C’est aujourd’hui qu’on va savoir !
Et c’est pourquoi je vous ai préparé ce « petit-post »
sur ce qu’on sait déjà (bien avant les enquêteurs).
Après une année 2017 record jamais enregistrée
auparavant par l’absence d’accident aérien sur des avions de plus de 24 places
(l’effet « Trompe avéré »), l’année 2018 se déroulait bien jusqu’à
cet accident, qui semble dû à un problème technique.
C’est un Boeing 737 de la compagnie indonésienne Lion
Air, transportant 189 personnes, qui s’est abîmé le 28 octobre à environ 50
kilomètres des côtes, peu après son décollage de Jakarta. Il s’est écoulé 13
minutes entre le décollage et l’impact dans l’eau.
Aux prises avec des problèmes techniques, les pilotes
avaient demandé à revenir à l’aéroport de la capitale, peu avant que le contact
ne soit rompu avec le contrôle aérien.
Le site de suivi des vols Flightradar montre sur une
carte la trajectoire de l’appareil, un Boeing 737 Max 8, qui après son
décollage sur un cap sud-ouest vire largement par le sud sur 180 degrés avant
de mettre le cap au nord-est. Il monte normalement pour prendre son altitude,
puis en perd, en reprend, en reperd ayant manifestement du mal à garder de la
hauteur (probablement suite audit problème technique qui lui fait faire
demi-tour). À mon sens il est passé en mode de pilotage manuel, désactivant le
pilotage automatique pour tenter de reprendre une direction de vol conforme aux
objectifs de l’équipage.
Le tracé s’interrompt soudainement au-dessus de la mer
de Java, non loin de la côte.
L’avion transportait 178 passagers adultes, un enfant
et deux bébés, ainsi que deux pilotes et six personnels de cabine. La totalité
de ces passagers sont « probablement morts », selon le directeur opérationnel
des services de secours indonésien.
Immédiatement, et selon des responsables, on a su que
l’appareil avait été réparé sur l’île de Bali, puis a volé vers Jakarta où les
techniciens ont reçu des notes et ont fait une autre réparation avant qu’il ne
reparte vers Pangkal Pinai, la destination qu’il devait rejoindre par son vol.
Apparemment, il semble que l’épave soit à une
profondeur assez faible, ce qui va permettre de retrouver sans trop de
difficultés les enregistreurs de vol qui nous en diront plus.
Rappelez-vous toutefois que cette compagnie, Lion Air,
avait été mise à l’index de la liste
noire des compagnies par les autorités européennes et américaines.
Lion Air est une filiale de Lion Group, qui possède
quatre autres compagnies : Wings Air et Batik Air en Indonésie, Malindo Air en
Malaisie et Lion Air en Thaïlande. Lion Air est connue en Indonésie pour ses
retards quasiment proverbiaux. C’est d'ailleurs la version retenue par l’Indonésie (avant même la parution du rapport) : L’avion n’aurait jamais dû redécoller. La faute en revient à la compagnie ! Une cible facile qui épargne les autres acteurs de ce drame (et finalement fait reposer l’origine du drame sur les épaules des pilotes décédés).
L’Indonésie, un archipel d’Asie du Sud-Est de 17.000
îles et îlots, est très dépendante des liaisons aériennes (à forte signature
carbone), et les accidents sont fréquents. Lion Air, une compagnie à bas coût,
a elle-même été impliquée dans 10 sorties de piste en douze ans.
Lion Air s’est récemment fait remarquer en commandant
plus de 234 Airbus et 100 Boeing mais possède pour le moment une flotte de 100
appareils qui reste inégaux. Selon le site Airfleet, une partie de ses avions
approchent des 25 ans (Boeing 737 et 747) alors que les 92 Boeing 737 Next Gen
déjà en activités approchent doucement des 4 ans.
Sur l’Île de Java, une conférence de presse s’est rapidement
organisée dans un bâtiment de la plage de Tanjung Pakis. C’est le lieu
terrestre le plus proche du crash qui s’est déroulé dans la mer, à près de 50
kilomètres de là. Les représentants des secours et des forces de sécurité
décrivent alors la situation au large, là où l’avion de ligne s’est abîmé :
« Pour des raisons d’efficacité opérationnelles, nous
avons cessé les recherches à 17 heures, explique Irjen Maryoto, le chef de la
police de Java Ouest. Jusqu’à présent, les recherches se sont surtout déroulées
à la surface. Demain, notamment grâce à un sonar, nous ferons davantage de
recherches en profondeur. Aujourd’hui, nous avons retrouvé des débris de
l’avion ainsi que des biens qui appartenaient a priori aux passagers, comme des
chaussures ou des sacs. Nous avons aussi retrouvé des morceaux de corps humains
qu’il va encore nous falloir identifier et qui ont été envoyés à destination
des hôpitaux. »
Un spécialiste de la sécurité des vols notait que :
« Jusqu’à maintenant, Boeing s’était
distingué d’Airbus en faisant en sorte que le pilote ait la maîtrise de la
décision du pilotage de l’avion par rapport à l’ordinateur.
On
était censé pouvoir mettre l’avion dans des positions anormales, sur le dos par
exemple, mais en rendant l’effort de commande progressivement plus important si
on s’écartait de la normale, ce qui était supposé dissuader le pilote d’y
aller.
J’attends
avec curiosité et impatience le résultat de l’enquête qui va être menée sur cet
accident, où les pilotes auraient été impuissants à contrôler la trajectoire,
entraînés vers le tombeau par une avionique défaillante, car si on comprend
bien, l’avion se serait engagé dans un piqué incontrôlable, provoqué par un
défaut des commandes de vol.
Ce
serait un changement fondamental autant que pernicieux »
Prémonition ? Un peu plus tard il a été établi
que Boeing a installé un dispositif sur ce type d’avion appelé MCAS
(Manoeuvering Characteristic Augmentation System), qui était prévu pour
améliorer les caractéristiques de la gouverne de profondeur aux fortes
incidences et la protection du décrochage.
Or, fabuleusement ce système ne figurait dans aucune
documentation à l’usage des pilotes !
Ni à quoi il sert, ni quand il s’engage, ni comment il
s’engage, ni bien entendu comment le désactiver en situation d’urgence…
Et une des raisons avancées par Boeing pour justifier
ce nouveau système sur le Boeing 737 8 MAX aurait été le poids plus lourd des
réacteurs, qui déplaçait le centre de gravité vers l’avant par rapport aux
modèles précédents de B 737.
Et pour une fois, c’est Airbus qui apparaît comme le
plus professionnel en ayant installé trois sondes d’incidence sur les Airbus A
320, tandis que les B 737 n’en comportent que deux…
Outre une éventuelle modification du logiciel, le
système conçu par Boeing souffre d’un défaut de conception.
Il suffit qu’une des deux sondes soit bloquée, par le
gel ou autre chose, pour que le système anti-décrochage s’active. Alors que sur
un A 320, l’appareil peut continuer à fonctionner normalement, en pilotage
automatique, avec une seule sonde défectueuse sur trois. Et si deux sondes sur
trois dysfonctionnent, l’ordinateur rend la main aux pilotes et ne va pas
chercher à agir sur les gouvernes de profondeur.
Sur le B 737 8 MAX, la seule façon pour les pilotes de
reprendre la main sur le MACS est d’actionner un interrupteur, situé sous le
bloc des commandes de gaz et du trim, permettant de couper le contrôle
automatique des gouvernes de profondeur. Le premier réflexe de tirer sur le
manche ne permet pas d’interrompre le piqué, qui continue à les envoyer à la
mort à l’insu de leur plein gré.
Quelle merveille que la technologie, n’est-il pas.
Mais comment les pilotes auraient-ils pu la connaitre,
sans avoir été informés de son existence, soit lors du stage de transformation
sur cet avion ou sur la documentation pilote (FCOM = Flight Crew Operation
Manual) ?
Le MCAS est activé sans l’intervention du pilote,
seulement quand l’avion est piloté manuellement. Il reste en action même en cas
de virages à fortes inclinaisons, avec de forts « G ».
Le MCAS intervient à une certaine valeur de l’angle d’attaque
(AOA= Angle Of Attack) et trime l’avion vers un piqué à un taux de 0,27
degrés/seconde jusqu’à un maximum de 2,5 degrés, pendant une durée de 10
secondes.
Selon le Wall Street Journal, « Boeing n’a pas informé les pilotes utilisateurs par crainte de les
submerger avec plus de données techniques que ce dont ils avaient besoin où
qu’ils pourraient absorber. »
En quelque sorte le B 737 pour les nuls, sur un avion
qui est facturé 51 millions de dollars !
Ils ajoutaient qu’il était vraisemblable que les
pilotes ne rencontreraient aucune intervention du MCAS durant leurs vols
normaux !
Selon Jon Weaks, Pdt ALPA des pilotes de la compagnie
Southwest : « Nous n’aimons pas le fait
qu’un nouveau système soit installé dans l’avion en étant dissimulé et non
inclus dans les manuels ». Il s’avère que Boeing et la FAA sont informés
que le MCAS pourrait ne pas fonctionner comme il le devrait.
Chez American Airlines, qui opère aussi des B 737 8
MAX, les pilotes ont reçus une documentation sur la MCAS, diffusée en urgence
par Boeing… après le crash du Lion Air.
Sur le forum des pilotes d’American, un pilote ajoute : « Nous n’avions pas idée que le MCAS existait.
Il n’était mentionné ni sur nos manuels ni lors des stages de transformation
des anciens B 737 vers le nouveau ».
Le président de Four Winds Aerospace Safety Corp.
(syndicat de pilotes dédié à la sécurité des vols) John Gadzinski, interrogé
par Seattle Pi, évoque « une énorme
dissonance. Au mieux, nous sommes formés pour que, lorsque l’avion nous dit de
faire quelque chose, nous le fassions. Une énorme partie de votre cerveau veut
faire confiance à ce que l’avion vous dit, et tout d’un coup entend : « wow,
dans ce cas, vous ne pouvez pas faire confiance à l’avion, dans sa version la
plus moderne de l’avion le plus sûr au monde ».
Gros problème existentiel !
Depuis, les recherches de survivants ont été
abandonnées, mais elles continuent pour la recherche du CVR (l’enregistreur des
« bruits & conversations » dans le cockpit). Il pourrait
peut-être donner des indications sur les réactions des pilotes, mais cela n’est
pas certain, car comme tous les autres pilotes de B 737 et apparemment comme
les mécaniciens sol de Lion Air, ils ignoraient l’existence du MACS et
n’avaient donc aucune idée de ce qu’il aurait fallu faire.
Un nouveau robot sous-marin plus sensible a été
déployé sur zone le 12 novembre où des pings ont été entendus mais seraient de
plus en plus faibles, le CVR étant probablement enfoui dans la boue. D’après le
KNKT, équivalent local du BEA, le FDR avait été retrouvé sous 50 cm de boue et
un navire « suceur de boue » devrait être déployé dans la zone de recherche
pour faciliter la localisation du CVR.
Boeing existe depuis 1916 et a toujours construit des
avions où le pilote était le décideur ultime de la trajectoire, pour autant que
tout fonctionnait bien à bord. Cela était évident sur les avions conçus sans
intervention de l’électronique et avec une grande sagesse, lors de l’apparition
des commandes de vol électriques, fortement appuyée par l’US ALPA, qui regroupe
tous les pilotes de ligne des USA, le staff de Boeing avait résolument décidé de
maintenir le pilote « on top » de la boucle, contrairement à Airbus qui donnait
la suprématie à l’électronique dans beaucoup de cas.
Quelques décideurs de Boeing ont trahi leur honneur en
même temps que la raison, en mettant en service sans en parler aux pilotes, un
dispositif qui leur retirait la primauté de la décision de la trajectoire qui
avait toujours prévalu dans cette firme. Comme tous les systèmes, celui-là
était destiné lui aussi à faillir un jour et il est hallucinant qu’après un
siècle d’existence, certains membres de cette vénérable maison aient pu penser
échapper à la loi de Murphy (celle des « emmerdements maximum », ceux
qui volent souvent en escadrille…).
Nul doute que dans la société américaine très
judiciarisée, cette tragique affaire va entraîner d’intenses réactions des ayant-droit
des 189 victimes envoyées à la mort et que des millions de dollars tenteront de
calmer leur colère.
L’image de Boeing pourrait être longtemps affectée.
Selon les autorités indonésiennes, le 29 novembre, le
rapport préliminaire d’enquête qu’on attend ce jour, devrait fournir des
explications plus complètes sur les causes de cette tragédie.
On peut espérer que les décideurs du NTSB (National
Transport Safety Board) sauront se montrer à la hauteur de leur tâche malgré de
probables tentatives de corruption vis-à-vis des autorités indonésiennes, que
les règlements de l’OACI ont propulsées à la tête de la commission d’enquête
sur cet accident.
On se souvient que le NTSB, en d’autres temps dans les
années 80, dans son obstination durant dix ans, avait réussi à faire rendre
gorge à Boeing qui voulait dissimuler le dysfonctionnement d’une toute petite
biellette de la servocommande de profondeur, responsable du crash mortel de
trois Boeing 737 de la première génération.
Reste qu’on a peine à croire que Boeing ait pu mettre
en service ce dispositif scélérat du MACS sans que la FAA en soit informée et on
attendra avec curiosité de voir comment cela va sortir !
En attendant, 189 personnes ont trouvé la mort dans un
moyen de transport (on appelle ça la « mobilité » en Gauloisie-nouvelle)
parmi les plus sûrs que l’homo-sapiens-sapiens ait eu à inventer et mettre en œuvre,
à cause d’un système d’intelligence-artificielle inconnu des pilotes et qui
devait en principe les préserver d’une perte de contrôle de leur appareil.
On devrait aussi poser des webcams dans les cockpits,
juste pour voir la tronche de l’équipage qui se rend compte qu’il va faire le
plongeon sans pouvoir réagir, faute de savoir comment.
À suivre, naturellement…
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