XXXI – Machiavélique
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
« C’est comme ça que parfois, les gens font des choses qu’ils
savent condamnables sans merci et leur inspireraient de l’effroi voire de l’horreur
en temps ordinaire. »
Et Rachel, elle n’est plus « soumise » puisqu’elle vient d’être « libérée »,
presque répudiée de ses obligations envers son pays. « Ça ne peut pas
marcher ! »
« Mais si justement ! Parce qu’ils l’ont mise dans une
situation intenable où elle perd tous ses repères habituels. Il suffit de lui
tendre une bouée de sauvetage qu’elle ne peut pas ne pas saisir.
Vous vous noyez, vous faites quoi, vous, quand on vient vous
sauver ? Vous crachez sur la main tendue, vous la mordez ? »
Non, effectivement, si je suis en péril imminent, ce n’est pas ce que je
ferai d’instinct, bien évidemment.
« Eh bien, je vais lui offrir de passer à mon service en lui
faisant miroiter que de la sorte elle pourra se racheter auprès de ses
autorités. Ce sur quoi compte le lieutenant-colonel qui pilote la mission de
Rachel qui ainsi rebondit. Il n’est pas si idiot que ça, le bonhomme et il
connaît son métier.
D’ailleurs, lesdites autorités ne pourront pas faire
autrement que de la réhabiliter quand elle leur livrera les informations
qu’elles recherchaient.
Donnant-donnant et avec les honneurs en plus ! »
Machiavéliques toutes ces stratégies-là…
« Vous saviez que vous plongeriez cette pauvre fille dans une
situation impossible à gérer en venant la voir la première fois ? »
Bien sûr, suis-je bête ! Quelle question de ma part : il
l’avait forcément déjà lu…
« Mais ça aurait pu être n’importe qui d’autre. Ça aurait
fonctionné de la même façon. Il me fallait un « matheux » qui n’est
ni mon pote Huyck le hollandais, pas assez fiable, ni Dimitri pas assez fiable,
ni Dimitri qui n’a rien à livrer sur moi et nos activités, trop loyal, sans ça
il l’aurait déjà fait, qui soit fragilisé sur le plan personnel pour s’estimer
trahi, trompé et qui, de près ou de loin, soit lié assez étroitement avec les
autorités de son pays.
Et ce n’est pas leur cas, à tous les deux, loin de là.
On aurait pu choisir un militaire, un ingénieur d’une
start-up californienne qui vit de subventions ou de commandes du Pentagone,
mais bon, c’est finalement une dame qui a du charme et un cerveau… et j’aurai
eu en plus mon sous-marin ! »
Et le coup de grâce, celui qui aura déclenché la mécanique, ce sont les
exactions de son mari ?
« Exactement Alexis ! Vous voyez que vous comprenez quand
vous le voulez !
Elle ne savait pas que c’était un mercenaire lié à un groupe
sous contrôle du Kremlin. De s’en rendre compte, ça l’a totalement déstabilisée…
Et j’ai été brutal.
Elle ne savait pas que c’est en plus lui qui aura tenté de
m’enlever, mais ça, personne ne le savait, sauf moi pour avoir lu ma biographie
que vous tracez en ce moment même.
Un coup de bol, puisque j’avais justement besoin de ce
sous-marin pour recevoir les Russes dans quelques mois. »
C’est ça : machiavélique, affreusement machiavélique !
Et effectivement Rachel Beer-Shev’a nous attend devant le
restaurant El Nido quand nous arrivons à sa hauteur, pile à l’heure.
« Alors, Rachel, vous entrez où vous comptez rester dehors ? »
Elle n’a pas la même mine que cet après-midi : il s’est passé quelque
chose qui aura changé son humeur. Là, pour elle, ce n’est plus un jeu.
On entre et on s’assied. Le « français » me reconnaît et nous
installe en devanture avec un large sourire.
Je lui fais savoir que je suis venue avec mon patron et que j’espère qu’il
ne sera pas déçu.
« ¡Muy bien! ¡No estará decepcionado, cuenta conmigo señorita! »
et il nous sert derechef trois « bassines » de sangria !
Pas des bassines, mais d’immenses verres sur pied encombrés de
glaçons et une carafe d’un bon litre de Sangria !
Rachel se met à miauler, à minauder.
C’est presqu’insupportable.
« Depuis que je vous ai rencontré, Paul ma vie a complétement
changé… Vous ne pouvez pas savoir combien… »
C’est probablement vrai depuis cet après-midi au moins, mais c’est typique
des propos à double sens : Soit sa vie est devenue une catastrophe, un
véritable désastre, soit elle peut vouloir dire qu’elle a balayé son passé pour
se consacrer corps et âme à Paul. Un coup de foudre irrépressible, en quelle
que sorte !
Habile, la gamine…
Je dis ça, mais elle pourrait avoir l’âge de ma mère : c’est donc le
fruit d’une longue expérience. Moi, quand j’ai fait ça à un garçon qui me plaisait
bien, j’ai pris un râteau mémorable en pleine tronche et sans prévenir !
Et mon Paul de rester impassible : « J’en suis vraiment
navré. Comment puis-je vous aider pour me faire pardonner ? »
Le salaud, va ! Dire que c’est lui qui tire les ficelles depuis le
début…
Et l’autre se fait encore plus chatte, posant délicatement la main du bout
des doigts sur la sienne comme pour en faire « sa chose ».
« J’avoue que je n’en sais rien. J’avais un boulot, j’avais un
mari. Je n’ai plus rien et je ne sais même pas si je ne pourrai revenir jamais chez
moi. »
Il n’y a pas de trémolos dans la gorge, mais la larme à l’œil perle déjà.
« Si vous n’étiez pas accompagné… »
Dis tout de suite que je gêne, pétasse : elle ne connaît rien de
moi !
Paul coupe court : « Rachel, j’ai besoin de vous et c’est
pour ça que je vous ai contacté il y a plusieurs mois. J’ai besoin de vous sur
le plan professionnel. Ce qui m’intéresse, ce sont vos compétences
professionnelles à manipuler des systèmes-experts d’intelligence artificielle à
ma place. »
Il cherche des exoplanètes, lui aussi ?
« Ne soyez pas stupide, Rachel. Votre équipe les trouvera bien
sans vous ni moi ! »
Elle est perdue, là. « Alors de quoi s’agit-il… entre nous ? »
miaule-t-elle une nouvelle fois.
Et je note toujours ses propos à double sens : elle n’a pas dit de
quel boulot (ou de quelle compétence) s’agit-il, mais quoi « entre
nous » sous-entendu « nous-deux » !
Franchement, je la trouve magnifique d’autant qu’elle dit ça avec un
sourire qui lui étire la bouche et les lèvres de façon sublime.
Je devrais au moins apprendre beaucoup à son contact : vraiment un
excellent professeur !
Paul rebondit sur le propos alors que le serveur nous apporte le plat du
jour : une paëlla aux fruits de mer, probablement du large !
« ¡Es fresco, atrapado esta mañana! »
En tout cas, c’est chaud et c’est appétissant.
En plus, c’est délicieux pour ceux qui aiment.
« J’ai besoin de vous pour programmer mes futurs robots humanoïdes »,
dit-il en s’attaquant à une crevette après nous avoir laissées nous servir.
Des robots humanoïdes ?
« Devant interagir avec des humains dans la meilleure harmonie
possible. »
On refait les lois de la robotique d’Asimov ?
Pour mémoire, et parce que je me suis renseignée par la suite, celles-là
sont énoncées de la façon suivante :
« Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif,
permettre qu’un être humain soit exposé au danger ;
Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain,
sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi ;
Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas
en conflit avec la première ou la deuxième loi. »
« C’était mon sujet de thèse ! » s’exclame-t-elle.
Du roman, en dit Paul.
« Là, vous allez devoir en concevoir de nouvelles ! »
Ah oui ?
« À partir de la loi des marins. »
Et c’est quoi la loi des marins ?
« Une main pour le navire, une main pour toi ! Dans l’ordre… »
Moment d’interrogation silencieuse.
« Globalement, le robot doit faire ce qu’un humain lui dit de
faire. C’est un peu le cas de tout ce qui existe aujourd’hui, du missile à votre
système-expert de recherche d’exoplanètes. »
Ce qui n’est pas faux…
« Sauf que là, comme il y a interaction étroite avec des humains,
il faut que votre robot soit capable de comprendre ce que lui dit de faire un
humain, peu importe le langage et le support, l’écrit, le chant ou le langage
des signes, et de s’adapter à ce qu’il doit faire selon les circonstances et
l’environnement.
De plus, il doit savoir faire la différence entre un humain
et un autre robot, spécialisé ou non, humanoïde ou non qui se trouve dans cet
environnement.
C’est un peu plus compliqué que de lui faire faire des
calculs… »
Oui en effet, acquiesce-t-elle.
« Deuxième loi, la main pour soi : c’est d’être capable de se
protéger quel que soit l’instruction reçue, quitte à se retirer et désobéir.
Autrement dit « if » c’est correct, il obéit, « else » il
désobéit et demande des instructions complémentaires et différentes.
Cette loi-là doit pouvoir être désactivée. Mais seulement par
un réseau de contrôle.
Enfin, troisième loi pour faire comme l’auteur sujet de
votre thèse, le robot doit protéger l’humain, même contre lui-même, d’autres
humains et contre d’autres robots. Quelles que soient les instructions reçues.
Ce qui désactive automatiquement les deux premières lois si les circonstances objectives,
c’est-à-dire à la portée de l’intelligence du robot ou du contrôle, l’exigent. »
Mais là encore, ce sera une loi qui peut être désactivée par le réseau de
contrôle.
« On inverse donc les priorités imaginées par Asimov… »
Exactement !
« Et c’est nettement plus réaliste… »
« Ce n’est pas très compliqué à faire, finalement. »
D’autant mieux qu’il y a un réseau de contrôle permanent.
Et qu’est-ce donc ?
« Mes robots agiront dans un milieu fermé, clos. Un bateau. Un
navire de croisière pour être plus précis.
Tout y est déjà sous contrôle, des machines en soute au
poste de commandement sur la passerelle, par des automates et des humains. Et
tous mes robots ne peuvent pas embarquer non plus toutes les ressources des
bases de données qu’ils auront à utiliser. Pour pallier à ce problème, on
utilisera le wifi du bord et le Bluetooth pour communiquer et interagir.
Là, il vous faudra plancher sur la sécurité du système qui
contrôlera toutes les machines à distance dans leurs évolutions pour
éviter qu’elles soient piratées, quoique qu’on se situera dans une vaste cage
Faraday, ce qui facilitera les choses : on en a les moyens techniques et du
coup on leur fournira les données indispensables à leurs tâches en direct
depuis la base de données du bord qui sera ainsi bien plus vaste et dès lors
plus efficace et rapide.
Et il faut que ce soit redondant : je ne fais pas confiance
aux automates.
Un principe incontournable. »
« Et ils font quoi de si compliqué pour avoir tant besoin de tant de
ressources et de contrôles centralisés, tous ces robots à bord de ces
navires ? »
Paul s’acharne sur une autre moule récalcitrante.
« Ils sont là pour le plaisir de mes clients. J’entends tous leurs
plaisirs, y compris sado-maso. »
Des robots sexuels ?
« Des sex-toys grandeur nature. Vous voyez les difficultés
poindre ? »
Est-ce bien légal et moral, voire seulement éthique ?
« Écoutez Rachel, si des mecs, voire des femmes, sont prêts à
payer cher pour user de ces petits-bijoux technologiques, je préfère les savoir
inoffensifs à mon bord plutôt que de les laisser en liberté à violenter leur
contemporains et contemporaines ! »
Évidemment, vu comme ça…
« Ceci dit, le plus difficile, c’est qu’il faut que ce soit
réaliste, dans les comportements, dans les interactions et dans les dialogues.
Vous me semblez une experte de la séduction : c’est
l’occasion de mettre à profit vos talents naturels, me semble-t-il. »
Oh que voilà la belle façon de la remettre à sa place !
Mais elle ne se laisse pas faire tout de suite.
« Vous faites allusion à quoi, Paul ? » lui
répond-elle en miaulant.
« Charmante Rachel. Vous savez me faire bander à ne plus pouvoir
marcher correctement rien qu’en apparaissant. Vous vous en êtes rendue compte,
tout de même.
Moi, je me pose la question de savoir si vous savez faire
cet effet à tous les mâles que vous croisez… »
Et la cochonne de lui répliquer un truc de fou : « Non pas
tous. Seulement ceux qui savent me faire un effet torride et délicieux rien
qu’en paraissant eux-mêmes ! »
Je ne te raconte pas le délire : non seulement elle tente de lui
faire croire qu’elle reste attirée par Paul de façon irrésistible, et en plus de
lui faire croire qu’il la fait « mouiller » sans même aucune sollicitation
tactile !
Ou alors je n’y connais décidément rien à rien…
« Parlons gros sous et conditions. Je vous prends avec votre
salaire actuel, plus une bonne mutuelle et des tickets restaurants (le
détail qui tue… je m’en souviens !), plus une prime de dépaysement
parce que je vous emmène jusqu’aux Chagos situées au milieu de l’océan Indien.
Ce qui justement intéressait votre lieutenant-colonel… »
Là, Paul fait très fort et la mettrait en érection si elle en était
capable : elle entrevoit déjà la façon d’être définitivement
réhabilitée auprès des siens !
Et ça lui saute au visage sans qu’elle ne sollicite rien ni même qu’elle ait
pu avoir à l’imaginer sérieusement.
Un avenir s’ouvre pour elle.
Ça se voit sur son visage d’où les petites gouttelettes de larmes ont
disparu : elle sourit, presque gourmande.
Il est finalement très fort, mon boss !
Et la soirée se passe à boire et à manger, à plaisanter aussi !
270 pages – 12,30 €
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