La « bataille de l’eau »
Dès avant le confinement, deux batailles « boursières » sur la
place de « Paris-sur-la-plage » se préparaient à faire rage :
Lagardère et Suez-Véolia.
La seconde vient enfin de voir sa première manche se clore.
Et de quelle façon.
D’un côté, Véolia, le prédateur, qui a une longue histoire : À sa
création, en 1853, un an après le coup d’État de Napoléon III et la création du
Second Empire, la Compagnie générale des eaux s’engageait à « pourvoir
largement à la distribution d’eau dans les villes et à l’irrigation des
campagnes ». C’est par décret impérial, le 14 décembre 1853, que la ville
de Lyon s’engage à acheter de l’eau (10.000 m³) à des conditions fixées par
avance (17 francs le mètre cube), non révisables sur 20 ans.
C’était la première fois au monde qu’une concession d’eau du robinet était
faite.
En 1854, la ville de Nantes concède pour 60 ans sa distribution de l’eau à
la CGE. Elle a de très grands travaux en vue et abandonne son premier projet de
réaliser elle-même son service d’eau potable.
En 1894, la ville dénonce ce contrat et crée son propre service des eaux,
qui existe toujours.
« Paris-sur-Seine » suivra en 1860.
La création de la CGE découlait des idées saint-simoniennes et en
particulier de celles de Prosper Enfantin, l’un des premiers administrateurs de
la société, pour qui la création de réseaux était fondamentale au développement
industriel et plus généralement au progrès de la société. Enfantin avait ainsi
participé aux projets de création d’un canal à Suez ou de réseaux ferrés en « Gauloisie-viticole ».
Le succès boursier immédiat de la société Générale des eaux a permis la
création, le 4 mai 1864, par décret impérial, de la banque Société générale.
La CGE est devenue Vivendi en 1998.
Ses activités historiques deviennent Vivendi environnement puis Veolia
environnement au sein de sa division Veolia Eau.
En 2000, Vivendi se désengage de la SGE, Société générale d’entreprises
entreprise de construction et de travaux publics, qui devient alors le groupe
Vinci.
De l’autre côté, Suez, la cible, d’abord « Lyonnaise des eaux »
avait comme ancêtre la Compagnie des eaux de Paris des frères Périer, qui fut
au cœur des grandes spéculations de la fin du règne de Louis XVI.
Plus tard, en plein essor de l’urbanisation et du développement de
l’hygiène, le Crédit lyonnais fonde la SLEE (Société lyonnaise des eaux et de l’éclairage),
le 2 février 1880, pour « l’obtention, l’achat, la prise à bail et
l’exploitation, en France et à l’étranger, de toute concession et entreprise
relative à l’eau et à l’éclairage ». La banque ne reste que neuf ans dans
le capital de la SLEE.
Créée à la fin du XIXème siècle pour assurer la distribution de
l’eau, l’entreprise a élargi, au XXème siècle, ses activités à la
propreté, l’énergie, les services funéraires et la communication.
En 1946, l’entreprise Lyonnaise des eaux se recentre sur son métier
initial : Les services de l’eau et de l’assainissement à destination des
collectivités locales et des industriels en « Gauloisie-industrieuse ».
« Suez Eau France » est donc devenue une entreprise spécialisée
dans la distribution d’eau et les services d’assainissement.
Elle avait rejoint la branche environnement du groupe Suez en 1997.
Depuis la fusion de Gaz de France et de Suez le 21 juillet 2008, Lyonnaise
des eaux est l’une des principales sociétés du groupe Suez Environnement détenu
partiellement par GDF Suez.
On s rappellera que Suez, ça reste un empire financier assis sur le canal
du même nom… sis en Égypte !
Opérateur auprès des collectivités locales pour un total de 2.400
contrats, l’entreprise desservait 19 % de la population gauloisienne en eau
(12,3 millions de personnes) et dépolluait les eaux usées de 18 % de la même population
(9 millions de personnes).
Dès le départ, Suez a affiché son intention de se battre pour ne pas
tomber dans les mains de son concurrent, dénonçant des « conditions inédites
et irrégulières ».
C’est d’abord une traque sans relâche, entre deux mastodontes « frères
ennemis », l’un aux mains de GDF l’autre d’EDF (enfin leurs successeurs du
même monopole d’État né du CNR), tous deux leaders mondiaux des « services à l’environnement
».
Dans le costume du chasseur, Veolia, numéro 1 mondial, 180.000 salariés.
Dans la peau du gibier, Suez, numéro 2, 90.000 salariés.
Depuis la fin du mois d’août les choses s’accélèrent : Le premier est
lancé à la poursuite du second, armé d’un fusil à double détente. Le rachat des
parts de son concurrent détenu par Enedis (ex-EDF), d’abord, la menace d’une
OPA « hostile » sur le reste des actions ensuite.
Nous sommes dans le monde du traitement de l’eau et des déchets. L’eau qui
coule dans nos robinets – et qui repart dans les égouts – est acheminée et
traitée en Gauloisie soit par Veolia, soit par Suez, soit par la Saur, un 3ème
acteur, soit directement par les régies municipales.
Les deux premiers représentent plus de 50 % du marché de l’eau potable, et
pèsent 44,3 % de celui de l’assainissement collectif.
En parallèle de cette activité « historique », ils se sont tous les deux
diversifiés ces dernières années dans la gestion et le recyclage des déchets.
Le marché mondial de ce qu’on appelle plus généralement les services à l’environnement
est estimé à 1.400 milliards d’euros annuels.
Veolia, l’« acquéreur », a pour actionnaire minoritaire La Caisse des
dépôts et consignations, l’État donc vous, mais c’est son premier actionnaire
tout de même, avec 5,7 % du capital.
Que veut Veolia ? Alors que le marché des services à l'environnement
explose, Veolia aimerait avaler Suez pour fusionner l’offre des deux
entreprises et conforter sa place de leader dans le secteur.
Suez, la « cible » : Lorsqu’en 2008, les deux groupes énergétiques
GDF et Suez fusionnent, les activités eau et déchets du second sont détachés
dans une filiale nommée alors Suez environnement. Rebaptisée Suez, tout court,
en 2015, au moment où sa maison mère GDF Suez devient Engie, cette filiale est
aujourd'hui le plus grand distributeur d’eau potable au monde, en termes de
foyers distribués. Numéro 2 des services à l’environnement.
Que veut Suez ? En plein « plan stratégique », Suez dit craindre les « perturbations
opérationnelles » issues de cette fusion et joue aussi la carte des menaces
pour l’emploi, issues des synergies forcément créées. Enfin, il ne faut pas
sous-estimer le jeu de dupes qui s’opère pour faire monter les enchères lorsque
ce type d’offre « non sollicitée » tombe.
Rappelons au passage que les deux entreprises sont des « usines à cash »
auprès de clientèles (vous) captives (les villes ne déménagent pas) !
Engie, le « vendeur ». Avant, c’était simple. EDF fournissait de l’électricité
et GDF du gaz. Aujourd’hui, c’est devenu plus compliqué : GDF, devenu GDF Suez,
puis Engie, est devenu, comme son concurrent, un fournisseur et de gaz et d’électricité.
Engie est même l’un des leaders mondiaux de l’énergie, hors pétrole.
Détenue à 23,6 % par l’État, elle détient 32 % de Suez.
Que veut Engie ? En 2018, des rumeurs bruissaient sur une possible fusion
entre le géant gazier et électricien et Suez, mais Engie n’a finalement pas
touché à sa participation.
Deux ans plus tard, on ne parle plus mariage, mais divorce…
Faut-il garder Suez ou se concentrer sur les activités énergétiques ?
Cette question était alors au cœur des luttes intestines que se sont
livrées ces derniers mois le numéro 1, Jean-Pierre Clamadieu, et la numéro 2,
Isabelle Kocher.
Cette dernière a finalement été débarquée au printemps dernier, bataille
interne perdue, et donc le premier a annoncé dès juillet qu’il était « ouvert »
à une cession.
Veolia pouvait alors fourbir ses armes.
L’État, « spectateur » ? L’État n’est majoritaire ni dans Veolia, ni dans
Suez, mais est en revanche l’actionnaire référent d’Engie.
Il ne peut donc pas faire l’arbitre mais son avis pèse, d’autant plus qu’à
la fin de l’histoire, les principaux clients sont les collectivités locales
(vous), qui ont tout intérêt à ce que la concurrence joue pour ne pas voir les
prix s’envoler.
L’État n’est évidemment pas contre un champion industriel mais réclame un
accord des parties et des garanties sur l’emploi : « Nous attendons des
garanties sur les tarifs de l’eau » a prévenu de son côté le secrétaire
général de l’Association des maires de Gauloisie.
Dans les dernières semaines, se déclare Ardian, la « surprise du chef ».
Né en 1996, Ardian est devenu le principal fonds d’investissement
tricolore, avec plus 100 milliards d’actifs gérés à ce jour.
Il fait une apparition surprise dans le dossier en posant une offre
concurrente à Veolia, en qualité de « chevalier blanc » depuis
abandonnée.
Le terrain de manœuvre désormais balisé, le premier coup part le 30 août,
même si Antoine Frérot assure avoir téléphoné à son homologue Bertrand Camus et
prévenu le gouvernement de ses intentions les semaines précédentes.
Ce jour-là, Veolia remet à Engie une offre ferme à 2,9 milliards d’euros
pour racheter 29,9 % de Suez.
Pourquoi 29,9 et pas les 32 qu’Engie détient ? Parce qu’à partir de 30 %
de capital détenu, il faudrait déclencher une offre publique d’achat, plus
réglementée et plus longue.
Même si Veolia envisage bien une fusion, via une OPA sur le reste des
actions dans un second temps…
Veolia apporte une enveloppe – 10 milliards –, la garantie de céder la
branche eau de Suez au fonds d’investissement Meridiam pour ne pas être accusé
de monopole, et impose une dead-line : le 30 septembre.
Accueil mitigé…
L’accueil est glacial côté Suez – Bertrand Camus évoque une opération «
hostile » et les syndicats craignent une casse sociale – plutôt mitigé côté d’Engie
pour qui « le compte n'y est pas » et assez bon côté pouvoirs publics – « Casse-tête »
jugeant que l’opération « fait sens ».
Ah ?
Contre-attaque : Alors que les positions dans chaque camp se
durcissent, poussant Bercy à temporiser, Suez sort le 24 septembre de son
chapeau une parade que personne n’avait vu venir : Le transfert de son activité
Eau France dans une fondation « Batave », incessible pendant quatre
ans, sauf décision contraire des administrateurs nommés par Suez.
Une mise à l’abri « pitoyable », dénonce Veolia, qui n’abandonne pas pour
autant puisqu’ils ont déjà la solution.
Fin septembre, Veolia rehausse son offre à 3,4 milliards d’euros et s’engage,
pour ce prix-là, à ne déposer aucune OPA hostile sur les 70,1 % du capital
restant dans les six mois suivants : Après, en revanche…
Suez ferme la porte, d’autant qu’à ce moment-là sort l’offre surprise,
jugée plus amicale, est faite par le fonds d’investissement Ardian.
Mais Engie, qualifiant cette approche de « vague marque d’intérêt
», est clairement plus intéressé par la nouvelle offre de Veolia, à qui un
délai jusqu’au 5 octobre est demandé.
Le 4, Ardian jette l’éponge.
Le 5 octobre, la majorité du conseil d’administration d’Engie approuve
l'offre de Veolia contre l’avis des représentants de l’État (vous).
Un camouflet pour l’État, dont les représentants ont voté contre « en l’absence
d’accord amiable entre Veolia et Suez ».
Dans la foulée, Veolia a lancé une « pré-offre » dès lundi soir en
confirmant son intention de prendre le contrôle de l’ensemble de Suez.
Sauf que… au lendemain de cette première victoire pour Veolia, la pilule
ne passe pas à Suez, où la direction évoque carrément la possibilité de
poursuivre Engie en justice. « Il ne faut pas céder à l’émotion et rester
dans la réalité », répond Jérôme Clamadieu qui se dit confiant dans la
capacité des deux camps à trouver un terrain d’entente… une fois les actions
transférées…
Forcément qu’ils y arriveront puisque ce seront alors les mêmes des deux
côtés de la table !
Mais, autre obstacle et de taille pour Veolia, les lois antitrust : L’OPA
sur les 70,1 % d’actions restantes ne pourra en effet formellement démarrer qu’une
fois obtenu l’aval des autorités de la concurrence à Paris et Bruxelles.
Anticipant sa future situation monopolistique dans le secteur de l’eau en « Gauloisie-assoiffée »,
le géant avait déjà trouvé un repreneur pour l’eau de Suez (la « parade »
à la fondation batave), afin d’éviter un veto de l'autorité de la Concurrence.
Ce sera d’autant plus facile puisque cette activité est pour l’instant « déconnectée »
de l’ensemble, cantonnée pour 4 ans dans une fondation néerlandaise.
Reste désormais à trouver comment maintenir concurrentiel le marché de
gestion des déchets, notamment en « Gauloisie-de-la-poule-aux-d’or » :
Car c’est le véritable objectif de Véolia, parce que ça « crache du jus »
grâce à toutes les nouvelles normes « écololos-bobos » en matière de
protection de l’environnement et c’est vous qui allez être rançonnés : Je
sais, vous ne le saviez pas en votant « écololo », mais c’est parce
qu’on vous le cache sciemment !
Veolia prévoit 12 à 18 mois d’instruction, la durée de la seconde partie.
Conclusions (provisoires) : Déjà, du temps de « Deux-Joues-Annie »,
prédécesseur de « J6M » (Jean-Marie-Messier-Maître-du-Monde-et-de-Moi-Même),
quand les meks ont vu René Dupont (écololo de base par nature) faire son numéro
du verre d’eau à l’occasion de la campagne présidentielle de 1974 (« Je
bois à votre santé, parce que dans 50 ans il n’y en aura plus… »), ils
avaient pigé tout du pognon qu’ils allaient pouvoir soutirer, même par les
cheveux, des citoyens de ce pays (et de quelques nombreux autres).
Moi, j’admire cette rocambolesque affaire : L’eau, les déchets,
normalement c’est du domaine régalien de la puissance publique.
Pas du tout en « Gauloisie-démocratique » : On en a
privatisé la moitié (et ce n’est pas fini) pour transférer de l’impôt (des
dépenses « obligées » à tarif forcé) vers ces entreprises de recyclage-là
et c’est désormais devenu trop gros pour être nationalisable (l’objectif final
quand on fait naître des monstres financier), d’autant que Véolia, ce n’est pas
que l’eau (mais aussi quantités de médias).
Le tout avec la bénédiction de l’autorité publique (vous) qui n’a rien su
imposer…
J’adore l’idée de faire payer tout le monde pour se désaltérer.
Demain ils arriveront bien à vous faire payer pour pouvoir respirer…
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