par quelque chose. »
Mais pourquoi si loin dans l’océan Indien, questionne le « secrétaire »
particulier ? « Nous disposons déjà de la base de Kourou… »
« Exact, mais elle est française. Là, nous allons sur un
territoire de souveraineté de droit britannique avec une importante base de
sécurité US à proximité… Ce qui change tout.
Je vous montre en avance, parce qu’à un moment, il faudra
instaurer une zone d’exclusion internationale, je veux dire de droit
international, quand les russes, les chinois et quelques autres deviendront
trop curieux, avant une ouverture à toutes les nations. »
C’est un peu contradictoire…
« Non pas du tout ! Il y a une phase de création où je veux
pouvoir rester seul maître à bord. Je suis le seul à financer. Ensuite on
basculera sur une fondation sous protectorat britannique en faisant appel à des
financements internationaux. Et ceux-ci ne viendront pas tant qu’on resterait
« national », français, britanniques ou US et sous la menace
d’hostiles.
Il faut donc y aller par étape. »
Dans quel but ?
« Vous avez peut-être lu, ou en tout cas entendu parler du roman « Les
Fontaines du paradis » d’Arthur Charles Clarke paru en 1979 ? »
Oui, non, peut-être…
« C’est une vielle idée. Celle d’un ascenseur spatial en orbite
autour de la Terre.
Ce concept est fondé sur l’idée d’un câble maintenu tendu
par la force centrifuge due à la rotation de la Terre sur elle-même.
Pour être en équilibre, le câble doit s’allonger au-delà de
l’orbite géostationnaire, 36.000 km, à partir de laquelle la force centrifuge
dépasse la force de gravitation.
Une fois en place, des nacelles montant le long du câble
permettraient de rejoindre l’orbite de façon plus économique qu’avec un lanceur
spatial classique comme une fusée.
C’est surtout plus facile et moins polluant. »
Paul continue son exposé : « L’idée a été développée dans les
années 1950 s’est tout de suite heurtée à de nombreuses contraintes
technologiques, et en premier lieu à l’inexistence d’un matériau à la fois
suffisamment léger et résistant pour résister à la tension engendrée par le propre
poids du câble.
Or, avec la découverte dans les années 1980-1990 des
nanotubes de carbone, dont les propriétés mécaniques théoriques pourraient être
suffisantes, elle a été relancée avec un certain intérêt.
Mais ça reste encore une utopie de science-fiction. »
Le concept d’ascenseur spatial a été inventé par le pionnier russe de l’astronautique
Constantin Tsiolkovski en 1895 : sur le modèle de la Tour Eiffel,
achevé en 1889, il imagine une tour de 35.790 km de haut, qui permettrait d’amener
via un ascenseur des charges en orbite géostationnaire.
« Le concept a ensuite été relancé par Yuri Artsutanov qui propose
en 1960 non plus une tour mais un câble suspendu depuis l’espace en suggérant d’utiliser
un dispositif similaire à une cabine d’ascenseur.
En 1975, Jerome Pearson propose d’adopter une structure en
forme de deux longs rubans, de part et d’autre d’un satellite en orbite géosynchrone.
Une extrémité joue le rôle de contre-poids, ce qui évite d’arrimer trop
solidement la base terrestre de l’ouvrage.
Cela en fait un projet de 144.000 kilomètres de long,
globalement 38 % de la distance Terre-Lune. »
Et en 1978, le romancier Arthur C. Clarke dévoile le concept au grand
public dans son roman de science-fiction « Les Fontaines du paradis ».
Il est aussi appelé « tour orbitale » (orbital tower).
Clarke décrit la construction, à partir d’une station spatiale, d’une
gigantesque tour destinée à constituer un lien fixe entre la surface terrestre
et un « contre-poids » en orbite géostationnaire. L’équilibre de l’ensemble est
assuré en permanence, par la construction d’un autre élément de tour dans la
direction opposée. Au total, c’est une sorte de fronde de 72.000 kilomètres de
long qu’il faut donc réaliser.
« Dans son hypothèse, la base nécessite de solides fondations.
Ainsi, dans le roman de Clarke, la base de la tour est ancrée de plusieurs
kilomètres dans le sous-sol.
En fait, on n’en a pas besoin : la base peut juste «
effleurer » la surface du sol, du moment que le satellite n’oscille pas
trop autour du « point zéro » situé à 36.000 km d’altitude.
Or, mes installations sont situées à à peine une poignée de
kilomètres de l’équateur.
À Kourou, le satellite aurait dû faire un huit d’un millier
de kilomètres, pour se situer à quelques 574 kilomètres de l’équateur.
Là, nous serons juste à l’aplomb de la future
station-orbitale-mère. Du coup, le contrepoids n’a plus à se situer à 72.000
kilomètres, mais autour de 65.000 km, un peu plus haut que les ceintures de Van
Allen, avec une masse suffisante et une contre-gravité artificielle, par la
force centrifuge, d’un peu plus de 20 % de ce qu’elle est sur Terre : une
excellente étape de transition vers la Lune ou le grand espace. »
Ah oui, évidement confesse le Président… Le site idéal en somme,
probablement en parlant du lieu des installations futures !
« Rappelons que, Clarke s’est inspiré de réels travaux
scientifiques, en particulier de ceux de Pearson, et ceux de quatre autres
Américains, John D. Isaacs, Hugh Bradner, George Edward Backus de l’Institut
d'océanographie Scripps et ceux de Allyn C. Vine de l’institut océanographique
de Woods Hole qui ont été publiés le 11 février 1966 dans la revue Science. »
L’ascenseur spatial pourrait prendre la forme d’un long
câble sur lequel circuleraient des navettes.
Sauf que chaque portion du câble est soumise d’une part à l’attraction
gravitationnelle terrestre, et d’autre part à l’accélération d’entraînement engendrée
par la force centrifuge, qui s’équilibrent seulement à l’altitude de l’orbite
géostationnaire mais pas tout le long du parcours.
La pesanteur domine en dessous de cette altitude, et il faut
donc une longueur suffisante de câble, et une masse suffisante au-dessus, pour
assurer une tension vers le haut.
Reste qu’en dehors de celle à l’altitude de l’orbite
géostationnaire, les sections du câble ont une vitesse de rotation différente
de celle qu’elles auraient si elles étaient en orbite libre : plus lente en
dessous et plus rapide au-dessus.
Brad Edwards, de la fondation californienne Eureka
Scientific nous aura décrit en détail une méthode possible de construction d’un
tel ascenseur, à savoir qu’on lance un engin spatial en orbite géostationnaire,
puis celui-ci envoie vers la Terre un mince ruban (1 micromètre d’épaisseur)
présentant des caractéristiques mécaniques ad hoc, à la fois léger et résistant. Et au fur et à
mesure que le câble descend, le véhicule s’écarte de la Terre pour maintenir l’équilibre.
Il atteint ainsi une distance de 72.000 km.
Pour lui, une fois que le premier câble est amarré au sol,
on s’en sert pour en mettre en place d’autres et constituer le câble définitif. »
Et de nous expliquer que l’intérêt d’un tel système réside dans son faible
coût de fonctionnement. Pour nous expliquer durant une partie du vol que dans
certains projets, l’énergie de freinage d’une cabine descendante peut même être
récupérée pour propulser une cabine montante. Mais que l’inconvénient majeur
est la vulnérabilité aux météorites, aux débris spatiaux, aux engins aériens ou
même aux catastrophes naturelles…
« Mais ça, ça se gère. En revanche, les matériaux
classiques sont insuffisamment résistants, mais la découverte des nanotubes de
carbone a fait réapparaître un certain intérêt pour cette idée, avec une
résistance à la traction pouvant atteindre 80 Gigapascals.
Des calculs ont été effectués, et ils ont démontré que le
câble de nanotubes en question devrait mesurer environ un mètre de large, être
aussi mince qu’une feuille de papier, et être apte à supporter une tension d’environ
63 GPa, l’équivalent d’une joute de « souque à la corde » opposant
100.000 personnes de chaque côté.
En réalité, ça ne va pas se passer de la sorte. »
Parce que Nicola Pugno de l’École polytechnique de Turin aura fait
remarquer que les assemblages de nanotubes de carbone sur lesquels reposaient
tous les espoirs ne seraient pas assez solides. « Et il a raison !
Dans un article du Journal of Physics, Condensed Matter, il ajoute que même
dans le cas où l’ascenseur spatial pourrait être déployé, les micrométéorites
et l’érosion par l’oxygène ne manqueraient pas de l’affaiblir.
En outre, la résistance du câble, il faudrait également
résoudre le problème des collisions avec les satellites ou des débris orbitaux.
Cette année, plus 167 millions de débris pourraient croiser
le câble, ce qui implique une dizaine d’impacts d’objets de moins de 10 cm par
jour.
Dès lors un compartimentage du câble, et des réparations par
le passage régulier d’une cabine de maintenance pourrait traiter ces
événements.
D’autant qu’il existe également plus de 29.000 objets
capables potentiellement de sectionner le câble et les impacts pourraient avoir
une fréquence allant d’une fois par semaine à une fois par an. Il faudra
donc plusieurs structures conjointes. Il faudrait dédoubler la quantité de
matériau à envoyer dans l’espace, à faire redescendre pour partie vers la
planète. »
Ce qui amène un autre problème de taille. Fournir l’énergie pour
envoyer tout ça, on parle de millions de tonne, plus la fourniture de l’énergie
nécessaire pour faire monter une cabine d’environ 20 tonnes, à une vitesse de l’ordre
de 200 km/h à 500 km/h, sur une distance de 36.000 km, ça fait au minimum 300
Mégawatts.
En plus de véhiculer la puissance sans trop de pertes en ligne par effet
Joule jusqu’à la cabine.
Pour éviter de véhiculer trop de puissance à partir de la Terre, il faudra
envisager de déployer de vastes surfaces de panneaux solaires une fois la
cabine sortie de l’atmosphère, soit au-dessus d’une altitude de 150 km.
« Vous le voyez, ce n’est pas simple…
En plus, des oscillations longitudinales et transversales du
câble peuvent être provoquées par de nombreux événements : vents rapides dans
les hautes couches de l’atmosphère, les intempéries climatiques parfois
violentes dans ces régions, la force de Coriolis s’appliquant sur le câble et
aux cabines qui tire l’ascenseur dans la direction opposée à la direction de la
rotation de la Terre, d’autant plus forte que la vitesse de la cabine est
grande.
Pour les oscillations longitudinales, la base devra être
mobile pour accompagner les mouvements du câble, et pour les oscillations
transversales des moteurs fusée au niveau de la cabine peuvent être employés
pour stabiliser.
Et puis le problème sera notamment le franchissement des
ceintures de Van Allen, qui contient une grande densité de particules
énergétiques provenant du vent solaire.
La première, située entre 700 et 10.000 km d’altitude et est
constituée principalement de protons à haute énergie, jusqu'à plusieurs
centaines de MeV.
La seconde est plus large et se déploie entre 13.000 et 65.000
km d'altitude. Elle est constituée d’électrons également à haute énergie,
supérieur à 5 MeV. Mais
celle-là, on peut facilement la maîtriser avec un dispositif électrostatique.
À une vitesse de 200 km/h, les passagers peuvent rester
plusieurs jours à l’intérieur de ces ceintures, alors que les astronautes de la
mission Apollo les avaient franchies en moins d’une demi-heure ! »
Par conséquent, une protection est alors nécessaire pour les voyageurs
humains, qui peut prendre la forme de lourds blindages de plomb ou d’eau, ce
qui alourdirait le devis de masse.
« Notez, Monsieur le Président que la Spaceward Foundation,
soutenue par la NASA, a organisé en 2005, et annuellement jusqu’en 2009, un
concours ayant pour objectif la conception d’un câble en nanotubes, le « Tether
Challenge ». La récompense était de deux millions de dollars à l’équipe
qui proposerait le câble en nanotubes le plus résistant, pourvu qu’il le soit
au moins deux fois plus que le meilleur câble sur le marché, mais personne ne l’a
revendiquée.
Et en 2012, l’entreprise japonaise du BTP Obayashi aura annoncé
son souhait de bâtir le premier ascenseur pour emmener des touristes dans l’espace
à l’horizon 2050.
Par ailleurs, en septembre 2018, des chercheurs de l’université
de Shizuoka en collaboration avec cette entreprise ont envoyé vers la station
spatiale internationale un premier petit démonstrateur à bord du cargo de
ravitaillement HTV-7.
Le décollage a eu lieu le 11 septembre 2018 à bord d’une
fusée H-2B depuis la base de Tanegashima : il s’agissait de deux
nanosatellites de 10 centimètres de côté reliés par un « câclarckble »
de 10 mètres de long où une petite cabine de quelques centimètres a effectué
ensuite des allers-retours le long de ce câble.
C’était pour valider le concept. »
« Si je comprends bien votre objectif est de fabriquer cet
ascenseur ? Mais la technologie ne le permet pas : pas de câble assez
solide. C’est une perte de temps, d’énergie et d’argent, me semble-t-il… »
en dit fort adroitement le Président.
« Exact. C’est pourquoi ce projet ne peut pas être mené par une
puissance publique quelconque. On en dirait qu’il s’agit de jeter l’argent du
contribuable à la mer. Ni par l’ONU qui a d’autres chats à fouetter : ce
n’est pas dans ses missions. Et puis le GIEC pompe toutes les subventions
encore disponibles.
Or, comme vous m’avez fait gagner un peu d’argent, que j’ai
démultiplié depuis avec quelques coups de bourses, j’ai les moyens d’amorcer le
projet avant que d’être soutenu par d’autres multimilliardaires. »
Oui mais les contraintes technologiques ?
« Ce que la métallurgie ne peut pas faire, même avec les nanotubes
de carbone, en revanche l’électromagnétisme peut le faire, notamment quand on
sera capable de passer des millions d’ampère dans des câbles fins comme un
cheveu avec la supraconductivité : pas de problème.
Et notre câble primaire deviendra une succession d’aimants
en forme d’anneau à travers lesquels fileront les cabines !
Et pour ne rien gâcher, ça sera la même force
électromagnétique qui contraindra à la cohérence de l’ensemble. On pourra même
tordre l’ensemble pour lui éviter les collisions avec des débris. Aucune
difficulté ! » s’enthousiasme
Paul.
« Mais, mais… ces technologies n’existent pas ! »
« Si, elles existent déjà, mais elles ne sont pas développées dans
cet objectif-là. Comment croyez-vous que va fonctionner le réacteur ITER à
Cadarache ? Et là, c’est encore plus puissant puisqu’il s’agit de contenir
une déflagration de fusion nucléaire, en continu et autrement plus violente.
Non je vous le dis, c’est comme ça que ça se fera, mais il
faudra plusieurs décennies.
Aussi, aujourd’hui, je me contente de mettre en place le
premier module : celui qui doit permettre de mettre en orbite les millions
de tonnes de matériel qui vont s’étendre autour de la position géostationnaire
au-dessus de nos têtes.
C’est qu’en plus, il faut aussi pouvoir fournir le courant
électrique pour que tout ça ne se disloque pas par accident et retombe en pluie
fine sur la planète et c’est l’équivalent de plusieurs Flamanville ! »
Moi-même, j’en reste un peu étourdie…
270 pages – 12,30 €
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