Conseil d’État, ordonnance de référé du 18 mai 2020
Une décision qui vise la préfecture de Police de « Paris-sur-la-plage »,
mais qui pourrait s’appliquer à tout possesseur de drone.
Voire, on ne sait jamais avec les progrès de la
technologie, à toute personne qui fait des photos depuis l’espace (et même de plus
loin…)
Je résume : Le Préfet, fut-il de police ou non, c’est
le représentant de l’État, de sa puissance et de ses prérogatives, sur un
territoire. L’État, c’est vous.
Sur ledit territoire, vous êtes « chez vous ».
Lui aussi.
Et parfois, il fait ce qu’il veut dans le cadre de ses
missions de service public, alors que vous, vous ne pouviez même pas vaquer à
vos occupations habituelles du 17 mars au 11 mai dernier…
S’il fait ce qu’il veut, il décide donc aussi de ce qu’il
veut.
Heureusement, il y a un « État de droit »
qui repose sur des lois, des traités, une constitution, un préambule de la
constitution et… un pouvoir judiciaire encore indépendant.
Indépendant, indépendant… il se borne à affirmer « ce
n’est pas moi qui ai pondu les lois et règlements (même les plus débiles)
mais vous m’obligez à les appliquer à première demande : Alors j’applique. »
Ou il ne fallait pas me demander…
« L’association « La Quadrature du Net » et la Ligue des
droits de l’homme ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de
Paris, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice
administrative, de suspendre l’exécution de la décision du préfet de police
ayant institué depuis le 18 mars 2020 un dispositif visant à capturer des
images par drones et à les exploiter afin de faire respecter les mesures de
confinement et d’enjoindre au préfet de police de cesser immédiatement, à
compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir, de capter des images par
drones, de les enregistrer, de les transmettre ou de les exploiter, puis de
détruire toute image déjà captée dans ce contexte, sous astreinte de 1.024
euros par jour de retard.
Par une ordonnance n° 2006861 du 5 mai 2020, le juge
des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
1° Sous le n° 440442, par une requête et un mémoire en
réplique, enregistrés les 6 et 14 mai 2020 au secrétariat du contentieux du
Conseil d’État, l’association « La Quadrature du Net » demande au juge des
référés du Conseil d’État, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du
code de justice administrative :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à ses demandes de première instance
;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 4.096
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– l’ordonnance attaquée est entachée d’une erreur de
droit en ce qu’elle subordonne la caractérisation d’une atteinte au droit à la
vie privée à la condition que le dispositif en cause caractérise un traitement
de données personnelles ;
– elle est entachée d’une erreur de fait et d’une
erreur de droit en ce qu’elle retient que le préfet de police ne peut être
regardé comme ayant procédé à un traitement de données personnelles alors qu’il
résultait de ses propres constatations que les caractéristiques techniques des
drones en cause permettent l’identification d’un individu ;
– elle est entachée d’un vice de procédure dès lors
qu’il a été fait une application illégale de l’article 9 de l’ordonnance n°
2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les
juridictions de l’ordre administratif ;
– la condition d’urgence est remplie compte tenu de la
gravité et du caractère manifestement illégal de l’atteinte portée par la
préfecture au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des
données personnelles dans l’utilisation des drones, de la circonstance que ce
dispositif est actuellement en cours et du fait qu’il n’était pas
matériellement possible de solliciter plus tôt une mesure d’urgence dès lors
que cette pratique n’a été révélée que le 25 avril 2020 ;
– l’usage de drones survolant l’espace public, hors de
tout cadre juridique, associé à un dispositif de captation d’images, constitue
un traitement de données à caractère personnel illicite et, à tout le moins,
une ingérence grave et manifestement illégale dans l’exercice du droit au
respect de la vie privée et du droit à la protection des données personnelles ;
– l’absence de toute acte administratif explicite
encadrant spécifiquement le dispositif en cause viole l’article 8 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, le I de l’article 31 de la loi informatique et libertés et
l’article 6, paragraphe 3, du règlement général pour la protection des données
;
– l’absence de délai de conservation des données viole
gravement et manifestement l’article 8 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 5 du
règlement général pour la protection des données, l’article 4 de la directive
police-justice et les articles 4 et 87 de la loi informatique et libertés ;
– l’absence d’information des personnes concernées
viole gravement et manifestement l’article 8 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 14 du
règlement général pour la protection des données, l’article 13 de la directive
police-justice et les articles 48 et 104 de la loi informatique et libertés ;
– l’absence de garantie organisationnelle viole
gravement et manifestement l’article 8 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 25 du
règlement général pour la protection des données et l’article 20 de la
directive police-justice ;
– l’absence de proportionnalité du dispositif au
regard des finalités poursuivies méconnaît les règles générales relatives au
droit à la vie privée et les règles régissant les traitements de données à
caractère personnel ;
– le préfet de police était incompétent pour adopter
le dispositif en cause. »
Ce qui fait beaucoup d’un seul coup…
« 2° Sous le n° 440445, par une requête, enregistrée le
7 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, la Ligue des droits
de l’homme demande au juge des référés du Conseil d’État, statuant sur le
fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à ses demandes de première instance
;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 4.000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la condition d’urgence est remplie dès lors que la
mesure contestée, qui n’a été révélée par la presse que le 25 avril 2020 et
devrait se poursuivre après le déconfinement, a vocation à préjudicier de
manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à sa situation
ainsi qu’aux intérêts qu’elle entend défendre et emporte une atteinte grave,
illégale, injustifiée et disproportionnée aux libertés fondamentales ;
– la décision du préfet de police porte une atteinte
grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et
familiale, au droit à la protection des données personnelles et à la liberté
d’aller et venir ;
– l’ordonnance attaquée est entachée d’une erreur de
droit et d’une dénaturation des faits de l’espèce en ce qu’elle conclut à
l’absence d’une telle atteinte. »
Le provisoire qui dure une éternité, l’exception qui
devient le droit commun ont tous les deux leur Patrie : La « Gauloisie-parigote » !
« Par un mémoire en défense commun aux requêtes n°s
440442 et 440445, enregistré le 13 mai 2020, le ministre de l’intérieur conclut
au rejet des requêtes. Il soutient que le moyen tiré de ce que l’ordonnance
attaquée serait intervenue au terme d’une procédure irrégulière est inopérant
et, en tout état de cause, mal fondé, que la demande tendant à la suspension de
l’exécution de la décision du préfet de police ayant institué un dispositif visant
à capturer des images par drones et à les exploiter afin de faire respecter les
mesures de confinement est privée d’objet, que la condition d’urgence n’est pas
remplie et que le dispositif contesté ne porte pas atteinte grave et
manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Les deux requêtes ont été communiquées au Premier
ministre qui n’a pas produit d’observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales ;
– la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne ;
– la directive n° 2016/680 du 27 avril 2016 ;
– la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée ;
– la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
– la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;
– le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 ;
– le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une
part, l’association « La Quadrature du Net » et la Ligue des droits de l’homme
et, d’autre part, le Premier ministre et le ministre de l’intérieur ;
Ont été entendus lors de l’audience publique du 15 mai
2020 à 10 heures :
– Me Rameix, avocat au Conseil d’État et à la Cour de
cassation, avocat de l’association « La Quadrature du Net » ;
– Me Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de
cassation, avocat de la Ligue des droits de l’homme ;
– le représentant de l’association « La Quadrature du
Net » ;
– la représentante de la Ligue des droits de l’homme ;
– les représentants du ministre de l’intérieur ;
et à l’issue de laquelle l’instruction a été close ; »
(Ils étaient tous là…)
« Considérant ce qui suit :
1. L’article L. 511-1 du code de justice
administrative dispose que : « Le juge des référés statue par des mesures qui
présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se
prononce dans les meilleurs délais. » Aux termes de l’article L. 521-2 du même
code : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des
référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté
fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de
droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans
l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.
Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ».
Sur les circonstances :
2. L’émergence d’un nouveau coronavirus (covid-19), de
caractère pathogène et particulièrement contagieux et sa propagation sur le territoire
français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par
plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des
dispositions de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. En
particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d’établissements
recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100
personnes ont été interdits et l’accueil des enfants, élèves et étudiants dans
les établissements les recevant et les établissements scolaires et
universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par
les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19, modifié
par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute
personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitativement
énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans
préjudice de mesures plus strictes susceptibles d’être ordonnées par le
représentant de l’État dans le département. Le ministre des solidarités et de
la santé a pris des mesures complémentaires par des plusieurs arrêtés
successifs.
3. Par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence
pour faire face à l’épidémie de covid-19, a été déclaré l’état d’urgence
sanitaire pour une durée de deux mois sur l’ensemble du territoire national.
Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L.
3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs
fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures
précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions
complémentaires. Leurs effets ont été prolongés en dernier lieu par décret du
14 avril 2020. Par un nouveau décret du 11 mai 2020, applicable les 11 et 12
mai 2020, le Premier ministre a modifié les mesures précédemment ordonnées par
le décret du 23 mars 2020. Enfin, par un décret du 11 mai 2020, pris sur le
fondement de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et
complétant ses dispositions, le Premier ministre a prescrit les nouvelles
mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le
cadre de l’état d’urgence sanitaire. »
Vous avez là un superbe historique rapporté en « termes
léchés »…
« Sur le cadre juridique du litige, l’office du juge des
référés et les libertés fondamentales en jeu :
4. Dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire,
il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de
sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir
ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter
l’exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être
nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé
publique qu’elles poursuivent. »
Le principe applicable.
« 5. Il résulte de la combinaison des dispositions des
articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu’il
appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de
l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement
illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté
fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne
publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les
effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence
caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai.
Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf
lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder
l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté
atteinte. Sur le fondement de l’article L. 521-2, le juge des référés peut
ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures
d’organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu’il s’agit de
mesures d’urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très
bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon
manifestement illégale, porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de
l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose
l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises. »
La « portée » du principe susmentionné…
« 6. Pour l’application de l’article L. 521-2 du code de
justice administrative, le droit au respect de la vie privée qui comprend le
droit à la protection des données personnelles et la liberté d’aller et venir
constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article. »
La « base supérieure »… inviolable, qui
limite donc la portée du principe sus-mentionné
« Sur la demande en référé :
7. « La Quadrature du Net » et de la Ligue des droits
de l’homme ont saisi, le 2 mai 2020, le juge des référés du tribunal
administratif de Paris, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de
justice administrative, d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet
de police de cesser d’utiliser le dispositif visant à capter des images par
drones, les enregistrer, les transmettre et les exploiter aux fins de faire
respecter les mesures de confinement en vigueur à Paris pendant la période
d’état d’urgence sanitaire. Par deux requêtes qu’il y a lieu de joindre, elles
relèvent appel de l’ordonnance du 5 mai 2020 par laquelle le juge des référés a
rejeté leurs demandes au motif qu’aucune atteinte grave et manifestement
illégale n’était portée aux libertés fondamentales invoquées. »
Rappel de la procédure antérieure.
« 8. Il résulte de l’instruction, en particulier de la
fiche technique de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC)
de la préfecture de police en date du 14 mai 2020 relative aux modalités
d’engagement des drones lors de la surveillance du respect du confinement
covid-19 dans Paris qui a été versée au débat contradictoire ainsi que des
éléments échangés au cours de l’audience publique, que l’unité des moyens
aériens de la préfecture de police a été engagée afin de procéder à une
surveillance du respect des mesures de confinement mises en place à compter du
17 mars 2020. Depuis le 18 mars 2020, un drone de la flotte de quinze appareils
que compte la préfecture de police a ainsi été utilisé quotidiennement pour
effectuer cette mission de police administrative. Il est constant que la
préfecture de police continue de recourir à ces mesures de surveillance et de
contrôle dans le cadre du plan de déconfinement mis en œuvre à compter du 11
mai 2020. Il s’ensuit que les conclusions des associations requérantes qui
tendent à ce qu’il soit ordonné au préfet de police de cesser de recourir à de
telles mesures ont conservé leur objet. »
Les faits…
« En ce qui concerne la condition d’urgence :
9. Eu égard, d’une part, au nombre de personnes
susceptibles d’en faire l’objet et, d’autre part, à leurs effets, la fréquence
et le caractère répété des mesures de surveillance litigieuses créent une
situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice
administrative.
En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement
illégale aux libertés fondamentales invoquées :
10. Il résulte de l’instruction, en particulier de la
fiche citée au point 8 et des éléments échangés au cours de l’audience
publique, que l’ensemble des vols sont réalisés à partir des quatre appareils
de marque D.JJ type Mavic Enterprise, équipés d’un zoom optique X 3 et d’un
haut-parleur. Un seul drone est utilisé à la fois. Il ne filme pas de manière
continue mais seulement deux à trois heures en moyenne par jour. La mise en
œuvre de ce dispositif de surveillance repose sur la mobilisation simultanée
d’une équipe sur site et de personnels situés au centre d’information et de
commandement de la préfecture de police. La première est composée de trois
personnes, le télépilote en charge de manier le drone, un télépilote adjoint et
un agent chargé de leur protection. Le télépilote procède au guidage de
l’appareil à partir de son propre écran vidéo ou en effectuant un vol à vue
afin qu’il accède au site dont l’opérateur a demandé, depuis la salle de
commandement, le survol. Lorsque le drone survole le site désigné, le
télépilote procède à la retransmission, en temps réel, des images au centre de
commandement afin que l’opérateur qui s’y trouve puisse, le cas échéant,
décider de la conduite à tenir. Il peut également être décidé de faire usage du
haut-parleur dont est doté l’appareil afin de diffuser des messages à
destination des personnes présentes sur le site. »
Description du procédé.
« 11. Il résulte de l’instruction que le recours à ces
mesures de surveillance est seulement destiné, en l’état de la doctrine d’usage
telle qu’elle a été formalisée par la fiche du 14 mai 2020 et réaffirmée à
l’audience publique par les représentants de l’État, à donner aux forces de
l’ordre chargées de faire respecter effectivement les règles de sécurité
sanitaire une physionomie générale de l’affluence sur le territoire parisien en
contribuant à détecter, sur des secteurs déterminés exclusivement situés sur la
voie ou dans des espaces publics, les rassemblements de public contraires aux
mesures de restriction en vigueur pendant la période de déconfinement. La
finalité poursuivie par le dispositif litigieux n’est pas de constater les
infractions ou d’identifier leur auteur mais d’informer l’état-major de la préfecture
de police afin que puisse être décidé, en temps utile, le déploiement d’une
unité d’intervention sur place chargée de procéder à la dispersion du
rassemblement en cause ou à l’évacuation de lieux fermés au public afin de
faire cesser ou de prévenir le trouble à l’ordre public que constitue la
méconnaissance des règles de sécurité sanitaire.
12. Il résulte également de l’instruction qu’en l’état
de la pratique actuelle formalisée par la note du 14 mai 2020, les vols sont
réalisés à une hauteur de 80 à 100 mètres de façon à donner une physionomie
générale de la zone surveillée, qui est filmée en utilisant un grand angle sans
activation du zoom dont est doté chaque appareil. En outre, dans le cadre de
cette doctrine d’usage, les drones ne sont plus équipés d’une carte mémoire de
sorte qu’il n’est procédé à aucun enregistrement ni aucune conservation
d’image.
13. En premier lieu, telle qu’elle est décrite au
point 11, la finalité poursuivie par le dispositif litigieux, qui est, en
particulier dans les circonstances actuelles, nécessaire pour la sécurité
publique, est légitime.
14. En deuxième lieu, il est constant qu’un usage du
dispositif de surveillance par drone effectué conformément à la doctrine
d’emploi fixée par la note du 14 mai 2020 n’est pas de nature à porter, par
lui-même, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés
fondamentales invoquées.
15. En troisième lieu, eu égard à la finalité qu’il
poursuit, le dispositif de surveillance litigieux relève du champ d’application
matériel de la directive du 27 avril 2016 relative à la protection des
personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel
par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des
infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution
de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la
décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil dont l’article 1er prévoit
qu’elle s’applique aux traitements de données à caractère personnel institués «
y compris [pour] la protection contre les menaces pour la sécurité publique et
la prévention de telles menaces ».
16. D’une part, l’article 3 de la directive du 27
avril 2016 définit, à son point 1, les données à caractère personnel comme « toute
information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable »
et précise qu’est réputée être une « personne physique identifiable » «
une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement,
notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro
d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un
ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique,
physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ». Alors
même qu’il est soutenu que les données collectées par les drones utilisés par
la préfecture de police ne revêtent pas un caractère personnel dès lors, d’une
part, que l’usage qui est fait de ces appareils, tel qu’il est prévu par la
note du 14 mai 2020, ne conduit pas, en pratique, à l’identification des
personnes filmées et, d’autre part, qu’en l’absence de toute conservation
d’images, le visionnage en temps réel des personnes filmées fait en tout état
de cause obstacle à ce qu’elles puissent être identifiées, il résulte de
l’instruction que les appareils en cause qui sont dotés d’un zoom optique et
qui peuvent voler à une distance inférieure à celle fixée par la note du 14 mai
2020 sont susceptibles de collecter des données identifiantes et ne comportent
aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les
informations collectées puissent conduire, au bénéfice d’un autre usage que
celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se
rapportent identifiables. Dans ces conditions, les données susceptibles d’être
collectées par le traitement litigieux doivent être regardées comme revêtant un
caractère personnel. »
Les arguments de défense de la Préfecture : « Moi,
je ne fais qu’appliquer les textes, rien de plus ! »
Mais…
« 17. D’autre part, l’article 3 de la directive du 27
avril 2016 définit, à son point 2, un traitement comme « toute opération ou
tout ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés
et appliquées à des données à caractère personnel ou des ensembles de données à
caractère personnel, telles que la collecte, l’enregistrement, l’organisation,
la structuration, la conservation, l’adaptation ou la modification,
l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par
transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le
rapprochement ou l’interconnexion, la limitation, l’effacement ou la
destruction ». Il résulte de ces dispositions que le dispositif de surveillance
litigieux décrit aux points 10 à 12 qui consiste à collecter des données, grâce
à la captation d’images par drone, à les transmettre, dans certains cas, au
centre de commandement de la préfecture de police pour un visionnage en temps
réel et à les utiliser pour la réalisation de missions de police administrative
constitue un traitement au sens de cette directive.
18. Il s’ensuit que le dispositif litigieux constitue
un traitement de données à caractère personnel qui relève du champ
d’application de la directive du 27 avril 2016. Ce traitement, qui est mis en
œuvre pour le compte de l’État, relève dès lors des dispositions de la loi du 6
janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés qui sont
applicables aux traitements compris dans le champ d’application de cette
directive parmi lesquelles l’article 31 impose une autorisation par arrêté du
ou des ministres compétents ou par décret, selon les cas, pris après avis
motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés
(CNIL). Compte tenu des risques d’un usage contraire aux règles de protection
des données personnelles qu’elle comporte, la mise en œuvre, pour le compte de
l’État, de ce traitement de données à caractère personnel sans l’intervention
préalable d’un texte réglementaire en autorisant la création et en fixant les
modalités d’utilisation devant obligatoirement être respectées ainsi que les
garanties dont il doit être entouré caractérise une atteinte grave et
manifestement illégale au droit au respect de la vie privée. »
Petit rappel à la loi, toute la loi et rien que la loi…
« 19. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu
d’enjoindre à l’État de cesser, à compter de la notification de la présente ordonnance,
de procéder aux mesures de surveillance par drone, du respect, à Paris, des
règles de sécurité sanitaire applicables à la période de déconfinement tant
qu’il n’aura pas été remédié à l’atteinte caractérisée au point précédent, soit
par l’intervention d’un texte réglementaire, pris après avis de la CNIL,
autorisant, dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978
applicables aux traitements relevant du champ d’application de la directive du
27 avril 2016, la création d’un traitement de données à caractère personnel,
soit en dotant les appareils utilisés par la préfecture de police de
dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en
être les usages retenus, l’identification des personnes filmées. »
En conséquence, tu cesses ton « flicage » ou
tu demandes au législateur, dans « son immense sagesse », de pondre
un texte qui t’autorise tes « écarts ».
Par conséquent :
« 20. L’association « La Quadrature du Net » et la Ligue
des droits de l’homme sont donc fondées à soutenir que c’est à tort que, par
l’ordonnance qu’elles attaquent, le juge des référés du tribunal administratif
de Paris a rejeté leurs requêtes. Il y a lieu, dans les circonstances de
l’espèce, de mettre à la charge de l’État, la somme de 3.000 euros à verser à
chacune des requérantes au titre de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative.
DÉCISION
Article 1er : L’ordonnance du juge des
référés du tribunal administratif de Paris du 5 mai 2020 est annulée.
Article 2 : Conformément aux motifs de la présente
ordonnance, il est enjoint à l’État de cesser, sans délai, de procéder aux
mesures de surveillance par drone, du respect, à Paris, des règles de sécurité
sanitaire applicables à la période de déconfinement.
Article 3 : L’État versera à l’association « La
Quadrature du Net » et à la Ligue des droits de l’homme chacune la somme de 3.000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à
l’association « La Quadrature du Net », à la Ligue des droits de l’homme et au
ministre de l’intérieur. »
Fermer le ban !
Moâ, j’adore !
Vous aurez noté que le Conseil d’État commence par
affirmer que la finalité d’user de drones de flicage est légitime et
l’utilisation de ce dispositif dans de telles conditions n’est pas de nature à
porter, par lui-même, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés
fondamentales invoquées.
Jusque-là, le Préfet est dans son droit.
Sauf que les données collectées par ses engins sont
des données personnelles qui exigent des garanties et le respect du cadre
réglementaire.
En effet, « il résulte de l’instruction que les appareils
en cause qui sont dotés d’un zoom optique et qui peuvent voler à une distance
inférieure à celle fixée par la note du 14 mai 2020 sont susceptibles de
collecter des données identifiantes et ne comportent aucun dispositif technique
de nature à éviter, dans tous les cas, que les informations collectées puissent
conduire, au bénéfice d’un autre usage que celui actuellement pratiqué, à
rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables. ».
Et ça, c’est pas bien du tout…
D’autant que le Conseil d’État constate que le fait
qui « consiste à collecter des données, grâce à la captation d’images par
drone, à les transmettre, dans certains cas, au centre de commandement de la
préfecture de police pour un visionnage en temps réel et à les utiliser pour la
réalisation de missions de police administrative constitue un traitement au
sens de cette directive », du 27 avril 2016 est une dérive dangereuse du procédé,
ce qui est encore bien plus irrespectueux des textes de loi appicables…
Et au passage, le Conseil se fait « prof’ de
droit » à l’adresse des juges administratifs de première instance (le
Conseil n’aime pas trop être dérangé à l’heure de l’apéritif-méridien [10
heures du matin] pour des broutilles).
En effet, il note que dans son ordonnance de référé,
le tribunal administratif de Paris avait estimé que si les drones étaient
capables d’identifier les individus, il n’était pas établi ni soutenu que les
appareils auraient été utilisés par les services de la préfecture de police
dans des conditions permettant d’identifier les individus au sol, depuis le
début du confinement.
Dans ces conditions, le tribunal administratif de
Paris avait jugé que « même si la préfecture de police a, par ce dispositif,
procédé à la collecte, à l’enregistrement provisoire et à la transmission
d’images, elle ne peut être regardée comme ayant procédé à un traitement de
données à caractère personnel, au sens des dispositions précitées du règlement
(UE) 2016/679, de la directive (UE) 2016/680 et de la loi du 6 janvier 1978. Il
n’apparaît pas, dès lors, qu’elle aurait porté une atteinte illégale aux
libertés fondamentales que sont le droit à la vie privée et le droit à la
protection des données personnelles, faute notamment que les traitements en
cause aient été autorisés et organisés par un texte de droit interne ».
Bé pas du tout, pas du tout : L’emploi du
conditionnel des bonnes intentions préfectorales n’est pas suffisant quand il s’agit
des traités sur les Libertés fondamentales qui sont « impératives ».
Vous voilà prévenus : Pas de drone sur les plages
cet été sans autorisation expresse des personnes filmées, que vous soyez Préfet
ou non !
« Gogol » floute bien tous les personnages
dans les rues, alors vous aussi.
Si les plages sont ouvertes…
En revanche, « les services » peuvent
toujours vous survoler en avion ou en hélicoptère de reconnaissance ou
simplement faire un tour sur votre compte « fesses-book » pour se
rincer l’œil et vous dénoncer au fisc, n’en doutez pas une seule seconde.
C’est vous dire si moâ, j’adore !
Bon week-end à toutes et à tous : Profitez, ça
pourrait ne pas durer !
I3
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