Aujourd’hui,
fête de la Toussaint,
Ce prénom que tu détestais, il me faut rendre hommage posthume à « tes
filles ». Les cousines calvaises.
Toi, c’était le
jour de l’Ascension.
En reprenant un « vieux post » de l’ancien blog.
Les deux sœurs nées un peu après le décès de ton papa à toi, un peu avant
la grande-guerre pour l’aînée, un peu après pour la cadette.
Tu as été leur nounou chez ta sœur aînée pour n’avoir qu’une petite
dizaine d’années de plus que la plus jeune.
Quoique qu’on n’ait jamais vraiment su leur année de naissance de leur
vivant, tellement elles étaient « coquettes » sur le sujet, sauf à attendre de
les lire sur leurs pierres tombales respectives, au cimetière marin de Calvi.
En fait, les générations se culbutant (et pas seulement elles), tu étais
en réalité leur tante.
Curieusement, des nièces tellement « adultes » que ma « Môman à moi » les
appelait « Tata »…
Alors qu’elles sont ses cousines germaines.
L’une a suivi son mari en Cochinchine et en a ramené des trésors de tas de
choses et notamment de porcelaine fine de chine : je sais, j’en ai eu plein
dans ma cave qui ont survécu à tous mes déménagements, jusqu’à mes mésaventures
vénitiennes ! Tout un service complet dont je ne me suis jamais servi.
Ça n’ira même pas à « ma nichée », réduit en cendres et en
pièces détachées !
Je n’en avais de toute façon pas l’usage étant déjà très amplement doté en
la matière.
Elle avait la grande maison « les pieds dans l’eau » et c’est là que mon «
Papa à moi » (celui qui…) se servait en liqueur d’oranger dans le placard du
fond.
On y venait aussi pour se ravitailler en eau et pour jouer au rami, à
n’importe quelle heure de la journée.
Bande de tricheuses : elles trichaient au rami, toutes les deux, avec leurs
airs de ne pas y toucher !
Que de rigolades à force de reconnaître tous leurs mauvais coups…
Je garde d’excellents souvenirs de cette maison et de son habitante.
La scène la plus cocasse restant celle où l’aînée nous y reçoit pour
partager le thé, un après-midi d’été caniculaire…
Elle, en dentelle fine, impeccablement repassée, le regard pétillant de
malice, décorée comme un sapin de Noël avec une ribambelle de perles fines
élégantes, quelques pierres précieusement taillées aux oreilles et aux doigts :
la grand classe, vraiment, au-dessus des quais calvais du nouveau port !
Elle revenait probablement de chez le coiffeur pour l’occasion et s’était
maquillée dans toute la grâce qu’elle était capable de développer derrière ses
yeux si bleus : du grand art…
Nous, « la nichée » et moi, crottés de sel desséché de notre bain marin et
post-méridien, en tongs, les jouets de plages brinquebalant dans tous les sens,
les chevilles dégueulassées par le sable boueux de vase que nous avions dû
traverser pour faire au plus court tellement nous étions en retard !
La peau tendue de soleil, la soif brûlant la gorge… buvant du thé brûlant
!
« Smart » dans le décalage total…
Elle, elle a fait des pieds et des mains pour récupérer le carillon que tu
lui avais promis en héritage.
Elle l’a posé dans son couloir, près du téléphone qui ne lui servait à
rien, puisqu’on ne pouvait rien dire tellement persuadée qu’elle était que «
les murs ont des oreilles » (les petites dames du téléphone manuel, d’avant les
centraux automatiques), à l’en faire sonner « Big-ben » tous les quarts d’heure
pendant cinq minutes…
Je n’ai jamais compris l’intérêt d’être réveillé de la sorte en pleine
nuit, m’enfin, des goûts et des couleurs…
Bref, elle en a joué, usé et abusé après qu’on lui ait remonté l’engin
arrivé de Paris en pièces détachées dans le coffre et sous les sièges du « tas
de boue à roulette » du moment.
L’autre, la cadette, a suivi son mari à Paris. Je n’ai pas tout compris de
ce qu’il faisait, sauf qu’il est mort en activité et travaillait dans une
cristallerie de renom. Je sais, j’en avais plein dans la cave qui aura survécu
à mes nombreux déménagements mais pas à mon épisode
vénitien…
Ça n’ira même pas à ma nichée ! Je n’en avais pas vraiment l’usage non
plus, étant déjà très amplement doté en la matière.
Il est mort alors qu’on se battait entre la rue Auguste Comte et le
boulevard Saint-Michel, autour de l’Odéon et de la Sorbonne : Mon « Papa à moi
» (celui qui…) y était et m’a raconté son délire pour l’évacuer de chez lui, en
face de chez Gainsbourg, jusqu’à un hôpital pas trop débordé…
Mais trop tard.
Une victime collatérale de plus de « Konne-Benne-dite » et de ses
acolytes.
Elle s’est ensuite repliée sur la « Corsica-Bella-Tchi-Tchi »,
dans la même ville que sa sœur aînée, mais plus près de la Mairie.
Et on s’y retrouvait à déguster ses gâteaux au sucre, ses frappes (des
beignets au sucre spécialité locale), ses fiadones (encore une spécialité
locale), ses beignets de courgette (une spécialité de chez Annie, mais la
boutique actuelle met trop d’ail pour que ça reste digeste, quoique… je digère
mieux désormais) et toutes sortes de délires pour diabétique-survivant ou autre
hypertendu au dernier degré.
Pour les parties de rami (où elles trichaient toutes), avec l’amie
descendue de la montagne, ou cette autre qui yoyotait déjà, hyper maquillée,
totalement « classe » également quand elle sortait « en ville » et
n’écoutait que ce qu’elle disait : « Ô
Maria ! Hier je suis tombée ! – Qui ? Moi ? – Non ! Moi, je suis tombée, pas
toi ! – Ah ! J’ai eu peur ! Et je me suis fait mal ? – Non, tu n’as pas eu mal
! – Ah bé tant mieux. Tu me rassures, là ! »
Dialogues permanents de pareils quiproquos équivalents qui me faisaient
éclater de rire, d’un rire gras, irrépressible, qui vient du fin fond des
tripes !
Et toc, un joker tiré par hasard du sabot du rami…
Et elles ne voulaient rien entendre de la règle des tierces franches (sans
joker !) nous flanquant des « tapis-capot » entre deux quintes de rire aux
éclats !
Parfois, on allait à « la campagne » faire la fête sous les eucalyptus !
Méchouis, brochettes, fruits et boissons à gogo sur les hauteurs de la
ville.
Je ne buvais pas encore, mais autour de moi, ça y allait sévère.
L’un se prenait pour « le Parain » et en « parlait plus bas »
plus vrai que nature, l’autre braillait tout ce qu’il savait de ses chansons
paillardes de corps de garde, le troisième nous entraînait dans le bassin de la
fontaine sous la lune prendre un bain d’eau claire…
Depuis, la ville a rattrapé « la campagne », oh, de pas loin, même pas
quelques centaines de mètre, au point que quand il manquait un peu de sel, on
en descendait à pied en chercher au supermarché local.
Bon, remonter les cubi de pinard à pince, ça demandait quand même au moins
dix minutes d’effort.
Mais c’était quand même « la campagne », avec ses amandiers, ses
citronniers et ses orangers amers, dont on faisait cette liqueur si bien
distillée qu’on peut s’en servir en médecine préventive et curative…
Jusqu’à l’année où le feu, descendu de la montagne sur un coup de mistral
plus épais que d’autres, a ravagé tout le pourtour jusqu’aux abords de la
pinède.
Les vignes ont tenu le coup et la maison a été défendue pied à pied par
ses chevaliers improvisés, armés de couvertures et de branchages, plus les
quelques canadairs détachés sur zone qui y ont fait une bonne dizaine de
passages.
Vingt ans plus tard, l’un d’entre eux qui défendait la maison un peu
au-dessus, a perdu sa queue et son équipage n’est pas rentré…
L’année même où un Tracker s’est perdu dans la garrigue varoise,
l’équipage défendu de l’incendie par ses potes venus des airs tuer le feu
ravageur autour de leur épave.
Personne ne sait toute la valeur de ces pilotes « casse-cou » qui viennent
dans leurs trajectoires millimétrées jusqu’au-dessus de nos têtes pour sauver
ce qui peut l’être.
Grand hommage très mérité à ses soldats aviateurs, au passage.
Les eucalyptus ont un peu souffert et l’année d’après, la végétation a
repris le dessus, sur ce paysage lunaire.
Quelle déveine : c’était rempli d’insectes rampants et virevoltants, tout
un paradis de vies perdues d’un coup.
Où ont-ils pu retrouver refuge ?
Le lendemain de cet incendie, même les mouettes et les pigeons avaient
déserté.
Et que c’est triste le bruit effarant d’un arbre qui pleure sous la flamme
!
Il hurle de douleur, je vous assure…
Avant de se tordre en tous sens et d’exploser en bombes qui propagent plus
loin l’incendie.
Tout ça pour dire, « Ma Tata », que si chaque année, c’était le drame de
la séparation à ne plus nous revoir jamais … jusqu’à l’année suivante, à en
pleurer chaudes larmes, durant deux décennies, eh bien un jour, tu t’es sentie
partir.
Pas trop dans la souffrance comme ta sœur aînée et son « hérisson » dans
la boîte à tripes, mais vidée de ta chaleur d’un coup, dans les bras de ton
fils.
Et là, cadeau suprême.
Le vol était incertain tellement l’orage matinal avait été violent le jour
de tes obsèques. Mais nous arrivions en avion quasiment complet et tu as forcé
le climat.
Et il a fait un temps superbe pour t’emmener à ta dernière demeure.
Et juste avant, alors que l’oraison funèbre s’éteignait, que le chœur des
voix du couvent de Corbara n’entonne un sublime « Dio vi Salvi Regina » pour un
ultime hommage à ta Corsitude, à la quasi-centenaire du pays, un des deux
lustres de la cathédrale s’est mis à tourner sur lui-même.
Un seul, n’est-ce pas, ce qui exclut un phénomène de thermodynamique…
Pas de beaucoup et très lentement, mais très clairement, très nettement et
sans raison apparente.
Lui qui ne bouge jamais même pas par fort mistral ou sous les coups du
sirocco, tu l’as fait tourner !
Un long moment, au point que tout le monde, sauf le chanoine qui était
en-dessous, s’en est rendu compte.
On ne l’écoutait même plus, d’ailleurs, tellement le phénomène était
poignant !
Tu étais là (ou peut-être pas toi, mais peu importe), avec le quartet qui
trichait au rami, à nous faire un dernier pied de nez !
« Ma Tata », que j’étais content pour toi !
Heu-reux.
À en pleurer de joie… Un jour d’enterrement, franchement, ce n’était pas
sérieux, conviens-en !
Mais tu sais, je sais quand « il » passe, quand « il » est là.
Je ne sais pas qui, je m’imagine des choses.
Mais c’est instantané. Là, c’était toi et ta dernière facétie, j’en étais
immédiatement convaincu.
Aidée ? Peut-être. Et j’aime à imaginer par qui, pour savoir faire tourner
les lustres dans les églises, même les plus lourds et les plus imposants rien
que par les « jeux de l’esprit ».
Tant mieux.
Et à la réflexion, je crois comprendre ce qu’est l’enfer. Un truc tout kon
: la mort définitive, jusqu’au moindre souvenir.
L’oubli total, éternel pour les âmes devenues impures, impropres à la
condition humaine.
Pour être devenue des erreurs de casting au fil des jours !
Je sais, j’en suis une, même si j’aimerai me persuader du contraire.
Alors quelle joie as-tu pu me procurer ce jour-là de te savoir « présente ».
Toi non plus, je ne pourrai jamais t’oublier.
Et Dieu que tu puisses vivre encore longtemps auprès de tous ceux qui t’ont
porté amour sur cette pauvre planète.
Tu me fais penser à mes grands mères, que j'aiu trop peu connues. Mes grands pères étaient déjà décédés. Tu as plus de souvenirs que moi. Gardons les bons moments. Oublions le reste.
RépondreSupprimerVlad
Chez nous en "Corsica-Bella-Tchi-Tchi", ce sont les hommes qui meurent jeunes et les mères et les grands-mères qui élèvent le "petiots".
SupprimerForcément, j'en ai donc eu deux et ses "sœurs" étaient tout de même des numéros impayables !
Gardons-les dans nos cœurs, mon ami !
Bien à toi !
I-Cube