Pas
mieux que « Tagada-à-la-fraise-des-bois »
Je découvre qu’un amendement au projet de loi de finances 2019
actuellement en débat, qui a été adopté en première lecture, va remettre en
question la sécurité juridique en matière de fiscalité.
Enfin, c’est ce qu’on m’a prétendu. J’ai voulu vérifier.
Car, déjà en 2013, si je me souviens bien, une loi rectificative de
finance avait été adoptée (puis recalée par le Conseil Constitutionnel) qui
obligeait des gars comme moâ (« ingénieur en optimisation des prélèvements
obligatoires ») à se dénoncer auprès des Services compétents et du même
coup à dénoncer son client, quand il était envisagé une « opération »
ayant des conséquences fiscales qu’on tentait vaille que vaille de limiter
« légalement ».
Un métier qui n’existe pas « dans les bouquins », qui n’est pas
celui de l’avocat (qui gère et assiste son client dans un contentieux ou un
précontentieux), qui parfois le conseille utilement (c’est-à-dire l’informe des
risques qu’il encourt) ou le guide quand il s’agit d’un notaire qui « écrit
le droit entre les parties », mais qui consiste à proposer une opération
comme je le faisais, dont l’issue est certaine (d’un point de vue juridique),
parfaitement légale au regard de la loi, de la jurisprudence et de la doctrine
officielle de la République, mais qui va lui faire gagner de l’argent tout
réalisant une opération qu’il ne pensait pas possible ou bien trop coûteuse.
Les pièges sont nombreux et il faut avoir une vision complète du droit
(civil, commercial, financier, pénal,
cambiaire, social et j’en passe…) et se méfier de quelques spécificités fiscales :
Notamment la notion d’abus de droit (qu’on retrouve maintenant en matière
sociale).
Jamais il ne s’agit de fraude à la loi, absolument jamais !
« L’abus de droit » et « la fraude à la loi » sont deux
notions générales du droit. Elles ont pour but d’éviter que l’on puisse
utiliser des dispositions contrairement à leur esprit dans l’unique but de
nuire aux intérêts d’autrui.
Logique.
Le régime de Vichy, comme souvent en matière de dispositions étatistes et
autoritaires, a instauré un dispositif permettant de réprimer les « abus
de droit » en matière fiscale (loi du 13 janvier 1941), codifié depuis
dans l’article L.64 du Livre des Procédures fiscales.
Un classique incontournable : Vous vivez toujours sous le régime
pétainiste de Vichy sans le savoir (ça et l’interdiction des herboristes, des
distillateurs et la création des ordres professionnels divers).
Et personne ne vous en dit rien…
C’est tellement bon que depuis fin 2007, l’abus de droit a également été
introduit pour sanctionner les opérations abusives réalisées en vue d’atténuer
les cotisations sociales (Article L.243-7-2
du Code de la sécurité sociale).
La rédaction actuelle vise soit les actes fictifs (vente dissimulant une
donation par absence de paiement du prix ou pour un prix dérisoire…) ; soit
les actes qui, « recherchant le bénéfice
d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des
objectifs poursuivis par leurs auteurs, (…) n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou
d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été
passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à
ses activités réelles. »
Les actes ne sont plus « fictifs » ou réalisé à « vil
prix », mais on vise l’intention du contribuable d’échapper à une taxation
plus lourde « de droit-commun ».
Et il s’en exempte quand il peut montrer que ce n’était pas son intention
principale, mais qu’il recherchait à atteindre un objectif déterminant dans son
choix, d’une autre nature (préservation d’un patrimoine, d’un revenu, d’un
autre intérêt familial, personnel ou professionnel).
Naturellement, la frontière est parfois floue et la lecture des décisions
de la Commissions des abus de droit reste un passage obligé pour éviter à son
client, les pièges béants qui lui sont tendus (en plus que des décisions du
Conseil d’État en la matière).
La notion d’exclusivité du but fiscal est ainsi retenue.
Si le contribuable peut démontrer une intention sincère et réelle autre
que fiscale (économique, juridique…), l’abus de droit fiscal doit alors être
écarté. En revanche, si les opérations n’ont pas d’intérêt en soi, si elles
sont dénuées de substance et donc artificielles, le caractère abusif est retenu.
C’est toute la distinction qu’opérait « mon pape à moâ », feu Maurice
Cozian (fiscaliste 10ème dan) entre « l’astuce-fiscale »
et « l’abus fiscal » : Juste une opportunité à saisir.
Tu pars d’un point A et tu veux aller au point B. Passage obligé, les impôts
& taxes. Sauf que si par un chemin légal de travers tu échappes à ce
passage obligé, bé tu serais un âne de ne pas l’emprunter !
Une définition claire où il est parfois délicat de prendre position.
En principe, l’appréciation du caractère abusif doit s’apprécier dans la
situation exacte et particulière du contribuable. Une même opération avec des
contribuables d’un âge différent, dans une situation familiale différente, ou
dans une situation financière ou professionnelle différente pourra être dans
une situation jugée comme abusive et l’autre non.
On se rappellera toujours de ces deux décisions concomitantes (qui sont
restées dans les mémoires) ou deux pères offrent une voiture à leur fils
respectif à l’occasion de leur majorité (21 ans à l’époque).
Le premier, une Ferrari à 500.000 francs-Gauloisiens, l’autre une
« dedeuche ». Dans le premier cas, il s’agissait d’un « cadeau
d’usage », mais pas dans le second analysé comme une donation à titre
gratuit : La différence entre les deux tenait dans la fortune des ascendants.
Le premier était archimillionnaire (en monnaie courante), l’autre y avait
consacré une année de salaire économisée pas-à-pas…
C’est le « pôvre-sans-dents-qui-pue-la-clope-et-le-gasoil » qui
a payé l’amende, figurez-vous !
Tout l’enjeu pour les paranoïaques de l’optimisation fiscale, c’est de remplacer
le terme « but exclusivement fiscal » par celui de « but essentiellement » ou «
but principalement » fiscal.
Cette question avait été traitée par Olivier Fouquet dans son rapport à
propos de la sécurité juridique en matière fiscale de juin 2008, qui avait
inspiré la définition actuelle de « l’abus de droit fiscal », en page
47.
L’extrait suivant résume assez bien tout ce que l’on peut craindre d’une
telle modification : « La substitution de
la notion de but exclusif par celui de but essentiel conduirait, même limitée à
la seule matière TVA, à d’importantes difficultés en termes de gestion de la
procédure : il est, en effet, délicat de chercher à pondérer l’importance
relative des différents motifs qui ont pu présider à une opération quand il est
bien plus objectif de rechercher l’existence d’un motif non fiscal pour exclure
l’abus de droit. Le Conseil d’État risquerait de n’être plus en mesure
d’assurer l’application uniforme du concept d’abus de droit en laissant aux
juges du fond une marge d’appréciation souveraine sur le caractère « essentiel
» du but fiscal poursuivi. Au regard de la sécurité juridique, il s’agirait
d’une régression importante et coûteuse en termes d’image pour notre pays.
»
Certes. Et j’en suis assez d’accord, même si en matière de TVA, il y a peu
de situation « d’abus de droit » : On entre de plain-pied dans
celui de la fraude !
Car de toute façon, comment mesurer des buts juridiques (contrôle d’une
société, transmission familiale…) pour affirmer qu’ils sont prépondérants aux
buts fiscaux, eux quantifiables en euros, afin d’écarter une requalification
fiscale ?
Même le ministre du Budget « soce » contemporain des tentatives
précédentes, (« Nanar-Case-Neuve »), s’était opposé avec à-propos à
cette aventure.
De l’aveu même des députés « soces » initiateurs de cette
« novation », « la question se
posera pour les affaires où cette volonté ne sera plus « exclusive » mais «
principale ». (…) il faudra sans
doute quelques années pour fixer la notion de « principal », puisque nous
sommes dans un domaine nouveau. »
Très juste. Et du coup, dans l’intermède, tout le monde serait plongé dans
le brouillard…
D’autant que le dispositif consistait à « avertir » le Service
avant l’opération envisagée, d’attendre son aval (ou son silence) et de rendre
le consultant (l’avocat-fiscaliste, l’expert-comptable, « l’ingénieur-fiscal »)
solidairement responsable en cas de manquement à cette obligation
déclarative-préalable et en cas de requalification.
Plus une amende…
Ces tentatives étaient restées lettre morte grâce à la censure du Conseil
constitutionnel : Ce dernier avait notamment relevé qu’une définition
aussi imprécise faisait mauvais ménage avec une pénalité de 80 %…
Entre-temps, j’ai déménagé et je m’en tamponne pour deux raisons : En
Angleterre (ou en Italie, voire à Monaco), je n’ai pas de compte à rendre au
fisc Gauloisien (surtout pour des clients qui n’y mettent même pas les pieds).
Vous m’imaginez devoir dénoncer « déclarer » des citoyens
Bulgares pour des opérations faites dans le Delaware au fisc de Bercy au motif
que ledit client à des gamins logés à Saint-Tropez ?
Soyons sérieux…
Mais le législateur ne s’est pas laissé stopper aussi facilement : On
n’est pas en « démocrature-vivace » pour rien !
Enfin, disons que ce sont « les Services » qui ont commandé d’y
revenir, impuissants nains du neurone qu’ils sont trop souvent.
Ces dernières années le législateur, dans son « immense
sagesse », a donc multiplié les dispositions anti-fraude recourant au
terme « but principal » circonscrites à certains sujets et sans pénalités
autres que relevant du droit commun (soit une majoration de 40 % tout de même)
On citera l’impôt sur les sociétés (régime mère-fille, et l’ensemble de
cet impôt selon le projet de loi de finances pour 2019), le plafonnement de
l’ISF au moyen de holding et désormais l’IFI à plusieurs titres…
Un rapport parlementaire en date du 12 septembre 2018 remettait le
couvert.
Y contribuait Madame Peyrol, récente députée de l’Allier issue de la
fournée « En marche-même-pas-en-rêve », ce monde nouveau prompt à
prolonger le glorieux travail de ses prédécesseurs « soces »…
Ce député a effectivement déposé un amendement adopté créant un « sous-abus
de droit » pour lequel :
– Il suffit de démontrer le but principalement fiscal et non plus
exclusivement ;
– Avec une sanction est limitée à 40 %.
Des décennies de jurisprudence seraient ainsi balayées d’un revers de main
car il faudrait alors apprécier les opérations sous un angle nouveau (à défaut,
à quoi bon en changer la définition !).
De plus, on peut craindre un abandon par l’administration de la procédure
d’abus de droit classique pour ne plus exercer, hors opération fictive, que
cette nouvelle procédure beaucoup plus favorable.
Et pour « sécuriser » les opérations, les contribuables pourraient alors
faire des demandes dites « de rescrit » à l’administration, ce qui
nécessite d’exposer sa situation dans le moindre détail, sans aucune omission
si minime soit-elle, au risque qu’elle utilise ce prétexte pour invalider sa
réponse favorable.
On relèvera un délai de réponse qui peut atteindre 6 mois et qui repart à
zéro en cas d’aménagement de la demande…
Tout ce qui n’est pas expressément autorisé deviendrait alors
quasi-interdit sous peine de procédure et appréciation arbitraire.
C’est la définition d’une dictature-totalitaire (alors qu’en démocratie,
« tout ce qui n’est pas interdit est
permis »…) et à bien des égards on y glisse rapidement par pan entier
du droit (et de la vie).
Un épouvantail à toute réflexion d’habileté fiscale !
De là à imposer de fait la voie fiscale la plus coûteuse, il n’y a qu’un
pas qui devrait être franchi rapidement en disait mon correspondant.
Peut-on imaginer un jeu où les règles sont définies unilatéralement par un
joueur, et lorsqu’elles sont respectées, ce même joueur peut quand même
considérer qu’elles deviennent inapplicables ?
Cela au prétexte que l’autre joueur qui subit les règles du premier a osé
essayer de les appliquer en partie à son avantage ?
Voilà donc une mesure qui contribuera sûrement fortement à améliorer le
classement du pays au classement du « doing
business » ou son « indice de liberté économique »…
On ne peut qu’espérer, mais sans trop y croire, que le Conseil
constitutionnel assure une nouvelle fois son rôle de rempart face à une
législation qui s’ingénie à augmenter non seulement sa complexité mais
désormais à user de termes mous et flous propres à rendre toute situation
précaire face à une action administrative répressive.
Autrement dit : Retour à l’insécurité fiscale.
Notez toutefois que comme je l’expliquais à mes étudiants (dans une autre
vie), si le « L.64 » est la bombe nucléaire par excellence, l’article
L.80 du même Livre des Procédures fiscales offre le « joker » absolu
au contribuable. Un texte adopté par la loi de finance de 1959 qui légalisait
la jurisprudence précédente en la matière élaborée entre-deux-guerres
(tellement c’était le déjà le boxon inextricable dans les interprétations de la
loi par le Service).
Il y en a trois : Le A. Paragraphe premier : « Il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions
antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un
différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et
s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première
décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration. »
Combiné au paragraphe troisième : « Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation
que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires
publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause,
elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation
différente. Sont également opposables à l’administration, dans les mêmes
conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement
de l’impôt et aux pénalités fiscales. »
Et la « doctrine fiscale » s’étend aux réponses ministérielles
(écrites ou orales) devant le Parlement.
D’où l’intérêt de ces séances et de la lecture des JO des débats : On
se tient au courant des confirmations ou des modifications et précisions de la
doctrine pour en tirer le meilleur.
Et puis il y a le second paragraphe. À partir du 1er janvier
2019 on va appliquer pour la première fois ce texte (voté précédemment) :
« Il en est de même lorsque, dans le
cadre d’un examen ou d’une vérification de comptabilité ou d’un examen
contradictoire de la situation fiscale personnelle, et dès lors qu’elle a pu se
prononcer en toute connaissance de cause, l’administration a pris position sur
les points du contrôle, y compris tacitement par une absence de rectification. »
D’où l’intérêt de se faire contrôler « préventivement » et
d’enfumer le « polyvalent »…
Et encore deux autres : Le rescrit de l’article 80 B. « La garantie prévue au premier alinéa de
l'article L. 80 A est applicable : 1° Lorsque l’administration a formellement
pris position sur l’appréciation d’une situation de fait au regard d’un texte
fiscal ; elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu’elle est saisie
d’une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi. »
C’est l’assurance « garantie de bonne fin ».
D’où l’intérêt de surcharger le Service de questions oiseuses…
Mais ça reste un coup de poker.
Et ça oblige à se mettre à poils-kul-nu devant le scribouillard…
Dangereux d’autant que si vous modifiez, même à la marge, l’opération
initialement envisagée, vous serez un « vrai fraudeur ».
Et enfin le 80 C : « L’amende
fiscale prévue à l’article 1740 A du code général des impôts n’est pas
applicable lorsque l’administration n’a pas répondu dans un délai de six mois à
un organisme qui a demandé, dans les mêmes conditions que celles prévues à
l’avant-dernier alinéa du 2° de l’article L. 80 B, s’il relève de l’une des
catégories mentionnées aux articles 200 et 238 bis du code général des impôts. »
Il s’agit de la délivrance des « quitus » ouvrant droit à des
crédits-d’impôt à l’occasion de dépense particulières (dons, etc.)
Là, en cas de silence (qui vaut acceptation), vous n’êtes plus
« frauduleux »…
L’intérêt de ces dispositifs restent très actuels :
« L’ingénieur-fiscaliste » (optimisateur) se doit de « tout
savoir » à chaque époque et d’adapter des solutions connues et reconnues
(jusqu’à revirement jurisprudentiel, rare en ce moment) aux besoins de son
client (qui veut « son pont » comme ça et pas autrement, avec des
petites-lumières là, là et là…).
Sachant que la doctrine poursuit de ses assiduités les décisions du
Conseil d’État (et de la Cour de Cassation) en matière fiscale, qui eux-mêmes
ne font que « dire la loi » : Il suffit de suivre pour savoir.
C’est quand même plus facile.
Ceci dit, de ce que j’en pense, cela permettra d’échapper, avec 100 % de
réussite si on reste dans les chemins balisés du droit et de la doctrine, à cet
amendement stupide de « sous-abus-de-droit ».
Je l’ai toujours dit : « L’optimisation fiscale » ne
s’improvise pas et doit se vêtir intelligemment. Le reste, abus ou fraude,
c’est juste le fait des imbéciles (fiscaux), puisqu’on parvient à des résultats
similaires avec des solutions carrées et éprouvées…
Et il y en a encore plein dans les JO le BO.
Alors un sous-amendement stupide de plus ou de moins, je préfère encore ça
que devoir dénoncer « mon client » avant même qu’il sorte de mon
cabinet !
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