XXVII – Makarond incognito au Chagos (1)
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
J’étais arrivée l’avant-veille avec Gustave depuis l’Île Maurice par le
même vol régulier que j’avais déjà pris la première fois sans aller jusqu’au
bout, puis avec le Learjet de service jusqu’au lagon. Et je suis repartie aussitôt
après avoir déjeuner avec l’A320 qui partait pour Pierrefonds chercher le
Président. Juste eu le temps de poser mon bagage…
Là, il fait nuit quand l’A320 finalise son approche directe sur l’unique
piste de l’atoll, dans un souffle, même si la piste paraît un peu courte telle
que Paul n’hésite pas à renverser les gaz sitôt touché le sol : et ça fait
du bruit !
C’est vrai que le pilote automatique fait très bien les choses. Le
Président se laisse émerveiller par toutes les lumières bien alignées au sol, chargées
de guider le pilote en final et Paul ne touche à rien pour aligner toutes les
aiguilles des instruments de bord qui vise un même point sur une même
trajectoire rectiligne.
Il sort seulement les volets en grand, 30°, ce qui cabre l’appareil et
relance un peu les moteurs alors qu’on demande à l’avion de ralentir à voler à
seulement 135 nœuds en descente douce de 600 pieds minutes, aérofreins sortis,
ce qui le fait vibrer.
Paul n’interviendra qu’au dernier moment pour couper le pilote automatique
et ralentir, au manche, le rythme de la descente quelques mètres à peine au-dessus
de la piste et réduire les gaz : on s’est laissé tomber comme une fleur et
il a lancé les inverseurs de poussée des réacteurs.
Impressionnant vu depuis le cockpit.
L’île a bien changé depuis mon avant-dernier passage à Pâques dernier[1].
La maison de maître aura été très agrandie et rehaussée de plusieurs niveaux,
le tout en style « néocolonial » un peu kitsch : c’est devenu
l’équivalent d’un hôtel de luxe, un peu exigu, mais flambant neuf.
Un port, plutôt une double jetée lancée sur la lagune, flotte au-dessus
d’un débarcadère qui surplombe la langue de sable, mélangée à de la poudre de
corail qui fait office de plage, d’une dizaine de mètres de haut.
La petite piste d’aviation traverse toute la terre émergée là où elle existait
précédemment, mais elle aura été rallongée de plus de 1.500 mètres, surplombant
elle-même la mer d’environ dix mètres de haut, un immeuble de trois étages,
portée par des caissons inondables en béton posés sur les fonds marins sans
trop de déclivité.
Elle débouche sur une toute petite aérogare et des parkings qui mangent
presque toute la largeur des terres émergées, sur lesquels sont posés quelques
camionnettes, deux berlines Mercedes noires flambantes neuves et une poignée de
4x4 Hummer.
Désormais la route traverse cette piste (comme à Gibraltar) et rejoint à
environ deux kilomètres de là, au nord, une usine à béton où s’entassent des
piles et des piles de voussoirs étalées sur des kilomètres.
Les matériaux sont débarqués directement depuis un autre embarcadère
« flottant » ou s’amarrent également un des paquebots de logements
des cadres et ingénieurs et leurs bureaux, alors que les
« petite-mains », pour la plupart Srilankaise, sont logées à
proximité du chantier dans des baraquements provisoires.
Et encore plus loin, est amarré le sous-marin volé aux Canaries, sous un
des immenses hangars flottants qui n’existaient pas jusque-là, probablement
pour le dissimuler aux yeux indiscrets des satellites-espions…
Il fait tout petit-tout fin à côté de ces navires qui se partagent le
ponton dédié au chantier.
Quand je suis arrivée, ils déchargeaient les éléments d’un tunnelier qui
sera gigantesque : une grosse machine en pièces détachées de 82 mètres de
long pour 1.350 tonnes !
Au sud, la route mène aux ateliers de la lady écossaise et quelques
jardins d’agrément, dont une écurie et une petite anse de sport nautiques
(jet-ski, dériveurs, bateaux de pêche « au gros » avec leurs cannes, etc.)
Nous sommes reçus comme des princes – logement « à l’hôtel » qui
vaut bien celui de Lanzarote, même s’il n’y a pas de piscine-terrasse sur le
toit – tel qu’on s’habitue vite au luxe qui n’est pourtant pas
« tapageur ». Mais la décoration est lumineuse et chaleureuse.
Et Paul tout bronzé et avant notre envol pour La Réunion, nous remet à
chacun un badge « open-bar » et les clés de nos chambres, situées à l’un
des trois étages, les balcons ombragés par des cocotiers.
Nous avions déjeuner avec Lady Margareth d’un plateau fort nourri de
crustacés et coquillages. Il manque juste des huîtres : il paraît qu’elles
sont sablonneuses…
La miss britannique est ravissante, dans son corset électromécanique et
une chemisette translucide (sauf qu’elle pèle encore de partout), tel que
Gustave a l’œil qui tourne et se rince sur l’échancrure de son vêtement :
elle ne porte pas de soutien-gorge, la coquine et ses seins en forme de
poire, avec des tétons rose-pâle, font leur effet sur le cerveau reptilien de
l’amiral !
Elle s’est installée en journée dans des ateliers dédiés au Sud de l’île,
du côté du petit « port de plaisance », à l’opposé du chantier à
béton entouré encore de quelques arbres, qu’elle rejoint à cheval matin, midi
et soir par un chemin tout juste carrossable…
Un cheval ici, pauvre bête !
Mais il a l’air à son aise dans les box de ses deux écuries…
« Le foin, il vient d’où ? »
Il n’y a pas que du foin qui pousse ici…
« Ah… » fis-je d’un air probablement bête. « Et
il est venu comment ? »
Du Sri Lanka par bateau…
J’en conclus qu’il s’agit sûrement d’un caprice de star.
Ses travaux avancent. Paul repart d’ailleurs à Lanzarote dans deux jours
et m’invite à l’accompagner pour « tester » la finition des
productions de « Pépé ».
Comment refuser, même si le pays est moche ?
Puis il nous a fait faire le tour du propriétaire : Gustave découvre,
étonné !
« Ici, nous travaillons à monter notre tunnelier. Il va creuser
trois tunnels parfaitement circulaires qui passent grosso-modo sous les
terres émergées de l’atoll. 30 kilomètres de circonférence environ.
S’il est enterré que de quelques dizaines de mètres, c’est histoire
de l’assoir sur le magma solidifié et non pas sur du corail, qu’on va
probablement et par endroit compacter et renforcer avec du béton injectable
avant d’y poser les voussoirs. Son axe est parfaitement vertical pour une
trajectoire totalement horizontale.
Les deux autres seront en revanche plus délicats à forer,
car leurs axes seront décentrés progressivement jusqu’à 45° par rapport à
l’horizontale pour émerger à la surface du lagon à peu près aux deux tiers du centre
géométrique du tunnel principal, celui de l’accélération. »
Et les deux désaxés seront reliés au premier pour chacun un tour complet…
Le premier de ces deux-là sortira en direction de l’Est, le second vers le
Sud.
« On est en train de sonder cette partie-là pour tenter de savoir
ce qu’on va trouver de plus solide que de la lave figée. »
Pourquoi l’Est et le Sud ?
« Pour des tirs de nos ogives dans ces directions-là et mettre les
premières en orbite équatoriale avec l’aide de la rotation de la planète et les
seconds sur des orbites polaires. »
Il n’y a pas plus simple ?
« Si bien sûr. On va aussi équiper nos ogives de moteurs d’apogée
et de corrections d’orbite. D’ailleurs ce sera nécessaire pour les maintenir tous,
une fois accrochés les uns les autres sur leur orbite basse. »
De la sorte, ils économisent les masses de carburants à soulever pour
emporter plus de charge utile : c’est l’objectif recherché.
Et ces ogives, c’est quoi ?
Paul répondra à la même question devant le Président Makarond… interrompu
sur le moment qu’il est par son secrétaire qui vient porter un combiné
téléphonique jusqu’à lui : il s’agit de décoller pour aller chercher le
Président.
« On fait un tunnel de 9,17 m de diamètre, comme celui des métros parisiens
qui progressera à raison de 120 mètres/jour, soit deux ans de travaux de
terrassement, pour y installer un dispositif destiné propulser des ogives d’une
dizaine de mètres de long et de 4,60 mètres de diamètre à travers un réseau
d’électro-aimants ultrapuissants, comme pour le Magalev chinois ou les futurs
véhicules d’Elon Musk aux USA.
Ils sont chargés de les accélérer jusqu’à la vitesse requise
avant de les expulser par l’un des deux tunnels de tir où ils parcourent
ensuite une trajectoire balistique comme un obus.
Notre problème est qu’à ces vitesses-là, l’ogive monte très
haut dans l’espace circumterrestre avant de retomber pour se satelliser à la
bonne altitude de rendez-vous avec la future station orbitale et ne plus jamais
redescendre vers le sol.
Sauf que… c’est une manœuvre qui est longue et peut ne pas
assez précise pour tomber pile-poil dessus : il nous faut donc un propulseur
auxiliaire pour effectuer les corrections nécessaires ou bien, au contraire,
avec un réservoir suffisant pour les moteurs-fusées embarqués, il s’agira seulement
de s’ajuster en redescendant et continuer à gagner de la vitesse de
satellisation.
En revanche, pour les tirs géostationnaires, on n’aura
besoin seulement que des moteurs d’appoint pour les manœuvres d’approche, mais
l’accélération dans les tunnels seront plus longues. »
Et l’énergie primaire, dans le tunnel, demandera le Président ?
« Fournie par un petit réacteur nucléaire qui est actuellement en construction
en Chine. Mais ça va prendre un peu de retard à cause de la prochaine crise… »
Quelle crise ?
« Vous verrez bien Monsieur le Président. C’est un nouveau
concept, qui est en fait très ancien, avant même la filière de l’uranium, qui a
été remis au goût du jour par Bill Gates avec l’aide des technologies
industrielles issues des super-générateurs dont notre pays n’a pas voulu. »
Une connerie ?
Paul ne relèvera pas.
« C’est la filière au thorium. Une technique qui consiste à
accélérer des particules pour exciter un cœur de thorium confiné, naturellement
non-radioactif, qui déclenche alors ses réactions nucléaires. Quand ça
s’emballe, on coupe l’accélérateur et ça refroidit tout seul. »
Ou quand on n’en plus l’usage…
« Pourquoi nous n’avons pas ça en France ? »
Les ingénieurs sont tous mobilisés à démanteler les vieux réacteurs à
uranium ou au MOX des centrales civiles, ceux d’une filière d’abord à vocation
militaire, à son démarrage, ou sur Iter, voire à tenter d’enfin démarrer
Flamanville : « Ils ne peuvent pas être partout à la fois non
plus ! »
Une autre connerie, si c’est si simple.
« Non, c’est complexe à mettre en œuvre. Mais c’est vrai que c’est
simple sur le papier. Et les Chinois, mais aussi les Indiens, n’ont pas tous
ces problèmes de recyclage à régler et ils ont bien avancé. »
Et les Russes ?
« Eux, ils s’épuisent à préparer la dernière Guerre mondiale,
qu’ils ont pourtant gagné avec l’aide des alliés, et ils n’ont pas non plus des
budgets illimités. »
Paul, manifestement, s’amuse.
« Bref, une fois en orbite, l’ogive délivre son chargement et
« s’ouvre ». J’entends que puisqu’elle n’est pas destinée à revenir
sur Terre, on s’en servira comme d’un lieu de vie ou comme d’un réservoir.
Dans le premier cas, l’ogive s’ouvre en deux dans le sens de
la longueur et on y gonfle un espace sous pression, en fait des caissons de
sécurité en caoutchouc, style boudin de hors-bord, qui restera aménageable
selon les besoins, les instruments d’observations installés et les équipements
de vie qu’elle emporte.
Dans le second cas, elle servira de garde-manger, de
réserves d’eau à recycler, de compartiments techniques ou de réservoir de
carburant pour les propulseurs de stabilisation.
Toutes les ogives seront reliées entre elles dans de vastes
ensembles arrimés les uns aux autres de façon à ne pas trop se déformer en
torsion au fil du temps.
Plus tard, on aura la même en contrepoids de la station
géostationnaire. »
Et de nous montrer quelques croquis colorés, en 3D sur un grand écran
installé dans notre « hôtel » qui en jettent.
Makarond et ses « conseillers » en ont le neurone en feu.
L’un d’entre eux demandera comment tout cela est financé ?
« Vous demanderez à notre Président. Il sait.
C’est totalement autofinancé pour le moment. Sur ma tirelire
personnelle ! »
Et de rajouter : « Vous comprendrez pourquoi je ne suis pas
fiscalement domicilié au pays : vous m’en auriez piqué la moitié en
quelques années pour équilibrer vos budgets. »
Pas très « patriotique », comme démarche…
« Qu’en savez-vous, jeune-homme ? Je vous fais faire des
milliards d’économie au titre du crédit d’impôt recherche, à ce qu’il me
semble… »
Et l’autre reste silencieux, attendant un complément d’explication qui ne
viendra pas…
« Naturellement, on ne peut pas envoyer des bonshommes comme ça
avec cette catapulte-là : ils seraient écrasés par la force centrifuge.
Aussi, dans un deuxième « même temps », pour
reprendre votre expression favorite, Monsieur le Président, nous allons créer
un engin récupérable un peu plus classique, fabriqué pour partie en France dans
l’Ardèche et monté ici même.
Mais les hangars ne sont pas encore tous fabriqués et la
technologie employée va devoir faire encore quelques des progrès. »
De quoi s’agit-il ?
Paul se sert à nouveau de l’écran pour nous montrer un autre croquis 3D
d’une sorte de catamaran.
« Comme son carburant sera de l’eau de mer, j’en fais d’abord un
bateau. De toute façon, ici, la piste est trop courte et pas assez solide pour
recevoir ses 300 tonnes en toute sécurité, alors que sur l’eau, il flottera
sous l’un des abris qu’on monte petit-à-petit. »
D’ailleurs, c’est sous le premier à la mer, derrière les pontons de
débarquement, qu’est stationné la « prise de guerre » sur le groupe
« Mozart » au large des Canaries, à l’abri des regards indiscrets.
De l’eau de mer ?
C’est un autre conseiller qui s’esclaffe de surprise.
« Bé oui, je ne vais pas gâcher du bordeaux ! Et à la
bière, ça ne marche pas ! »
Sourire présidentiel.
« L’eau va être transformée en vapeur puis en plasma et être
éjectée dans une tuyère à confinement électromagnétique ! »
Ah oui. Et on fait comment pour faire un plasma sur un catamaran ?
« On use des mêmes technologies au thorium, mais en plus petit.
Pas plus de 5 mégawatts. C’est suffisant.
Du coup, parce que les populations civiles n’accepteraient
pas de voir voler des réacteurs nucléaires au-dessus de leurs têtes, c’est un
catamaran pour pouvoir se poser en mer n’importe où et jamais sur terre. »
Ah oui… dans ces conditions, pourquoi pas.
« Résultat, on se complique un peu la vie : il faut embarquer
des hydrojets pour naviguer et des hydrofoils pour déjauger ainsi que des ailes
pour les aider. Après, il se comporte à peu près comme un avion et ensuite
comme une fusée aux hautes altitudes où on replie les ailes et les hydrofoils.
De toute façon, je ne suis pas sûr que ces hydrofoils puissent encaisser des
vitesses très supérieures à celles du décollage par mer calme…
Quant au retour de l’espace, il se passe sur le dos :
tout l’extrados se comporte comme une aile en vol atmosphérique, mais en se
retournant, comme d’un bouclier thermique dans l’espace.
Et ça tombe bien, parce que dans l’espace il n’y a ni haut
ni bas.
Résultat, entre les deux coques, on met ce qu’on veut,
hydrofoils, hydrojets, équipements, instruments et même des hublots ! Et
des bouteilles de bordeaux… »
Nouvel éclat de rire de l’assistance…
Je dois avouer que c’est assez bluffant, maintenant que je commence à
comprendre.
Car je comprends tout quand on m’explique lentement, finalement.
Le Président se pince les lèvres : lui aussi semble surpris.
[1] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Alex cherche
Charlotte » et « Sur les traces de Charlotte », aux éditions I3
270 pages – 12,30 €
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