XXVIII – Makarond incognito au Chagos (2)
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un roman,
une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit de
l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Paul nous entraîne vers la salle à manger d’à côté où il a fait dresser un
buffet : il s’agit pour le Président de remettre la légion d’honneur au
grade d’officier à Paul « pour services rendus » : on n’en saura
pas plus.
On est en pleine nuit, assez proche de l’aube, tout le monde est fatigué
et les tranches de cochonnailles et de charcutailles le disputent aux navettes
et petits-fours salés et mignardises sucrées, les bouteilles (de bordeaux) aux
jus de fruit, au thé et au café…
Deux courts discours, Paul concluant comme il commence par un « j’espère
pouvoir faire mieux par la suite » alors que normalement ce genre de
cérémonie est une occasion pour refaire le CV du nouveau distingué.
Puis il répond aux questions des « conseillers » sur les aspects
techniques de ce qu’il vient de leur montrer.
In fine, tout le
monde respecte la distance de confidentialité quand Paul et Makarond commence à
deviser en aparté.
Le Président s’est montré enthousiaste jusque-là, la meilleure partie de
son voyage dans l’océan Indien et veut maintenant un entretien particulier avec
Paul.
« De quelle crise vous parliez, tout-à-l’heure ? »
Paul me fait signe de les rejoindre…
« Monsieur le Président, vous le savez probablement déjà :
vous êtes assez mal entouré et dans la cavalcade de réformes en tout genre que
vous imposez au français, vous allez droit à de grandes difficultés. »
Il les surmontera que Paul en soit sûr.
« Oh, je n’en doute pas, même si vous n’imaginez pas lesquelles. »
Lesquelles alors ?
« Mon entourage n’est pas toujours à la hauteur, c’est vrai. Il y
met pourtant du cœur avec ce dont il dispose. Moi, je dois passer les dernières
réformes sociales avant les élections municipales pour une mise en place fin
2020 ou au début de 2021, puis celle des institutions.
Après on entrera en campagne électorale pour 2022 et les
français seront contents des résultats obtenus entre-temps ! »
De la stratégie politique, ni plus ni moins.
« Je sais, Monsieur le Président, que… vous avez des comptes à
rendre à vos mandants… »
Lesquels ? Sa mine s’assombrit.
« Je ne rends de compte qu’au peuple et à mes électeurs ! »
« Vous savez de qui je veux parler : les mêmes qui m’ont permis
d’entreprendre tout ce qui est fait ici, vous le savez bien.
Moi aussi, j’ai des comptes à rendre. Et à peu près aux
mêmes. »
« M’avez-vous amené jusqu’ici, après un détour éreintant dans nos
territoires ultramarins, pour qu’il faille aussi que j’en témoigne pour
vous ? »
Non, non ! Il sait très bien que c’est seulement pour étancher sa
curiosité émoustillée par sa visite du Bunker normand de Paul.
« Témoigner ? Pas encore, Monsieur le Président, c’est
très anticipé. Une fois que Bill Gates sera passé et avec lui quelques-uns des
membres de quelques industries qui rendront compte alors au groupe Bilderberg,
vous pourrez confirmer à l’occasion.
Je ne parle pas de ça. »
Et alors de quoi ?
« D’une crise mondiale qui va tuer des dizaines de milliers de
personnes et de toute façon quantité d’entreprises. Plus la croissance en générale
qui va connaître un trou d’air de plus de 20 % en quelques mois, puisque la
moitié de l’humanité sera mise à l’arrêt. »
Allons donc ! Tous les indicateurs avancés de l’économie mondiale, certes
fragile et montrant beaucoup de faiblesses, sont au vert.
« Et pourtant, ma biographe pourra en témoigner, mais il vous faut
anticiper une crise sanitaire qui va gripper la belle mécanique mondiale. »
Comment ça ?
« Notre système de santé est efficace, nos réseaux d’alerte sont
en permanence sur le qui-vive ! Moi, je serai plutôt inquiet des
conséquences du Brexit, des conflits en cours, de la Syrie, de la Turquie, de
l’Irak, de l’Iran, de la Libye, de la Russie… »
Oh, les russes…
« Il viendront bien jusqu’ici m’embêter, mais je saurai les
recevoir ! Pas d’inquiétude et ce n’est pas pour toute de suite. »
Là, je sens que le Président se braque…
« Bon alors imaginez que l’atelier du monde, la Chine, s’arrête
pour une raison ou une autre… »
Absurde !
« Ils ont besoin de nos réserves de devises pour s’offrir nos
technologies ! »
Un peu prétentieux en dira plus tard Paul : la Chine achète surtout
de l’or…
« Je vous ai dit « imaginez ». Juste une hypothèse. À
votre avis, que se passe-t-il ? »
Rien.
« Ils s’arrêtent, ça n’empêchera pas le monde tourner. D’autres
prendront leur place. »
Non.
« Je vous explique. S’ils s’arrêtent et avec eux une bonne partie
du monde, l’OPEP ne pourra pas écouler sa production. »
Elle réduira sa production pour soutenir les cours.
« Et si, pour un temps, ça ne marche pas, c’est tout le secteur
pétrolier et parapétrolier qui va s’effondrer… Mais il n’y pas que ça :
comment vous remplacez au pied levé les productions chinoises surtout si vous
aussi vous mettez à l’arrêt ? »
Ça ne se passera jamais comme ça : l’Inde, les tigres d’Asie
prendront le relai.
« Et si pour les mêmes raisons ceux-là s’arrêtent également ? »
« Il nous faut être plus compétitif. Et les réformes que je mène
visent justement à retrouver cette compétitivité perdue pour pouvoir s’y
substituer. »
« Je sais ça », répond Paul. « Imaginez, encore
une fois, qu’en perdant l’usine du monde, on perd également un client de nos
technologies. Les pays pétroliers aussi. Du coup, puisque ça se grippe aux
encoignures, les marchés chutent, on ne lève plus assez d’argent, même si les
banques centrales vont en déverser par marées entières, on ne peut quand même plus
investir, les gens s’arrêtent, se retrouvent au chômage et c’est la catastrophe
pour tous vos plans sur la comète. »
« Je pensais que vous ne faisiez pas de politique… »
Effectivement.
« Désolé de vous contrarier, Président, mais 2020 marquera la fin
de bien des illusions. Y compris aux USA. Même si les banquiers centraux, comme
je viens de le dire, sauront « fabriquer » assez d’argent venu de
nulle part pour relancer les économies et éviter l’effondrement total, je n’en
doute pas.
Vous devriez toutefois anticiper ce scénario-catastrophe,
vous qui parlez tout le temps de souveraineté. Ce serait le moment de rebâtir
le futur. De proposer des solutions. »
Makarond se braque tout d’un coup plus fermement, presque fâché. Ou trop
crevé pour se prêter au jeu des hypothèses, absurdes à ses yeux et relevant trop
de la « politique-fiction », le Président se raidit, pose son verre, tourne
soudain les talons et clame : « Nous en avons terminé. C’était
très utile de vous rencontrer pour de toucher du doigt vos pharaoniques projets
et je vous remercie de m’avoir donné ma première leçon de pilotage. J’espère
pouvoir être présent le jour de l’inauguration de votre tunnel. Mais nous avons
un avion à prendre ! »
Stupeur, tout le monde décampe vers les voitures, direction la piste
de l’aéroport !
Gustave s’approche : « Mais qu’est-ce que vous lui avez
dit ? C’est à propos de votre statut fiscal ? »
Même pas, je peux en témoigner !
« Vous faisiez allusion à quoi, Paul ? » lui
demande-je.
« À rien : il n’est décidément pas à la hauteur !
Dommage.
Mais d’un autre côté, on ne peut pas changer ce qui est déjà
écrit.
Tant pis, j’aurai essayé. »
À ce moment-là, je n’avais absolument aucune idée de quoi il s’agissait.
« Bon, je vais me coucher. Demain on part pour les Canaries ! »
Même pas le temps de prendre un petit-bain matinal dans la lagune ?
« Ce n’est pas prudent. Le soleil n’est pas encore levé et c’est
infesté de requins ! »
Paul fait l’effort de suivre le cortège des berlines dans un des 4x4 afin
de saluer une dernière fois le Président.
« Merci d’avoir fait ce petit détour. J’espère que vous comprenez
mieux dans quel engrenage je vous aurai introduit depuis notre première
rencontre. N’oubliez pas mes « petits-talents », Monsieur le
Président. »
L’autre n’en aura cure puisque personne ne sait ce à quoi Paul fait
allusion : il remercie à son tour pour l’accueil et grimpe l’échelle de la
passerelle à vive allure sans se retourner avant que le pilote ne lance les réacteurs
une fois la porte refermée.
« Mais de quel engrenage vous parlez, Paul ? Je ne comprends
pas. » fait Gustave qui aura du mal à avaler la dernière séquence, plutôt
fraîche.
« Venez, on s’en jette un dernier en travers du gosier avant de se
coucher. »
Une invitation qui ne se refuse pas… tellement notre curiosité est
grande !
Nous faisons demi-tour et Paul s’installe dans un des larges fauteuils du
salon de la réception pendant qu’on entend encore l’A320 s’éloigner rejoindre
Maurice et l’A330 présidentiel.
« En fin d’année et durant tout le premier semestre de l’année
suivante, va se répandre à travers la planète une épidémie qui fera un nombre
considérable de morts… »
Comment ça ?
Comment Paul sait ça ?
« Mes « petits-talents », amiral. Je vous conseille
d’ailleurs de vous équiper masque et de savon, et de rester isolé dès le mois
de février. Il s’agit d’un virus de la grippe… »
Comme la grippe espagnole ? Une grippe saisonnière tardive ?
« Elle était chinoise au démarrage, la grippe espagnole. Mais celle-là
ne fera pas heureusement pas autant de morts, seulement plusieurs dizaines de
milliers et des centaines de milliers de malades.
Tout le monde peut en guérir quand c’est pris à temps et la
plupart des gens sont de toute façon immunisés rapidement. »
Bé alors ? Là, je ne comprends pas non plus : s’il s’agit de la
grippe saisonnière…
« Non, c’est autre chose de plus virulent avec une charge virale
relativement légère et qui se transmet par voie aérienne, juste en parlant.
La vraie crise n’est pas dans la crise sanitaire qui va
perturber l’économie mondiale, mais tiendra dans les décisions politiques que
vont prendre tous les dirigeants faute de préparation des services et d’une gestion
de crise plus qu’hasardeuse : ça va surtout foutre le bordel à peu près
partout et surtout mettre sur le flan quasiment tous les systèmes hospitaliers.
Déjà qu’ils sont désorganisés chez nous après des mois de
grève, ils ne sont pas du tout préparés à plusieurs centaines de morts par
jours durant des semaines et des centaines de millier de contaminations !
C’est pour ça qu’on va décider d’un confinement général qui
va durer jusqu’au printemps et l’économie mondiale va plonger.
Mais bon, Makarond veut ignorer l’étendu de sa propre
ignorance : c’est comme ça.
J’aurai essayé – c’est la deuxième fois, Alexis, vous
noterez dans vos mémoires – et vous verrez qu’on ne peut rien empêcher à
modifier ce qui est déjà écrit… »
Mais je ne l’ai pas encore écrit !
« Oui, mais vous le ferez, puisque je l’ai déjà lu. »
Gustave est complètement perturbé, l’air plus éberlué que de coutume…
« Pour répondre à votre interrogation, amiral, ce n’est pas mon
statut fiscal qui l’aura mis en rogne. Mais bien plus que je lui dise qu’il est
entouré d’une équipe de branquignoles, pas à la hauteur, même s’il n’y est pour
rien.
Il le sait, mais n’a rien d’autre sous la main, coupé des
corps intermédiaires qu’il est, sans assise populaire. »
C’est vrai qu’en février suivant (2020), un peu après le début de la
pandémie en Italie (fin janvier), il aura pu dire aux députés de sa majorité
alors en plein désarroi autour de la réforme des retraites, comme un cri du
cœur, qu’il leur fallait « être fiers d’être des amateurs » !
« Vous savez, Gustave, il y a le savoir-faire et le faire-savoir.
Le savoir-faire, à part quelques-uns, ils n’en ont majoritairement pas. Et sans
le faire-savoir, ça saute aux yeux.
De même, le faire-savoir implique le savoir-dire. Or le
« dire » présidentiel et du gouvernement en général est dévoyé,
contredit, bafoué en permanence : la politique, quoiqu’on en dise, c’est
un métier à part entière qui ne s’improvise pas. Qui exige un
« dire » ciselé : tout un savoir-faire dont ils ne sont manifestement
pas dotés ! »
Décidément Paul a vraiment une dent contre le Président…
« Mais cet « engrenage » que vous évoquiez, c’est quoi
au juste ? »
Oh c’est simple.
« Il était marqué que je lui sauverai la mise et la vie en juillet
2017[1]. Comme
c’était marqué, je m’y suis conformé… »
Encore cette affaire-là, rouspète l’amiral qui se souvient aussi de ses
« petits-camarades étoilés » plus que méritants passés à la trappe sans
ménagement à cette époque-là !
« Depuis il cherche à me croiser, jusqu’à me faire officier de la
Légion d’honneur.
Puis il y a eu l’affaire Skripal[2]. Là,
les uns et les autres s’interrogent. Surtout les Russes.
Les anglais, nettement moins : ils n’ont rien à me
demander et savent que je les servirai sans avoir à me le demander. Ça
s’appelle la confiance mutuelle.
Ensuite on a eu l’incendie de Notre-Dame de Paris que je
fais annoncer par Alexis[3]. Là,
ils se sont tous interrogés pour des raisons différentes jusqu’à ce que l’on
vous colle Borozinov dans les pattes à Brégançon : il n’y avait pas de
hasard.
Je vous l’ai dit, le Président Russe est un curieux
insatisfait, inquiet pour ce pourrait contrarier ses desseins, c’est pour cette
raison, avec quelques autres, qu’il voulait absolument s’entretenir avec notre
Président. »
Gustave avait compris ça, pour avoir été briefé durant des semaines.
« Au passage j’invite Makarond par votre intermédiaire à Cabourg
au mois de juin dernier. Il mord à l’hameçon de vous prendre avec lui à
Brégançon et ensuite à venir jusqu’ici comme d’un cadeau en retour de ses bons services. »
Oui et alors ?
« Les Chagos, c’était en fait pour le remercier de m’avoir permis
de capturer un sous-marin aux Canaries. Cabourg, c’était aussi pour lui reparler
de mes… « petits-talents », qu’il me prenne un peu au sérieux. J’étais
presque persuadé que ce soir je pouvais aider les français en prévenant de la
suite.
Mais comme c’est un autiste, ça n’aura probablement servi à
rien. »
Et ce sous-marin ?
« Ce n’est pas difficile à comprendre. »
Ah ?
« De toute façon, les Russes veulent savoir comment je fais pour…
mes « petits-talents » et comment en tirer profit. La chasse est
lancée depuis l’affaire Skripal où je ne pouvais pas non plus laisser payer les
pots cassés à Charlotte et Aurélie ni ridiculiser les services de la Couronne.
Là, ici, il me fallait pouvoir les recevoir le moment venu,
dans quelques temps. Et plus tard, il faudra une protection internationale de
l’Otan pour assurer la pérennité du site.
On repart donc aux Canaries pour choper « Pépé »
et son procédé, mais aussi pour recroiser et ramener Rachel Beer-Shev’a afin de
fignoler les cyborgs de Lady Margareth.
Tout est lié : j’ai besoin de retomber sur mes pieds
quand ce site ne m’appartiendra plus réellement.
Or, il faut savoir que Rachel est un agent dormant du Mossad
marié à un Ukrainien qui appartient de près ou de loin à l’organisation à qui
appartenait, ou affrétait, ce sous-marin. Elle savait que je passais par
Fuerteventura : je le lui avais dit quand je suis allé la voire une première
fois.
Le piège a bien fonctionné : ils ont monté vite-fait une
opération qui devait me kidnapper. Et m’ont suivi jusqu’aux Îles Shiant, ce qui
les a intrigués…
Le Mossad s’intéresse aussi à moi et derrière la CIA :
quand ils vont s’apercevoir que l’île est armée, inutile de vous dire qu’on va
voir les bâtiments de la « Home-fleet » et de la Vème flotte
US patrouiller dans le coin.
Ce qui éloignera peu ou prou les chalutiers-espions russes
alors que leurs satellites d’observation ne peuvent rien savoir de ce qu’on
s’apprête à faire dans les sous-sols de l’atoll. »
Tout cela est bien complexe pour Gustave qui n’a plus 20 ans…
« Quel est l’objectif final ? » l’interroge-je.
[1] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Ultime récit -
suite », aux éditions I3
[2] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Alex cherche
Charlotte », aux éditions I3
[3] Cf. « Les
enquêtes de Charlotte », épisode « Sur les traces de
Charlotte », aux éditions I3
270 pages – 12,30 €
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