« Bons
à rien ! »
Voire encore « si vous ne savez
pas porter vous n’avez qu’à pas prendre des métiers d’homme »
constitue désormais un harcèlement moral.
Une leçon de droit-positif pour « Jupiter » ?
Que non !
Il faut dire que si je conduis un poids-lourd, un autocar ou un TGV sans
en avoir le permis, je ne suis pas fait pour ce métier : Même pas la peine
de « traverser la rue » pour me faire embaucher.
D’ailleurs, j’avais un pote (en Balagne) qui faisait
« Moniteur-Nageur-Sauveteur » l’été dans le civil sur la plage, qui
avait une phobie indécrottable de l’eau !
Je te vous jure : Il ne supportait pas de se mouiller les cheveux…
En revanche, pour t’engueuler depuis son hors-bord parce que tu dépassais
la bande des 300 mètres, il avait un vocabulaire plutôt cru, à en faire rougir
Bérurier (celui de Frédéric Dard, San Antonio).
Dans l’affaire qui nous intéresse, c’est un peu particulier : Les
comportements du supérieur hiérarchique excédant les limites du pouvoir de
direction peuvent constituer un harcèlement moral. Notamment quand il s’adresse
à une adulte handicapée sous curatelle (c’est probablement déterminant :
Nous sommes tous égaux, mais comme en disait Coluche, « il y en a qui le sont plus que d’autres ! »)
dont, par ses propos, il a « altérer sa santé physique ou mentale ».
Également autre point déterminant.
Moi, sur mes « bouées des 300 mètres », je m’en suis remis…
Cour de cassation – Chambre criminelle
Audience publique du mardi 19 juin 2018
N° de pourvoi: 17-82649
M. Soulard (président), président
SCP Thouvenin, Coudray et GRÉVY, SCP Waquet, Farge et Hazan,
avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt
suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme Latifa A…, sous curatelle de l’association Axe,
Majeur (ATM), partie civile,
contre l’arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9ème
chambre, en date du 24 mars 2017, qui l’a déboutée de ses demandes après relaxe
de M. Jean-Marie X… du chef de harcèlement moral ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 7
mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du
code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Y…, conseiller
rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Y…, les observations de
la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, la société civile
professionnelle THOUVENIN, COUDRAY et GRÉVY, avocats en la Cour, et les
conclusions de Mme l’avocat général référendaire Z… ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des
articles 222-33-2 du code pénal, 1382 du code civil dans sa rédaction
applicable au litige, L. 122-49 du code du travail dans sa rédaction applicable
au litige, 2,3, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale
et défaut de motifs ;
« en ce que l’arrêt attaqué a débouté Mme A… de ses
demandes au titre de son action civile en indemnisation de ses préjudices ;
« aux motifs que M. Jean Marie X… est prévenu d’avoir :
- à Guyancourt entre le 1er septembre 2004 et le
30 juin 2005, par des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des
conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa
dignité d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir
professionnel,
- en employant des termes humiliants et dévalorisants « comment on peut engager des bons à rien
comme cela » ou « si vous ne savez
pas porter vous n’avez qu’à pas prendre des métiers d’homme », des
attitudes et des gestes inadaptés, claquements de doigts, cris pour s’adresser
notamment à Mme Latifa A…,
- ces agissements ayant entraîné une importante dépression
chez la victime » ; que M. X… a affirmé ne pas avoir su que Mme A… , était handicapée,
cette connaissance n’est pas établie par les éléments de l’enquête ni par les
dépositions des témoins, son attitude envers elle, identique à celle envers
tout le reste du personnel, confirme ce point car il lui demandait de faire son
travail comme aux autres avec autant d’exigence, il a tenu toujours le même
discours, certes trop directif, peut-être trop exigeant, trop abrupt, à la
limite de l’acceptable pour faire face à tous les problèmes sous sa seule
responsabilité, M. X… a toujours eu des difficultés relationnelles avec le
personnel comme cela ressort de son dossier professionnel ; que le proviseur du
lycée en a été averti et a aussi attiré son attention sur ce point, tout en l’encourageant
dans son travail difficile dans lequel il réussissait, notant qu’« une
minorité » se plaignait de son comportement ; qu’en aucun cas il n’a été
fait état à son encontre de harcèlement même s’il pouvait s’adresser « mal »
au personnel en ne sachant pas communiquer avec lui ; qu’aucune mesure n’a été
prise par la direction pour pallier ce problème relationnel ou « d’incompatibilité
d’humeur » comme l’ont mentionné certains salariés, il ressort que les
propos dénoncés « comment on peut
engager des bons à rien comme cela », certes désobligeants, n’apparaissent
pas avoir été prononcés à plusieurs reprises à l’égard de la prévenue, le terme
« bons à rien » étant une
expression selon le prévenu caractérisant tout travail mal fait ; que de même
la phrase « si vous ne savez pas
porter vous n’avez qu’à pas prendre des métiers d’homme » a été
prononcée à une reprise dans une situation précise et non de manière répétée,
quant aux attitudes et gestes inadaptés et cris, s’il ressort du dossier que la
manière dont M. X… s’adressait au personnel était autoritaire, dans la mesure
où il claquait des doigts et criait, ce comportement, certes inadapté en termes
de management du personnel, ne caractérise pas suffisamment des faits de
harcèlement moral dénoncés, ces propos, gestes et attitudes étant tenus à l’égard
de tout le personnel, dans le contexte particulier du travail en cuisine, un
doute subsiste sur la caractérisation de l’infraction qui doit bénéficier au
prévenu ;
« aux motifs adoptés que sont établis les claquements
de doigts pour appeler le personnel, le ton parfois excessif de M. X… pour s’adresser
au personnel, des remarques inadaptées sur la qualité du travail de Mme A… ;
que, de même, les scènes relatives au lavage insatisfaisant du sol sont
décrites par plusieurs témoins ; que M. X…, averti depuis longtemps de la
nécessité d’assouplir sa gestion du personnel, n’a manifestement pas entendu
les recommandations répétées de sa hiérarchie et a persisté à utiliser des
méthodes critiquables ; que pour autant, il ne résulte pas de la procédure et
des débats que M. X… se soit livré à des agissements répétés qui caractérisent
le délit de harcèlement moral à l’encontre de Mme A… ; que la scène relative au
lavage du sol, certes brusque, n’est pas constitutive de harcèlement et est
décrite comme unique ; que les claquements de doigts, les critiques
désobligeantes sur la qualité du travail et le ton adopté par M. X… ne
suffisent pas à caractériser le délit de harcèlement, même si Mme A… a pu
réellement et légitimement mal supporter la méthode de gestion du personnel de
M. X… ; qu’en conséquence, M. X… doit être relaxé ;
« 1°) alors que des agissements répétés, qui excèdent l’exercice
normal d’un pouvoir de direction et ont pour objet ou pour effet une
dégradation des conditions de travail d’autrui pouvant altérer sa santé
physique ou mentale, caractérisent des faits de harcèlement moral ; qu’en
excluant tout harcèlement de la part de M. X…, supérieur hiérarchique de Mme A…,
sans rechercher si les propos, attitudes et gestes répétitifs, dont elle
admettait le caractère déplacé, inadapté et désobligeant à l’égard de Mme A…, n’avaient
pas excédé l’exercice normal du pouvoir de direction d’un supérieur
hiérarchique direct à l’encontre de la personne placée sous sa direction, la
cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard des articles susvisés ;
« 2°) alors qu’un comportement général ou une manière
de parler déplacée et inappropriée constituent, s’ils ont un caractère
habituel, des agissements répétés constitutifs d’un fait de harcèlement, peu
important que les actes reprochés et réitérés ne soient pas identiques entre
eux ; que la cour d’appel a prononcé la relaxe de M. X… et exclu toute faute
après avoir pourtant constaté un comportement général de sa part à l’égard de
Mme A…, consistant dans des propos désobligeants ou inadaptés et des gestes
déplacés ; qu’en statuant comme elle l’a fait, quand il ressortait de ses
constatations l’existence d’un comportement constitutif, par son caractère
habituel, d’agissements répétés caractérisant des faits de harcèlement, la cour
d’appel a violé les articles susvisés ;
« 3°) alors que le harcèlement moral étant caractérisé
par des actes répétés, le juge doit appréhender dans leur ensemble les faits
considérés comme établis, peu important que pris isolément les actes dénoncés n’aient
été, chacun, commis qu’une fois ; que pour relaxer M. X… et exclure toute faute
même civile de sa part, la cour d’appel a retenu que ses propos désobligeants n’avaient
été tenus chacun qu’une fois et que les attitudes, gestes et cris inadaptés
étaient tenus à l’égard de tout le personnel dans la situation particulière d’une
cuisine ; qu’en statuant ainsi par des motifs isolant chaque fait et sans
examiner si le comportement du prévenu à l’égard de Mme A… n’était pas, dans
son ensemble, constitutif, par son caractère habituel, d’agissements répétés
ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de
cette dernière susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer
sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, la
cour d’appel a violé les articles susvisés » ;
Vu les articles 222-33-2 du code pénal et 593 du code de
procédure pénale ;
Attendu que, d’une part, selon le premier de ces textes,
dans sa version applicable à la date des faits, constitue le délit de
harcèlement moral le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant
pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible
de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou
mentale, ou de compromettre son avenir professionnel ;
Attendu que, d’autre part, tout jugement ou arrêt doit
comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la
contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il
confirme et des pièces de procédure que Mme A…, ouvrière professionnelle de
cuisine au lycée hôtelier de Guyancourt, a déposé plainte contre M. X…, maître
ouvrier chargé de réorganiser le travail en cuisine, du chef de harcèlement
moral ; que cette plainte ayant fait l’objet d'un classement sans suite, l’intéressée
s’est constituée partie civile devant le doyen des juges d’instruction ; que
renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral, M. X...
a été relaxé ; qu’appel a été interjeté de cette décision par la partie civile
et le ministère public ;
Attendu que, pour confirmer le jugement de relaxe, l’arrêt
énonce que, si M. X… se montrait autoritaire dans la mesure où il claquait des
doigts et criait, ce comportement, certes inadapté en termes de management du
personnel, ne caractérise pas suffisamment des faits harcèlement moral, ces
propos, gestes et attitudes étant tenus à l’égard de tout le personnel dans le
contexte particulier du travail en cuisine ; que les juges relèvent que le
prévenu n’a pas affecté Mme A… à d’autres tâches que celles relevant de son
poste et que les propos dénoncés par la partie civile (« comment on peut engager des bons à rien
comme cela » et « si vous
ne savez pas porter, vous n’avez qu’à pas prendre des métiers d’homme »),
bien que désobligeants, n’apparaissent pas avoir été prononcés à plusieurs
reprises à l’égard de celle-ci ; qu’ils ajoutent qu’elle-même n’admettait pas
les remarques faites sur son travail et pouvait avoir une attitude inadaptée en
réponse aux réflexions de son supérieur hiérarchique ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que les
comportements qu’elle décrivait excédaient, quelle qu’ait été la manière de
servir de la partie civile, les limites du pouvoir de direction du prévenu, la
cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations
;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives aux
intérêts civils, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Versailles, en date du
24 mars 2017, et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi dans
les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Orléans,
à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur
les registres du greffe de la cour d’appel de Versailles et sa mention en marge
ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre
criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf mai deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le
président, le rapporteur et le greffier de chambre.
En résumé, la salariée d’une école hôtelière avait déposé plainte pour
harcèlement moral contre son responsable hiérarchique. Celui-ci avait été
relaxé. La Cour d’appel avait jugé que les comportements du responsable de
cuisine tels les claquements de doigts pour appeler le personnel, le ton
excessif adopté pour s’adresser à lui, les remarques inadaptées sur le travail,
bien que critiquables, ne constituaient pas un harcèlement moral.
Elle avait pris en considération le fait que ces propos, gestes et
attitudes étaient tenus à l’égard de tout le personnel et dans le contexte
particulier du travail en cuisine.
Cette décision est cassée : Pour la Cour de cassation, des
comportements qui excèdent les limites du pouvoir de direction constituent un
harcèlement moral quelle qu’ait été la manière de travailler de la salariée.
Voilà qui est dit.
D’ailleurs, c’est dans la loi régulièrement votée par vos représentants
démocratiquement élus, réunis en Parlement et dans leur « immense
sagesse ».
Tâchez d’y penser…
Ou alors dites-le avec
des fleurs, pas avec un mégaphone !
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