Hadopi anticonstitutionnel !
Il aura tranché ce mercredi 20 mai 2020 : La loi
qui donnait à la HADOPI le pouvoir d’identifier les personnes partageant des
œuvres sur Internet a été déclarée contraire à la Constitution !
Depuis le temps qu’on se le présumait contre vents
& marées…
C’était une des questions prioritaires de
constitutionnalité (QPC, le « truc » inventé par « Bling-Bling »)
qui avait été posée au Conseil Constitutionnel le 12 février 2020. Le Conseil Constitutionnel y a répondu, en
déclarant inconstitutionnelle la loi qui donnait à la HADOPI des pouvoirs
d’identification.
En effet le Conseil a considéré que pour pouvoir lever
l’anonymat de l’internaute surveillé la HADOPI devra en référé à la justice
avant toute action.
Or, ce pouvoir, aussi appelé « riposte graduée »,
c’est justement la raison d’être de la HADOPI.
Et son budget est de 10 M€ pour vous pourchasser…
Rappelons que ce dispositif de « riposte graduée »
permettait à l’entité l’envoi d’avertissements à l’adresse d’internautes
suspectés de télécharger illégalement des contenus protégés par des droits d’auteur :
C’était et ça reste « voler le créateur ».
Bref, le dispositif devait permettre de lutter contre
le piratage d’œuvres originales.
Si plusieurs avertissements étaient envoyés à la même
personne, le dossier pouvait alors être transmis à la justice.
Sans ce dispositif la HADOPI est désarmée (sauf à
passer devant le juge préalablement).
Décision n° 2020-841 QPC du 20 mai 2020
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 13 février
2020 par le Conseil d'État (décision n° 433539 du 12 février 2020), dans les
conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d’une question
prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour les
associations La Quadrature du Net, French Data Network, Franciliens.Net et la
Fédération des fournisseurs d’accès à internet associatifs par Me Alexis
Fitzjean Ó Cobhthaigh, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au
secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2020-841 QPC. Elle
est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution
garantit des trois derniers alinéas de l’article L. 331-21 du code de la
propriété intellectuelle, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-669 du
12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur
internet.
Au vu des textes suivants :
•la Constitution ;
•l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
•la loi organique n° 2020-365 du 30 mars 2020 d’urgence
pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;
•le code de la propriété intellectuelle ;
•la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la
diffusion et la protection de la création sur internet ;
•les décisions du Conseil constitutionnel nos
2009-580 du 10 juin 2009 et 2015-715 DC du 5 août 2015 ;
•le règlement du 4 février 2010 sur la procédure
suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de
constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
•les observations présentées pour les associations
requérantes par Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, enregistrées le 9 mars 2020 ;
•les observations présentées par le Premier ministre,
enregistrées le même jour ;
•les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Fitzjean Ó Cobhthaigh pour les
associations requérantes et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre,
à l’audience publique du 12 mai 2020 ;
Au vu de la note en délibéré présentée pour les
associations requérantes par Me Fitzjean Ó Cobhthaigh, enregistrée le 13 mai
2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT
:
1. L’article L. 331-21 du code de la propriété
intellectuelle, dans sa rédaction résultant de la loi du 12 juin 2009
mentionnée ci-dessus, précise les pouvoirs des agents de la Haute autorité pour
la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, pour l’exercice
de ses missions. Ses trois derniers alinéas prévoient : « Ils peuvent, pour les
nécessités de la procédure, obtenir tous documents, quel qu’en soit le support,
y compris les données conservées et traitées par les opérateurs de
communications électroniques en application de l’article L. 34-1 du code des
postes et des communications électroniques et les prestataires mentionnés aux 1
et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la
confiance dans l’économie numérique.
« Ils peuvent également obtenir copie des documents
mentionnés à l’alinéa précédent.
« Ils peuvent, notamment, obtenir des opérateurs de
communications électroniques l’identité, l’adresse postale, l’adresse
électronique et les coordonnées téléphoniques de l’abonné dont l’accès à des
services de communication au public en ligne a été utilisé à des fins de
reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au
public d’œuvres ou d’objets protégés sans l’autorisation des titulaires des
droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise ».
2. Les associations requérantes estiment que ces
dispositions méconnaissent le droit au respect de la vie privée, la protection
des données à caractère personnel et le secret des correspondances. Elles leur
reprochent, en effet, d’autoriser les agents de la Haute autorité pour la
diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet à se faire
communiquer tous documents, quel qu’en soit le support, y compris les données
de connexion, sans limiter le champ de ces documents ni prévoir suffisamment de
garanties.
- Sur la recevabilité :
3. Selon les dispositions combinées du troisième
alinéa de l’article 23-2 et du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance
du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut
être saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à une
disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et
le dispositif d’une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
4. Dans sa décision du 10 juin 2009 mentionnée
ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les trois derniers
alinéas de l’article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle, dans la
même rédaction que celle contestée par les associations requérantes. Il a
déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le
dispositif de cette décision.
5. Toutefois, depuis cette déclaration de conformité,
le Conseil constitutionnel a jugé contraires au droit au respect de la vie
privée, dans sa décision du 5 août 2015 mentionnée ci-dessus, des dispositions
instaurant un droit de communication des données de connexion au profit des
agents de l’Autorité de la concurrence analogue à celui prévu par les
dispositions contestées. Cette décision constitue un changement des
circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées.
- Sur le fond :
6. En vertu de l’article 34 de la Constitution, il
appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Il
incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’objectif
de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la propriété intellectuelle et, d’autre
part, l’exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre
de ces derniers figure le droit au respect de la vie privée protégé par les
articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
7. En vertu de l’article L. 336-3 du code de la
propriété intellectuelle, le titulaire d’un accès à des services de
communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès
ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de
représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou
d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin, sans l’autorisation
des titulaires de ses droits, lorsqu’elle est requise. Au sein de la Haute
autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet,
la commission de protection des droits est chargée, lorsqu’elle est saisie d’un
manquement à cette obligation, de prendre les mesures destinées à en assurer le
respect. Il s’agit, conformément à l’article L. 331-25 du même code, d’adresser
aux auteurs des manquements à l’obligation précitée une recommandation leur
rappelant le contenu de cette obligation, leur enjoignant de la respecter et
leur indiquant les sanctions encourues à défaut.
. En ce qui concerne le droit de communication portant
sur certaines informations d’identification des abonnés :
8. À l'exception du mot « notamment », les
dispositions du dernier alinéa de l’article L. 331-21 du code de la propriété
intellectuelle confèrent aux agents de la Haute autorité le droit d’obtenir
communication, par les opérateurs de communication électronique, de l’identité,
de l’adresse postale, de l’adresse électronique et des coordonnées
téléphoniques de l’abonné dont l’accès à des services de communication au
public en ligne a été utilisé en violation de l’obligation énoncée à l’article
L. 336-3.
9. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le
législateur a entendu renforcer la lutte contre les pratiques de contrefaçon
sur internet, qui répond à l’objectif de sauvegarde de la propriété
intellectuelle.
10. En deuxième lieu, ce droit de communication, qui n’est
pas assorti d’un pouvoir d’exécution forcée, n’est ouvert qu'aux agents publics
de la Haute autorité, dûment habilités et assermentés, qui sont soumis, dans l’utilisation
de ces données, au secret professionnel.
11. En dernier lieu, d’une part, le champ des
informations en cause se limite à l’identité et aux coordonnées électroniques,
téléphoniques et postales des auteurs des manquements à l’obligation énoncée à
l'article L. 336-3. D’autre part, ces informations sont nécessaires pour que
leur soit adressée la recommandation mentionnée au paragraphe 7. Elles
présentent donc un lien direct avec l’objet de la procédure mise en œuvre par
la commission de protection des droits.
12. Il résulte de ce qui précède que le législateur a
assorti le droit de communication contesté de garanties propres à assurer,
entre le respect de la vie privée et l’objectif de sauvegarde de la propriété
intellectuelle, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée.
13. À l’exception du mot « notamment », le dernier
alinéa de l’article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle, qui ne
méconnaît pas non plus le secret des correspondances, ni aucun autre droit ou
liberté que la Constitution garantit, est conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne le droit de communication portant
sur tous documents et les données de connexion :
14. Les troisième et quatrième alinéas de l’article L.
331-21 du code de la propriété intellectuelle et le mot « notamment » figurant
au cinquième alinéa du même article confèrent aux agents de la Haute autorité
le droit d’obtenir communication et copie de tous documents, quel qu’en soit le
support, y compris les données de connexion détenues par les opérateurs de
communication électronique.
15. L’exercice de ce droit répond aux mêmes fins et
garanties que celles énoncées aux paragraphes 9 et 10. En outre, le troisième
alinéa de l’article L. 331-21 subordonne son exercice aux nécessités de la
procédure mise en œuvre par la commission de protection des droits.
16. Toutefois, d’une part, en faisant porter le droit
de communication sur « tous documents, quel qu’en soit le support » et en ne
précisant pas les personnes auprès desquelles il est susceptible de s’exercer,
le législateur n’a ni limité le champ d’exercice de ce droit de communication
ni garanti que les documents en faisant l’objet présentent un lien direct avec
le manquement à l’obligation énoncée à l’article L. 336-3 du code de la
propriété intellectuelle, qui justifie la procédure mise en œuvre par la
commission de protection des droits.
17. D’autre part, ce droit de communication peut
également s’exercer sur toutes les données de connexion détenues par les
opérateurs de communication électronique. Or, compte tenu de leur nature et des
traitements dont elles peuvent faire l’objet, de telles données fournissent sur
les personnes en cause des informations nombreuses et précises,
particulièrement attentatoires à leur vie privée. Elles ne présentent pas non
plus nécessairement de lien direct avec le manquement à l’obligation énoncée à
l’article L. 336-3.
18. Il résulte de ce qui précède que, dans ces
conditions, le législateur n’a pas entouré la procédure prévue par les
dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation qui ne
soit pas manifestement déséquilibrée entre le droit au respect de la vie privée
et l’objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle.
19. Par conséquent, et sans qu’il soit besoin de se
prononcer sur l’autre grief, les troisième et quatrième alinéas de l’article L.
331-21 du code de la propriété intellectuelle ainsi que le mot « notamment »
figurant au dernier alinéa du même article doivent être déclarés contraires à
la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité
:
20. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ».
En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur
de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée
contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours
à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel.
Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce
dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le
temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la
disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes
dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer
à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions
déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites
particulières.
21. En l’espèce, l’abrogation immédiate des
dispositions déclarées contraires à la Constitution entraînerait des
conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31
décembre 2020 la date de l’abrogation des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les troisième et quatrième
alinéas de l’article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle, dans sa
rédaction résultant de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la
diffusion et la protection de la création sur internet, ainsi que le mot «
notamment » figurant au cinquième et dernier alinéa du même article sont
contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d’inconstitutionnalité de
l’article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe
21 de cette décision.
Article 3. - Le reste du dernier alinéa de l’article
L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction résultant
de la même loi, est conforme à la Constitution.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal
officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article
23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du
20 mai 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY
MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole
MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 20 mai 2020.
En bref, on ne badine pas avec la protection de vos
données et vie privée, et pour cause d’abus du mot « notamment » et
quelques dispositions levant le secret des communications portant sur la vie
privée (et les correspondances, le code des PTT), la loi est vidée de son sens :
On ne devrait plus recevoir de « riposte graduée » si on télécharge
illégalement des œuvres protégées par les droits d’auteur, mais directement une
citation à comparaître…
Seulement à partir du 1er janvier prochain !
Juste le temps pour le législateur d’examiner, « dans
sa très grande sagesse », un nouveau dispositif constitutionnellement
acceptable.
Ce qui ne vous empêche pas de vous abonner sur
des sites « légaux » de téléchargement ou de « capter » le
wifi d’un hôtel situé à proximité de votre ordinateur…
Mais on peut aussi et désormais se poser la question
de l’utilité de la HADOPI.
Sans son bras armé, la haute autorité aura désormais un
champ extrêmement limité. Sa procédure deviendra plus lourde et ses résultats seront
encore moins bons.
Un constat qui remet en doute son utilité et surtout
son coût : En effet le budget de l’HADOPI est de dix millions d’euros par
an, une fortune en comparaison à ses résultats.
Quant à la possible fusion de la HADOPI et du CSA,
elle devrait donc revenir sur le devant de la scène.
Si cette fusion a été envisagée, on ne sait encore
rien de ses prérogatives, de son budget, ni même de son plan pour lutter contre
le piratage.
Pour la bonne forme, si ça vous amuse, je rappelle que
les textes de ce blog sont « libre de tous droits ». J’ai toujours
considéré qu’Internet était gratuit.
D’ailleurs, ils sont eux-mêmes tous inspirés par d’autres
textes de libre accès : Je n’ai aucune imagination pour en créer des
valables…
Naturellement, libre de consultation, mais pas d’exploitation
commerciale.
Je me la réserve et j’ai même chargé mon « Gardien »
et lui seul d’en faire ce que bon il lui semblait.
Logique, quoi.
Bonne lecture à toutes et tous (en vous précisant qu’une
décision d’une juridiction quelconque de ce pays [qui est aussi le mien] appartient
au domaine public dès lors qu’elle est régulièrement publiée par l’autorité
compétente) et bon week-end.
I3
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