Mon père, William River…
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un roman, une
fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit de
l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
Alors ma mère est arrivée sur place en janvier.
« Il y avait quatre personnes à l’antenne. Le chef d’antenne, marié
avec des gamins à charge. Le chauffeur homme à tout faire de la boutique, un
africain. Votre mère et une stagiaire élève de science-po pour l’été.
Si on met de côté le chauffeur, compte tenu de votre couleur
de peau et si l’on imagine une aventure entre le chef d’antenne et votre mère,
ça ne colle pas : vous êtes née un 16 avril. Donc conçue mi-juillet, sauf si
vous étiez prématurée, ce qui ne semble pas être le cas compte tenu de votre
carnet de santé de bébé. »
Elle est allée jusqu’à le consulter : j’étais un « beau-bébé » de 4,5 kg,
55 cm, toute joufflue…
« Or, le chef d’antenne était en France pour raison de santé de son
épouse et il n’était même pas sur place quand les Irakiens ont envahi le Koweït
! C’est votre mère qui a assumé le scoop mondial, ce qui lui a valu une
mutation à Washington pour « bons et loyaux services ».
Par conséquent, il s’agit d’une tierce personne issue de son
entourage, mais ça peut être n’importe qui d’origine locale. Le problème, c’est
que les hommes francophones, d’après les rapports d’activité, ne sont pas très
nombreux et tous issus du personnel de l’ambassade.
Je me suis alors activée sur les registres des entrées et
sorties de nationaux signalés justement à l’ambassade : ils ne sont pas très
nombreux. Ils arrivent pour leurs affaires et repartent assez vite compte tenu
du climat.
En revanche, l’antenne entretien des relations suivies avec
plusieurs dirigeants du pays et quelques confrères anglo-saxons : ils avaient
coutume de se rencontrer pour échanger leurs tuyaux une fois par semaine dans
un restaurant de bord de mer.
Mais votre mère n’y a participé qu’à l’époque de l’absence
de son chef, du mois de juin jusqu’à début août.
Après cette période, c’est plus confus : beaucoup manque à
l’appel pendant l’occupation des Irakiens.
Des anglais ont été arrêtés et déportés en Irak, des
américains ont disparu du circuit ou ne sortaient plus de leur ambassade.
Idem pour le personnel diplomatique des français. »
A-t-elle une liste de nom ?
« Bien sûr, mais je n’ai pas fini de faire mes recherches… »
Ma mère était bilingue anglais. C’est peut-être de ce côté-là qu’il faut
chercher.
« Et pourquoi pas un Koweïtien ? » me réplique-t-elle.
« Vous croyez que j’ai le type local, franchement… »
Il est vrai qu’avec mes cheveux tirant plutôt sur le roux et ma peau
laiteuse, on cherche plutôt un indo-européen, type caucasien.
« Votre mère avait peut-être des gènes dominants… »
Vague et approximative, comme explication… d’autant qu’elle n’était pas
rousse d’après ce que j’en sais.
Mais elle reprend : « Il faut que je retrouve la trace de la stagiaire.
Peut-être nous donnera-t-elle un détail qui fera avancer mes recherches. »
Ses recherches… j’aime bien cette appropriation : dans sa tête, elle me
doit une fière chandelle, même si je n’y suis pour rien, elle ira au bout de
son pari et je n’aurai plus qu’à tenter de faire sa publicité dans un des
canards en lien avec mon ex-agent !
« Je dois vous dire que par acquis de conscience, j’ai étendu le
répertoire de mes recherches jusqu’à la période de la mi-août : peut-être
avez-vous été conçue pendant l’occupation irakienne et que vous êtes née
prématurée. »
Ma grand-mère, celle que je venais d’enterrer il y a seulement quelques
mois, ne m’en a jamais parlé.
« Oui c’est possible mais peu probable compte tenu de mes mensurations
de naissance. »
On sait pourtant qu’il n’y a pas eu d’exactions contre des européennes,
hors les arrestations et déportation pour faire « bouclier humains »…
Le viol est un péché privant le croyant du paradis d’Allah qui n’épouse
pas : c’est même pour cette raison que Le Prophète avait tant d’épouses m’avait
expliqué Paul…
Faites ce que je dis, pas ce que je fais : il était « Le » prophète,
l’unique et le dernier pour les musulmans et ceux-là ont droit à une première
épouse, plus trois autres pour racheter leurs adultères successifs.
Nous nous sommes revues plusieurs fois.
D’abord pour aborder les « affaires avec Paul », puis, en fin d’entretien
pour faire le point de ses recherches en cours sur mon père.
Jusqu’à ce que…
William River, un nom qui revient plusieurs fois dans ce récit et dans les
reconstitutions du parcours de ma mère au Koweït par madame Maltorne.
Chez cette Charlotte-là, dont le nez bouge quand elle parle, mais encore
dans les propos de Christophe Scorff, l’ex-directeur de police à la retraite,
et surtout dans le blog d’I-Cube !
C’est que je parviens enfin à faire le tour de ses « romans » à celui-là,
sauf que je n’ai toujours pas le premier épisode « Opération Juliette-siéra »
que j’attends pourtant de son éditeur payé pour se faire.
Et il se trouve qu’il attribue à Paul de Bréveuil un second saut dans le
passé, après celui fait en Algérie pour sortir Florence Chapeuroux des griffes
de ses ravisseurs[1].
Ça se passe au moment où elle est en Californie pour se faire réparer sa
jambe plus courte que l’autre[2].
C’est là qu’elle le trompe avec « Junior n° 5 », ce qu’elle a par ailleurs
évoqué et confirmé, et que lui parvient de façon un peu mystérieuse (je n’ai
rien compris du mécanisme de cette plus-value rocambolesque sur des titres de
bourses…) à redevenir millionnaire, ce qui va lui permettre d’investir dans la
création de son « système-expert » antiterroriste appelé « BBR ».
Un document finalement très complet sur les derniers jours à Koweït-City
avant l’invasion irakienne et sur le déroulé de l’opération « tempête sur le
désert » menée par la coalition internationale occidentale.
C’est incroyable de précision toute journalistique… Un vrai reportage[3]
!
On y croise un certain Gérard Dupont (lui, c’est une fausse identité de Paul,
j’en aurai la confirmation plus tard quand il me mettra sous le nez un
passeport périmé à ce nom avec sa photo) qui rencontre un certain William
River, tous les deux photographes professionnels. Sauf que le second est
accrédité auprès du Washington-Post et le premier est soi-disant envoyé par
l’AFP.
Et les deux parlent de ma mère, Camille Dubois…
Là, je ne sais plus s’il s’agit d’un roman ou encore un tour « pourri » de
Paul soi-même qui dicte à I-Cube ce laïus, mais les deux sont présents dans la
liste remise par Charlotte Maltorne. Si c’est l’effet du hasard, le hasard est
bien fait à tel point que de ressembler à une véritable histoire « vraie ».
Je veux dire vécue.
Ça me déconcerte quand même un peu : quel crédit doit-on donner à ces
récits ?
Le premier, Gérard Dupont est donc une fausse identité sous laquelle se
promène « mon » Charlotte de patron au Koweït. Et il aurait fait l’amour avec
ma mère le soir de l’invasion irakienne, sur le bord de l’autoroute entre la
frontière et la capitale du pays. Une autoroute surnommée plus tard «
l’autoroute de la mort » où les troupes irakiennes ont été taillées en pièces
par l’aviation coalisée au moment de leur repli en Irak : une épouvantable
hécatombe à l’occasion de la « bataille des 100 heures ».
Et il reste un témoin de cet épisode nocturne là : la stagiaire qui y a
participé.
Je la rencontre dans les jours qui suivent. Identifiée par le logiciel de
la Cisa comme la PD-G de l’entreprise de cartonnage de son père, située à
Palaiseau. Elle a fait Science-po et l’Essec avant de faire carrière dans une
banque, puis chez un courtier en assurances.
Son métier actuel consiste à se faire livrer du carton ondulé sur lesquels
elle imprime des logos sur une face, cartons que l’on coupe, cisaille et
prépare à être pliés, en format de cagettes ou de boîtes américaines d’archive
pour être ensuite livrés à plat sur palettes filmées : ça craint l’humidité !
Mariée, mère de famille, très BCBG Neuilly-Auteuil-Passy sur elle, elle a
gardé son emplanture de cheveux très haut sur le front, presque la moitié du
crâne, qui lui donne l’allure d’un insecte et ses petits yeux verts rajoutent à
l’effet ainsi provoqué.
Mais elle est charmante et me réclame l’anonymat avant de confirmer
l’épisode.
Effectivement, ils sont allés sur l’insistance du photographe français
jusqu’aux abords de la frontière où tout était pourtant calme jusqu’au petit
matin, même si l’atmosphère politique et diplomatique était particulièrement
tendue à ce moment-là : tout le monde pensait qu’une solution diplomatique
finirait par s’imposer entre les deux pays, aidés par quantité de « messagers
de la paix » venus de toutes parts du monde arabe.
« Il faisait froid et Gérard était beau mec, bien bâti, une belle tête
et des allures athlétiques. J’avoue que c’est moi qui aie commencé à «
l’asticoter », parce que franchement j’en avais envie : dans ce pays-là, à
cette époque-là, les occasions n’étaient pas très nombreuses de se faire
dérider les fesses et j’étais loin de mes potes de la rue Saint-Guillaume.
Encore célibataire, j’avais besoin de me défouler.
Excusez-moi si je vous parais vulgaire pu grossière, mais la
vie monastique au milieu du désert, ce n’est pas vraiment un paradis !
À moins d’épouser un local ou de passer pour une pute
dévergondée que tout le monde pouvait souiller sans encombre ni inconvénient,
pour une fois qu’on tenait un français, je ne me suis pas privée…
Votre mère non plus profitant de la nuit pour dissimuler son
handicap facial.
Et comme Gérard était « un vaillant », nous avons épuisé
notre réserve de préservatifs ce soir-là et on s’est arrêté quand les premiers
coups de feu ont été tirés. »
Il faut dire que la division Hammourabi faisait défiler sous leurs
yeux ses chars dans un vacarme épouvantable et que leur pick-up refusait de
démarrer : « Il a fallu qu’on le pousse pour un démarrage « à la parisienne
». »
Je ne connaissais pas l’expression…
« Et Camille a pu lancer son télex historique depuis nos locaux deux
heures plus tard. C’est comme ça que ça s’est passé. Flippant, finalement.
»
Une guerre, pour des journalistes, c’est une situation exceptionnelle…
« Sauf qu’on n’était pas journaliste de guerre et qu’en plus nous
étions complètement isolées.
Moi, je me suis réfugiée dans les locaux de l’ambassade à
manger des rations de survie infectes. Camille, votre mère, habillée de son
tchador qui masquait son bec de lièvre ne pouvait sortir qu’accompagnée du
chauffeur de l’antenne : au Koweït, à cette époque-là, une femme ne pouvait pas
se retrouver seule dans la rue et encore moins conduire un véhicule !
J’ai été évacuée un peu plus tard jusqu’à Ryad et je ne sais
pas ce qu’elle est devenue… »
Et Gérard ?
« Pas revu. Pas plus que l’américain. Totalement volatilisés tous les
deux du jour au lendemain. Peut-être tués lors des combats qui ont suivi,
peut-être faits prisonniers et déportés, je n’en ai plus jamais entendu parler.
Mais pour revenir à votre père putatif, j’ignorais l’état de
votre mère, mais si c’est un de ces deux zigotos, c’est forcément l’américain. »
Et pour quelle raison ?
« Il venait fréquemment au bureau depuis avant que je n’arrive. Il a
même essayé de me draguer assez lourdement, mais lui et Camille s’isolaient
parfois dans le bureau du chef d’antenne quand il n’était pas là.
Une fois, nous les avons surpris de retour d’une interview.
Enfin… surpris c’est un bien grand mot.
Disons qu’on rentre, on entend des bruits suspects notamment
de meubles qu’on déplace et qui craquent en rythme curieux. Ils étaient tous
les deux dans ce bureau, mais en tenue tout ce qu’il y a de respectable quand
nous sommes allés voir. Notre chef n’a même pas fait une seule remarque et
l’américain s’est éclipsé avec un large sourire pendant que votre mère s’est
mise à préparer du thé à la menthe.
Elle le faisait très bien.
Je pense qu’ensuite ils se retrouvaient ailleurs, chez elle
ou chez lui, mais elle ne m’en a jamais rien dit ni laissé paraître quoi que ce
soit.
Il faut dire que l’américain, c’était… comment dire ? Un
américain, un peu vulgaire, toujours un humour un peu lourdingue, pénible quoi
: déjà à l’époque, ils se prenaient tous pour les maîtres du monde !
Et puis la seule fois où j’ai vu votre mère avec Gérard,
c’était au bord de l’autoroute koweïtien. Et cette nuit-là, nous avions utilisé
des capotes. »
[1] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Mains invisibles – tome
II », aux éditions I3
[2] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Laudato sì… »,
à paraître aux éditions I3
[3] Cf.
« Les enquêtes de Charlotte », épisode « Laudato sì… »,
à paraître aux éditions I3
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