XXIX – Rachel Beer-Shev’a
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
« Simple. La miss Rachel ne sera pas très longue à comprendre que
les histoires de cyborgs, c’est passionnant, mais c’est un faux-nez. Et comme
elle est mandatée par ses officiers traitants du Mossad pour venir nous
espionner, elle en dira assez pour que ceux-là s’interrogent et avertissent
leurs collègues de la CIA, d’où les patrouilleurs de la Vème flotte
et de la Home-Fleet qui ne logent pas très loin d’ici, à Diego Garcia. Aussi
les survols de leurs drones et avions de reconnaissance, des satellites,
finalement nous protègent et éloignent les Russes au moins un temps.
Un des objectifs recherchés.
Car des Russes viendront s’y frotter et seront gentiment
repoussés, aiguisant ainsi leur appétit pour en savoir plus.
Ce qui m’intéresse, c’est ensuite d’aller relancer mes
futurs bailleurs de fonds américains de la côte Ouest pour que leur
administration instaure une zone interdite autour de notre atoll.
Ce sera après le premier coup de semonce contre les russes
avec le sous-marin.
Le second sera organisé avec les ricains, nos drones et les
aéroglisseurs que je vais acheter.
Une vraie petite flotte de guerre amiral, ça devrait vous
faire frémir de plaisir, non ? »
Il saliverait s’il ne se faisait pas si tard…
Pour la peine, il se commande un second Pino-colada. Et moi un autre verre
de Spritz.
Paul se fait remettre un autre double-whisky qu’il avale cul-sec !
Même que les glaçons n’ont pas pu rafraîchir la liqueur ambrée.
J’espère qu’il ne compte pas piloter demain…
« Comment vous voyez les choses ? » questionne
Gustave.
« Eh bien cher ami, dans un premier temps la CISA va nous aider à
pister le trafic aérien et naval suspect autour des Chagos.
On fera le ménage tout seul le jour où Bill Gates sera en
déplacement jusqu’ici. »
Ah ça, je veux voir ça !
« Vous, Alexis, vous serez-là. Gustave aura eu un empêchement.
L’objectif est d’impressionner le milliardaire et ses potes
pour accélérer la livraison de mes petits réacteurs au thorium et que ses
invités fassent pression sur les autorités américaines et britanniques pour
créer cette zone d’exclusion selon les formes internationalement reconnues. »
Et à l’occasion qu’on lui cède les aéroglisseurs d’autodéfense ?
« Oh, ceux-là, ce sont les israéliens qui vont nous les
livrer ! Mais ils ne savent pas encore. »
Oui mais l’objectif final, redemande Gustave ?
« Si je comprends bien, vous montez ici un spatioport. Et
parallèlement, vous vous bâtissez une armée de cyborgs. »
C’est ça.
« Et sous le nez et avec la complicité d’une espionne israélienne…
Je ne vois pas la logique. C’est même presque tragique : de la haute trahison ! »
Paul, la bouche probablement pâteuse ou la gorge déjà sèche, se commande
un Perrier rondelle : il devient « sérieux » question dose
d’alcool ingérée.
« Le spatioport n’est en fait, dans un premier temps, qu’une aire
de lancement de véhicules-cargos, vers une future méga-station orbitale.
Celle-là aura deux activités : le tourisme spatial et
la recherche scientifique dont les transits vers les planètes proches et la
Lune où mes successeurs installeront d’ailleurs des lieux d’accueil pour les
mêmes activités. »
Et la colonisation de Mars, questionne-je ?
Ça, c’est le joujou des américains dont Elon Musk : il y croit fermement
pour sauver l’espèce humaine et l’humanité par la même occasion.
« Rigolo tout de même quand il va s’apercevoir que quelques-uns de
ses brevets vont servir à notre catapulte. Non seulement il exigera alors d’avoir
un poste d’administrateur de la fondation à venir, mais il se servira de mes
installations pour son propre programme.
Sans se rendre compte non plus qu’en exilant l’humanité vers
Mars, elle emportera avec elle ses problèmes sans vraiment trouver de solution.
Enfin, c’est son pognon, il en fait ce qu’il veut. »
Du moment qu’on laisse Paul disposer de sa récente et immense fortune
comme lui l’entend…
« Mon objectif reste d’offrir à nos futurs clients une ouverture
significativement abordable d’un point de vue financier pour les faire rêver et
encourager les gouvernements de la planète à nous soutenir.
À plus long terme, il est indispensable que l’espèce humaine
se dote des outils pour s’échapper de l’attraction solaire et participer un peu
plus aux affaires du cosmos. Là, il en va réellement de sa survie. »
Gustave avale le fond de son verre en deux gorgées…
« Encore vos histoires de « petits-talents » ? »
« Exactement ! Il faut bien commencer par quelle que chose.
Alors je m’en occupe de façon à me conformer à ce qui est « déjà
écrit ». »
Je pense être moins obtuse que l’officier général qui métabolise ses
Pino-colada passablement avachi dans son fauteuil et repense à ce projet fou
d’ascenseur-spatial, dont il était question dans le cockpit de l’A320 qui nous
aura amené jusqu’ici avec le Président.
« C’est quoi cet avenir de l’espèce humaine ? »
Mais enfin ! « Vous le savez bien Alexis : vous en avez
fait l’expérience à Pétra[1] ! »
C’est vrai, je m’en souviens : la rencontre avec le moine soldat Jean
de Jérusalem en 1099, à l’occasion de la première croisade (d’un autre
millénaire) !
« Rien qu’un roman » en dira l’auteur originel du personnage,
I-Cube…
Gustave se réveille : « Vous étiez donc à Pétra ? Depuis
Amman ? »
Moi, j’ai besoin de quelques explications, tout de même…
« Vous les aurez quand vous en serez à reprendre « Ultime
récit » et le suivant. Moi, je vais me coucher et vous, vous préparez
votre paquetage. Notre avion décolle à midi.
Bonne nuit à tous. »
Et il se lève derechef.
Il faut vite que je termine les séries de reprises pour le compte de
Flibustier20260, dit « le Gardien », et finir de tout comprendre
enfin : je n’avais fait que survoler, jusque-là…
Le voyage a été un peu long et une fois de plus, les équipages sont passés
saluer leur « Charlotte » de légende sur le vol de l’Île Maurice à
Paris, puis de Paris à Madrid et enfin de Madrid à Arrecife : une dernière
escale plus courte, voire même « précipitée » pour cause de retard.
Alors que la longue escale à Roissy-CDG reste ennuyeuse : le terminal
n’est pas vraiment sympa, une fois qu’on a passé les contrôles, c’est quasiment
minable quand on compare à l’île Maurice ou même à Fuerteventura.
Paul a dû prendre un abonnement au Lancelot – avec ses balcons – car nous
y descendons tous les deux.
Mais cette fois-ci, le patron a réservé l’une des deux suites offertes par
l’hôtel, situées au dernier étage : deux grandes chambres, deux portes
d’entrée, un vaste salon au milieu et sa double porte sur le couloir, donnant
sur une non moins vaste terrasse qui plonge sur la plage, une kitchenette bien
équipée, deux salles de bains : le luxe, je l’ai déjà dit, on s’y habitue
très vite !
D’autant que c’est joliment décoré et parsemé de bacs à… cactus sans
épine…
« Je vous laisse vous poser et vous mettre en relation avec le
siège pour checker les « menaces », mais je vous retrouve dans vingt
minutes à côté au bord de la piscine : normalement Rachel s’y trouve déjà. »
Une piscine javélisée en bord de mer… la plage, c’est forcément plus
agréable de marcher pied-nu sur du sable fin, non ?
Mais peut-être qu’à cette époque de l’année, l’eau de l’une est plus
chaude que celle de l’autre.
Je sais déjà qu’il s’agit en réalité d’une réserve d’eau pour le système
anti-incendie du bâtiment, sur les toits et en plein-air, à côté de la salle de
gym fort bien équipée.
Paul farfouille dans sa petite valise dans la pièce d’à côté et je le vois
sortir en maillot de bain, type boxer qui met en valeur sa taille dessinée en
léger V, sa carrure, son corps de catcheur musclé et les traces de ses
cicatrices, une serviette sur l’épaule et une paire de tongs aux pieds, pendant
que je finis de me connecter.
Dimitri me confirme que trois « bleus », probablement venus du
Moyen-Orient, dont l’un est déjà passé en Europe de l’ouest, et notamment par
Paris, sont présents dans le grand-hôtel qui se situe en face de nos chambres
et qui nous surplombe de plusieurs étages.
« Celui que j’ai pu identifier pour être passé à Paris, c’est un
officier du Mossad. »
Vu : on entre dans le vif du sujet !
Je ne suis donc pas longue à rejoindre Paul, en maillot de bain et
peignoir.
Il y a plusieurs personnes qui suent sur des vélos immobiles ou des tapis
de course à pied dans la salle de gym et d’autres qui prennent le soleil
couchant autour de la piscine.
Mon Paul patauge sur un bord du petit-bassin avec une femme dont je ne
vois que le bonnet de bain émerger.
« On sort » semble-t-il vouloir dire en anglais en me
voyant arriver.
Et il sort à la force des bras et sans élan alors que madame Beer-Shev’a
nage vers la petite échelle… Il n’y en a que deux seulement, posées en diagonale
et pas de plongeoir.
Puis il prolonge en français, tout en se séchant avec sa serviette, pour
que je puisse suivre ce qui va se dire. Ça n’a pas l’air de gêner son
interlocutrice qui le parle « fluently » avec une sorte d’accent bizarre,
un peu nasillard, comme « venu d’ailleurs ».
« Rachel, je vous présente ma fidèle biographe, Alexis Dubois.
Alexis, je vous présente Rachel Beer-Shev’a, chercheuse à la faculté de Tel-Aviv
détachée auprès des équipes du télescope William-Herschel du groupe Isaac Newton,
ici aux Canaries. »
La fille me tend une main, molle, en me toisant de la tête aux
pieds : d’emblée, je n’aime pas cette fille-là avec cette façon indécente
de me jauger et ce doit être réciproque…
« Ravie ! »
« Enchantée ! »
Il faut dire qu’on remarque tout de suite « une belle
plante » charismatique : les traits fins, un grand et large front
pour une mâchoire effilée qui lui donne un visage un peu triangulaire, une
grande bouche aux lèvres charnues, des cheveux longs qui se mettent tout seul
en cascade soigneusement en désordre avec des mèches rebelles qui reviennent
vers les yeux, la silhouette gracile, la taille mince qui met en relief son
bassin hanchu posé sur de longues jambes galbées et effilées, comme d’une
amphore antique, la voix douce et une poitrine en pomme, ni trop imposante ni
pas assez, correctement proportionnée, qu’elle frictionne avec grâce et vigueur
avec sa serviette de bain.
À côté, pas de doute, je fais tas, même si elle a la fesse molle !
Mais je tire sur le roux-auburn alors qu’elle tire sur les
« magie-mèches » blondes et brunes.
En fait, ce que je n’aime pas, c’est surtout sa façon de regarder Paul
comme un sucre d’orge, une confiserie, une gourmandise à croquer.
Croquer, pas vraiment, plutôt à lécher ou à sucer pour être plus précise.
Car notre bonhomme bande comme un taureau dans son maillot de bain moulant,
que s’en est vraiment très indécent !
Et on est obligé, l’une et l’autre, de nous regarder dans les yeux,
feignant d’ignorer l’érection de mon boss : pénible…
Il ne peut donc pas se contrôler ?
Car c’est elle qui lui fait cet effet : moi, vexée, je n’ai jamais
fait un truc pareil à un mec. Toujours eu besoin de les « motiver » au
poignet, ou à autre chose, avant un usage idoine !
Désopilant les effets du charme naturel de certaines femmes !
Même celles qui n’ont rien d’un sex-symbol, ce qui me semble être le cas
de cette Rachel[2].
« Paul, je dois vous dire une chose : j’ai eu Dimitri. »
Et avant que je ne puisse poursuivre, il m’interrompt et me fait
taire : « Je sais, vous me confirmerez après. »
Étonnant…
Et nous nous allongeons dans des chaises-longues libres, baignées du
soleil déclinant sur l’horizon, à l’abri de l’alizé : je n’ai même pas eu
le temps de faire trempette…
« Rachel, avez-vous réfléchi à ma proposition ? »
Je suis sa réaction et note que son regard passe un court instant sur le
maillot de bain de Paul, que je suis obligée d’en faire autant : il s’est
un peu « calmé », me semble-t-il.
« Bien sûr. Mais… il se trouve que j’ai un boulot passionnant en
ce moment. On est en train de tester mon programme de recherche de planètes
gravitant autour des étoiles qui nous entourent en faisant travailler une machine
sur les archives de l’observatoire. »
C’est de l’IA (intelligence artificielle) appliquée. Sa spécialité.
« J’imagine » lui répond Paul.
« Et puis j’ai un bon salaire et ma famille se trouve être en
Israël. Mon mari m’y attend. Il est officier dans un groupe spécial intégré au
sein de Tsahal. »
Paul l’interrompt : « J’ai une mauvaise nouvelle à vous
annoncer… »
Laquelle ?
« Votre officier traitant ne vous a pas encore dit que votre mari
avait été arrêté il y a un peu plus de deux mois ici même par les autorités
canariennes pour trafic d’armes, immigration illégale et rébellion contre les
forces de l’ordre ? Je m’étonne…
Il est actuellement incarcéré à Madrid. »
Surprise feinte ou non, elle en reste bouche bée.
En tout cas, si elle feint, elle fait ça très bien : on s’y
tromperait et on continuerait à lui donner le bon dieu sans confession que j’en
suis sidérée.
« Quel officier traitant ? »
Elle aurait pu s’inquiéter pour son mari, demander des détails, pourquoi
il était aux Canaries sans l’avoir croisée, ou comment Paul savait ces détails.
Mais non, elle s’attache à son « officier traitant » !
Révélateur…
« Écoutez c’est assez simple à comprendre même pour moi. »
Et quoi donc ?
Elle fait une moue et s’arme d’un « regard mouillant » des plus
crédibles… Magnifique, vraiment !
Comme une petite-fille prise la main dans le pot de confiture et qui ne
veut pas se faire gronder…
« Ne jouons pas aux naïfs ni l’un ni l’autre. Je vous ai vue il y
quelques mois pour vous proposer de venir travailler dans mes équipes.
À l’époque, ça ne vous tentait pas trop…
Et je vous ai donné rendez-vous aujourd’hui ici-même pour me
faire savoir votre réponse.
Si vous deviez refuser, vous ne seriez pas là… »
Et alors, semble demander ses yeux avec lesquels elle joue beaucoup et
avec talent.
« Alors, ça veut dire qu’en quelques semaines, il s’est passé
quelque chose d’impératif qui vous aura portée jusqu’ici pour honorer ce
rendez-vous.
C’est donc que votre réponse est positive, je m’en
réjouis et vous en félicite !
Vous avez fait le bon choix, même s’il vous a été, sinon
imposé, au moins fortement suggéré par votre officier traitant… »
« Mais de qui parlez-vous ? Je suis rattachée à l’université
de Tel-Aviv et mon supérieur n’est pas officier, mais président de la faculté.
C’est mon mari qui est officier de l’armée ! »
[1] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Alex cherche
Charlotte », aux éditions I3
[2]
NdN : À la relecture pour validation de ce volume, Paul aura biffé une
partie de ces paragraphes-là. Je les ai remis par la suite, il les aura retirés
à nouveau. Il a fallu que je bataille pendant des semaines pour que « le
Gardien » les garde finalement : « C’est très drôle,
finalement. I-Cube aime bien votre jalousie. Et de toute façon, Rachel et Paul
ont une relation ambiguë, faite de charmes et d’adversités réciproques, l’une
pour lui tirer les vers du nez, l’autre pour devoir s’en méfier au-delà de
quelques « border-lines » qu’il s’est fixé pour avoir ce qu’il veut
du Mossad. »
C’est vrai que ce sera
passionnant à la longue, ce petit jeu du chat et de la souris, où on ne sait
plus très bien qui manipule qui…
270 pages – 12,30 €
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