Méfiez-vous de votre « fesses-book ».
Il est indécent d’y exposer votre collection de « petites-culottes ».
Pire même, quand ce ne sont pas les vôtres-propres, ça peut même vous conduire
jusqu’au licenciement sec pour faute grave.
Dans l’affaire présentée, c’est une peu particulier :
La société « Petit Bateau » reproche à sa chef de projet export
d’avoir publié sur son compte « Fesses-book » personnel une
photographie de la nouvelle collection printemps/été 2015 qui avait été
présentée exclusivement aux commerciaux.
L’employeur a considéré qu’elle avait manqué à son
obligation contractuelle de confidentialité et l’a licenciée pour faute grave.
Il faut dire qu’il avait obtenu l’information
litigieuse par un courriel, contenant la photo montrant un extrait du compte « Fesses-book »
en cause, envoyé spontanément par une salariée autorisée à avoir accès au
compte de son « amie ».
Je t’en ficherai des « amies » comme ça… !
Je ne te raconte pas l’ambiance dans la boutique…
Aura-t-elle eu une promotion au moins ?
L’histoire ne le dit pas…
L’employeur s’était contenté de produire la photo
représentant le compte « Fesses-book » et avait fait procéder à un
constat d’huissier pour éviter toute contestation sur l’identité du titulaire
du compte.
Et tout ce beau monde se retrouve devant les tribunaux
pour aboutir en cassation 6 ans plus tard…
Cour de cassation, ch. sociale, arrêt du 30 septembre
2020
Arrêt n° 779 (19-12.058)
La Cour : M. Cathala (Président), Mme Depelley
(conseiller référendaire)
Avocat général : Mme Berriat
Avocats : SCP Didier et Pinet, SCP Célice Texidor
Périer
Mme X. / Petit Bateau
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 12 décembre 2018),
Mme X. a été engagée à compter du 1er juillet 2010 en qualité de
chef de projet export par la société Petit Bateau. Par lettre du 15 mai 2014,
elle a été licenciée pour faute grave, notamment pour avoir manqué à son
obligation contractuelle de confidentialité en publiant le 22 avril 2014 sur
son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été
2015 présentée exclusivement aux commerciaux de la société.
2. Contestant son licenciement, la salariée a saisi la
juridiction prud’homale de diverses demandes.
(…)
Sur le premier moyen, pris en ses première et
troisième branches
Énoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l’arrêt de dire le
licenciement fondé sur une faute grave et de la débouter de ses demandes au
titre de la rupture du contrat, alors :
« 1°/ que l’employeur ne peut accéder aux informations
extraites d’un compte Facebook de l’un de ses salariés sans y avoir été
autorisé ; qu’il s’ensuit que la preuve des faits invoqués contre un salarié
dans une procédure disciplinaire issue de publications figurant sur son compte
Facebook privé, rapportée par l’intermédiaire d’un autre salarié de
l’entreprise autorisé à y accéder, est irrecevable ; que dans ses conclusions
d’appel, la salariée soutenait que la preuve des faits reprochés n’était pas
opposable, ces derniers se rapportant à un compte Facebook privé, non
accessible à tout public mais uniquement aux personnes que cette dernière avait
accepté de voir rejoindre son réseau ; qu’en se bornant à retenir que
l’employeur n’avait commis aucun fait illicite ou procédé déloyal d’atteinte à
la vie privée, ayant été informé de la diffusion de la photographie litigieuse
sur le compte Facebook de la salariée par un des « amis » de la salariée
travaillant au sein de la société, sans s’expliquer sur le caractère
inopposable, et donc irrecevable, de la preuve invoquée, la cour d’appel a
privé sa décision de base légale au regard de l’article 9 et 1353 du code
civil, ensemble l’article 9 du code de procédure civile ;
2°/ que l’employeur ne peut porter une atteinte
disproportionnée et déloyale au droit au respect de la vie privée du salarié ;
qu’il s’ensuit qu’il ne peut s’immiscer abusivement dans les publications du
salarié sur les réseaux sociaux ; qu’en décidant que l’employeur n’avait commis
aucun fait illicite ou procédé déloyal d’atteinte à la vie privée quand elle se
référait, pour justifier la faute grave, à l’identité et aux activités
professionnelles des amis de la salariée sur le réseau Facebook, telles que
rapportées par l’employeur et dont il considérait qu’ils travaillaient chez des
concurrents, la cour d’appel a violé l’article 9 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. D’abord, si en vertu du principe de loyauté dans
l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème
pour recueillir une preuve, la cour d’appel, qui a constaté que la publication
litigieuse avait été spontanément communiquée à l’employeur par un courriel
d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » sur le
compte privé Facebook de Mme X., a pu en déduire que ce procédé d’obtention de
preuve n’était pas déloyal.
6. Ensuite, il résulte des articles 6 et 8 de la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9
du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut
justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la
condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et
que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
7. La production en justice par l’employeur d’une
photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il
n’était pas autorisé à accéder, et d’éléments d’identification des « amis »
professionnels de la mode destinataires de cette publication, constituait une
atteinte à la vie privée de la salariée.
8. Cependant, la cour d’appel a constaté que, pour
établir un grief de divulgation par la salariée d’une information
confidentielle de l’entreprise auprès de professionnels susceptibles de
travailler pour des entreprises concurrentes, l’employeur s’était borné à
produire la photographie de la future collection de la société publiée par
l’intéressée sur son compte Facebook et le profil professionnel de certains de
ses « amis » travaillant dans le même secteur d’activité et qu’il n’avait fait
procéder à un constat d’huissier que pour contrecarrer la contestation de la
salariée quant à l’identité du titulaire du compte.
9. En l’état de ces constatations, la cour d’appel a
fait ressortir que cette production d’éléments portant atteinte à la vie privée
de la salariée était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et
proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de
l’employeur à la confidentialité de ses affaires.
10. Le moyen n’est donc pas fondé.
(…)
DÉCISION
REJETTE le pourvoi ;
(etc.)
Pour les juristes « bien-nés », ce qui
compte dans cette décision, c’est que la chambre sociale de la Cour de
cassation a estimé que la production par un employeur d’éléments portant
atteinte à la vie privée d’une salariée peut être justifiée si elle est « indispensable
à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la
défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses
affaires ».
Là pas de doute : Il s’agissait de la collection,
pas du nouveau « boy-friend » de Madame X.
Quoique…
Bref, une position qui résulte des articles 6 et 8 de
la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, ainsi que des articles 9 du code civil et 9 du code de procédure
civile.
Imparable.
Il faut dire que Mme X. aura été pour le moins légère.
Trop fière de la nouvelle collection de « petites-culottes »
qu’elle a la tâche de promouvoir à l’export, elle ne résiste pas à la partager
avec ses « petites-amies » qui sont justement… des intimes de son
métier ou au moins de son milieu professionnel.
Voulait-elle les impressionner ?
« Petit-bateau », ça n’a pourtant pas la réputation
d’être particulièrement sexy.
Moâ, j’en suis resté au « Petit-Marcel » et
aux slips… « Kangourou Petit-bateau », ancienne taille, pas
spécialement attrayants, mais bien confortables.
Enfin, je suis un vieux kon de « l’ancien monde » :
Passons.
En revanche, je comprends totalement la direction de l’établissement
concerné. Une nouvelle collection, c’est une quantité astronomique d’heures de travail
de styliste, des milliers de nouveaux modèles mis au rebut parce que ça ne
plaît pas à la cheffe qui cherche le modèle « parfait » et de préférence
« dans l’air du temps ».
Ce sont des essais de tissus et colories à n’en plus
finir, et des « petites-mains » (les « doigts de fée ») qui
te cousent le prototype en 5 minutes, des ingénieurs qui te calculent les
process à partir des patrons (de la patronnière-chef) pour optimiser les coûts
(matière, heures ouvrées, temps-machine), de nombreux voyages en Chine, au Vietnam,
au Maroc pour réaliser des préséries et négocier des prix de fabrication.
De nombreux « shoots » de photographes professionnels
hors de prix avec de vrais mannequins en studio, des heures de graphistes pour
fabriquer des catalogues et j’en passe (comme le choix des imprimeurs « qui
bavent » les couleurs) !
Bref une fortune balancée en avant-première et sans
autorisation sur « fesses-book », c’est un gâchis innommable.
Dans une vie antérieure, j’ai fait Secrétaire Général
d’une boutique de ce genre, à gérer l’ensemble, plus la logistique, les
paiements en devise sur les quais d’embarquement, les dédouanements, les
livraisons et j’en passe (les crises des « créatifs », par exemple),
détenteur de tous les secrets de la boutique (Secret-Taire général : Le
mot n’a pas besoin d’explications plus étendues), eh bien je n’avais même pas accès
aux « dernières trouvailles » de « la Cheffe »…
Mais elle faisait dans le soutif et le string en
dentelle (les coûts et les patrons étaient à peu près standardisés pour simplifier
la vie de l’ingénieur « création ») : J’avais juste le droit de me
rincer l’œil dans les studios d’essayage quand je n’étais pas débordé de
travail.
Une nouvelle collection, c’est comme dans cette autre
boutique où j’ai fait « DAF » (Directeur Administratif et Financier,
homme à tout faire ce que les autres ne voulaient ou ne pouvaient pas faire…)
qui faisait dans le parfum : La fragrance nouvelle sortie du « nez »
de la boutique, c’est juste de la chimie-appliquée.
Bon d’accord, il faut avoir le talent et le savoir
faire industriel qui va avec.
Et pas question de copier ce qui existe déjà par
ailleurs !
Mais alors les délires qui entourent la création d’un
flacon (forme inédite, naturellement) imposait de travailler avec deux ou trois
équipes totalement indépendantes qui proposaient chacune plusieurs projets dans
le plus grand secret.
Si l’un était éventé, un autre pouvait le remplacer
jusqu’au dernier moment…
Le culte du secret poussé à son summum !
Quand on sait que Salvador Dali avait présenté « Flash »
dans les années 50 sans un seul croquis, juste en ramassant une ampoule de
flash photographique (une invention de « l’ancien monde ») qui
cramait au premier et unique usage, encore chaude en l’écrasant sur la table de
présentation pour qu’elle tienne debout…
Tout cela me fait bien rigoler : Habiller des
fesses et des torses, c’est toujours pareil. Il n’y a que les tailles qui
changent.
Parfois les tissus.
Mais j’aurai été patron de « Petit Bateau »,
naturellement que j’aurai viré la cheffe de « produit-export » et
peu importe par quelle voie et quel moyen (même s’ils sont « border-line »)
: Elle n’a rien compris à son métier de « cheffe de projet »…
Exit et la Cour de Cassation y aura fait bon droit.
Bonne fin de week-end à toutes et à tous !
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