La juge Trois-dom
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un roman, une
fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit de l’imaginaire
de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Paul me précisera que c’était aux USA, lors d’un de ses stages de
qualification « porte-avions ». « Une connerie : elle était agent du NSA. Je
pouvais dire adieu à ma carrière avec les ailes de la marine. Non, si je ne
marie pas avec Florence, c’est parce que ce serait elle qui deviendrait
responsable des impôts que je ne paye plus en France… »
Comme quoi…
« Il y a la vie quotidienne, les besoins matériels à assurer à mes
gamins et à moi d’abord.
De ce point de vue-là, je suis gâtée, » poursuit-elle. « J’ai une
famille dans le Vaucluse, ma vie parisienne dans un appartement d’exception,
même s’il est un peu petit, dans une ville et un quartier d’exception, un
compte en banque bien garni avec un travail qui me plaît.
Et quand Paul s’en va, je sais qu’il va revenir : pas de
raison d’angoisser. »
Et puis elle reviendra immédiatement sur le premier volume de sa
biographie…
« Vous en êtes où de votre travail sur sa vie ? »
Ai-je le droit de lui dire l’aventure « hors-normes » qu’il vient de me
faire vivre ?
Oui, bien sûr, puisqu’elle lira probablement ce premier volume…
« C’est compliqué à rapporter…
Disons que dans une première étape, il m’a fait récupérer
Charlotte et Aurélie… »
Ses deux vieilles lesbiennes ?
« … Celles-là même, prisonnière dans un cachot russe à Paris. Pour tout
vous dire, je n’ai pas encore bien compris les tenants et les aboutissants de
cette aventure-là. Il faudra que j’en découvre la cohérence avec un autre
voyage à Londres pour rencontrer Lady Joan… »
Ah quel cul, celle-là !
« … Je ne sais pas. Nous sommes rentrés sitôt après avoir acheté cette
compagnie croisiériste. Mais à l’aller, il a fait la leçon à un espion russe qui
semble être lié à l’empoisonnement de l’agent double Skripal, vous savez en
Angleterre[1]…
»
Il est encore avec ses histoires de « devoir national » alors ?
(Non, ce n’est pas ce qu’elle voulait dire : des histoires d’espionnage,
plutôt…)
« … Je ne sais pas ce détail. Mais bon, ils avaient l’air de savoir ce
dont ils parlaient tous les deux.
Et puis, et puis… »
Comment dire ?
« Eh bien dites ! »
Le voyage jusqu’à Amman ou le voyage dans le passé ?
« Vous allez me prendre pour une folle… Nous sommes allés à Amman en
Jordanie et même jusqu’à Pétra… »
Un lieu que Florence ne connaît pas et qu’elle aimerait bien découvrir
tellement il paraît que c’est splendide.
« … Ça l’est, vraiment. Mais disons que c’était pour rencontrer un
moine de l’époque de la première croisade… »
Quel effet allait avoir ce propos sur le cerveau de Florence ?
J’en fus la première surprise.
« Ah… Il est encore avec ses voyages dans le temps alors. Il y prend
goût !
Enfin, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire… Ce que je veux dire
c’est de ne pas vous en faire : il m’a raconté la façon dont il est venu me
tirer de chez mes kidnappeurs salafistes.
On a du mal à se faire à l’idée et ce doit être très
perturbant pour un esprit sain.[2] »
Pas trop en ce qui me concerne…
Nous devons être « deux folles » !
« Paul a un talent inégalé pour se retrouver dans des situations
impossibles, totalement improbables et déjantées.
Ce que je veux dire c’est que j’ai lu le blog d’I-Cube. Je
sais qu’il sait l’avenir, notre avenir, même s’il n’en dit rien.
Il a raison : je ne veux pas savoir le mien.
C’est le sel de la vie que de se laisser surprendre par son
déroulé : regardez mes gamins, qui aurait pu dire qu’ils soient si mignons ? Et
je ne veux pas savoir ce qu’ils deviendront : je les emmènerai là où ils
veulent aller, c’est tout.
Et Paul est privé de ce bonheur de la vie qui vous surprend.
C’est probablement la raison pour laquelle il s’épuise à faire tout ce qu’il
fait : pour être conforme à ce qu’il sait déjà.
Terrible destin ! »
Enfin, ce n’est pas ce qu’elle voulait dire vraiment…
Moi, il m’a dit. Disons que je sais au moins un détail : l’incendie de
Notre-Dame de Paris.
« Ah, alors c’est qu’il attend quelque chose de vous avec cette
information-là ! »
Quoi donc ?
Elle n’en sait rien.
Je lui dis que j’en ai averti les autorités.
« Ouh là ! Vous avez eu tort. Là, vous allez avoir des ennuis, Alexis…
»
On peut dire ça comme ça.
Parce que le 15 avril, la flèche de Notre-Dame de Paris s’effondrait sous
son propre poids, dévorée par les flammes qui se sont propagées tout du long de
la charpente, la fameuse « forêt ». Et sans l’intervention efficace des
pompiers de Paris, si les pierres des voutes et des murs ne brûlent pas, en
revanche les deux tours auraient pu s’effondrer à leur tour si le feu s’était
propagé aux charpentes des cloches, dont le fameux Bourdon.
Ç’aurait été une catastrophe encore plus difficile à assumer, à mon sens :
là l’essentiel est encore et heureusement resté debout.
Le lendemain, comme je l’ai déjà dit, on a appris de Paul qu’il avait dormi
mais avait mis en alerte les équipes de la Cisa, pour finalement laisser tomber
son diagnostic : « Un « super-zombie. On ne le voit que quelques poignées de
secondes et nos « traceurs » ne le repèrent même pas.
Vous voyez Alex, je me demande s’il ne s’agit pas d’une «
mission » comme on en a fait récemment une en Jordanie… »
Qu’est-ce qu’il veut dire par là ?
L’incendie est « historique » et marquera les mémoires, puisque c’est le
premier du genre visant la cathédrale. « Et rien ne le laissait présager.
Or, comme pour notre moine et son texte que nous lui avons inspiré, dont vous
avez touché du doigt bien des conséquences, cet incendie peut très bien être le
fait du « futur ». »
Quel intérêt ?
« Quand c’est marqué comme ça, on ne revient pas dessus : on s’y
conforme ! »
Je lui réponds : « Nous, nous avons changé le destin du moine Jean. Là,
ça aurait changé quoi du destin de vieilles pierres inanimées ? »
Plein de choses.
« L’île de la cité sera visitée par des millions de personnes à
l’occasion des prochains Jeux Olympiques. Déjà, je vous rappelle que le palais
de Justice posé à quelques minutes à pied de la cathédrale a été déménagé de
l’autre côté de la ville. L’Hôtel-Dieu, sur le parvis va changer de main. Il en
sera probablement de même pour le tribunal de commerce et les derniers services
de la Préfecture vont finir par être dispersés en périphérie.
Tout se met en place pour une vaste promotion touristique à
caractère commercial.
On va se retrouver avec un vaste barnum avant-gardiste et
hors de prix, une véritable pompe à fric et à taxes, un peu comme au
Mont-Saint-Michel où l’accès en voiture est prohibé mais où une fortune a été
investie dans des bus bidirectionnels et une réhabilitation du site.
Là, ce sera pareil avec des « écolos-bobos-parigots » qui
veulent s’affranchir des moteurs à combustion des cars des Solex et des
voitures jusqu’au-delà du cœur de la capitale.
Paris-centre va devenir une vaste zone exclusivement
touristique d’où les habitants seront exclus, comme sur les Champs-Élysées.
Vous ne le savez peut-être pas, mais sur les Champs, on ne
compte plus que deux électeurs : est-ce assez significatif pour vous, notamment
quand on sait que la mairie centrale veut regrouper les mairies
d’arrondissement des quartiers centraux qui votent systématiquement pour des
maires de droite ou du centre ? »
C’est cohérent, mais tout ne tourne pas forcément toujours autour des
élections…
« Ce que je ne comprends pas, c’est que nous n’avons trouvé aucun de «
véhicule de translation temporel » pour cette histoire-là, comme nous en avons
bénéficié en Jordanie. Nos capteurs et machines ne les ont pas détectées parmi
tous les « zombies » du logiciel de la Cisa.
On a encore du boulot à fournir… » finit-il par conclure.
De retour à Paris quelques jours plus tard, alors que je remets de l’ordre
dans mes notes et commence à faire un plan cohérent pour ma première «
biographie » (j’ai trop peur d’oublier quelques détails et il faut que je
complète sur plusieurs points qui aurait pu m’échapper, notamment sur la
première croisade), je reçois dans « ma campagne » la visite d’une
dame élégante, la cinquantaine qui se présente comme substitut du Procureur
général de Paris.
Elle est accompagnée d’un greffier insipide, qui n’ouvrira la bouche que
pour dire bonjour, rire une fois et dire au revoir.
Ils veulent m’entendre, non pas pour faire une déposition signée, mais
juste pour les archives du Parquet sur l’entretien que j’ai eu avec les
gendarmes de mon patelin voici désormais plusieurs semaines.
D’ailleurs, leur véhicule est stationné sur le chemin, devant mon portail
d’entrée.
Et l’entretien commence par « nom, prénom, date et lieu de naissance,
nationalité, domicile » des plus classiques.
Je réponds et la grande gigue monologue en introduction pendant que son
greffier tape sur son ordinateur.
« Nous, Hélène Trois-dom, procureure de la République à Paris,
accompagné d’un greffier assermenté du palais de justice, vous compléterez de
votre nom et prénom… requis pour prendre le contenu de l’entretien que nous
allons avoir avec Madame Alexis Dubois sis à son domicile, etc. vous
compléterez… nous sommes rendus à cette adresse pour l’interroger au sujet
d’une déclaration rapportée par la brigade territoriale de gendarmerie de la
commune de… vous compléterez… relative à la… la « prémonition » de l’incendie
de la Cathédrale Notre-Dame-de-Paris ayant détruit la flèche et la charpente de
l’édifice, le… vous complèterez !
Nous, agissons dans le cadre d’une information judiciaire
ouverte par le Parquet en parallèle avec l’enquête judiciaire ouverte par
ailleurs pour destruction de monument public par incendie involontaire, et
faisons savoir à notre témoin qu’elle peut ne pas nous répondre et qu’aucune
charge n’est retenue contre elle. »
Puis s’adressant à moi : « Est-ce assez clair comme ça pour vous,
Madame ? »
Alors que l’autre continue de taper sur son clavier.
« Puis-je vous demander votre profession ? »
Naturellement : journaliste.
« Je dois alors vous rappeler que nos propos sont couverts par le
secret de l’instruction judiciaire. Le violer est un délit même pour un
journaliste. Est-ce bien compris ? »
Je réponds alors : « Aujourd’hui, je travaille et suis payée par
Monsieur Paul de Bréveuil, industriel, qui m’a demandé de faire sa biographie.
»
« Aaaah ! Paul de Bréveuil ! » soupire-t-elle à ma grande
surprise, en levant les yeux au ciel. « C’est pour cette raison que nous
sommes là : vous le citez dans votre déposition, effectivement. »
Je saisis immédiatement qu’elle connaît « son » oiseau.
Et quand je dis « connaître », ce n’est pas seulement sur le plan professionnel,
crois-je comprendre…
Pure spéculation de ma part, naturellement.
S’en suit un long monologue autour de « mon sujet » de biographie, qu’elle
complète de plusieurs volets qui m’étaient restés jusqu’alors inconnus.
« Je l’ai croisé une première fois au moment de l’affaire du Juge
Féyard. J’étais juge d’instruction à Chartres. Il était accompagné de Madame
Charlotte Maltorne sur cette enquête. »
Le greffier arrête de martyriser sa machine…
« Une horreur que ce meurtre.
Le juge de cour d’assises à la retraite avait été assassiné
à coup de couteau à pain dans sa cuisine par deux cinglées qui lui en voulaient
d’avoir libéré l’assassin de leurs parents.
Un drame affreux également, mais le jury avait été acheté
par le père de l’assassin et l’appel en assises n’existaient pas à l’époque.
C’est d’ailleurs en raison de cette affaire-là que la réforme a été voté
ultérieurement.[3] »
Un couteau à pain ?
Ça devait être une boucherie…
« Ça l’était. Mais le meurtre des parents des gamines tout autant : un
vrai carnage dans un restaurant de Propriano en Corse. Les éléments factuels
étaient nombreux et concordants. Il ne pouvait pas échapper à la prison à
perpétuité, et pourtant il a été reconnu « innocent » par les jurés. Au
bénéfice du doute.
Rien à dire des faiblesses et carences de notre système
judiciaire…
Et puis je l’ai croisé une autre fois à l’occasion d’une
série de décès violents.
La légitime défense a été retenue dès l’instruction pour le
décès du professeur Risle et de l’équipe du Colonel Frank.[4]
»
Des noms qui ne me disent rien : je sens que je vais avoir du boulot de
recherche plus que prévu, et je note sur mon calepin…
« J’ai suivi de loin plusieurs affaires où « CAP Investigations », une
équipe de sacrés-pistolets (à quoi fait-elle allusion ?) qui a pu faire
avancer la recherche de la vérité. Et la dernière fois que je l’ai rencontré,
il s’est comporté en héros. Mais il m’a foutue une telle trouille que j’en ai
depuis du mal à monter dans un avion ! Je préfère désormais le train.[5]
»
Je n’ose pas lui en demander plus attendant encore quelques révélations
inattendues.
[1] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Alex cherche
Charlotte », aux éditions I3
[2] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Mains invisibles – tome
II », aux éditions I3
[3] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « L’affaire
Féyard », à paraître aux éditions I3
[4] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Au nom du père »,
à paraître aux éditions I3
[5] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Parcours
olympiques », aux éditions I3
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