L’avènement d’une fiscalité moderne : Outil de la Nation
Bien avant la révolution, de nombreuses personnes avaient vu que le
système fiscal et les finances royales fonctionnaient mal : Vauban,
Montesquieu, notamment, mais aussi beaucoup d’intendants de province et de
contrôleurs généraux avaient préparé le modèle d’un autre édifice.
Turgot voulait appliquer en France le principe de libre circulation des
marchandises, entre autres, qu’il avait si bien développé dans sa région du
Limousin, avant que d’être écarté du pouvoir par Marie-Antoinette au profit de
Necker.
La réforme, notamment fiscale, est ainsi le souci et le prolongement de la
Révolution.
La bourgeoisie « éclairée » aux idées encyclopédistes – en contrepoint du « despote éclairé » de Voltaire – est d’ailleurs prête à initier des évolutions marquantes, voire à les gérer : Mais il n’est pas encore question de renversement de régime.
§.1 – Les réformes fiscales de la révolution
Les derniers États Généraux convoqués, préparés par la circulation des «
cahiers de doléances » s’échangeant de paroisses en paroisses, démontrent que
le facteur fiscal doit être largement pris en compte : La quasi-totalité des
revendications des Français ont un caractère fiscal (contrairement à ce
qu’enseignent encore aujourd’hui les livres d’histoire modernes, qui conte les fruits
d’une « idéologie des lumières » sous-jacente).
Ils sont eux-mêmes synthétisés par la bourgeoisie et inspirent une réforme
fiscale en profondeur que la noblesse et le clergé ne peuvent accepter :
- D’une part, le trésor royal est aux abois et exsangue ;
- D’autre part, la noblesse ne veut pas renoncer aux fastes de la cour et à ses privilèges ;
- Enfin, la masse monétaire (la M1 dirait un financier moderne) est insuffisante pour être le support des impôts en espèce, alors même que les récoltes d’une économie restée fortement agraire sont mauvaises et que le blocus anglais nuit au commerce avec les colonies et les comptoirs maritimes.
Le 13 juin 1789, le Tiers État (l’Assemblée était divisée en 3 parties :
La noblesse, le clergé et le Tiers-État) fort des agitations populaires, se
proclame Assemblée Nationale : L’impôt est déclaré nul sans le consentement de
la Nation mais sa perception peut continuer jusqu’au jour où l’Assemblée sera
dissoute (c’est un moyen de faire pression sur le roi qui se retrouverait alors
sans ressources financières).
D’ailleurs, dès la constitution faite, l’Assemblée se charge de doter la
France d’un système fiscal approprié.
Mais en attendant, le peuple ne voit pas sa condition s’améliorer et l’agitation fiscale reste importante même après le 14 juillet.
Si le mouvement antiféodal est calmé à la suite de la nuit du 4 août, lorsque les biens du Clergé sont liquidés et les privilèges, quelle que soit leur nature, abolis, le mouvement à caractère fiscal reste très vif car la proximité de provinces déjà exemptes de gabelle et d’octrois devient insupportable.
Les inégalités entre communes amènent les gens à piller et saccager les
hôtels d’administration et les barrières d’octrois : C’est l'épisode que l’on
appellera plus tard la « grande peur », période de grave pénurie fiscale où
malgré le sentiment ambiant de patriotisme et de citoyenneté (de nombreux dons
sont faits à la Nation pour qu’elle surmonte sa crise financière), le
recouvrement reste médiocre.
Sans doute la masse populaire attend-elle une baisse importante de la charge fiscale comme premier gage de la transformation promise par le Tiers-État.
Pourtant le peuple veut y croire, l’épisode des assignats le montre : Ces
titres de créances sur les biens nationaux (principalement les terres et biens
enlevés au Clergé) connaissent un véritable succès populaire, si bien que l’assemblée
en fait une monnaie au cours légal (décembre 1789).
De 400 millions d’assignats calculés, l’émission s’est portée à 1,2 milliard pour finalement suivre une progression géométrique continue : Taxations des prix, réquisitions de denrées, rentrées d’impôts qui ont de moins en moins de valeur, la monnaie s’effondre et la confiance du peuple avec elle.
A – Les réformes profondes et durables
1 – L’ère révolutionnaire : L'impôt pour tous, plus de privilèges face à
l’impôt
Trois réformes, qui ne sont pas vraiment fiscales, jettent les bases du
nouveau système.
- a) - La suppression des privilèges d’ordre et de classe est évoquée.
S’ils ne cessent qu’aux derniers jours de l’Ancien Régime, l’idée de les
supprimer est beaucoup plus ancienne.
Déjà on l’a vu, sous Louis XIV, les mouvements antiféodaux étaient fréquents et il fallait, pour les calmer, consentir à des mesures fiscales qui les apaisaient un temps.
Mais l’idée d’aller plus loin est présente (Calonne, Loménie de Brienne).
Le 20 décembre 1788, les pairs du royaume font le vœu de « supporter tous les impôts et charges pécuniaires quelconques », les privilégiés l’ont prononcé pour calmer le peuple tout en pensant passer outre.
L’abolition réelle est affirmée le 4 août 1789 même si elle est retardée
par des détails techniques, à savoir, à qui ôter les privilèges, par où
commencer.
Cela se fera finalement par petites touches partielles et successives sur tout le territoire.
- b) – L’élimination des douanes et péages intérieurs.
La Mesure est demandée par l’opinion publique et alimentée par les idées
physiocratiques [1] qui constituent l’environnement intellectuel de l’époque.
Dans leur journal « Les éphémérides du citoyen », les physiocrates expliquaient comment un commissaire de police allant chercher du vin dans le midi pour le ramener à Paris avait traversé 8 douanes intérieures et 9 péages et avait versé 2 droits seigneuriaux et 7 octrois.
Ces « étapes fiscales » ne suivaient aucune règle précise, placées arbitrairement elles représentaient des entraves importantes à la circulation (nombreuses formalités, beaucoup à payer).
Cela avait conduit l’État à racheter les péages aux seigneurs dès 1779 et jusqu’à fin 1790.
L’Assemblée Constituante supprime les droits intérieurs sous l’impulsion d’un
rapport de Dupont de Nemours.
Les douanes sont ainsi reportées aux frontières politiques de la France avec des tarifs assez similaires à ceux de l’Ancien Régime et des formalités de perception et de contrôle identiques (le personnel continue à être formé par la ferme).
- c) – La suppression de la dîme et des droits féodaux.
En vertu d’un système égal pour tous (car ils étaient arbitrairement déterminés
par les seigneurs), les conditions de levée de l’impôt sous l’Ancien Régime
étaient devenues insupportables.
Les agents du fisc pratiquaient des perquisitions organisées, s’introduisaient violemment chez les contribuables pour combattre la fraude, réquisitionnaient les biens et victuailles.
Le peuple vivait tous les jours avec ces abus.
De plus les seigneurs augmentaient les impôts selon leur bon vouloir,
selon la conjoncture, quand il fallait entretenir une grande et belle armée,
quand les réceptions avaient dû, l’année auparavant, être fastueuses et
fréquentes.
Il faut aussi constater que le peuple avait sous les yeux toute une catégorie de gens (nobles et clergé) privilégiée qui ne payait rien…
Ainsi le leitmotiv des cahiers de doléances concerne la réforme fiscale :
On veut un système unifié et transparent, instaurant l’égalité entre citoyens
(pas de privilèges face à l’impôt), mais incluant aussi l’égalité entre les
paroisses et entre les provinces.
2 – Les réformes pendant la révolution : Le nouveau système d’impôts
directs et les « quatre vieilles »
Ce système, élaboré par l’assemblée révolutionnaire, a perduré en tant qu’impôt
d’État jusqu’au XXème siècle puis en tant que fondement des finances
locales de nos jours.
La ligne directrice de ce système est une recherche des « signes extérieurs de richesse » (SER, déjà !) objective.
En fait, il s’agit d’une imposition « réelle », sur la « res », la « chose » visible, permettant de lever l’arbitraire dans le calcul de l’assiette de l’impôt.
- a) - La contribution foncière.
L’imposition de la terre a toujours été la base des systèmes fiscaux
depuis l’antiquité.
Suivant la revendication absolue des physiocrates, l’Assemblée décide d’imposer le produit net de la terre et non plus son produit brut.
L’article 2 de la Constitution est ainsi rédigé : « Le revenu net d’une
terre est ce qu’il reste à son propriétaire déduction faite sur le produit brut
des frais de culture, semences, récoltes et entretien. »
La valeur d’un immeuble ou domaine correspond donc aux revenus annuels qu’il procure.
De plus, l’Assemblée encourage les améliorations foncières en promettant
la non augmentation des cotisations pendant 20 ou 30 ans selon l’amélioration
apportée (marais asséchés, plantations de terres en friche…).
Cet impôt foncier s’organise selon le principe de la répartition de la charge (comme la plupart des impôts de l’Ancien Régime et ceux créés à cette époque) : L’État détermine un montant global d’impôt à répartir entre les régions qui, elles-mêmes, divisent la charge régionale entre les communes, les fonctionnaires locaux la répartissant entre l’ensemble des propriétaires de la commune sur la base de ces revenus attendus de leurs terres.
- b) – La contribution mobilière.
Issue de l’ancien impôt, la « capitation » (l’équivalent de notre impôt
sur le revenu mais à taux fixe) et « par tête » (par part virile disent les
juristes) taxe la richesse : Le revenu est arbitrairement évalué par les agents
de l’État dans chaque circonscription.
Cette technique pose d’évidents problèmes d’équité et on a assez tôt l’idée
d’une estimation plus juste des revenus, fondée sur la valeur des locaux
occupés (principal « signe extérieur du revenu » de l'individu).
L’idée est reprise par l’Assemblée le 13 janvier 1791 : « Le prix du loyer des maisons n’est pas une mesure d’une exactitude rigoureuse mais c’est encore la moins imparfaite que l’on ait pu trouver. Il est en général vrai que chacun est logé suivant ses facultés ».
Si ce système limite les risques d’injustices, il s’avère très complexe de
mise en œuvre et il n’est pas appliqué pendant les premières années.
Il faut former des agents capables d’établir des règles de calcul et de les appliquer : Une tranche de loyer quelconque suppose un revenu de tant…
Et chaque loyer était classé dans des tranches représentatives.
[1] Les physiocrates, emmenés par Quesnay notamment, portaient une théorie
économique basée sur un constat simple : L’activité agricole est la seule
créatrice de richesses en ce qu’elle est destinée à nourrir la population. Il
fallait donc la favoriser et soutenir les échanges économiques pour se
préserver de la disette et de la famine. On sait que cette théorie a été
enrichie et contredite plus tard (Keynes, Marx, etc.). Mais il en reste encore
quelque chose en France, puisque l’on entend encore la maxime « Élevage et
pâturage sont les deux mamelles de la France » jusqu’au début de la Vème
République !…
La bourgeoisie « éclairée » aux idées encyclopédistes – en contrepoint du « despote éclairé » de Voltaire – est d’ailleurs prête à initier des évolutions marquantes, voire à les gérer : Mais il n’est pas encore question de renversement de régime.
- D’une part, le trésor royal est aux abois et exsangue ;
- D’autre part, la noblesse ne veut pas renoncer aux fastes de la cour et à ses privilèges ;
- Enfin, la masse monétaire (la M1 dirait un financier moderne) est insuffisante pour être le support des impôts en espèce, alors même que les récoltes d’une économie restée fortement agraire sont mauvaises et que le blocus anglais nuit au commerce avec les colonies et les comptoirs maritimes.
Mais en attendant, le peuple ne voit pas sa condition s’améliorer et l’agitation fiscale reste importante même après le 14 juillet.
Si le mouvement antiféodal est calmé à la suite de la nuit du 4 août, lorsque les biens du Clergé sont liquidés et les privilèges, quelle que soit leur nature, abolis, le mouvement à caractère fiscal reste très vif car la proximité de provinces déjà exemptes de gabelle et d’octrois devient insupportable.
Sans doute la masse populaire attend-elle une baisse importante de la charge fiscale comme premier gage de la transformation promise par le Tiers-État.
De 400 millions d’assignats calculés, l’émission s’est portée à 1,2 milliard pour finalement suivre une progression géométrique continue : Taxations des prix, réquisitions de denrées, rentrées d’impôts qui ont de moins en moins de valeur, la monnaie s’effondre et la confiance du peuple avec elle.
A – Les réformes profondes et durables
Déjà on l’a vu, sous Louis XIV, les mouvements antiféodaux étaient fréquents et il fallait, pour les calmer, consentir à des mesures fiscales qui les apaisaient un temps.
Mais l’idée d’aller plus loin est présente (Calonne, Loménie de Brienne).
Le 20 décembre 1788, les pairs du royaume font le vœu de « supporter tous les impôts et charges pécuniaires quelconques », les privilégiés l’ont prononcé pour calmer le peuple tout en pensant passer outre.
Cela se fera finalement par petites touches partielles et successives sur tout le territoire.
Dans leur journal « Les éphémérides du citoyen », les physiocrates expliquaient comment un commissaire de police allant chercher du vin dans le midi pour le ramener à Paris avait traversé 8 douanes intérieures et 9 péages et avait versé 2 droits seigneuriaux et 7 octrois.
Ces « étapes fiscales » ne suivaient aucune règle précise, placées arbitrairement elles représentaient des entraves importantes à la circulation (nombreuses formalités, beaucoup à payer).
Cela avait conduit l’État à racheter les péages aux seigneurs dès 1779 et jusqu’à fin 1790.
Les douanes sont ainsi reportées aux frontières politiques de la France avec des tarifs assez similaires à ceux de l’Ancien Régime et des formalités de perception et de contrôle identiques (le personnel continue à être formé par la ferme).
Les agents du fisc pratiquaient des perquisitions organisées, s’introduisaient violemment chez les contribuables pour combattre la fraude, réquisitionnaient les biens et victuailles.
Le peuple vivait tous les jours avec ces abus.
Il faut aussi constater que le peuple avait sous les yeux toute une catégorie de gens (nobles et clergé) privilégiée qui ne payait rien…
La ligne directrice de ce système est une recherche des « signes extérieurs de richesse » (SER, déjà !) objective.
En fait, il s’agit d’une imposition « réelle », sur la « res », la « chose » visible, permettant de lever l’arbitraire dans le calcul de l’assiette de l’impôt.
Suivant la revendication absolue des physiocrates, l’Assemblée décide d’imposer le produit net de la terre et non plus son produit brut.
La valeur d’un immeuble ou domaine correspond donc aux revenus annuels qu’il procure.
Cet impôt foncier s’organise selon le principe de la répartition de la charge (comme la plupart des impôts de l’Ancien Régime et ceux créés à cette époque) : L’État détermine un montant global d’impôt à répartir entre les régions qui, elles-mêmes, divisent la charge régionale entre les communes, les fonctionnaires locaux la répartissant entre l’ensemble des propriétaires de la commune sur la base de ces revenus attendus de leurs terres.
L’idée est reprise par l’Assemblée le 13 janvier 1791 : « Le prix du loyer des maisons n’est pas une mesure d’une exactitude rigoureuse mais c’est encore la moins imparfaite que l’on ait pu trouver. Il est en général vrai que chacun est logé suivant ses facultés ».
Il faut former des agents capables d’établir des règles de calcul et de les appliquer : Une tranche de loyer quelconque suppose un revenu de tant…
Et chaque loyer était classé dans des tranches représentatives.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire