X - Opération Borozinov (1)
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Ladite « opération », en deux volets, aura été finalement
initiée ce soir-là, alors que les délégations se préparent à se séparer en bon
ordre.
Le contre-amiral d’active Sergueï Borozinov, francophone pratiquement sans
accent, justement choisi pour cette raison pour accompagner la délégation
russe, offre au vice-amiral de réserve Morthe de l’Argentière un cigare et du
feu sur le chemin de retour qu’ils empruntent à pied jusqu’à la côte pour
rejoindre les voitures.
« Ravi de vous croiser ! »
De même : deux marins qui apprécient l’un et l’autre les choses de la
mer, leur terrain de chasse et de bataille habituel, sont forcément ravis de se
rencontrer sur… la terre ferme…
« J’ai entendu dire des choses étonnantes sur l’un de vos
subordonnés. »
Gustave n’y est pas sur le moment, bien qu’il eût été prévenu… Il s’agit
de Paul et Paul est devenu son patron… Un détail qui l’aura dérouté.
Il faut que Borozinov précise pour que Gustave comprenne de qui il s’agit,
alors qu’il précisait qu’il n’était plus d’active, seulement conseiller
épisodique.
« Je sais », rétorque le Russe.
« Vous êtes probablement au courant des dessous de l’affaire
Skripal[1]. »
Partiellement.
« Une affaire probablement stupide initiée par notre FSB sous
couvert de notre GRU. J’ai eu à enquêter sur le sujet et en faire un rapport à
destination du Kremlin, sous couvert de la marine. »
Gustave fait l’âne pour avoir du son comme il a été prévu puisqu’il a
été mis au courant par Paul, mais reste encore très dubitatif et là, tout d’un
coup, l’ensemble prend forme et cohérence dans son cerveau. Il va devoir
s’ouvrir pour faire les révélations commandées par Paul et pour lesquelles il
aura été briefé durant les dernières semaines.
« Notre agent a des talents particuliers. »
« Probablement, mais lesquels en particulier ? »
Entre autres, celui de se mettre tout seul dans des situations impossibles
« et non commandées » pour s’en tirer malgré tout.
« Mais, mais… je veux parler de ses… prémonitions ? »
Gustave se tient silencieux ou alors ma liaison est coupée…
Le Russe réamorce : « Il a fait des déclarations à notre
officier qui se sont révélées être exactes. La mort suspecte d’un officier
général du GRU et même le décès du capitaine Igor du FSB… Comment s’y est-il
pris ? »
L’effroi feint de Gustave…
« Il n’y est pour rien, voyons ! Probablement devez-vous
chercher les causes de ces morts dans vos propres services. Des histoires de
« règlement de comptes », j’imagine, après les effets des … « contrariétés »
autour de cette affaire d’empoisonnement ratée. »
Oui, mais comment savait-il tout cela avant qu’elles ne se produisent
?
« Déduction ou autre chose ? Mon Président apprécierait d’en
savoir un peu plus… »
Probablement les deux.
« C’est très certainement le fait d’une intelligence hors norme au
fonctionnement très efficace. »
Ah ?
« Seulement ça ? »
Non pas.
Alors quoi ?
« C’est un esprit scientifique très pointu. Que j’ai eu sous mes
ordres comme simple pilote de chasse. Assez habile aux commandes d’un avion,
mais ce n’est qu’un des aspects de ses immenses talents. »
Comme prévu, le russe est désormais alléché, « amorcé » :
il faut lâcher un morceau plus gros pour le ferrer.
Mais encore ?
« Eh bien je ne peux pas tout vous dire – secret défense oblige –
vous comprendrez. Mais il est capable de prévoir l’avenir assez précisément avec
ses logiciels prédictifs. »
Là, le russe a vraisemblablement le cerveau qui se met à bouillir.
Comment ça ?
« Comment croyez-vous que nous soyons capables de déjouer des
attentats par dizaines depuis plusieurs années malgré la menace islamiste toujours
autant d’actualité ? »
Là, ça fait mouche.
« Pour tout vous dire, il savait qu’en faisant savoir à votre
chancellerie que je serai présent, vous y seriez également. Autrement dit,
notre conversation était prévue, sinon voulue. »
La bouche du Russe reste nettement entrouverte quelques longues secondes,
se sentant pris dans une nasse qui le dépasse.
Il est parfait. Paul d’abord. Gustave ensuite.
« Voulue pour quelles raisons ? »
Il n’a pas entendu le Président Makarond ?
« Il s’agit de vous dire qu’au lieu que nos nations se chamaillent
en permanence, il serait peut-être temps qu’elles collaborent. »
Mais elles n’ont pas les mêmes intérêts géostratégiques, tout le monde
sait ça.
« Peut-être… Peut-être avez-vous raison. Mais pour l’heure
seulement.
Votre pays va être traversé par quelques crises desquelles
il va s’en sortir grâce à ses atouts mais aussi ses faiblesses. Le nôtre aussi…
Vous-même allez recevoir l’ordre d’organiser un « coup
tordu » sous fausse bannière contre notre agent. »
Le Russe n’a rien reçu de tel, comme instruction. Seulement de « vous
tirer les vers du nez, comme vous dites à Paris ».
« Oui, mais il y a une suite. Plusieurs mêmes. Jusqu’à ce que vous
arrêtiez et que vos autorités acceptent la main tendue par notre Président.
C’était cela l’objectif de cette réunion bilatérale. Vous
avez besoin de nous, les européens occidentaux, et nous nous aurons besoin
d’ouverture à l’Est. Pas immédiatement, mais plus tard : c’est prévu comme
ça ! »
Des prédictions … « scientifiques » ou des préconisations…
politiques ?
Autrement dit, de l’esbrouffe ou des analyses géostratégiques ?
« Non, non. « Charlotte » a les moyens technologiques de
connaître l’avenir. »
Ah ça ? Et comment ça ?
« Ne me le demandez pas, il ne partage pas tous ses secrets. Je
n’en sais donc rien, mais… »
Mais ?
« … Comment vous dire, car c’est assez étonnant voire incongru
pour notre époque, mais il semble savoir ce qu’il va lui arriver durant des
années.
D’ailleurs, vous en aurez encore la preuve d’ici quelques
mois. »
Quelle preuve ?
« Vos dirigeants aimeraient bien l’avoir à leur solde. Les nôtres
aussi, remarquez, même si ça ne leur sert pas beaucoup pour ne faire jamais que
ce qu’ils veulent. Alors, comme je viens de vous le dire, on va vous faire
organiser une opération sous fausse barbe qui va une nouvelle fois échouer. Et
puis encore et encore jusqu’à ce que vous vous lassiez et préfériez plus une… collaboration,
même réduite, plutôt qu’un affrontement épuisant et ridicule.
C’est comme ça ! »
Mais le Russe vient de dire le contraire : dans l’affaire Skripal,
personne ne visait Paul de Bréveuil et il n’a reçu aucun ordre qui aille dans
ce sens depuis.
« Détrompez-vous. Moi-même, je n’y croyais pas, mais le FSB visait
bien « Charlotte » sur « invitation » de votre Président.
Faites-le vous confirmer par celui-là même et vous verrez. Et puis, justement,
vos ordres vont devenir un impératif opérationnel d’ici quelques jours, parce
qu’en bon soldat que vous êtes, vous ferez un rapport à votre hiérarchie qui va
remonter jusqu’au Kremlin : vous êtes là pour ça et c’est prévu comme ça
vous dis-je !
Et votre Président n’aime pas trop avancer sans être sûr
d’avoir le dernier mot : il va donc essayer de me faire mentir. »
C’est de la manipulation ?
« C’est de la prophétie auto-réalisatrice. Vous verrez, amiral, on
ne change pas les hommes en un tour de main. »
« Vous affirmez qu’une opération contre votre poulain va avoir
lieu. Où et quand ? »
Un peu grosse, la ficelle. Mais justement…
Dans les prochaines semaines. « Aux Canaries : il s’y rend à
ce moment-là pour ses affaires et après il disparaît une fois de plus. »
Parce qu’il sait se rendre « invisible » aussi ?
« Non, ça, je ne crois pas. Vous ne le savez pas forcément, mais notre
logiciel sait tracer n’importe qui dans l’hémisphère-Nord. Naturellement, il
sait faire l’inverse. C’est ce que nous appelons la « Sphère de
sécurité » dans notre jargon. »
(Il charrie un peu : ce n’est pas comme ça qu’on m’avait présenté le
logiciel « BBR »)
« Je ne veux rien trahir, mais nous sommes très en avance sur ces
sujets, même sur les Américains et les Israéliens…
Enfin, quand je dis « nous », ce sont surtout les
machines de mon oiseau. »
Borozinov ne laisse rien paraître (enfin je ne le vois pas depuis la
webcam que porte Gustave : ils cheminent désormais côte-à-côte), mais je
sens bien que le « ruskoff » réfléchit en tirant une petite bouffée sur
son cigarillo.
Avant de se séparer, il souffle quand même qu’il a été ravi de cette
conversation.
« Moi de même, amiral. On se reverra dans d’autres circonstances,
mais faites votre devoir comme moi je fais le mien et vous verrez bien ce qu’il
adviendra. »
Peut-être que le français le sait déjà ?
« Non, moi je ne sais pas grand-chose et de toute façon, je reste
toujours dubitatif, incrédule par nature et cartésien au plus haut degré :
je ne crois qu’à ce que je vois. Alors qui vivra verra comme on dit aussi
par chez vous ! »
« Mais c’est parfait, Gustave » se sera encore exclamé
Paul quand il aura vu la vidéo.
« Avec ça en plus, ça va suffisamment troubler le chef du Kremlin
pour qu’il initie l’opération que Borozinov va devoir inventer. »
Et c’est quoi au juste ?
270 pages – 12,30 €
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