Petite leçon de droit fiscal-appliqué…
Un contribuable, qui n’a pas froid aux yeux, ou a de
mauvais avocats, a saisi le juge administratif pour obtenir la possibilité de
comprendre les intérêts d’un emprunt immobilier dans le prix de revient d’un
immeuble dans le cadre de l’imposition de sa plus-value au moment de la
cession.
Devinez ?
Il n’a pas obtenu gain de cause.
Cour administrative d’appel de Nantes,
1ère chambre,
12 décembre 2019, n°18NT01795
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme E… ont demandé au tribunal administratif de
Caen de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le
revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 2011.
Par un jugement n°1602149 du 8 mars 2018, le tribunal
administratif de Caen a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 mai
2018 et 26 juillet 2019, M. et Mme E…, représentés par Me A…, demandent à la
cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de prononcer cette décharge ;
3°) de mettre à la charge de l’État une somme de 1.500
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l’indemnité transactionnelle de 120.000 euros a été
versée en vue de la réparation du préjudice financier et moral subi du fait des
désordres apparus sur le chantier de construction de la maison d’habitation et
ne peut donc être prise en compte dans le prix de cession de l’immeuble et, par
voie de conséquence, dans le montant de la plus-value imposable ;
- à titre subsidiaire, les intérêts d’emprunt
supportés doivent venir en majoration du prix d’acquisition dans le calcul de
la plus-value ;
- à titre subsidiaire, l’administration doit majorer,
pour le calcul de la plus-value de cession, le prix d’acquisition en tenant
compte des intérêts d’emprunts supportés qui n’ont pas pu être imputés du fait
de l’échec de l'opération immobilière en application de la doctrine
administrative BOI-RFPI-PVI-20-10-20-20.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 31
octobre 2018 et 19 novembre 2019, le ministre de l’action et des comptes
publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme E…
ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des
procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de
l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de M. C…,
- les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B… E… ont conclu, le 17 juillet 2004, un
contrat de maîtrise d’œuvre avec la société Habitat Concept en vue de la
construction d’une maison d’habitation sur un terrain situé sur le territoire
de la commune de Saint-Pair-sur-Mer. À la suite d'un différend entre M. et Mme
E… et la société Habitat Concept, le tribunal de grande instance d’Avranches a,
par un jugement du 1er juillet 2010, constaté la nullité du contrat
liant les parties, l’a requalifié en "contrat de construction de maison
individuelle", a alloué à ceux-ci une somme provisionnelle de 30.000 euros
et ordonné une expertise afin notamment d’évaluer les préjudices subis par M.
et Mme E…. Ceux-ci ont alors décidé de mettre un terme à la construction. Par
protocole du 15 juillet 2011, puis par réitération du protocole et acte de
vente du 27 octobre 2011, ils ont cédé à la société à responsabilité limitée
(SARL) Franck D… le bien immobilier. Dans leur déclaration de plus-value de
cession au titre de l’année 2011, M. et Mme E… ont indiqué un prix de cession
de 140.000 euros. Par une proposition de rectification du 9 février 2015, l’administration
a intégré dans le calcul de la plus-value immobilière une somme de 120.000
euros sur le fondement du II de l’article 150 VA et de l’article 683 du code
général des impôts. M. et Mme E… ont demandé au tribunal administratif de Caen
la décharge de l’imposition supplémentaire ainsi mise à leur charge. Par un
jugement du 8 mars 2018, dont ils relèvent appel, le tribunal a rejeté leur demande.
2. M. et Mme E… demandent que, d’une part, la somme de
120.000 euros qui correspond selon eux à une indemnité transactionnelle ne soit
pas intégrée dans le calcul de la plus-value de cession imposable et, d’autre
part, les intérêts d’emprunt, qui n’ont pu être imputés sur des revenus
fonciers, soient inclus dans le même calcul en tant qu’élément supplémentaire
du prix d’acquisition du bien immobilier.
Sur l’intégration de l’indemnité transactionnelle dans
le calcul de la plus-value de cession :
3. Aux termes de l’article 150 VA du code général des
impôts : "II. - Le prix de cession est majoré de toutes les charges et
indemnités mentionnées au deuxième alinéa du I de l’article 683. Les indemnités
d’assurance consécutives à un sinistre partiel ou total d’un immeuble ne sont
pas prises en compte.". Aux termes du dernier alinéa du I de l’article 683
du même code : "La taxe ou le droit sont liquidés sur le prix exprimé, en
y ajoutant toutes les charges en capital ainsi que toutes les indemnités
stipulées au profit du cédant, à quelque titre et pour quelque cause que ce
soit, ou sur une estimation d’experts, dans les cas autorisés par le présent
code.". Aux termes de l’article 74 D de l’annexe II au même code : "Le
prix de cession et le prix d’acquisition comprennent toutes les charges et
indemnités mentionnées au deuxième alinéa du I de l’article 683 du code général
des impôts".
4. Il ressort de l’instruction et notamment des termes
mêmes du protocole d’accord du 15 juillet 2011, réitéré le 27 octobre 2011,
pour mettre fin à un litige opposant M. et Mme E... et M. D..., qu’il est tenu
compte comme composantes du prix de vente du bien immobilier en cours de
construction sur un terrain situé sur le territoire de la commune de
Saint-Pair-sur-Mer, outre la somme de 140.000 euros, celle de 120.000 euros
versée, alors même que cette dernière est qualifiée d’indemnité
transactionnelle, forfaitaire et définitive à titre de dommages et intérêts en
contrepartie du désistement de M. et Mme E… de toute action contentieuse.
Ainsi, la somme de 120.000 euros est incluse dans le prix de cession. Dès lors,
c’est à bon droit que, conformément aux dispositions précitées, l’administration
a intégré cette somme dans le calcul de la plus-value de cession imposable.
Sur la prise en compte des intérêts d'emprunt dans le
montant du prix d’acquisition :
En ce qui concerne l’application de la loi fiscale :
5. Aux termes de l’article 150 VB du code général des
impôts : "II.- Le prix d'acquisition est, sur justificatifs, majoré : (…)
3° Des frais afférents à l’acquisition à titre onéreux définis par décret, que
le cédant peut fixer forfaitairement à 7,5 % du prix d’acquisition dans le cas
des immeubles à l’exception de ceux détenus directement ou indirectement par un
fonds de placement immobilier mentionné à l’article 239 nonies ; (…).".
Aux termes de l’article 41 duovicies H de l’annexe III au même code : "Pour
l’application du III de l’article 150 VA du code général des impôts, les frais
supportés par le vendeur à l’occasion de la cession ne peuvent être admis en
diminution du prix de cession que si leur montant est justifié. Ils s’entendent
exclusivement : /1° Des frais versés à un intermédiaire ou à un mandataire ; /2°
Des frais liés aux certifications et diagnostics rendus obligatoires par la
législation en vigueur au jour de la cession ; /3° Des indemnités d’éviction
versées au preneur par le propriétaire qui vend le bien loué libre d’occupation
; /4° Des honoraires versés à un architecte à raison de travaux permettant d’obtenir
un accord préalable à un permis de construire ; /5° Des frais exposés par le
vendeur d’un immeuble en vue d’obtenir d’un créancier la mainlevée de l’hypothèque
grevant cet immeuble.". Il résulte de ces dispositions que les intérêts d’emprunt
ne sont pas admis en majoration du prix d’acquisition d’un bien immobilier dans
le calcul d’une plus-value immobilière imposable.
En ce qui concerne l’interprétation administrative de
la loi fiscale :
6. M. et Mme E… se prévalent du paragraphe 270 de l’instruction
BOI-RFPI-PVI-20-10-20-20 du 20 décembre 2013 selon lequel "Seules les
dépenses dont l’imputation n’a pu être intégralement opérée du fait de la
limitation prévue au 3° du I de l’article 156 du CGI peuvent être prises en
compte pour le calcul de la plus-value imposable. Bien entendu, le contribuable
doit être en mesure d’apporter la preuve que ces dépenses n’ont pas été
déduites de ses revenus imposables en produisant une copie de la déclaration
des revenus n°2042 (CERFA n°10330) et la déclaration des revenus fonciers n°2044
(CERFA n°10334), accessibles en ligne sur le site www.impots.gouv.fr à la
rubrique "Recherche de formulaires", souscrites au titre de l’année
de la réalisation des dépenses et des années suivantes jusqu’à celle de la
cession. /Lorsque le montant du déficit restant à imputer est supérieur au
montant des dépenses non encore déduites qui peuvent être prises en compte, le
montant à prendre en compte pour le calcul de la plus-value doit être plafonnée
au montant de ces dépenses. Dans le cas contraire, ce montant est égal au
montant du déficit. /Lorsque l’immeuble est cédé avant l’expiration du délai de
report, une interprétation stricte pourrait conduire à refuser toute prise en
compte des dépenses dont l’imputation est en cours. Dans un souci d’équité, il
convient néanmoins d’admettre la déduction de ces dépenses. Mais, afin d’éviter
une double déduction au titre des revenus fonciers ou du revenu global, d’une
part, et de la plus-value, d’autre part, le contribuable doit renoncer
expressément, dans une note jointe à sa déclaration, au report du déficit
correspondant et réduire à due concurrence le montant du déficit des années
antérieures restant à imputer sur les revenus de l’année de la cession.".
Toutefois, le bien immobilier n’ayant pas été donné en location, et par voie de
conséquence, en l’absence d’un déficit foncier, M. et Mme E… ne rentrent pas
dans les prévisions de cette documentation de base.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E…
ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le
tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande. Par voie de conséquence,
leurs conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme E…
est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. et
Mme B… E… et au ministre de l’action et des comptes publics.
Délibéré après l’audience du 28 novembre 2019, à
laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. C…, président assesseur,
- Mme Malingue, premier conseiller.
Lu en audience publique le 12 décembre 2019.
Le rapporteur,
J.-E. C…
Le président,
F. BatailleLe greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l’action
et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à
ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties
privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
C’était bien essayé…
Car, comme chacun le sait (nul n’est censé ignorer la
loi…), la vente d’un bien immobilier, une maison, un terrain ou un appartement,
peut générer la réalisation d’une plus-value immobilière, lorsque le prix de
vente est supérieur au prix d’achat.
Et cette plus-value, lorsqu’il ne s’agit pas de la
résidence principale du vendeur, est taxable.
Il faut bien vivre…
Après application d’un abattement pour durée de
détention, elle est imposable à l’impôt sur le revenu au taux proportionnel de
19 %, auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux au taux de 17,2 %, soit une
imposition globale au taux de 36,2 %.
Le prix de revient est en principe majoré
forfaitairement de 7,5 % pour tenir compte des frais d’acquisition, tels que
les honoraires du notaire, les commissions des intermédiaires et les droits
d’enregistrement.
Par ailleurs, il est majoré du montant des travaux
effectués par le propriétaire.
Soit celui-ci est en mesure de justifier les travaux
pour le montant réellement payé, et c’est ce montant qui est retenu. Soit il ne
le peut pas (factures trop anciennes et perdues depuis, ou travaux payés « au
black »), et le montant des travaux est évalué forfaitairement à 15 % du
prix d’acquisition.
Ces deux majorations sont importantes dans la mesure
où elles permettent de réduire le montant de la plus-value.
Et elles sont les deux seules expressément prévues par
la loi !
Devant le Tribunal administratif de Caen, puis devant
la Cour administrative d’appel de Nantes, ce contribuable-là a tenté d’obtenir
que les intérêts de l’emprunt, contracté pour l’achat de l’immeuble, soient
également retenus.
En effet, ceux-là sont déductibles des revenus
fonciers générés par le bien acheté, mais en l’occurrence, il n’y a jamais eu
de revenu de cette nature sur ce bien-là à raison d’un litige avec son
constructeur qui aura interdit, matériellement, sa mise en location…
Au-delà des arguments juridiques développés, celui de
l’équité pouvait prévaloir.
Même si les taux d’intérêt sont actuellement
particulièrement bas, le prix de l’immobilier est tellement haut que la durée
de l’emprunt peut atteindre 25 ans, voire 30 ans. Sur une telle durée, les
intérêts, même à un taux raisonnable, majorent considérablement le coût réel de
l’acquisition.
Toutefois, le Tribunal administratif de Caen a rejeté
la demande du contribuable.
La Cour administrative d’appel de Nantes confirme le
jugement, et a donc donné tort au contribuable dans ses prétentions.
Son argumentation a été rejetée, tant sur le terrain
de la loi fiscale (qui est ce qu’elle est) que sur celui de la doctrine
administrative qui semblait pourtant lui être plus favorable.
Dès lors, à moins d’un pourvoi devant le Conseil d’État
et d’une décision favorable de celui-ci, la porte entrouverte semble désormais
refermée.
Car comme vous ne l’ignorez pas, la doctrine opposable
à tous les citoyens – l’interprétation que fait l’administration fiscale des
lois et règlements fiscaux qu’elle est chargée d’appliquer – est d’interprétation
stricte, notamment quand elle est favorable au contribuable.
Quand elle ne l’est pas, on demande au juge de l’anéantir
au cas par cas, jusqu’à ce qu’elle soit rapportée (ou devenue légale par une
intervention du Parlement).
La Cour suit naturellement cette jurisprudence
constante de l’application de l’article L80 A du LPF : Si tu ne réunis pas
les conditions prévues par la doctrine invoquée, c’est que tu n’y as pas droit !
Et en l’espèce, Maître A… aurait dû avertir ses
clients.
À moins qu’il ait tenté un « essai », juste
pour voir.
De toute façon, ce n’est pas lui qui paye… mais est « honoré »
pour ça : Alors pourquoi se gêner ?
D’autant que ça reste une recette imposable pour le « baveux »
et un coût non-déductible pour le contribuable : Tout bénéfice pour le
fisc, en somme !
Bon week-end à toutes et tous !
I3
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