Arrivée
en Corée du nord
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit
de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
En Corée, de toute façon, c’est vraiment le souk. Peu
relayées dans la presse, les informations d'un ancien haut fonctionnaire
nord-coréen balayent l'idée d'un Kim Jong Un invincible.
Fantasque, sanguinaire, impitoyable. On a tout dit de lui,
qui à défaut d’irradier d’un authentique charisme, ne doit son rayonnement
qu’aux projecteurs médiatiques constamment, et uniquement braqués sur lui.
Étant un des seuls visages de la Corée du Nord auquel le public a accès, tout le
reste se situe hors champ, comme restant dans la pénombre.
Pourtant, certains ont été forcés de fuir l’obscure
enclave communiste. Et peuvent témoigner de ce qui se passe au cœur de la
dernière relique de la guerre froide. La majorité confirme les inquiétudes du
reste du monde, à savoir que la population est contrôlée dans ses moindres
faits et gestes par la loi d'un tyran aussi terrifiant que risible.
Seulement il est plusieurs versions qui circulent dans
« les services » et, si elles n’infirment pas les autres, proposent
parfois un éclairage plus subtil de la situation.
C’est celle de, notamment, Jang Jin Sung, un ancien
membre des hautes sphères du Parti des travailleurs coréen, ancien poète
officiel du parti. Il était devenu le favori du père de l’actuel dirigeant, Kim
Jong Il et a longtemps fréquenté les élites qui culminaient au sommet de la
hiérarchie.
Il a fui le régime en 2004, après avoir vu sa vie
menacée après la perte de documents confidentiels.
Et puis, il a depuis fondé le « News Focus
International », plateforme d’informations relatives à la Corée du Nord,
plutôt bien documentée et fournie. Il a aussi écrit un livre sur son échappée
belle, « Dear Leader », et donne des conférences à l’université de
Leiden, aux Pays-Bas, lesquelles n’ont eu que très peu d’écho dans la presse
internationale.
Selon lui, Kim Jong Un n’est pas le monarque
omnipotent qu’on décrit, et le système de Pyongyang loin d’être aussi stable
qu’il y paraît.
D’après lui, le corpulent héritier n’est plus le
véritable maître. C’est l’OGD, le département de l’organisation et de la
direction, un organisme de fonctionnaires anciennement dirigé par Kim Jong Il,
qui tiendrait à présent les rênes du pays.
Originellement pensé pour être le « parfait appareil bureaucratique »,
le groupe se serait progressivement détaché de l’égide de son fils après la
mort du « commandant suprême » en 2011, jusqu’à totalement arrêter de
suivre ses ordres.
La presse et les réseaux sociaux auront justement à
évoquer la rumeur d’un coup d’état lors de la disparition de la vie publique
pendant un peu plus d’un mois, en 2014, de Kim Jong Un, après la visite de Paul
de Bréveuil.
Rumeurs rapidement démenties par la Chine qui sait
forcément ce qui a pu se passer pendant et avant la visite de Paul, puis après
le retour de l’intéressé.
En fait, il n’en serait rien.
Jang Jin Sung affirme en revanche que le renversement
aurait effectivement eu lieu mais bien avant, en décembre 2013 lors de
l’exécution de l’oncle du jeune Kim, Jang Sung Taek.
Puissant rival de l'OGD, ses liens avec Kim Jong Un le
prémunissaient en théorie de toute action contre sa personne. « Jang mort, il (Kim Jong Un) est maintenant encerclé par l'OGD »
en dira-t-il.
Dans sa tribune sur « News Focus
International », l'ancien poète martèle : l'actuel dirigeant n'est qu'une
marionnette, « l'avatar du culte de
la famille Kim, la figure de légitimation d'un pays contrôlé par l'OGD ».
L'arsenal de propagande déployé pour glorifier, encenser le chef fantoche ne
sert qu'à permettre aux véritables dirigeants d'agir dans l'ombre, sans la
crainte d'être dérangés.
Si cette description laisse imaginer un système bien
ancré, froidement et savamment réfléchi, Jang Jin Sung poursuit en affirmant
qu'au contraire le régime vivrait son crépuscule. Des dissensions internes couplées
à un mécontentement populaire devraient selon lui bientôt sonner le glas du
bastion communiste.
La classe des élites elle-même voit s'opposer deux
factions : la vieille, conservatrice, et la jeune, désireuse d'une ouverture de
certains pans de l'économie au libéralisme.
« Le
business est par nature compétitif. Il y aura des désaccords politiques, des
querelles commerciales, des chamailleries. Voilà pourquoi ce système unifié ne
va pas durer. »
Dans un contexte qui rappelle celui de l'URSS lors de
ses derniers jours, certains marchés privés prolifèrent inexorablement, du fait
de l'incapacité grandissante de l'État à museler la volonté de s'ouvrir au
monde. « On trouve déjà des biens et
des services en vente sur des marchés en soi illégaux mais la plupart du temps
tolérés ».
De fait, la population, en particulier la jeunesse, a
de plus en plus accès aux éléments du monde extérieur. Avec son enrichissement
culturel, grandit sa défiance vis-à-vis d'un régime dépassé et carcéral.
« Les conditions qui mèneront à la
fin du régime que j'ai autrefois servi sont maintenant en place ».
Seul manque un élément déclencheur.
Ce qu’a failli être le passage de Paul à Ryongsong.
Mais le régime se ressaisira.
C’est dans ce pays, le plus fermé du monde que Paul
débarque ligoté, entravé, accompagné de Cécile Wiseppe, cantonnée au fond de
l’appareil, voyageant incognito.
Un vieil Illiouchine 62, un quadriréacteur dont les moteurs sont situés en
queue de carlingue, comme pour les Caravelles, d'Air Koryo, de ces compagnies
sur « liste noire », l’emmène vers l’aéroport international de Sunan
dès le milieu de matinée.
Il n’y a pas grand-monde à bord, mais une demi-dizaine de militaires en
civil encadre Paul dans l’appareil pour l’entraver aux chevilles et poignets
avant d’atterrir : drôle de tête que font alors les autres passagers qui
assistent médusés à l’épisode.
Et Paul de garder son sourire : il a ses pilules de « Captagon-amélioré » dans la poche et une coincée entre la gencive
et la mâchoire. Il sera toujours temps d’en « claquer » le contenant avant
d’avaler le contenu.
Car il n’est plus sous la protection des chinois, dans cet avion.
Un peu plus tard, Paul arrive en camion militaire aux abords de la résidence Ryongsong,
aussi appelée « résidence n° 551 », au nord-est de la capitale, à
peine douze kilomètres de la place Kim Il Sung, mais que le convoi bâché ne
traverse pas.
C’est une résidence d’un luxe inouïe, là où vit Kim
Jong Un.
Terminée en 1983, elle fut l'ancienne résidence
secondaire de Kim Il Sung et l'ancienne résidence principale de Kim Jong Il.
Elle se compose de plusieurs bâtiments disposés autour
de lacs artificiels au milieu d'une forêt.
Le domaine s'étend sur environ 12 km² de superficie,
dans une région de collines. Plusieurs bâtiments et installations composent la
résidence. Parmi eux se trouvent des appartements luxueux mais aussi des salles
de banquets, une piscine olympique, un spa, un sauna, un stade d'athlétisme,
une écurie, un hippodrome, un stand de tir et un circuit automobile.
Ces installations en surface seraient complétées par
des structures souterraines antiatomiques dont un quartier de commandement
militaire ainsi que des tunnels et une gare ferroviaire souterraine privative
permettant de gagner d'autres résidences secondaires dont celle de Changgyong.
Le tout est protégé par une clôture électrique, des
champs de mines, des check-points et est surveillé en permanence par plusieurs
unités d’élite militaires lourdement armées.
Rentrer dans le saint des saints semble facile, se dit
Paul pour lui-même.
En ressortir sera sans doute moins aisé.
La construction de cette résidence spéciale a été le
fait d’une brigade spéciale de l'armée populaire de Corée, sous la direction de
Kim Il Sung, le fondateur et dirigeant de la République démocratique populaire
de Corée.
Il l'utilisera alors comme résidence secondaire, sa
résidence principale étant le palais présidentiel de Kumsusan situé à
Pyongyang.
À sa mort en 1994, ce palais présidentiel est
transformé en mausolée et la résidence de Ryongsong devient la résidence
principale de son successeur et fils, Kim Jong Il.
Au décès de ce dernier en 2011, Kim Jong Un, son fils
qui lui succède à son tour à la tête de l'État, maintient sa fonction de
résidence principale.
Paul traine ses chaînes sur les marches de l’escalier
qui mène dans la gigantesque bâtisse blanche aux toits verts, construite en pur
style stalinien avec une touche coréenne « décalée ».
Un drôle d’effet.
Pas plus de 5 minutes de déambulation plus tard,
entouré de ses six gardes armés, alors que derrière et devant chaque porte il
en est deux autres, il est enfin en présence du « petit-bonhomme »
rond au sourire curieusement doux.
Il est lui-même entouré de deux
« conseillers » désarmés qui se tiennent raides à deux pas derrière
lui.
Une voix curieuse, un peu fluette et éraillée qui
attaque en français avec un fort accent suisse.
Les traces de ses séjours d’étudiant, en pense Paul.
« Vous vouliez
absolument me rencontrer avant de travailler pour mes chers amis et alliés
chinois. Me voici…
J’ai
appris les malheurs de votre épouse. Comment se porte-t-elle, désormais ? »
Elle va mieux.
« – Et que
puis-je pour vous maintenant ?
– Me
foutre la paix.
– Co… comment
ça ?
– Vous et
vos services ne s’occupent plus jamais de moi ni de ma famille, compris ?
– Vous
les avez utilisés à votre profit, il me semble, du temps de mon regretté et
vénéré père », faisant probablement allusion à l’épisode des deux « évadées »,
Cécile et Stéphanie qui avaient été recueillies par les services secrets du
pays.
S’il savait, il ferait moins le malin, le dictateur, et
ne ferait pas forcément l’inventaire : quand Paul était encore sous l’uniforme
de l’aéronavale et « puni » à Mururoa,
il avait participé à l’extraction, avec un pote pilote du cantonnement et deux
hydravions, d’un ingénieur atomiste enlevé par la Corée du Nord et libéré de sa prison du
nord du pays par un commando de « nageurs de combat », issu d’Aspretto.
Et puis, il y avait eu le raid avec Miho Mihado en mer
du japon, au large de Hamhung, pour le compte des américains…
« – Je les
ai aussi « combattus ». Votre père a cherché à m’enlever…
– … et
vous êtes entravé devant son auguste fils ! Vous rendez-vous compte de la
situation ? Je n’aurai qu’un geste à faire pour vous faire périr dans
d’atroces souffrances.
– Là,
c’est sûr, vos alliés de Pékin pourraient ne pas apprécier…
– En
êtes-vous si sûr au point de vous livrer, vous soumettre à ma bonne
volonté ? Ils ne sont pas présents pour ça, dans cette pièce, me semble-t-il » fait-il en
tournant la tête de droite et de gauche.
« – Je vous
trouve très audacieux et bien présomptueux…
– Comment
faire autrement pour vous faire passer le message que je n’ai pas du tout
apprécié de voir ma femme mutilée et enlevée par votre fait ?
On ferait
la même chose à la vôtre, Ri Sol Ju, vous réagiriez comment ?
– J’en
prendrai une autre : ce ne sont pas les candidates qui manquent.
– Vous
êtes un ignoble cynique sociopathe, ou alors c’est que vous n’avez pas encore
été capable de lui faire un gosse ! Faudrait penser à importer quelques
pilules de viagra.
– Restez
correct, s’il vous plait capitaine ! Je n’ai pas de conseil à recevoir
d’un chien d’étranger-capitaliste. » dit-il de plus en plus furieux.
Paul croque sa pilule et avale son contenu sans
saveur.
« – Je vous
trouve vraiment extraordinaire ! Vous venez jusqu’ici pour m’intimer un
ordre dont je ne sais même pas si l’occasion se présentera de l’exécuter, à
moi, le dirigeant de ce pays qui, pensez bien, a d’autres préoccupations plus
urgentes que de soutenir l’insolence d’un chien d’étranger, comme le bonheur de
son peuple et l’indépendance de son pays et ce, jusque dans mes
murs !
Et puis,
que feriez-vous si demain la raison d’État me commandait de nous en prendre à
vous de nouveau ?
Quels
moyens offrez-vous pour que je m’en abstienne ?
Et je ne
parle pas d’argent, je suis au-dessus de toutes ces contingences matérielles,
vous vous en doutez bien !
Vous me
feriez une guerre nucléaire pour m’y contraindre ?
Même la
puissante États-Unis n’a pas osé !
– Je vous
en empêcherai dès le premier soupçon.
– Et
comment ?
– Mais en
vous foutant une raclée phénoménale ! »
Un part dans un fulgurant éclat de rire qui remplit
toute la pièce, entraînant des rires polis des quelques personnes assistant à
l’entretien, alors qu’ils ne comprennent sans doute pas l’échange tenu dans la
langue de Victor Hugo.
C’est tellement communicatif que personne ne remarque
que Paul parvient à briser ses liens d’acier, dégoulinant de sang en plusieurs
plaies rouge-vif autour des poignets !
Quand ils s’en rendent compte, il est déjà trop tard.
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