VI - McShiant Castel
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc purement,
totalement et parfaitement fortuite !
En fait, le rocher sur lequel se pose l’hélicoptère, avant de repartir
sitôt ses passagers et leurs bagages débarqués, est plutôt de type « aride »
et désolé. Herbes rases, quelques chardons roses, pas un seul arbre mais quelques
moutons qui paissent tranquillement de l’herbe bien verte et probablement salée
par les embruns du large apportés par les tempêtes qui doivent se succéder dans
le Minch.
Je découvrirai plus tard que l’îlot n’est jamais qu’une falaise granitique,
hors un petit débarcadère sur la pointe ouest par lequel on accède sur un
chemin de terre raviné et escarpé.
Pas tout-à-fait au sommet trône une bâtisse de style victorien assez
imposante et austère construite en pierre du pays, noires, avec des volets
gris : Le « Castel » de la famille éponyme.
Meubles cossus en bois massif et d’époque, deux étages et de hautes
cheminées rangées « en forêt » sur le toit : pas très
sympathique au premier coup d’œil, mais plutôt stylé, le « Castel ».
On est accueilli par une sorte de péquenaud aux bottes crottées de boue
qui tire sur une pipe, probablement un tabac gris et empestant fort, et une
cariole à bras pour prendre en charge nos maigres bagages, qui nous conduit
vers l’entrée où nous attend un valet en livrée noire et or.
Le maître d’hôtel.
À l’intérieur, ce qui est saisissant en cette fin de journée au ciel
plombé, c’est l’obscurité relative entretenue par de maigres luminaires qui
diffusent tout de même assez de lumière pour laisser entrevoir d’immenses portraits
d’ancêtres accrochés aux murs et un parquet de bois aux lames droites, épais et
encaustiqué tel un miroir.
Il fait froid et humide.
« Lady Margareth m’a demandé de vous conduire à vos chambres et de
vous faire savoir qu’elle vous recevra pour le tea-time servi d’ici une
demi-heure » fait-il dans un anglais au fort accent écossais.
Incompréhensible pour une oreille « continentale ».
Le « tea-time », c’est toute une institution dans les îles
britanniques qui implique la présence de thé, bien sûr, mais c’est aussi un
vrai repas. Plein de gâteaux, des sortes de génoises fourrées à la confiture, des
cookies et gâteaux secs, des madeleines aux pépites de chocolat, mais surtout des
sandwichs coupés en lanières ou en triangle, composés de toutes sortes de filets
de poisson tranchés ou préparés en rillettes, de quelques charcutailles et son
irremplaçable bacon.
On y trouve même des concombres à la mayonnaise…
Enfin, mayonnaise… disons que c’est ce qui s’en rapproche le plus :
c’est plutôt de la « salad-cream » épaisse coincée entre deux
tranches de pain.
Là encore, quand on parle de pain en Angleterre, et même en Écosse, il ne
faut pas s’attendre à nos belles productions parisiennes ou aux miches de nos
campagnes bien croustillantes, mais bien plus à du pain de mie !
Bref, à part les œufs brouillés et le lard fondu, le tea-time, c’est un
pique-nique froid, hors le thé qui est servi quasiment bouillant… pour
compenser, je suppose.
Un arrache-gueule fumant pendant de très longues minutes.
Lady Margareth est une jolie fille aux yeux pétillants d’une maigreur effarante,
au visage émacié mais qui reste « mastoc » au niveau des membres
inférieures. Elle marche de façon bizarre, une canne à pommeau à la main dont
elle ne se sert que pour s’assoir ou se lever, mais qu’elle ne quitte pratiquement
jamais.
Je comprendrai très vite qu’elle est paralysée, paraplégique, depuis le
nombril, suite à un accident de cheval dans sa jeunesse. Et que ce qui la rend
« mastoc », c’est son corset équipé pour recueillir ses « body
fluides » dont elle ne maîtrise pas du tout l’arrivée et sur lesquels sont
fixées ses orthèses articulées.
Elle explique elle-même que son exosquelette est piloté par une intelligence
artificielle intégrée dans ce dispositif. « Ce qui m’évite de tomber.
Je peux marcher à peu près comme je veux, mais je reste maladroite et ne peux
pas encore courir. En revanche, je peux de nouveau monter à cheval ! »
s’enthousiasme-t-elle…
Paul m’en dira plus sur le vol du retour : elle s’est faite une
spécialité de faire des prothèses pour remplacer mains, bras, pieds et jambes
de personnes amputées dans le cadre des activités de la Fondation Risle[1].
La fondation implantait des organes prélevés sur des cadavres pour ses
patients fortunés à travers le monde dont elle remplaçait les organes manquants,
déficients et malades.
Depuis, les greffes de membres se sont améliorées, surtout de la main et
les industriels se sont rués sur les prothèses artificielles. Mais pas les
organes internes pour lesquels il faut toujours avoir recours à des greffes.
« L’avenir de ce genre de chirurgie palliative restera aux
« autogreffes » d’organes cultivés in vivo à partir de
cellules-souches du patient… Mais ce n’est pas encore au point ! »
Comme de toute façon la Fondation Risle a disparu, la lady végète un peu
depuis et se consacre à la recherche sur les puces « à la demande »,
les petites séries que façonne sa sœur à Glasgow dans leur usine dédiée.
« Ce qui font d’elles deux des spécialistes dont j’ai besoin… »
« Tu en es où sur la conception de mes cyborgs ? »
questionne Paul, une fois que les présentations sont faites quand elle se sera
posée.
Je note le tutoiement (qui est significatif d’une certaine familiarité qui
se distingue au ton avec le « you » de déférence en anglais, mais
c’est assez subtil pour une oreille continentale, tel que je ne comprends pas
tout de suite) ainsi que le mot « cyborgs ».
C’est quoi ce projet-là ?
« Ma biographe personnelle oublie tout quand elle n’a pas ses
notes sur elle… Alexis, je l’ai évoqué dans notre TGV retour lors de notre
premier voyage à Londres.[2] »
Ah ? Je n’en ai pas souvenir…
« Vous vous souvenez que j’ai acheté assez cher une compagnie de
croisiériste en présence du russe. »
Oui, ça je me souviens, alors que Lady Margareth se lève pour nous servir
un verre de Cherry, aidé en cela par la gouvernante et… sa canne !
« L’objectif reste de faire tourner ces navires, après
restauration et mise à niveau d’un cinq étoiles type luxe, dans les zones où
les gens ont du pognon. On va en faire des bordels de luxe flottant avec des
cyborgs sexuels à bord… »
Je m’en étouffe : « Des quoi ? »
« Des putes ! Mais comme je ne suis ni un proxénète ni un
acharné de la traite des femmes, on les remplace par des robots. Simple et même
pas illégal ! Dans aucun pays… »
Ah oui ?
J’en reste coite, interdite : j’aurai dû me souvenir de ce qui choque
habituellement l’entendement. Mais là, c’est plutôt « le blanc »…
Probablement un acte manqué.
Où va-t-il chercher tout ça ?
Il me l’avait peut-être dit, mais j’ai forcément dû oublier tellement ça a
dû me dérouter.
Et la conversation s’engage entre lui et notre charmante hôtesse à la voix
si posée, plutôt sur un plan technique. Domaine où je ne comprends même pas un
mot sur deux, même quand ils se mettent à causer dans la langue de Molière.
Elle n’a pas chômé, mais c’est difficile : « Ton cahier des
charges est infernal. J’arrive bien à partir d’un même squelette à faire les
trois tailles standardisées demandées avec de multiples variantes et même des
variations de mensurations, mais ce n’est pas encore « sécurisé ». Ça
peut tomber en panne et la difficulté c’est de pouvoir réparer sans tout
démonter. »
Comme sur une tablette ou un smartphone où, à part la batterie, si ça ne
marche plus, il vaut mieux en racheter une autre… Ça revient moins cher !
« J’imagine. Mais tu as pensé à inclure des dispositifs d’autodiagnostics
des problèmes de fonctionnement ? »
« Ne m’en demande pas trop. Je bosse sur les logiciels… Et c’est
bien plus compliqué que pour faire fonctionner une paire de jambes ! »
Car il y a des jeux d’articulation avec butée sur pratiquement tous ses
« os » en titane…
« Il y a environ 206 os, en comptant les osselets de l’ouïe, dans
un corps humain et environ 656 muscles ! J’ai déjà réussi à réduire plus
de la moitié des os moyennant une certaine rigidité qui ne se voit a priori
pas. Mais c’est autant de servo-moteur à calibrer et coordonner pas à pas, même
s’il n’y en a que moins d’une centaine… C’est nettement plus commode que devoir
motoriser des servocommandes tirant sur des câbles ou des tringles,
crois-moi ! »
On n’aura pas de gymnaste conclut Paul un brin moqueur.
« Et pourquoi faire quand il s’agit seulement de se plier en
quatre pour tes clients et d’écarter les cuisses ? De toute façon, j’ai un
autre problème qui se rencontre au niveau de l’épiderme. »
Il lui faut un produit qui fasse illusion et surtout qui évite les
« coutures » trop voyantes.
« Or, si on veut ouvrir et démonter pour réparer, il n’y a pas
trente-six solutions. Pour le crâne, ça peut se camoufler sous la perruque,
mais on ne va pas très loin au-delà du cou qui fait goulot d’étranglement.
On peut aussi enfiler des sondes dans tous les orifices
assez profonds, les équivalents des nez, bouche, oreilles, anus, vagin et pour
l’alimentation électrique dans les plis du nombril. Mais ouvrir, je ne vois ça
qu’autour des fesses.
Or justement, les fesses et l’appareil sexuel, il faudrait
que ce soit particulièrement bien soigné pour pouvoir induire en erreur tes
michetons.
Insoluble, d’autant que si c’est la seule ouverture, enfiler
tout le reste par le séant, ce n’est pas évident » conclue-t-elle.
« Mais il est plus naturel d’y avoir une couture bien dissimulée.
Et les fesses, c’est justement là qu’il convient de rajouter du latex… »
Le séant, bien des naissances se passent de cette façon-là non ?…
« Peut-être, mais au prix de quelle dilatation des tissus à
prévoir !… »
« C’est prévu. On a une solution. »
Ah ? fait-elle.
« On m’a parlé d’un gars qui fait de la peau artificielle pour les
apprentis tatoueurs à partir de collagène tanné et poli. Il paraît que c’est assez
bluffant. Reste à lui monter une machine à impression 3D qui rendrait
l’opération de finition impeccable pour l’effet recherché, facile et peu
coûteuse, et, en cas de panne générale, on peut très bien arriver à réduire les
coûts de fabrication pour détruire, « éplucher », tes bestioles et
les « rhabiller » comme neuf une fois les réparations effectuées. »
Elle a l’air totalement incrédule…
« Je m’en occupe. Il est en Espagne, aux Canaries je crois savoir… »
Il devrait dire, « me souvenir », puisqu’il a lu mes biographies
à venir. Ou alors, Paul a des trous de mémoires !
« Et puis pour les « masses flottantes » on utilisera du
silicone qui a en plus la capacité d’être injecté ou retiré par tes fameux
orifices, sauf à prévoir un plan des circulations à anticiper. Tu nous montres
tes prototypes ? »
Volontiers ! « Mais tu sais que pour pénétrer dans mon
laboratoire, la « Margareth-tax » est toujours de rigueur… Et ta
copine ne peut pas la payer… »
Eh oh, c’est quoi encore, cette taxe-là ?
Et « son » laboratoire, il est où ?
« Alors fais-en monter un ! »
C’est en lisant le biographe « officieux » que je saurai ce
qu’est cette fameuse taxe et que les laboratoires sont installés dans les
sous-sols du « Castel », dans des grottes semi-naturelles qui
serpentent dans le « rocher »[3].
« Ah dommage… C’est la présence de ta girl-friend qui
t’inhibe ? »
Non ! « C’est que je suis un père de famille devenu
respectable. Et puis je finance tes travaux, n’oublie pas, même si j’ai besoin
de toi. On verra donc ça une autre fois… »
« Je ne t’en monte plus un ? »
« Tout compte fait, non. Ton personnel n’a pas à voir ce que tu
fabriques dans tes ateliers. Ça pourrait éveiller la curiosité de gens pas
forcément bien intentionnés… »
Elle a une entière confiance dans son personnel de maison.
« Moi aussi, mais je ne préfère pas. Tu es déjà sous surveillance
des services de la Couronne et des « pas amis » vont venir tôt ou
tard s’enquérir de tes machines. Souviens-toi des ennuis que la machine
sur-unitaire de ton grand-père lui a valu.
On va faire différemment. »
Elle fonctionne au moins cette dernière machine (celle de Lord
McShiant dont il a été question au mois de juin dernier) ?
« Toujours pas. On va aller dans tes caves. Juste pour estimer le
volume dont tu as besoin pour travailler. Parce qu’après, je te déménage discrètement
quelques mois dans l’océan Indien pour passer en phase préindustrielle dans le
calme et à l’abri de mes garde-côtes.
Alors prépare tes cartons… ! »
Mais elle ne veut pas déménager.
« Et puis, il fait trop chaud dans l’océan Indien. »
« Darling, tu auras l’air conditionné. Ici, de toute façon, tu vas
être « visitée » par des hostiles d’ici peu : il s’agit d’être
prudent pour ta santé.
J’ai encore besoin de toi… »
Comme ça, Paul aurait des garde-côtes autour de son atoll ?
« Non pas encore, mais il faut que je m’en occupe d’ici cet
automne… »
Et comment Paul sait-il qu’elle va être « visitée » questionne
la milady ?
Et par quels « hostiles » ? On est encore en UK, ici… au
moins encore pour un temps.
« Oh là, c’est compliqué à t’expliquer ! Je sais et je suis
seulement passé te prévenir. »
Nous en restons là, et elle surtout, dubitative.
Je suis la première à savoir qu’avec cet olibrius-là, il faut s’attendre à
tout, même à l’improbable : s’il le dit, c’est que ça va se passer, mais
je n’en dis rien à la lady blonde.
« Écoutez, puisque je suis interdite d’accès à vos installations,
je vais aller prendre une douche et je vous attends ici. Ça vous va… ? »
« C’est ce qu’on attendait de vous Alexis ! Merci… »
me fait savoir avec un grand sourire lumineux la lady.
Et me voilà expédiée comme un paria…
Je compte alors les suivre, mais ils attendent un long moment à disserter
sur l’IA embarquée sur les cyborgs qui n’est guère avancée, avant de s’éclipser
tous les deux, je ne sais où.
Je comprends seulement qu’Alphabet, la maison-mère de Google a
correctement avancé sur les « chabots » dont Paul pourrait obtenir
une licence non-exclusive.
Pour les voir réapparaître à la nuit tombée depuis un long moment, fatigués
tous les deux mais quel que peu contrariés l’un et l’autre : Leur escapade
n’aura peut-être pas été de tout repos…
« Bon, moi, je vais me coucher. Demain on passe chez ta sœur pour
la saluer. »
Je n’en saurai pas plus sur le moment.
[1] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisodes « Au nom du père »,
tomes I et II, à paraître, aux éditions I3
[2] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Alexis cherche
Charlotte », aux éditions I3
[3]
NDN : Informations censurée…
270 pages – 12,30 €
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