Amazon perd son procès contre le fisc
Il s’agit d’un principe simple issu du Code civil qui
distingue les meubles meublants des meubles devenus « immobiliers par
destination ».
Une fenêtre, une porte, un ascenseur, un escalier, un
radiateur, c’est du « second-œuvre », des objets qui deviennent
partie intégrante d’un immeuble (immobile) sans lesquels l’immeuble reste inapproprié
à l’usage auquel il est destiné.
Tu prends un entrepôt (un sol des murs, des portes, un
toit), c’est une « boîte » qui est destinée à accueillir des
marchandises.
Tu prends une usine, c’est pareillement une « boîte »
dans laquelle tu vas poser des machines pour œuvrer à fabriquer des
marchandises nouvelles.
Donc, le rack de stockage (ou la machine) s’il est
posé-vissé, c’est un aménagement : on peut le dévisser et dans l’ancienne
taxe professionnelle, il était compté comme tel selon sa valeur comptable.
S’il était riveté au sol, tu ne peux plus « le bouger »
sans détériorer le sol : Il devenait « immeuble » par
destination et compté avec la valeur foncière du reste du bâti…
Ce qui avait pour conséquence de l’exonérer de l’ancienne
taxe professionnelle pour ne plus apparaître dans les « équipements »,
mais directement dans le foncier bâti (évalué forfaitairement et par
comparaison avec une installation similaire).
« Bling-bling » est passé par là, a supprimé
la taxe professionnelle (une invention de « Giskar-A-le-barre » en remplacement
de l’archaïque patente de l’Ancien régime) et aura inventé deux taxes en
remplacement : La contribution foncière des entreprise (CFE) et la cotisation
sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Reste que justement, le calcul de la CFE se base sur
la valeur locative de l’immeuble.
Et qu’il y a plusieurs méthodes de calcul en fonction
notamment de l’activité abritée, peu importe finalement la destination des
meubles (la nouveauté).
Alors quid du traitement des racks (scellés-rivetés ou
non) et des machines sises dans « la boite » ?
Cour administrative d’appel de Nantes, 1ère
ch., arrêt du 5 mars 2020
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
La société par actions simplifiée (SAS) Amazon France
Logistique a demandé au tribunal administratif d’Orléans de prononcer la
réduction de la cotisation foncière des entreprises à laquelle elle a été
assujettie au titre de l’année 2016 à raison de son établissement de Saran
(Loiret).
Par un jugement n° 1800497 du 24 mai 2018, le tribunal
administratif d’Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25
juillet 2018 et 4 janvier 2019, la SAS Amazon France Logistique, représentée
par la société d’avocats CMS Francis Lefebvre avocats, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de prononcer cette réduction ;
3°) de mettre à la charge de l’État une somme de 5.000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– c’est à tort que l’administration fiscale a regardé
son établissement de Saran comme un établissement industriel et a évalué sa
valeur locative selon la méthode comptable prévue à l’article 1499 du code
général des impôts ; la société n’utilise aucun matériel spécifique : les
matériels courants qu’elle utilise ne sauraient être qualifiés de moyens
techniques importants ;
– les moyens techniques qu’elle utilise n’ont pas un
rôle prépondérant dans son activité ; l’essentiel de son activité repose sur la
force humaine ;
– la commission communale des impôts directs aurait dû
être saisie en application de l’article 1505 du code général des impôts ; cette
irrégularité de la procédure d’imposition doit entraîner la décharge des
impositions en litige.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre
2018, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la
requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société
Amazon France Logistique ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des impôts et le livre des
procédures fiscales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de
l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. A…,
– et les conclusions de Mme Chollet, rapporteur
public.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Amazon France
Logistique, membre du groupe Amazon, exploite à Saran un entrepôt logistique au
sein duquel elle réceptionne des produits, les stocke et prépare des commandes
en vue de leur expédition. À la suite d’une vérification ponctuelle de
comptabilité, le service a remis en cause la méthode d’évaluation de la valeur
locative de ce bien immobilier et a appliqué la méthode dite » méthode comptable « , prévue à l’article
1499 du code général des impôts. La cotisation foncière des entreprises pour
l’année 2016 a ainsi été déterminée selon cette méthode comptable. Après mise
en recouvrement, la société Amazon France Logistique a demandé à
l’administration fiscale, par voie de réclamation contentieuse, que
l’évaluation de son bien soit calculée selon la méthode prévue à l’article 1498
du code général des impôts et que la cotisation foncière des entreprises soit
réduite en conséquence. Cette réclamation a été transmise au tribunal
administratif d’Orléans, le litige relatif aux années antérieures étant pendant
devant ce tribunal. La société relève appel du jugement du 24 mai 2018 par
lequel le tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. Aux termes de l’article 1467 du code général des
impôts, dans sa rédaction applicable : »
La cotisation foncière des entreprises a pour base la valeur locative des biens
passibles d’une taxe foncière situés en France, à l’exclusion des biens
exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu des 11° et 12° de
l’article 1382, dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité
professionnelle pendant la période de référence définie aux articles 1467 A et
1478 (…) « . En application du 1 du II de l’article 1600 du code général des
impôts, la taxe pour frais de chambre de commerce et d’industrie additionnelle
à la cotisation foncière des entreprises est due par les redevables de cette
cotisation proportionnellement à leur base d’imposition. L’article 1498 de ce
code prévoit que : » La valeur locative
de tous les biens autres que les locaux visés au I de l’article 1496 et que les
établissements industriels visés à l’article 1499 est déterminée au moyen de
l’une des méthodes indiquées ci-après : / 1° Pour les biens donnés en location
à des conditions de prix normales, la valeur locative est celle qui ressort de
cette location ; / 2° a. Pour les biens loués à des conditions de prix
anormales ou occupés par leur propriétaire, occupés par un tiers à un autre
titre que la location, vacants ou concédés à titre gratuit, la valeur locative
est déterminée par comparaison (…) « . Aux termes de l’article 1499 de ce même
code : » La valeur locative des
immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés
bâties est déterminée en appliquant au prix de revient de leurs différents
éléments, revalorisé à l’aide des coefficients qui avaient été prévus pour la
révision des bilans, des taux d’intérêt fixés par décret en Conseil d’État (…)
« . Il résulte de ce dernier article que revêtent un caractère
industriel, au sens de ces dispositions, les établissements dont l’activité
nécessite d’importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité
consiste dans la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers,
mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, des matériels et des
outillages mis en œuvre, fût-ce pour les besoins d’une autre activité, est
prépondérant.
3. Il résulte de l’instruction que l’entrepôt de Saran
exploité par la société Amazon France Logistique couvre une surface au sol de
66.103 m². Cet entrepôt est divisé en 12 cellules de 5.000 à 6.000 m² chacune.
Il est équipé de 17 quais de réception de produits et de 25 quais d’expédition.
La société utilise 233 appareils de levage et de motricité : 80 transpalettes
manuels, 75 transpalettes ciseaux, 72 équipements divers (transpalettes
motorisés, transpalettes autoportés, gerbeurs, petit train, chariots) et 4
monte-charges. Les deux cellules destinées au stockage de vêtements sont
équipées d’un système de rangements dits » racks « d’une hauteur de 8 à 9
mètres et sont aussi équipées de chariots élévateurs filoguidés. La société
dispose en outre d’un dispositif informatique permettant d’assurer la gestion
des stocks, des commandes et de leur préparation. Ce système assure l’édition
de codes-barres identifiant chaque produit, désigne des emplacements libres
dans lesquels le produit peut être stocké et mémorise cette localisation. Les
personnels chargés de récupérer les produits sont équipés de terminaux
portatifs qui leur indiquent les articles à prélever et leur emplacement. La
société dispose aussi d’un convoyeur automatisé, qui contrôle le poids du
colis, colle l’étiquette d’expédition et trie les colis afin de les acheminer
vers le quai de chargement approprié. La valeur de cet outillage était de 5,5
millions d’euros à la clôture de l’exercice 2010, 9,6 millions d’euros à la
clôture de l’exercice 2011 et 12,7 millions d’euros à la clôture de l’exercice
2012.
(Notez
que l’inventaire est précis : Une belle fourmilière à 4 plans de pose !
Au-delà, les caristes ont besoin d’un permis spécial…)
4. D’une part, il résulte de ce qui vient d’être
exposé au point 3 que l’activité de la société Amazon France Logistique sur ce
site nécessite ainsi d’importants moyens techniques. La circonstance que ces
matériels soient des matériels courants et ne présentent pas de caractère
spécifique est à cet égard sans incidence sur l’appréciation de ce critère.
5. D’autre part, si la société fait valoir qu’elle
emploie un nombre important de salariés et qu’un grand nombre de tâches sont
réalisées manuellement, il résulte cependant de l’instruction que l’efficacité
de l’activité de la société repose pour l’essentiel sur la mise en place d’un
processus industrialisé et intégré de préparation de commandes. L’ensemble de
ce dispositif technique, dont le fonctionnement et les équipements sont décrits
au point 3, a permis à la société de préparer en moyenne 309.185 colis par jour
au cours du troisième trimestre 2013, soit 140 colis par jour et par salarié.
Il constitue ainsi un apport majeur pour l’exercice de l’activité. Par suite,
c’est à bon droit que l’administration fiscale a estimé que le rôle des
installations techniques, des matériels et des outillages mis en œuvre
présentait un caractère prépondérant dans l’activité de la société.
(Il est
vrai que 140 colis/jour par préparateur, c’est une belle performance… 100 à
120, il faut déjà « s’arracher »…)
6. Il résulte de ce qui précède que la société n’est
pas fondée à soutenir que la valeur locative de l’entrepôt de Saran ne peut pas
être évaluée selon la méthode comptable prévue à l’article 1499 du code général
des impôts.
Sur la régularité de la procédure d’imposition :
7. Aux termes de l’article 1503 du code général des
impôts : » I. Le représentant de l’administration et la commission communale
des impôts directs dressent la liste des locaux de référence visés à l’article
1496, déterminent leur surface pondérée et établissent les tarifs d’évaluation
correspondants. / (…) « . L’article 1504 du même code dispose que : » Les locaux
types à retenir pour l’évaluation par comparaison des biens visés à l’article
1498 sont choisis par le représentant de l’administration et par la commission
communale des impôts directs. / (…) « . Enfin, en vertu de l’article 1505 de ce
même code : » Le représentant de l’administration et la commission communale
des impôts directs procèdent à l’évaluation des propriétés bâties. / Après
harmonisation avec les autres communes du département, les évaluations sont
arrêtées par le service des impôts. (…) « .
8. Il résulte de ces dispositions combinées que la
commission communale des impôts directs est chargée, avec le représentant de
l’administration, de dresser la liste des locaux de référence visés à l’article
1496 du code général des impôts et de choisir les locaux-types à retenir pour
l’évaluation par comparaison des biens visés à l’article 1498 du même code. En
revanche, ces textes n’attribuent à cette commission aucune compétence pour
procéder à la détermination de la valeur locative des bâtiments et terrains
industriels selon la méthode prévue par l’article 1499 du code général des
impôts.
9. Ainsi qu’il a été exposé au point 5, l’entrepôt
exploité par la société Amazon France Logistique à Saran présente un caractère
industriel. Par suite, la société n’est pas fondée à soutenir que la commission
communale des impôts directs aurait dû être saisie afin d’évaluer la valeur
locative de ce bien.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société
Amazon France Logistique n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par
le jugement attaqué, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté sa demande.
Par conséquent, sa requête, y compris ses conclusions relatives aux frais liés
au litige, doit être rejetée.
DECISION
Article 1er : La requête de la SAS Amazon
France Logistique est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société
par actions simplifiée Amazon France Logistique et au ministre de l’action et
des comptes publics.
La Cour : M. Bataille (président de chambre), M.
Geffray (président assesseur), A. Rivoal (greffier)
Notez également que l’enjeu est de 4 millions d’euros
par an pour la finance locale.
Et il s’agit donc d’un établissement à « caractère
industriel » et non pas commercial (achat pour revendre).
On n’y « fabrique » pourtant rien que des
colis déjà préemballés.
La raison en est simple : L’efficacité de
l’activité d’Amazon dans son entrepôt de Saran reposait « pour l’essentiel
sur la mise en place d’un processus industrialisé et intégré de préparation de
commandes » et non sur le personnel.
Il va falloir les remplacer par des robots, beaucoup
plus rapides et moins coûteux à la longue (et ça ne fait pas grève, un robot,
ça bosse 7 jours sur 7 sans se plaindre, 24 heures par jour).
Conséquemment, la valeur locative de l’entrepôt ne
peut être évaluée selon la méthode comptable prévue à l’article 1499 du code
général des impôts, pour les « boîtes » commerciales.
Reste que pour votre gouverne, la valeur comptable est
légalement « la valeur locative des immobilisations industrielles passibles
de la taxe foncière sur les propriétés bâties est déterminée en appliquant au
prix de revient de leurs différents éléments, revalorisé à l’aide des
coefficients qui avaient été prévus pour la révision des bilans ».
Or, comme la Cour conclut que « les établissements
dont l’activité nécessite d’importants moyens techniques, non seulement lorsque
cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens
corporels mobiliers, mais aussi lorsque le rôle des installations techniques,
des matériels et des outillages mis en œuvre, fût-ce pour les besoins d’une
autre activité, est prépondérant » la valeur de cet outillage était de 5,5
millions d’euros à la clôture de l’exercice 2010, 9,6 millions d’euros à la
clôture de l’exercice 2011 et 12,7 millions d’euros à la clôture de l’exercice
2012, le redressement est confirmé.
Finie l’idée de riveter ou de visser les « meubles »
et autres outils !
Merci « Bling-bling » (et autres « sachants »
qui lui ont soufflé l’idée dans sa trompe d’Eustache).
Reste qu’Amazon est une entreprise commerciale (sauf
pour les bouquins autoédités que je lui soumets).
Et qu’à la lumière de mon expérience passée dans la création
et la gestion d’entrepôts, je peux vous dire qu’il y a moult entreprises qui
devront se méfier à mettre des robots (et automatismes informatiques) dans « leur
boîte ».
D’ailleurs, quelques pharmaciens également, dont celui
qui est posé en face de l’hôpital Saint-Joseph à « Paris-sur-la-plage »
rue Losserand (que je fréquentais pour acheter ses médocs à ma Môman) : Il
dispose d’un transtockeur informatisé qui fait tout le boulot, à l’arrière de
son échoppe (et seulement trois salariés) !
Ou la « science-fiscale » (à confirmer par
un arrêt du Conseil d’État pour faire « bon poids ») qui progresse à
pas de géant…
Bon week-end à toutes et à tous tout de même !
I3
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