Uber confirme la « jurisprudence Inter »
Et c’était parfaitement logique…
Pour les raisons évoquées ci-après :
Cour de cassation - Chambre sociale
Arrêt n° 374 du 4 mars 2020 (requête n° 19-13.316)
RÉPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANÇAIS
Président : M. Cathala
Rapporteur : Mme Valéry, conseiller référendaire
Avocat général : Mme Courcol-Bouchard, premier avocat
général
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer - SCP
Ortscheidt, Me Haas
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 10 janvier 2019), M.
X..., contractuellement lié avec la société de droit néerlandais Uber BV par la
signature d’un formulaire d’enregistrement de partenariat, a exercé une
activité de chauffeur à compter du 12 octobre 2016 en recourant à la plateforme
numérique Uber, après avoir loué un véhicule auprès d’un partenaire de cette
société, et s’être enregistré au répertoire Sirene en tant qu’indépendant, sous
l’activité de transport de voyageurs par taxis.
2. La société Uber BV a désactivé définitivement son
compte sur la plateforme à partir du mois d’avril 2017.
3. M. X... a saisi la juridiction prud’homale d’une
demande de requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber en
contrat de travail, et formé des demandes de rappels de salaires et
d’indemnités de rupture.
Examen de la recevabilité de l’intervention volontaire
du syndicat Confédération générale du travail-Force ouvrière
4. Selon les articles 327 et 330 du code de procédure
civile, les interventions volontaires ne sont admises devant la Cour de
cassation que si elles sont formées à titre accessoire, à l’appui des
prétentions d’une partie et ne sont recevables que si leur auteur a intérêt,
pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
5. Le syndicat Confédération générale du travail-Force
ouvrière ne justifiant pas d’un tel intérêt dans ce litige, son intervention
volontaire n’est pas recevable.
Examen du moyen
Énoncé du moyen
6. Les sociétés Uber France et Uber BV font grief à
l’arrêt de dire que le contrat ayant lié M. X... à la société Uber BV est un
contrat de travail, alors :
« 1°/ que le contrat de travail suppose qu’une
personne physique s’engage à travailler pour le compte d’une autre personne,
physique ou morale, moyennant rémunération et dans un rapport de subordination
juridique ; que ne constitue donc pas un contrat de travail, le contrat conclu
par un chauffeur VTC avec une plateforme numérique, portant sur la mise à
disposition d’une application électronique de mise en relation avec des clients
potentiels en échange du versement de frais de service, lorsque ce contrat
n’emporte aucune obligation pour le chauffeur de travailler pour la plateforme
numérique, ni de se tenir à sa disposition et ne comporte aucun engagement
susceptible de le contraindre à utiliser l’application pour exercer son
activité ; qu’au cas présent, la société Uber BV faisait valoir que le
chauffeur concluant un contrat de partenariat reste totalement libre de se
connecter à l’application ou non, de choisir l’endroit et le moment où il
entend se connecter, sans en informer la plateforme à l’avance, et de mettre
fin à la connexion à tout moment ; que la société Uber BV faisait également
valoir que, lorsqu’il choisit de se connecter à l’application, le chauffeur est
libre d’accepter, de refuser ou de ne pas répondre aux propositions de courses
qui lui sont faites par le biais de l’application et que, si plusieurs refus
consécutifs peuvent entraîner une déconnexion de l’Application pour des raisons
opérationnelles liées au fonctionnement de l’algorithme, le chauffeur a la
possibilité de se reconnecter à tout moment et cette déconnexion temporaire n’a
aucune incidence sur la relation contractuelle entre le chauffeur et Uber BV ;
que la société Uber BV faisait encore valoir que la rémunération de la
plateforme est exclusivement assurée par la perception de frais sur les courses
effectivement effectuées par le biais de l’application, de sorte que le
chauffeur n’est tenu d’aucun engagement financier envers la plateforme
susceptible de le contraindre à utiliser l’application ; que la société Uber BV
faisait enfin valoir que le contrat de partenariat et l’utilisation de
l’application ne sont assortis d’aucune obligation d’exclusivité pour le chauffeur
qui peut librement utiliser de manière simultanée d’autres applications de mise
en relation avec la clientèle constituée auprès de plateformes concurrentes
et/ou exercer son activité de chauffeur VTC et développer une clientèle par
d’autres moyens ; que la société Uber BV en déduisait que la conclusion et
l’exécution du contrat par M. X... n’emportaient strictement aucune obligation
pour ce dernier de travailler pour le compte de la plateforme, de sorte que la
relation contractuelle ne pouvait être qualifiée de contrat de travail ; qu’en
jugeant néanmoins que le contrat ayant lié M. X... à la société Uber BV est un
contrat de travail, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la
conclusion et l’exécution de ce contrat emportaient une obligation à la charge
du chauffeur de travailler pour la plateforme ou de se tenir à la disposition
de cette dernière pour accomplir un travail, la cour d’appel a privé sa
décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1, L. 7341-1
et L. 8221-6 du code du travail ;
(Pour
le moins très bien argumenté. Mais…)
2°/ qu’il résulte de l’article L. 8221-6 du code du
travail que la présomption de non salariat pour l’exécution d’une activité
donnant lieu à une immatriculation au répertoire des métiers n’est écartée que
lorsqu’il est établi que la personne immatriculée fournit des prestations à un
donneur d’ordre dans des conditions qui la placent dans un lien de
subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ; que le lien de
subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un
employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en
contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que
le travail au sein d’un service organisé ne peut constituer un indice du lien
de subordination que lorsque l’employeur détermine unilatéralement les
conditions d’exécution du travail ; qu’aucun lien de subordination juridique
permanent ne saurait résulter du contrat conclu entre une plateforme numérique
et un chauffeur VTC, lorsque le contrat n’emporte aucun pouvoir de la
plateforme d’exiger du chauffeur qu’il accomplisse un travail pour elle ou même
qu’il se tienne à sa disposition pendant une période donnée, aussi courte
soit-elle, ni aucun engagement susceptible de contraindre le chauffeur à
utiliser l’application développée par la plate-forme ; qu’au cas présent, il
est constant que M. X..., qui était inscrit au répertoire des métiers en
qualité de chauffeur, entrait dans le champ d’application de l’article L.
8221-6 du code du travail ; que la société Uber BV faisait valoir que le
chauffeur concluant un contrat de partenariat reste totalement libre de se
connecter à l’application, de choisir l’endroit et le moment où il entend se
connecter, sans être aucunement tenu d’en informer à l’avance la plateforme, et
de mettre fin à la connexion à tout moment ; que la société Uber BV faisait
également valoir que, lorsqu’il choisit de se connecter à l’application, le
chauffeur est libre d’accepter, de refuser ou de ne pas répondre aux
propositions de courses qui lui sont faites par le biais de l’application et
que, si plusieurs refus consécutifs peuvent entraîner une déconnexion
temporaire de l’application pour permettre le bon fonctionnement de
l’algorithme (les demandes de courses étant proposées aux chauffeurs connectés un
par un, par ordre de proximité avec le passager), le chauffeur a la possibilité
de se reconnecter à tout moment uniquement en cliquant sur l’application ; que
la société Uber BV faisait encore valoir que la conclusion du contrat de
partenariat et l’utilisation de l’application ne donne lieu à aucune redevance,
ni à aucun engagement financier, de la part du chauffeur à l’égard de la
société Uber BV, qui serait de nature à contraindre le chauffeur d’utiliser
l’application, et que la rémunération de la plateforme est exclusivement
assurée par la perception de frais sur les courses effectivement effectuées par
le biais de l’application ; que la société Uber BV faisait enfin valoir que le
contrat de prestation de service électronique et l’utilisation de l’application
n’étaient assortis d’aucune obligation d’exclusivité pour le chauffeur qui
pouvait tout à fait librement utiliser de manière simultanée d’autres
applications de mise en relation avec la clientèle constituée auprès de
plateformes concurrentes et/ou exercer son activité de chauffeur VTC et
développer une clientèle par d’autres moyens ; qu’en se bornant à énoncer que
le fait de pouvoir choisir ses lieux et heures de travail n’exclut pas en soi
une relation de travail subordonnée”, sans rechercher si, pris dans leur
ensemble, ces éléments, dont il résultait, non pas une simple liberté pour M.
X... de choisir ses horaires de travail (telle qu’elle peut exister pour
certains salariés), mais une liberté totale d’utiliser ou non l’application, de
se connecter aux lieux et heures choisis discrétionnairement par lui, de ne pas
accepter les courses proposées par le biais de l’application et d’organiser
librement son activité sans l’application, n’excluaient pas l’existence d’un
lien de subordination permanente avec la société Uber BV, la cour d’appel a
privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1,
L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
(Globalement
une redite…)
3°/ que le juge ne peut se prononcer sur l’existence
ou non d’un lien de subordination juridique qu’en tenant compte de l’ensemble
des éléments relatifs aux conditions d’exercice de l’activité qui lui sont
présentés par les parties ; qu’au cas présent, la société Uber BV faisait
valoir, sans être contredite, que le chauffeur n’était soumis à aucune
obligation, ni à aucun contrôle, en termes de connexion et d’activité, que le
contrat de partenariat portant sur l’utilisation de l’application ne comportait
aucun engagement financier à la charge du chauffeur à son égard, ne comportait
pas d’obligation d’exclusivité et rappelait même expressément que le chauffeur
était libre de se connecter et d’utiliser des applications de mise en relation
avec la clientèle constituée auprès de plateformes concurrentes et/ou exercer
son activité de chauffeur VTC autrement qu’en utilisant l’application Uber ;
qu’en jugeant qu’il existait un faisceau d’indices suffisant pour caractériser
l’existence d’un lien de subordination, sans prendre en compte ces éléments
déterminants propres à établir que le chauffeur dispose dans l’exercice de son
activité, y compris par l’intermédiaire de la plateforme Uber, d’une liberté
incompatible avec l’existence d’un lien de subordination juridique permanente,
la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle
et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L.
1411-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
(Le cœur
du problème à trancher…)
4°/ que l’exécution d’un contrat de partenariat
portant sur l’utilisation par un chauffeur VTC d’une application électronique
de mise en relation avec des clients implique une possibilité pour la
plateforme de s’assurer du bon fonctionnement de l’application, du respect par
le chauffeur de la réglementation applicable, de la sécurité des personnes et
de la qualité de la prestation de transport ; que ne caractérise pas un pouvoir
disciplinaire, la possibilité pour une plateforme numérique de rompre
unilatéralement le contrat en cas de manquements graves et répétés du chauffeur
aux obligations résultant du contrat de partenariat ; qu’au cas présent, la
société Uber BV faisait valoir que l’exigence à l’égard du chauffeur de ne pas
annuler trop fréquemment les courses proposées par l’application qu’il a
acceptées n’a ni pour objet ni pour effet de restreindre la liberté du
chauffeur de choisir si, quand, et où il se connecte et de ne pas accepter les
courses proposées, mais est nécessaire pour garantir la fiabilité du système en
fluidifiant l’offre et la demande ; qu’elle exposait, par ailleurs, que les
chauffeurs utilisant l’application Uber ne reçoivent aucun ordre, ni aucune
directive personnalisée et que les règles fondamentales” résultant des
documents contractuels constituent des exigences élémentaires de politesse et
de savoir-vivre, de respect de la réglementation et de la sécurité des
personnes, inhérentes à l’activité de chauffeur VTC ; que, dans ces conditions,
la possibilité de rompre le contrat de partenariat en cas de méconnaissance de
ces obligations n’est aucunement constitutive d’un pouvoir disciplinaire, mais
relève de la faculté dont dispose tout contractant de rompre un partenariat
commercial lorsque ses termes et ses conditions ne sont pas respectés par son
cocontractant ; qu’en se bornant à relever, pour considérer que la société Uber
BV disposait à l’égard des chauffeurs d’un pouvoir de sanction caractérisant un
contrat de travail, qu’un taux d’annulation trop élevé ou le signalement par
les passagers de comportements problématiques du chauffeur pouvaient entraîner
la perte d’accès au compte, sans expliquer en quoi les exigences posées pour
l’utilisation de l’application se distinguent de celles inhérentes à la nature
même de l’activité de chauffeur VTC et à l’utilisation d’une plateforme
numérique de mise en relation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale
au regard des articles L. 1221-1, L. 1411-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du
travail, ensemble les articles L. 3221-1 et suivants du code des transports et
1103 et 1226 du code civil, dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 10
février 2016 ;
(Léger :
Même dans le cadre de « partenariat » commercial, il y a des règles à
respecter)
5°/ que la seule existence d’une possibilité stipulée
au contrat, pour la plateforme de désactiver ou de restreindre l’accès à
l’application ne saurait en elle-même caractériser un contrôle de l’activité
des chauffeurs en l’absence de tout élément de nature à établir qu’une telle
prérogative serait utilisée pour contraindre les chauffeurs à se connecter et à
accepter les courses qui leur sont proposées ; qu’en se bornant à affirmer que
la stipulation, au point 2.4 du contrat, selon laquelle Uber se réserve le
droit de désactiver l’application ou d’en restreindre l’utilisation aurait pour
effet d’inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une
course et ainsi, à se tenir constamment pendant la durée de la connexion, à la
disposition de la société Uber BV”, cependant, d’une part, que le contrat
rappelait, par ailleurs, expressément au chauffeur qu’il était libre d’utiliser
l’application quand il le souhaitait et d’accepter ou non les courses proposées
et, d’autre part, qu’il n’était relevé aucun élément de nature à faire
ressortir l’existence une quelconque désactivation ou restriction d’utilisation
de l’application lorsqu’un chauffeur ne se connecte pas ou refuse des courses,
la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.
1221-1, L. 1411-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
(Un peu
contradictoire : Tu es libre ou non d’accepter les courses proposées ?)
6°/ que l’article 2.4 du contrat de prestations de
services stipule notamment que le client et ses chauffeurs conservent
exclusivement le droit de déterminer quand et combien de temps utiliser, pour
chacun d’eux, l’application chauffeur ou les services Uber” et que le client et
ses chauffeurs gardent la possibilité, par l’intermédiaire de l’application
chauffeur, de tenter d’accepter, de refuser ou d’ignorer une sollicitation de services
de transport par l’intermédiaire des services Uber, ou d’annuler une demande de
services de transport acceptée par l’intermédiaire de l’application chauffeur,
sous réserve des politiques d’annulation d’Uber alors en vigueur” ; qu’en
tronquant l’article 2.4 du contrat pour dire que cette stipulation aurait pour
effet d’inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une
course et ainsi, à se tenir constamment pendant la durée de la connexion, à la
disposition de la société Uber BV”, sans prendre en compte les termes clairs et
précis de cette stipulation relative à la liberté du chauffeur de se connecter
et de ne pas accepter les courses proposées, la cour d’appel a dénaturé par
omission cette stipulation contractuelle, en violation des articles 1103 et
1192 du code civil, dans leur version issue de l’ordonnance du 10 février 2016
;
(Peut-être,
mais c’est une façon léonine de faire faire !)
7°/ que le respect de la commande du client, qui a été
acceptée par le chauffeur VTC, ne saurait constituer un indice de l’existence
d’un lien de subordination de ce dernier à l’égard de la plateforme numérique
ayant mis en relation le chauffeur et le client ; qu’ainsi, le fait pour un
chauffeur VTC, qui a accepté d’effectuer une prestation de service de transport
exclusive commandée par un client, de respecter les termes de cette commande et
ne pas pouvoir prendre en charge d’autres passagers tant que la prestation de
transport est en cours ne peut constituer un indice de subordination à l’égard
d’une plateforme numérique ; qu’en jugeant que l’interdiction faite au
chauffeur pendant l’exécution d’une course réservée via l’application Uber de
prendre en charge d’autres passagers vient réduire à néant un attribut
essentiel de la qualité de prestataire indépendant”, la cour d’appel s’est
fondée sur un motif erroné et a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1, L.
7341-1 et L. 8221-6 du code du travail, ensemble l’article 1103 du code civil,
dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;
(De
plus en plus léger de la part d’Uber)
8°/ qu’il résulte de la charte de la communauté Uber
que sont prohibés les actes qui menacent la sécurité des chauffeurs et des
passagers” comme le fait d’entrer en contact avec les passagers après une
course sans leur accord. Par exemple : le fait d’envoyer un SMS, d’appeler ou
de rendre visite à l’une des personnes présentes dans la voiture après la fin
de la course sans son accord” ; qu’il résulte de ce document contractuel
produit aux débats que, d’une part, l’interdiction de contacter les clients
après la course, qui répond à des impératifs de sécurité, ne s’applique pas
lorsque le client a accepté d’être contacté par le chauffeur et que, d’autre
part, il n’est nullement interdit au chauffeur de donner ses coordonnées aux
clients pour leur permettre de réserver une course auprès de lui directement
sans passer par l’intermédiaire de la plate-forme ; qu’en jugeant néanmoins
qu’en interdisant au chauffeur de contacter les passagers et de conserver leurs
informations personnelles après une course, la société Uber BV privait les
chauffeurs de la possibilité pour un passager consentant de laisser au
chauffeur ses coordonnées pour réserver une prochaine course en dehors de
l’application Uber”, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis des
documents contractuels produits aux débats, en violation des articles 1103,
1189 et 1192 du code civil, dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 10
février 2016 ;
(Pas
vraiment, justement !)
9°/ que la société Uber BV faisait valoir que les
dispositions du code de la consommation interdisent à un chauffeur VTC de
refuser d’accomplir une course sans motif légitime, de sorte que l’absence de
connaissance précise de la destination, n’est pas de nature à remettre en cause
l’indépendance du chauffeur ; qu’en énonçant que l’absence de connaissance du
critère de destination par le chauffeur lorsqu’il doit répondre à une
proposition par le biais de la plateforme Uber interdit au chauffeur de choisir
librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui lui convient
ou non”, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les dispositions
légales relatives au refus de fourniture de services n’interdisent pas à un
chauffeur professionnel de refuser une course pour des motifs de pure
convenance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des
articles L. 121-11 et R. 121-13 du code de la consommation, ensemble l’article
L. 8221-6 du code du travail ;
(De
plus en plus bizarre…)
10°/ que le système de géolocalisation inhérent au
fonctionnement d’une plateforme numérique de mise en relation de chauffeurs VTC
avec des clients potentiels ne caractérise pas un lien de subordination
juridique des chauffeurs à l’égard de la plateforme dès lors que ce système n’a
pas pour objet de contrôler l’activité des chauffeurs mais n’est utilisé que
pour mettre ces derniers en contact avec le client le plus proche, assurer la
sécurité des personnes transportées et déterminer le prix de la prestation ;
qu’en affirmant que le système de géolocalisation utilisé par la plateforme
Uber suffit à établir l’existence d’un contrôle des chauffeurs, peu important
les motivations avancées par la société Uber BV de cette géolocalisation”, la
cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.
1221-1, L. 1411-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail ;
(Les
sociétés de taxis, type G7 et autres, avec de vrais chauffeurs salariés, fonctionnent
exactement de la sorte…)
11°/ que la détermination par une plateforme de mise en
relation par voie électronique du prix des prestations de services fournies par
son intermédiaire ne saurait caractériser un indice de l’existence d’un contrat
de travail ; que le seul fait qu’une prestation de transport fasse l’objet d’un
tarif horokilométrique et que le prix de la prestation puisse être réajusté, en
cas de réclamation d’un passager, lorsque le trajet choisi par le chauffeur
n’est pas approprié car abusivement long n’est pas constitutif d’un ordre ou
d’une directive dans l’exécution du travail ; qu’en jugeant le contraire, la
cour d’appel a violé les articles L. 1221-1, L. 1411-1 et L. 7341-1 du code du
travail, ensemble les articles 1164 et 1165 du code civil dans leur rédaction
issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;
(Bé si
justement, bien au contraire !)
12°/ que les éventuels engagements pris par un
chauffeur indépendant à l’égard de tiers afin d’exercer son activité
professionnelle ne sauraient constituer des indices d’un lien de subordination
juridique entre ce chauffeur et une plateforme numérique ; qu’en relevant le
fait que M. X... avait, dans l’attente de sa propre inscription au registre des
VTC intervenue le 7 décembre 2016, exercé son activité sous la licence de la
société Hinter France, partenaire de la société Uber BV, ce qui le contraignait
à générer un chiffre d’affaires en se connectant à la plateforme Uber, la cour
d’appel s’est fondée sur un motif impropre à caractériser l’existence d’un lien
de subordination juridique avec la société Uber BV, en violation des articles
L. 1221-1, L. 1411-1, L. 7341-1 et L. 8221-6 du code du travail, ensemble
l’article 1199 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10
février 2016. »
(Ah là,
on en apprend de belle, si le fournisseur est une filiale, on n’est plus dans
le cadre d’un métier « libéral ».)
Réponse de la Cour
7. Selon l’article L. 8221-6 du code du travail, les
personnes physiques, dans l’exécution de l’activité donnant lieu à
immatriculation sur les registres ou répertoires que ce texte énumère, sont
présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail.
L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces
personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans
un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre.
8. Selon la jurisprudence constante de la Cour (Soc.,
13 nov. 1996, n° 94-13187, Bull. V n° 386, Société générale), le lien de
subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un
employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en
contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
9. Selon cette même jurisprudence, peut constituer un
indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque
l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.
10. À cet égard, la cour d’appel a retenu que M. X...
a été contraint pour pouvoir devenir ’’partenaire’’ de la société Uber BV et de
son application éponyme de s’inscrire au Registre des Métiers et que, loin de
décider librement de l’organisation de son activité, de rechercher une
clientèle ou de choisir ses fournisseurs, il a ainsi intégré un service de
prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber BV,
qui n’existe que grâce à cette plateforme, service de transport à travers
l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas
librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de
transport, qui sont entièrement régis par la société Uber BV.
11. La cour d’appel a retenu, à propos de la liberté
de se connecter et du libre choix des horaires de travail, que le fait de
pouvoir choisir ses jours et heures de travail n’exclut pas en soi une relation
de travail subordonnée, dès lors que lorsqu’un chauffeur se connecte à la
plateforme Uber, il intègre un service organisé par la société Uber BV.
12. Au sujet des tarifs, la cour d’appel a relevé que
ceux-ci sont contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme
Uber par un mécanisme prédictif, imposant au chauffeur un itinéraire
particulier dont il n’a pas le libre choix, puisque le contrat prévoit en son
article 4.3 une possibilité d’ajustement par Uber du tarif, notamment si le
chauffeur a choisi un ’’itinéraire inefficace’’, M. X... produisant plusieurs
corrections tarifaires qui lui ont été appliquées par la société Uber BV et qui
traduisent le fait qu’elle lui donnait des directives et en contrôlait
l’application.
13. S’agissant des conditions d’exercice de la
prestation de transport, la cour d’appel a constaté que l’application Uber
exerce un contrôle en matière d’acceptation des courses, puisque, sans être
démenti, M. X... affirme que, au bout de trois refus de sollicitations, lui est
adressé le message ’’Êtes-vous encore là ?’’, la charte invitant les chauffeurs
qui ne souhaitent pas accepter de courses à se déconnecter ’’tout simplement’’,
que cette invitation doit être mise en regard des stipulations du point 2.4 du
contrat, selon lesquelles : « Uber se réserve également le droit de
désactiver ou autrement de restreindre l’accès ou l’utilisation de
l’Application Chauffeur ou des services Uber par le Client ou un quelconque de
ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d’Uber »,
lesquelles ont pour effet d’inciter les chauffeurs à rester connectés pour
espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée
de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir
réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la
course qui leur convient ou non, ce d’autant que le point 2.2 du contrat
stipule que le chauffeur « obtiendra la destination de l’utilisateur, soit
en personne lors de la prise en charge, ou depuis l’Application Chauffeur si
l’utilisateur choisit de saisir la destination par l’intermédiaire de
l’Application mobile d’Uber », ce qui implique que le critère de destination,
qui peut conditionner l’acceptation d’une course est parfois inconnu du
chauffeur lorsqu’il doit répondre à une sollicitation de la plateforme Uber, ce
que confirme le constat d’huissier de justice dressé le 13 mars 2017, ce même
constat indiquant que le chauffeur dispose de seulement huit secondes pour
accepter la course qui lui est proposée.
14. Sur le pouvoir de sanction, outre les déconnexions
temporaires à partir de trois refus de courses dont la société Uber reconnaît
l’existence, et les corrections tarifaires appliquées si le chauffeur a choisi
un ’’itinéraire inefficace’’, la cour d’appel a retenu que la fixation par la
société Uber BV d’un taux d’annulation de commandes, au demeurant variable dans
« chaque ville » selon la charte de la communauté Uber, pouvant
entraîner la perte d’accès au compte y participe, tout comme la perte
définitive d’accès à l’application Uber en cas de signalements de « comportements
problématiques » par les utilisateurs, auxquels M. X... a été exposé, peu
important que les faits reprochés soient constitués ou que leur sanction soit
proportionnée à leur commission.
15. La cour d’appel, qui a ainsi déduit de l’ensemble
des éléments précédemment exposés que le statut de travailleur
indépendant de M. X... était fictif et que la société Uber BV lui avait
adressé des directives, en avait contrôlé l’exécution et avait exercé un
pouvoir de sanction, a, sans dénaturation des termes du contrat et sans
encourir les griefs du moyen, inopérant en ses septième, neuvième et douzième
branches, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT irrecevable l’intervention volontaire du syndicat
Confédération générale du travail-Force ouvrière ;
REJETTE le pourvoi ;
Etc.
Pour résumer, un chauffeur de VTC, utilisant une
plateforme numérique pour être mis en relation avec les clients, est salarié de
cette plateforme à partir du moment où celle-ci lui donne des directives,
contrôle l'exécution des courses effectuées, et exerce un pouvoir de sanctions.
Le compte d’un chauffeur de VTC qui a été désactivé
par la plateforme qu’il utilisait pour se mettre en relation avec la clientèle,
pour ne pas avoir respecté une directive qu’il avait accepté lors son
inscription n’est pas « légitime ».
Ce dernier a saisi les tribunaux pour faire
requalifier sa relation de travail en activité salariée, en raison de l’existence
présumée d'un lien de subordination.
Il ne s’est surtout pas retourné vers la juridiction
commerciale pour « rupture abusive » de relations commerciales :
Il tape direct aux Prud’hommes !
La plateforme se défend en estimant que ses chauffeurs
disposent d’une liberté incompatible avec un tel lien. Mais elle ne voit pas en
quoi cette liberté l’empêche de vérifier qu'un chauffeur respecte bien la
réglementation applicable.
Et lorsque celui-ci ne respecte pas les directives
données lors de son inscription, elle estime pouvoir suspendre ou désactiver
son compte, sans que cela ne vienne caractériser un pouvoir disciplinaire…
Fume mon gars, il va falloir revoir ton « business-model ».
Car la Cour de cassation estime, comme la Cour d’appel,
que les restrictions apportées par la plateforme à la liberté de ses chauffeurs
(notamment en termes de tarifs ou de choix des fournisseurs) caractérisent bien
un lien de subordination.
Ce n’est pas une surprise : On avait déjà vu ça
avec les chauffeurs-livreurs d’Intermarché dans les années 80, ceux qui font la
navette entre la plateforme de la centrale régionale et les magasins.
Les meks avaient trouvé malin de leur louer les
tracteurs et de les payer à la course.
Requalifiés !
Dès lors, l’existence d’un contrat de travail est
établie, car là, c’est le lien de subordination, à travers le pouvoir de contrôle
(permanent) et de sanction (la rupture sans préavis) qui aura prévalue !
Normalement, à la suite de cet arrêt, la société Uber tombe,
de droit, dans le délit pénal de travail salarié dissimulé !
Bref, ses salariés, pas déclarés, c’est du travail au « black »
et les Urssaf devraient s’empresser d’aller réclamer leur dû (avec intérêts de
retard) et saisir la juridiction correctionnelle pour ramasser les
pénalités : Une bonne affaire.
L’ubérisation de l’économie, c’est probablement un
progrès à travers la numérisation des tâches et leur automatisation, mais il y
a encore des limites… juridiques dont il faut au passage tenir compte pour
réussir !
Bonne fin de week-end à toutes et à tous !
I3
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