B – La renaissance : Vers une fiscalité consensuelle et
temporaire
Bien qu’unanimement porté sur le trône de France et bien qu’ayant reçu, à
ce titre, l’onction épiscopale, Hugues Capet ne lève plus l’impôt que dans le
duché de France.
Il est hors de question qu’il aille le quérir sur les terres des six autres grands fiefs (pays de « non-obéissance-le-Roi »).
L’épée à la main, ses successeurs élargissent la mouvance des pays « d’obéissance-le-Roi », si bien qu’à compter de Louis VI, ils deviennent détenteurs d’une puissance que n’égale plus que celle des vassaux directs, pourtant affaiblis par les Croisades et par l’émancipation des Communes.
Ce sera Louis VII qui, pressé d’argent, sera le premier à invoquer l’institution
féodale de « l’aide », en ajoutant aux trois cas celui du pèlerinage en Terre
Sainte. L’impôt royal naîtra ainsi, qui ira toujours se développant non sans
lenteurs, non sans résistances, non sans l’accord – généralement au coup par
coup – des parties intéressées.
Coexistant avec les droits seigneuriaux, s’instaure une fiscalité consensuelle qui perdurera pendant quatre siècles.
Les Villes obtiendront l’accord de lever l’impôt pour elles-mêmes, l’Église acceptera d’apporter des subsides et les représentants de la Nation, réunis en États Généraux, octroieront au Roi le pouvoir d’imposer sur tout le territoire.
1 - La fiscalité autonome des villes
L’adoucissement climatique qui, autour de l’An Mil, survient dans l’Occident
européen (déjà les effets du réchauffement de la planète) favorise une
importante expansion démographique.
Il se produit alors une déforestation pour gagner des terres nourricières, mais aussi une urbanisation qui fait que bien des hameaux deviennent bourgs, bien des bourgs deviennent villes, ce qui ne manque pas de susciter une prise de conscience de la force nouvelle que constitue la concentration des populations.
- Les Chartes
Plus que les révoltes paysannes – durement réprimées – les privilèges et
faveurs que maints abbés accordent aux villes neuves ou aux bourgs neufs qui s’établissent
autour de l’abbaye (ou que certains seigneurs proposent sous forme de chartes
de peuplement pour mettre en valeur leur domaine) donnent aux bourgeois des
villes anciennes l’opportunité de se soulever pour obtenir de leur seigneur,
fût-il évêque, l’atténuation de leurs charges.
Pendant tout le XIIème siècle, à l’image des révoltes du Mans (1069) et de Cambrai (1076), pourtant réprimées dans le sang, quantité de villes vont, à l’initiative des corporations de marchands ou de métiers, se constituer en communes.
Le mouvement commence dans le Nord pour s’étendre dans le Midi ensuite (où le souvenir romain, plus tenace, évoque les consulats).
La commune se constitue par une sorte de pacte de solidarité entre les
habitants, pacte militaire, car les bourgeois sont armés, pacte révolutionnaire
parce que dirigé contre l’autorité établie jusqu’alors sans partage du
seigneur, du Roi ou de l’évêque.
Elle prend la forme d’une véritable personne morale dont les magistrats responsables traitent d’égal à égal avec les seigneurs, obtenant, parfois après insurrection, parfois par sa seule menace, la rédaction d’une charte réglementant les devoirs de la ville.
À l’arbitraire coutumier se substitue petit à petit la règle écrite.
Les chartes sont loin d’être identiques ; elles présentent d’innombrables
nuances, développant un éventail particulièrement large de degrés d’autonomie.
De manière générale, elles diminuent, parfois substantiellement, les prestations en nature, les corvées et bon nombre de droits féodaux, comme le formariage, la mainmorte ou les banalités, mais s’arrêtent aux portes des villes.
Elles modèrent le quantum de la taille (4 deniers par tête à Laon, par exemple), réglementent et plafonnent le cens, diminuent les péages, autorisent gratuitement le pacage, atténuent ou suppriment le droit de gîte, restreignent le service militaire aux seules affaires de la commune et vont jusqu’à donner liberté de mariage aux habitants.
- Les taxes
Les habitants des villes n’en subissent pas moins le poids d’une fiscalité
accrue. Certes, détournés au profit de l’administration municipale, les droits
antérieurement seigneuriaux comme la taille, les droits de marché, les péages
et droits d’entrée, les droits de sceau et de justice, les amendes se trouvent
majorés car il faut monnayer l’avantage de l’autonomie.
Mais sa contrepartie, à savoir l’attribution aux villes de leur pleine gestion, notamment de sécurité intérieure et extérieure (l’entretien, a fortiori l’édification, de remparts ou de murailles coûte de plus en plus cher) fait que les charges fiscales s’alourdissent, d’autant plus que s’y ajoute, dans un esprit de solidarité, la pression démographique des habitants.
Ça et là, naissent des taxes indirectes (« gabelles » sur les vins, sur le
sel ou générales), des « capitations » et/ou des « tailles » proprement
municipales (appelées « communs » dans le Midi) levées sur la base d’un «
compoix » (cadastre) urbain, régulièrement ou à l’occasion d’une dépense
particulière.
Viennent aussi les « droits d’octroi » (autorisation octroyée par le Roi –
ou le seigneur – de lever un impôt) qui auraient été inaugurés par la ville de
Lyon (1295), suivie par celle de Compiègne (1352) puis par Paris (1377), sous
la condition de reverser au Roi – ou au seigneur – une partie, le quart ou la
moitié, du produit.
Au XVIIème siècle, tout le produit en reviendra au Roi, mais les villes pourront bénéficier de majorations. Ces droits d’octroi connaîtront une longue histoire, car ils survivront à la Révolution [1].
Un instant, l’établissement de toutes ces ressources va requérir l’assentiment
des habitants et, même, il arrive que les marchands soient appelés à discuter
des péages, des gabelles ou des droits sur les marchés selon le principe du
consentement à l’impôt.
Les familles aisées, généralement de négociants, prennent rapidement en main la gestion financière au détriment des menus gens qui, sévèrement exploités par l’inégale répartition et l’abus des exemptions, ne manquent pas de s’insurger, parfois violemment, comme à Rouen, dont le maire sera tué.
Ces conflits vont appeler, au XIIIème siècle, l’arbitrage du
seigneur, le Roi dans la plupart des cas, du fait que sa mouvance ne cesse de s’étendre.
De plus, endettées exagérément, la plupart du temps du fait même des excès de la fiscalité royale, les communes s’en remettent aux libéralités du Roi qui, en contrepartie, instaure son contrôle jusqu’à exiger la reddition des comptes (ordonnance de 1261).
L’autonomie d’imposition des villes ne peut résister aux entreprises centralisatrices de la Royauté, dont la montée en puissance la rend gourmande de ressources au point de contenir à son profit la fiscalité municipale.
Néanmoins, le mouvement communal favorise l'émergence politique de la bourgeoisie, laquelle formera l’armature du Tiers-États, animateur fécond des États Généraux.
2 - La fiscalité acceptée par l’Église
À la mi Moyen-âge, ne connaissant pas encore de graves troubles
schismatiques, dominant l’ensemble du territoire sur lequel elle prélève la «
dîme », sacrant les Rois et maniant sans faiblesse l’arme de l’excommunication,
l’Église constitue une puissance incontournable.
La Royauté la comble, un temps, de faveurs, non seulement en la déchargeant de toute imposition, mais aussi en lui attribuant par affectation telle ou telle ressource.
- Le consentement
Lorsque vient le temps des Croisades, le Roi se sent autorisé à lui
demander son concours, qu’elle accepte sous réserve de son accord exprès.
Au concile de Latran (1179), irrités par la levée autoritaire du « vingtième » de Louis VII en 1147, ainsi que par les tentatives d’imposer les clercs auxquelles procèdent les Communes chartées, les prélats affirment s’opposer à tout prélèvement de « taille » et subordonnent à leur autorisation toute levée d’impôt. Cette position sera plus tard (le 18 août 1296) confirmée par le Pape Boniface VIII qui, dans la bulle « clericis laïcos » proclame qu’il ne saurait y avoir imposition de l’Église sans son accord formel, sous peine d’excommunication.
C’est ainsi que Philippe Auguste ne réussit à imposer l’Église qu’en réunissant, en 1188, Noblesse et Clergé pour leur demander une contribution du dixième de leurs revenus (en seront toutefois exemptés les Chartreux et les moines de Citeaux et de Fontevrault).
Cette dîme, dite « saladine », est la prémisse des décimes et des dons gratuits.
- Les décimes
Inaugurés vraisemblablement par Saint-Louis qui, pour son expédition
tunisienne, demanda au Pape l’autorisation de les lever pendant trois années
(Clément IV refusa une quatrième levée), les « décimes » seront accordées à
nouveau à Philippe III pour sa guerre d’Aragon.
Bénéficiant tout d’abord de la politique conciliante que nourrit la Papauté à l’égard d’une puissance qui seconde son autorité en Occident, Philippe Le Bel obtient, en 1288, trois décimes de Nicolas IV, qui, cependant, lui en refusera six autres trois ans plus tard.
Il profite des débuts de Boniface VIII pour prélever sans son autorisation trois décimes, avec toutefois le consentement d’assemblées de prélats.
Le Pape ayant brandi l’excommunication, Philippe attente aux ressources du Saint-Siège en interdisant l’exportation de métaux précieux, monnayés ou non, ce qui conduit Boniface VIII à céder en 1291.
C’est là, dans les relations financières de la Royauté avec le trône de
Saint Pierre, un tournant, qu’accentue l’élection de Bertrand de Goth à la
succession de Boniface et, surtout, le déplacement à Avignon du siège papal.
Aidé de manière doctorale par ses légistes, Philippe le Bel parvient à faire entendre que le pouvoir royal est antérieur à l’Église et à faire passer les droits de l’État avant ses privilèges, doctrine qui s'affirmera avec l'affaiblissement de l'autorité papale, sévèrement atteinte par le Grand Schisme d’Occident (1378-1417).
La fréquence de la levée de décimes va s’accélérer et va devenir
pratiquement annuelle (et même biannuelle) en 1352.
Le Pape en accordera même un trentième en sus.
Aux XIVème et XVème siècles, les décimes seront réclamées pour le bien du Royaume, avec une telle régularité telle que lorsque les États-Généraux voteront des aides, elles seront perçues aussi bien sur les laïcs que sur le clergé, bien que toujours exempt de la « taille ».
- Les dons gratuits
En 1510, au Concile de Tours, Louis XII obtient un ajout à la décime, sous
l’appellation de « don gratuit » (cette expression recouvre aussi certains
prélèvements effectués sur les Villes et les Provinces). Sous François 1er,
les décimes prennent, un temps, le nom de « don gratuit », peut-être pour
faciliter leur levée plusieurs fois l’an (neuf fois sous Henri II).
Puis décimes et dons gratuits se distinguent à nouveau, les uns s’ajoutant aux autres (notamment à l’occasion du siège de La Rochelle, 1626).
Ils s’établiront normalement par la suite par abonnement pour devenir, au XVIIème siècle, permanents par accord quinquennal, devenant ainsi source régulière de revenus pour la Royauté (dîmes et dons gratuits sont centralisés par les prélats qui en font versement en deux fois, à la Saint-Michel et à l’Ascension).
[1] La dernière barrière d’octroi a disparu, à Paris, en 1936.
Il est hors de question qu’il aille le quérir sur les terres des six autres grands fiefs (pays de « non-obéissance-le-Roi »).
L’épée à la main, ses successeurs élargissent la mouvance des pays « d’obéissance-le-Roi », si bien qu’à compter de Louis VI, ils deviennent détenteurs d’une puissance que n’égale plus que celle des vassaux directs, pourtant affaiblis par les Croisades et par l’émancipation des Communes.
Coexistant avec les droits seigneuriaux, s’instaure une fiscalité consensuelle qui perdurera pendant quatre siècles.
Les Villes obtiendront l’accord de lever l’impôt pour elles-mêmes, l’Église acceptera d’apporter des subsides et les représentants de la Nation, réunis en États Généraux, octroieront au Roi le pouvoir d’imposer sur tout le territoire.
Il se produit alors une déforestation pour gagner des terres nourricières, mais aussi une urbanisation qui fait que bien des hameaux deviennent bourgs, bien des bourgs deviennent villes, ce qui ne manque pas de susciter une prise de conscience de la force nouvelle que constitue la concentration des populations.
Pendant tout le XIIème siècle, à l’image des révoltes du Mans (1069) et de Cambrai (1076), pourtant réprimées dans le sang, quantité de villes vont, à l’initiative des corporations de marchands ou de métiers, se constituer en communes.
Le mouvement commence dans le Nord pour s’étendre dans le Midi ensuite (où le souvenir romain, plus tenace, évoque les consulats).
Elle prend la forme d’une véritable personne morale dont les magistrats responsables traitent d’égal à égal avec les seigneurs, obtenant, parfois après insurrection, parfois par sa seule menace, la rédaction d’une charte réglementant les devoirs de la ville.
À l’arbitraire coutumier se substitue petit à petit la règle écrite.
De manière générale, elles diminuent, parfois substantiellement, les prestations en nature, les corvées et bon nombre de droits féodaux, comme le formariage, la mainmorte ou les banalités, mais s’arrêtent aux portes des villes.
Elles modèrent le quantum de la taille (4 deniers par tête à Laon, par exemple), réglementent et plafonnent le cens, diminuent les péages, autorisent gratuitement le pacage, atténuent ou suppriment le droit de gîte, restreignent le service militaire aux seules affaires de la commune et vont jusqu’à donner liberté de mariage aux habitants.
Mais sa contrepartie, à savoir l’attribution aux villes de leur pleine gestion, notamment de sécurité intérieure et extérieure (l’entretien, a fortiori l’édification, de remparts ou de murailles coûte de plus en plus cher) fait que les charges fiscales s’alourdissent, d’autant plus que s’y ajoute, dans un esprit de solidarité, la pression démographique des habitants.
Au XVIIème siècle, tout le produit en reviendra au Roi, mais les villes pourront bénéficier de majorations. Ces droits d’octroi connaîtront une longue histoire, car ils survivront à la Révolution [1].
Les familles aisées, généralement de négociants, prennent rapidement en main la gestion financière au détriment des menus gens qui, sévèrement exploités par l’inégale répartition et l’abus des exemptions, ne manquent pas de s’insurger, parfois violemment, comme à Rouen, dont le maire sera tué.
De plus, endettées exagérément, la plupart du temps du fait même des excès de la fiscalité royale, les communes s’en remettent aux libéralités du Roi qui, en contrepartie, instaure son contrôle jusqu’à exiger la reddition des comptes (ordonnance de 1261).
L’autonomie d’imposition des villes ne peut résister aux entreprises centralisatrices de la Royauté, dont la montée en puissance la rend gourmande de ressources au point de contenir à son profit la fiscalité municipale.
Néanmoins, le mouvement communal favorise l'émergence politique de la bourgeoisie, laquelle formera l’armature du Tiers-États, animateur fécond des États Généraux.
La Royauté la comble, un temps, de faveurs, non seulement en la déchargeant de toute imposition, mais aussi en lui attribuant par affectation telle ou telle ressource.
Au concile de Latran (1179), irrités par la levée autoritaire du « vingtième » de Louis VII en 1147, ainsi que par les tentatives d’imposer les clercs auxquelles procèdent les Communes chartées, les prélats affirment s’opposer à tout prélèvement de « taille » et subordonnent à leur autorisation toute levée d’impôt. Cette position sera plus tard (le 18 août 1296) confirmée par le Pape Boniface VIII qui, dans la bulle « clericis laïcos » proclame qu’il ne saurait y avoir imposition de l’Église sans son accord formel, sous peine d’excommunication.
C’est ainsi que Philippe Auguste ne réussit à imposer l’Église qu’en réunissant, en 1188, Noblesse et Clergé pour leur demander une contribution du dixième de leurs revenus (en seront toutefois exemptés les Chartreux et les moines de Citeaux et de Fontevrault).
Cette dîme, dite « saladine », est la prémisse des décimes et des dons gratuits.
Bénéficiant tout d’abord de la politique conciliante que nourrit la Papauté à l’égard d’une puissance qui seconde son autorité en Occident, Philippe Le Bel obtient, en 1288, trois décimes de Nicolas IV, qui, cependant, lui en refusera six autres trois ans plus tard.
Il profite des débuts de Boniface VIII pour prélever sans son autorisation trois décimes, avec toutefois le consentement d’assemblées de prélats.
Le Pape ayant brandi l’excommunication, Philippe attente aux ressources du Saint-Siège en interdisant l’exportation de métaux précieux, monnayés ou non, ce qui conduit Boniface VIII à céder en 1291.
Aidé de manière doctorale par ses légistes, Philippe le Bel parvient à faire entendre que le pouvoir royal est antérieur à l’Église et à faire passer les droits de l’État avant ses privilèges, doctrine qui s'affirmera avec l'affaiblissement de l'autorité papale, sévèrement atteinte par le Grand Schisme d’Occident (1378-1417).
Le Pape en accordera même un trentième en sus.
Aux XIVème et XVème siècles, les décimes seront réclamées pour le bien du Royaume, avec une telle régularité telle que lorsque les États-Généraux voteront des aides, elles seront perçues aussi bien sur les laïcs que sur le clergé, bien que toujours exempt de la « taille ».
Puis décimes et dons gratuits se distinguent à nouveau, les uns s’ajoutant aux autres (notamment à l’occasion du siège de La Rochelle, 1626).
Ils s’établiront normalement par la suite par abonnement pour devenir, au XVIIème siècle, permanents par accord quinquennal, devenant ainsi source régulière de revenus pour la Royauté (dîmes et dons gratuits sont centralisés par les prélats qui en font versement en deux fois, à la Saint-Michel et à l’Ascension).
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