Cour de cassation, chambre sociale, du 28 mars 2018, n°
de pourvoi : 16-12707
I3
On avait récemment examiné le cas
d’un CHSCT (d’une banque), qui, soucieux des conditions de travail
des employés d’agence, s’étaient vu refuser la possibilité de faire « auditer »
par un cabinet tiers l’impact d’un nouveau logiciel devant « alléger »
le travail de back-office.
Comme vous ne l’ignorez pas, un comité d’entreprise a
des pouvoirs plus étendus : Il peut faire valoir son droit « à
auditer » l’entreprise dont il est l’émanation plus en profondeur et d’ailleurs
jusqu’aux comptes et « autres nuages » qui s’accumulent à l’horizon
de la boutique.
Il y a d’ailleurs un cabinet (au moins un) qui fait
son beurre sur ce genre de mission, mandaté par une flopée de CE, qu’à une
époque lointaine, j’ai failli bosser pour eux.
C’était à un moment (dans une autre vie) où ça n’allait
pas trop bien pour ladite boutique et on m’avait approché pour mener à bien un « pseudo-redressement ».
J’ai refusé, naturellement : Si j’ai déjà bossé
pour des syndicats ouvriers sans aucune honte, c’est en toute indépendance, pas
avec un CE qui veut que et leur employeur qui me fait des offres d’embauche…
sous conditions !
Qu’ils aillent se faire voir…
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt
suivant :
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 9 novembre
2015), que le comité d’entreprise de l’Association de résidences foyers (ARFO)
a procédé le 12 juin 2012 à la désignation de la société Syndex, expert-comptable,
afin de l’assister pour l’examen annuel des comptes de l’exercice 2011 et des
comptes prévisionnels de l’exercice 2012 ; que la réunion de présentation au
comité d’entreprise des comptes de l’année 2011 et de la remise du rapport
financier s’est tenue le 25 juin 2012 ; que l’expert a accepté sa mission le 16
octobre 2012 ; que, contestant la régularité de la désignation de l’expert-comptable,
l’employeur a saisi le président du tribunal de grande instance ;
Attendu que la société Syndex fait grief à l’arrêt de
dire que sa désignation en date du 12 juin 2012 aux fins d’examiner les comptes
de l’année 2011 devait s’inscrire dans le cadre de l’article L. 2325-41 du code
du travail, de sorte que la prise en charge financière de la mission par l’entreprise
ne pouvait recevoir application, alors, selon le moyen :
1°/ que si le droit pour le comité d’entreprise de se
faire assister par un expert-comptable de son choix rémunéré par l’entreprise
en vue de l’examen annuel des comptes et dont la rémunération incombe à l’employeur
s’exerce au moment où les comptes lui sont transmis, il ne résulte pas des
articles L. 2325-35, L. 2325-36, L. 2325-37 et L. 2325-40 du code du travail
dans leur version applicable à l’époque des faits et interprétés à la lumière
de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif
à l’information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté
européenne, que la désignation de cet expert doit intervenir lors de la réunion
d’information au cours de laquelle les comptes lui sont présentés ; que la date
de cette désignation importe peu, dès lors qu’elle intervient à un moment
permettant à l’expert-comptable d’exercer sa mission sur l’exercice comptable
concerné ; qu’une désignation en amont antérieure de quinze jours à la réunion
de remise et de présentation du rapport financier permet sans aucun doute à l’expert
d'intervenir au moment de la transmission des comptes ; qu’en considérant en l’espèce
que la décision de l’expert-comptable était prématurée au regard de l’article
L. 2325-35 du code du travail, les juges du fond ont posé une condition
temporelle non visée par les textes, privant le comité d’exercer utilement sa
mission et ont, partant, violé les articles L. 2325-35, L. 2325-36, L. 2325-37
et L. 2325-40 du code du travail, interprétés à la lumière de la directive
2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information
et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne ;
2°/ que si le droit du comité d’entreprise de recourir
à l’expert ne peut s’exercer qu’au moment où les comptes sont transmis, il naît
à la clôture de chaque exercice comptable ; qu’en décidant néanmoins que ce
droit naissait au moment où les comptes lui étaient transmis, les premiers
juges ont statué par un motif erroné, en violation des articles L. 2325-35, L.
2325-36, L. 2325-37 et L. 2325-40 du code du travail ;
Mais attendu que le droit pour le comité d’entreprise
de procéder à l’examen annuel des comptes de l’entreprise et de se faire
assister d’un expert-comptable dont la rémunération est à la charge de l’employeur
s’exerce au moment où les comptes lui sont transmis ;
Et attendu que la cour d’appel, ayant constaté que la
désignation de l’expert-comptable était intervenue avant la réunion de
présentation et de transmission des comptes de l’année 2011, a exactement décidé
que la rémunération de l’expert devait rester à la charge du comité d’entreprise
;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n'y a pas lieu de statuer par une
décision spécialement motivée sur le second moyen ci-après annexé, qui n’est
manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Syndex aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne
la société Syndex à payer à l’Association de résidences foyers la somme de 3.000
euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre
sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit mars
deux mille dix-huit.
M. Frouin (président), président
SCP Foussard et Froger, SCP Thouvenin, Coudray et
Grévy, avocat(s)
En bref, tu peux te faire assister « avant »,
mais c’est à tes frais…
En soulignant que de toute façon, la finance d’un CE,
c’est l’entreprise qui paye également… (les œuvres-sociales, vous savez…).
Ainsi jugé que « le
droit pour le comité d’entreprise de procéder à l’examen annuel des comptes de
l’entreprise et de se faire assister d’un expert dont la rémunération est à la
charge de l’employeur s’exerce au moment où les comptes lui sont transmis
».
En fait ce qu’on ne vous dit pas c’est au moins deux
choses :
– Les comptes d’une entreprise (surtout une
association qui reçoit des subventions publiques de fonctionnement – c’est dans
toutes les conventions – comme cela semble être le cas vu le nom supposant une
activité-sociale par le logement) ça a forcément un « commissaire aux
comptes » qui révise et certifie les comptes présentés aux autorités « de
tutelle » subventionnantes.
Surtout quand « l’unité économique » dépasse
certains seuils (qui vont être révisés à la hausse : Effectif, total du
bilan, niveau de chiffre d’affaires que ça ne plaît pas trop à la compagnie des
CAC).
Pas besoin de la contre-expertise d’un mek qui ne
connaît pas l’historique, fut-il « expert ». L’avantage d’un CAC, c’est
qu’il est là pour 6 ans, deux fois plus de temps qu’un administrateur d’association
classique : Il a l’historique en tête et dans son dossier permanent.
– En fait, il ne s’agissait pas seulement de « vérifier »
les comptes de l’exercice clos, mais surtout la cohérence du budget de l’exercice
en cours.
Tu me vous diras que de toute façon, à mi-juin, l’exercice
en cours est déjà réalisé pour moitié et que les autorités de tutelle te
réclament de toute façon le budget de l’année suivante, exercice N + 1, ne
serait-ce que pour faire le leur et le voter (vos impôts) avant la fin de l’année :
Sportif, je te vous le garantis, quand tu ne sais déjà pas si tu vas terminer l’année
dans les clous ou dans le rouge…
Dans cette affaire, l’employeur n’avait pas encore
ouvert la consultation annuelle obligatoire sur l’examen des comptes (faute de
temps) et la réunion de présentation au comité d’entreprise des comptes de
l’année 2011 et de la remise du rapport financier s’étant tenue ultérieurement,
le 25 juin 2012.
Mais notez que l’expert mandaté a accepté sa mission seulement
le 16 octobre 2012 et l’a menée à son terme.
Et l’employeur a estimé que cette désignation était
prématurée.
On notera d’ailleurs que ni l’arrêt de la Cour de cassation
ni celui de la cour d’appel de Paris (Pôle 6, première chambre, 9 novembre
2015, nº 14/24089) ne précisent ni les circonstances ni la chronologie, mais
seulement la recevabilité de son action (en la forme des référés) étant en
principe subordonnée à ce qu’elle soit initiée rapidement. Dès lors, on peut supposer
que l’employeur aura engagé son action peu de temps après avoir reçu la lettre
de mission de l’expert et que celui-ci n’aura pas ajourné sa mission dans
l’attente de la décision.
Ce qu’il faut en retenir, c’est que les juges du fond
donne raison à l’employeur en jugeant que la désignation de l’expert,
intervenue quinze jours avant la réunion de remise et de présentation des
comptes, « sans être irrégulière »,
était prématurée au regard de l’article L.2325-35 précité et qu’elle devait dès
lors, sans être nulle, « être considérée
comme s’inscrivant dans le cadre de l’article L.2325-41 du Code du travail qui
permet au comité d’entreprise de faire appel à tout expert pour la préparation
de ses travaux, à charge pour lui de le rémunérer », le texte qui oblige l’employeur
à en assumer le coût.
Contestant cette décision, le cabinet Syndex s’est
pourvu en cassation, faisant notamment valoir que, si l’exercice effectif de sa
mission d’assistance devait bien avoir lieu au moment où les comptes étaient
transmis au Comité d’entreprise, la date de sa désignation importait peu. Selon
lui, une désignation intervenant en amont de la procédure de consultation était
même sans doute mieux à même de lui permettre d’assister utilement le comité
d’entreprise le moment venu.
Fume mon gars : La Cour de cassation n’a pas été
du même avis. Approuvant la Cour d’appel d’avoir laissé les frais d’expertise à
la charge du comité d’entreprise, la Haute juridiction a surtout posé le
principe selon lequel « le droit pour le
comité d’entreprise de procéder à l’examen annuel des comptes de l’entreprise
et de se faire assister d’un expert-comptable dont la rémunération est à la
charge de l’employeur s’exerce au moment où les comptes lui sont transmis
».
Confirmation d’une décision antérieure de la même (et
unique) Cour de cassation, qui avait déjà jugé que ce droit à expertise
rémunérée par l’employeur devait s’exercer au moment où les comptes étaient
transmis au comité d’entreprise, indépendamment de la date à laquelle ces
comptes sont approuvés (Cass.
Soc. 18 décembre 2007, n° 06-17.389).
Chez Syndex, ils ont beau être « experts »,
ils ne savent décidément pas tout…
Ce qui reste toutefois intéressant (et on les en
remerciera) c’est que cette décision, confirme implicitement le pouvoir
décisionnaire de l’employeur quant au calendrier de ses consultations annuelles
obligatoires, que le comité d’entreprise ne peut précipiter en votant une
expertise.
La Cour de cassation a en effet écarté la position
exprimée par Syndex selon laquelle le droit du comité d’entreprise de désigner
un expert « naît à chaque clôture de
chaque exercice comptable ».
Logique (et j’ai eu à affronter ce genre de délire) :
C’est l’employeur qui est le seul juge quant à déterminer quand il est en
capacité de consulter son comité d’entreprise, complètement et efficacement sur
la situation économique et financière de l’entreprise, et comment cette
consultation doit s’articuler avec les autres consultations annuelles
obligatoires et notamment celle portant sur les orientations stratégiques.
Et ce n’est pas toujours simple à réaliser.
De fait, la Cour rappelle également que la faculté
ouverte au comité d’entreprise de désigner un expert n’est qu’un accessoire de
sa consultation et qu’elle n’a d’intérêt que si cette consultation peut
utilement être menée, ce qui suppose que l’employeur ait pu la préparer
correctement et dans les délais.
« La loi
n’impose pas que la désignation de l’expert-comptable intervienne lors de la
réunion d’information au cours de laquelle les comptes sont présentés, ce droit
légitime, qui naît au moment même de la transmission de ces informations par
l’employeur, pouvant s’exercer ultérieurement dans un délai raisonnable »
en disait la Cour d’appel de « Paris-sur-la-plage » (dans la même
affaire).
Bref laisser du temps au temps et éventuellement aux
dialogues préparatoires.
Ceci dit, dans la pratique, il est vrai que quand un « expert-du-comité »
est nommé, c’est qu’il y a suspicion : C’est que le dialogue n’a pas
fonctionné en amont, que la « confiance » n’existe plus.
Et c’est encore une question de calendrier : Dans
une entreprise commerciale, tu fais la TVA de décembre N – 1 à la mi-janvier/fin
de mois « N ». Tu as déjà bouclé l’exercice et il te reste 3 à 4
semaines pour « réviser » et passer tes OD (Opérations Diverses) de
régularisation de la césure de l’exercice.
Fin février, c’est terminé : Tu peux arrêter tes
comptes et convoquer le CAC juste le soir du Conseil qui arrête la machine (en
principe, il est convoqué à cette réunion des administrateurs).
Si tu as dans ton Conseil d’administration des
représentants du CE, ils ont l’information, ils doivent pouvoir émettre des
objections et déclencher un audit.
Ce n’était pas le cas dans l’association qui nous
occupe.
Dans les sociétés cotées, à cette date tu prépares déjà
les comptes du premier trimestre et les communiqués qui vont avec.
Mars, tout est bouclé, y compris les perspectives de l’année.
Mais comme il faut 45 jours (obligation légale) pour que le CAC rende son
rapport (sur les comptes et sur les projets de rapport d’activité) tu ne peux
pas convoquer d’AG-annuelle ordinaire avant mi-avril et tenir ladite AG avant
début mai (autre délai légal).
Notez que si tu merdes à force de faire dire n’importe
quoi à tes chiffres (et Dieu seul sait que même avec des déficits, tu trouves
le moyen de dire que « compte tenu d’un
contexte difficile, les résultats sont excellents » : Pour preuve
les communications gouvernementales !), tu as jusqu’au 30 juin pour tenir
ton AG.
Et encore, on peut demander à la repousser en référé
(pour un motif valable : Destruction par incendie des archives, grève massive
de la facturation, incapacité médicale de ton CAC et de son suppléant, méga-bug
informatique, etc.)
Bref, largement le temps de planter la boutique.
Ce qui laisse le temps aux membres du comité d’entreprise
d’examiner la situation et déclencher ou non un audit (par ailleurs
parfaitement inutile, puisqu’on sait déjà tout de ce qui se passe).
Alors quand les meks « communiquent » le 25
juin et que l’expert passe dans les murs en octobre, les jeux sont faits et
archi-faits. Et le CE avait déjà les informations le 12 juin pour s’inquiéter.
Donc ce n’était donc qu’une question de « facturation »
à supporter…
En espérant que la prochaine fois, ils auront compris
la leçon : Tu te précipites (pour faire caguer « le boss »), tu auras
moins de « bons d’achat » à distribuer (à Noël) !
Bonne fin de week-end à toutes et tous !
Mouais. Au final, le problème, c'est que le CE, dans cette situation, dépend de l'employeur. Un système de syndicats dépendant uniquement du financement des syndiqués n'aurait pas ce genre de problème. Enfin, ça fait travailler la justice. Mais qui a quelques problèmes de sous effectifs. Et donc de délais de jugement. Tiens, tu pourrais nous faire une comparaison avec sa très gracieuse Majesté, puisque tu profites du climat british (faudrait que j'y retourne, London is so vibrant).
RépondreSupprimerSalut Vlad !
SupprimerPour te causer de l'audit des comptes en GB, faudrait déjà que je comprenne comment ça fonctionne.
Globalement, de la même façon qu'ailleurs, ça j'avais déjà compris, sauf que la présentation des bilans n'est pas la même. On s'y fait.
En revanche, de là à comprendre comment sont faits les comptes consolidés (c'est assez complexe de découvrir le "vrai" périmètre de consolidation... là je ne m'y fais pas alors que tout reste "normé") parce qu'on peut avoir plusieurs versions qui diffèrent les unes des autres, je ne te raconte pas.
Il y a bien sûr un contrôle possible par les organisations de salariés, mais comme eux ne sont pas subventionnés autant ici qu'en "Gauloisie-de-là-suspicion", c'est moins courant.
Globalement, l'information financière reste pourtant de bonne qualité.
Bref, pas sûr de pouvoir t'apporter un éclairage "correct" sur le sujet !
Là, dans l'arrêt rapporté, ce qui reste étonnant, c'est l'action de Syndex : Evidemment qu'ils savent comment ça fonctionne, puisqu'ils en vivent exclusivement. Ils ont simplement essayé de faire "bouger les frontières" à la marge.
Loupé !
Je te signale qu'un temps j'ai bossé chez eux (c'était un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : une toute petite boîte coincée dans une "petite-rue" du 13ème arrondissement.
Et puis je suis passé chez les "big-8" où on ne se gênait pas le moins du monde d'aller auditer des factures d'acier dépassées pour la CECA, mandat en poche.
Et là, la chasse à la ristourne interdit, c'était vraiment de la chasse : Si tu savais combien ils étaient capables (Sacilor et Usinor chez nous/la Défense) de faire preuve d'imagination : Fabuleux !
Désolé, mais bien à toi quand même.
I-Cube