Cour de Cass. Ch. Sociale, 20/11/2019, n° : 18-14118
En réalité, il y a quantité de secteurs économiques
qui sont obligés d’embaucher des « saisonniers » : Ils bossent
pour la saison et ensuite ils font autre chose.
Puis reviennent parfois la saison suivante, pour faire
les cueillettes, les foins, surveiller les plages, faire les tournées postales
ou dépoter des palettes, etc.
Celui-là, il dame les pistes d’une station de sport d’hiver.
Un métier qui ne fait même pas partie des « métiers
pénibles », puisqu’il paraît naturel à « ses messieurs » que se
lever en pleine nuit et parcourir la montagne dans le froid, sous la menace des
avalanches et sous la neige sur des pistes désertes dont il assume la « sécurité »,
sans même pouvoir y skier, ne fait pas partie de cette catégorie.
Il n’empêche, le sieur L…, il fait ce métier-là depuis
37 ans avec la régularité d’un métronome, jusqu’à ce qu’il se fasse licencier
pour cause réelle et sérieuse : On ne nous précise pas laquelle.
Peut-être s’est-il trompé de tracé faute de n’avoir
pas ses lunettes sur le nez et aura basculé dans un ravin, peut-être qu’il aura
trop bu ou s’est endormi et aura pilonné un pylône avec sa machine.
On n’en saura pas plus, même s’il s’enquiert de la
requalification de ses contrats en CDI, histoire de toucher des indemnités légales
un peu plus cossues…
Audience
publique du mercredi 20 novembre 2019
N° de
pourvoi : 18-14118
M. Cathala, président
SCP Boullez, SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et
Robillot, avocat(s)
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt
suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l’article L. 1244-2, alinéa 2, du code du travail
dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8
août 2016 et l’article 16-II de la convention collective nationale des
remontées mécaniques et domaines skiables du 15 mai 1968, étendue par arrêté du
3 février ;
Attendu, d’abord, que selon le premier de ces textes,
une convention ou un accord collectif peut prévoir que tout employeur ayant
occupé un salarié dans un emploi à caractère saisonnier doit lui proposer, sauf
motif réel et sérieux, un emploi de même nature, pour la même saison de l’année
suivante ; que selon le second, qui se rapporte à la reconduction des contrats
saisonniers, les salariés ayant déjà effectué une ou plusieurs saisons au
service de l’entreprise se verront proposer un emploi saisonnier de même nature
à condition qu’ils fassent acte de candidature, la non-reconduction à l’initiative
de l’employeur pour un motif réel et sérieux entraînant le versement à l’agent
d’une indemnité de non-reconduction ;
Attendu, ensuite, que la reconduction de contrats
saisonniers en application du mécanisme conventionnel prévu par les
dispositions susvisées n’a pas pour effet d’entraîner la requalification de la
relation de travail en un contrat à durée indéterminée ; qu’il en résulte qu’en
cas de non-reconduction du dernier contrat saisonnier sans motif réel et
sérieux, seuls des dommages-intérêts réparant le préjudice subi par le salarié
peuvent être octroyés par le juge ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. L… a été
employé à compter du mois de février 1978, en qualité de chauffeur d’engin de
damage par la Régie d’exploitation des équipements sportifs de
Monetier-les-bains, aux droits de laquelle vient la société Serre Chevalier
Vallée domaine skiable, suivant une succession de contrats à durée déterminée
saisonniers, soumis à la convention collective des remontées mécaniques et
domaines skiables du 15 mai 1968 ; que, le 9 mars 2015, il a reçu notification
de la non-reconduction de son dernier contrat pour motif réel et sérieux ; que,
le 16 novembre 2015, il a saisi la juridiction prud’homale à l’effet d'obtenir
la requalification de ses contrats en un contrat à durée indéterminée et l’allocation
d’une indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu que pour requalifier les contrats à durée
déterminée saisonniers du salarié en un contrat à durée indéterminée et condamner
l’employeur au paiement d’un complément d’indemnité légale de licenciement, l’arrêt
retient que l'article 16-II de la convention collective nationale des
téléphériques et engins de remontées mécaniques prévoit que les saisonniers
ayant déjà effectué une ou plusieurs saisons au service de l’entreprise se
verront proposer un emploi saisonnier de même nature, sauf motif réel et
sérieux, que cette clause intitulée « reconduction des contrats
saisonniers » qui n’est applicable qu’aux entreprises de plus de vingt
salariés et ne présentant pas un chiffre d’affaires d’une grande variabilité,
met à la charge de l’employeur une obligation de réemploi du salarié sauf motif
réel et sérieux, qu’il est constant entre les parties que depuis le mois de
février 1978 date de son premier engagement le salarié a bénéficié de contrats
à durée déterminée saisonniers successifs reconduits d’année en année, sans
interruption, en vertu de ces dispositions, qu’il en résulte que, du fait des
renouvellements intervenus sur le fondement d’une clause de reconduction, ces
contrats successifs constituent un ensemble à durée indéterminée, même si
chaque période de travail n’est garantie que pour la saison, dont la rupture
est soumise à l’exigence d’une cause réelle et sérieuse et équivaut de la part
de l’employeur à un licenciement ;
Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les
textes susvisés ;
Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après
avis donné aux parties conformément aux dispositions de l’article 1015 du code
de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il infirme le
jugement du conseil de prud’hommes de Gap du 16 novembre 2015 en ce qu’il a dit
que la succession de contrats à durée déterminée saisonniers de M. L… ne valait
pas contrat à durée indéterminée, dit que la non-reconduction du contrat de
travail saisonnier de M. L… reposait sur des motifs réels et sérieux, débouté
M. L… de sa demande en paiement d’un solde d’indemnité de licenciement et de sa
demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu’il
requalifie les contrats de travail à durée déterminée ayant lié M. L… à la
société Serre Chevalier Vallée domaine skiable en contrat de travail à durée
indéterminée et condamne cette société à verser à M. L… la somme de 2.225,12
euros au titre du solde d’indemnité légale de licenciement et la somme de 2.000
euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt
rendu le 23 janvier 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Déboute M. L… de sa demande de requalification de ses
contrats à durée déterminée saisonniers en un contrat à durée indéterminée et
de sa demande en paiement d’un complément d’indemnité ;
Condamne M. L… aux dépens, en ce compris les dépens d’appel
;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette
les demandes des parties ;
Dit que sur les diligences du procureur général près
la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en
marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre
sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt
novembre deux mille dix-neuf.
Clairement, la Cour d’appel a fait une lecture erronée
de la convention collective applicable (et étendue) : La signature
régulière de contrats saisonniers successifs ne requalifie manifestement pas l’ensemble
de ces contrats en CDI, même si la convention collective prévoit de proposer le
poste au salarié saisonnier embauché les années précédentes. Une proposition n’est
pas non plus une acceptation…
Dès lors, le salarié peut prétendre au versement d’une
indemnité de licenciement ne tenant compte que de l’ancienneté réellement
acquise au sein de l’entreprise calculée par rapport à l’ensemble des contrats,
rapportés au prorata temporis de leurs exécutions successives.
Ce salarié saisonnier demandait en fait la
requalification de l’ensemble de ses 37 contrats en CDI (comme dans le droit
commun des contrats successifs) et l’octroi d’une indemnité de licenciement
correspondant à 37 années d’ancienneté consécutives alors que son employeur
prenait seulement en compte l’ancienneté réellement acquise, contrat après
contrat, dans l’entreprise soit près de 20 ans.
La Cour d’appel avait suivi ses prétentions et requalifié
l’ensemble des contrats saisonnier en un seul CDI (à temps partiel, d’où la
modicité des sommes en jeu) et aura condamné à tort l’employeur au versement d’une
indemnité de licenciement conforme aux 37 années d’ancienneté du salarié, alors
que la juridiction prud’homale en avait décidé en avaient décidé autrement
: Les juges de première instance, élus et « volontaires », connaissaient
mieux la loi que des juges « professionnels ».
Comme quoi…
La Cour de cassation ne retient pas la requalification
de l’ensemble des contrats saisonniers en CDI. Du coup, elle ne retient pas non
plus l’ancienneté totale du salarié et confirme seulement le versement d’une
indemnité de non-reconduction prévue dans la convention collective calculée
comme une indemnité de licenciement tenant compte de l’ancienneté réelle
acquise avec les contrats saisonniers.
Et dans sa très grande sagesse elle ne renvoie pas
devant une autre Cour (les frais, toujours les frais…), jugeant directement sur
le fond, ce qui était juridiquement passible compte tenu de la modicité des
sommes en jeu.
Moâ, j’aurai bien aimé avoir des « syndicaleux »
aussi perspicaces que ça pour avoir « inventé » ce mécanisme pour le
moins « équitable », même au regard du droit commun qui interdit plus
de 3 CDD successifs sans « coupure » en application de la règle dite
du « tiers-temps ».
Parce que pour avoir parfois fait parfois de la discipline
dans les ateliers des « petits-chefs » qui font souvent n’importe
quoi, ce n’est pas facile : On a beau faire des notes de service ou
contrôler les « embauches » avant les embauches, on se retrouve souvent
à faire le pitre inutilement en commission de conciliation…
Et c’est coûteux et chronophage…
Maintenant, je me pose la question de savoir si les
mêmes ont pensé aux conséquences du réchauffement climatique, surtout en
moyenne montagne. Quand il n’y aura plus de neige, ils vont faire comment avec
leurs dameurs ?
Bon week-end à vous toutes et tous !
I3
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