Arrêt n° 219 du 17 mars 2021
J’admets que c’est un peu du « réchauffé ».
Veillez m’en excuser, mais j’avais été « débordé » par la production judiciaire un temps, puis j’avais oublié cet arrêt rigolo comme tout.
Je vous explique : On est en plein drame d’un divorce entre deux
personnes qui ne se supportent plus.
Et survient invariablement le sort de la résidence principale acquise en indivision, notamment quand le régime matrimonial choisi par les futurs divorcés emporte « séparation de biens ».
Car en général, lorsque des époux sont séparés de biens, il arrive qu’ils acquièrent leur résidence familiale en indivision, pour moitié chacun, même si le financement est assuré majoritairement ou en totalité par seulement l’un d’entre eux.
L’un se retrouve donc en quelque sorte à payer la part de l’autre sur les bons conseils des notaires…
Évidemment, lorsque le couple se sépare, la question de savoir si celui qui a financé la part de l’autre bénéficie d’une créance à son encontre surgit tout aussi invariablement.
Et c’est précisément de cette question que traite l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 mars 2021.
Arrêt n° 219 du 17 mars 2021 (19-21.463), 1ère
chambre civile
Président : Mme Batut
Rapporteur : M. Buat-Ménard, conseiller référendaire
Avocat général : M. Sassoust
Avocat(s) : Maître Bouthors
Demandeur(s) : Mme U... T... , épouse V...
Défendeur(s) : M. Q... V...
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 9 mai 2019), un jugement a
prononcé le divorce de M. V... et de Mme
T... , mariés sous le régime de la séparation de biens. Des difficultés sont
nées lors du règlement de leurs intérêts patrimoniaux.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches,
ci-après annexé
2. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de
procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement
motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la
cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Énoncé du moyen
3. Mme T... fait
grief à l’arrêt de rejeter sa demande de créance au titre de l’acquisition du
bien immobilier sis [...], alors « que seul le remboursement par l’un des époux
marié sous le régime de la séparation de biens des échéances d’emprunt, à
l’exclusion d’un apport en capital personnel, destiné à financer l’acquisition
en indivision de la résidence principale ou secondaire de la famille, est susceptible
de participer de l’exécution de sa contribution aux charges de la vie commune
ou du mariage ; qu’après avoir elle-même retenu que le logement principal des
époux avait été [...] financé par un apport personnel de Mme U... T... de 105
200,18 euros, la cour d’appel l’a cependant déboutée de sa demande de créance
contre son époux au motif que : [...] les versements effectués par l’un des
époux pendant le mariage tant pour régler le prix d’acquisition d’un bien
immobilier constituant le domicile conjugal que pour rembourser les mensualités
des emprunts immobiliers contractés pour en faire l’acquisition [...]
participent de l’exécution de son obligation de contribution aux charges du
mariage ; qu’en statuant ainsi quand seul le remboursement des échéances de
l’emprunt était susceptible d’être considéré comme une contribution aux charges
du mariage, la cour d’appel a violé les dispositions des articles 214 et 1536
et suivants du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l’article 214 du code civil :
4. Il résulte de ce texte que, sauf convention contraire des
époux, l’apport en capital de fonds personnels, effectué par un époux séparé de
biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien
indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son
obligation de contribuer aux charges du mariage.
5. Pour rejeter la demande de créance de Mme T... au titre de l’acquisition du bien immobilier
sis [...], après avoir constaté que l’immeuble, acquis par les époux pour
constituer le logement de la famille, avait été financé pour partie au moyen
d’un apport personnel de Mme T..., l’arrêt retient, d’abord, que la clause du
contrat de mariage stipulant que chacun des époux sera réputé s’être acquitté
jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage leur interdit de
prouver que l’un ou l’autre ne se serait pas acquitté de son obligation,
ensuite, que les versements effectués par l’un d’eux pendant le mariage, tant
pour régler le prix d’acquisition d’un bien immobilier constituant le domicile
conjugal que pour rembourser les mensualités des emprunts immobiliers
contractés pour en faire l’acquisition, participent de l’exécution de son
obligation de contribution aux charges du mariage, sauf s’ils excèdent ses
facultés contributives, enfin, que Mme T... ne démontre pas que sa
participation financière à l’acquisition du domicile familial a excédé son
obligation de contribution aux charges du mariage.
6. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte
susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de Mme T... tendant à se voir reconnaître une créance au titre de l’acquisition du bien immobilier sis [...], l’arrêt rendu le 9 mai 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
Car pendant très longtemps, la jurisprudence analysait le financement du
logement de la famille comme l’exécution de la contribution aux charges du
mariage, peu importe d’ailleurs le mode de financement (apport en capital,
remboursement d’emprunt…).
Cette analyse avait d’ailleurs même été étendue aux résidences secondaires.
Or, dans les contrats de mariage il est en général prévu que les époux séparés de biens contribuent aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives et sont réputés y contribuer au jour le jour, de sorte qu’ils ne sont assujettis à aucun compte entre eux à la liquidation de leur régime.
Ainsi, lorsque l’un des époux finançait seul le logement de la famille, il ne pouvait bénéficier d’une créance contre l’autre.
La Cour de cassation aura opéré un revirement de jurisprudence dans un
arrêt de principe du 3 octobre 2019, dans lequel elle énonce que « sauf
convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de
biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part
de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage
familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux
charges du mariage ».
Dans une telle situation, l’époux ayant financé la part de l’autre bénéficie dès lors d’une créance contre lui.
Cet arrêt semble toutefois restreindre cette analyse à la contribution par un apport en capital provenant de la vente d’un bien personnel.
Mais, ce nouvel arrêt du 17 mars 2021 confirme cette solution, et surtout l’étend
à toute sorte d’apport en capital provenant de fonds personnels : Peu importe
donc l’origine des fonds (vente d’un bien personnel ou autre), dès lors qu’ils
sont qualifiés de « personnels », l’apport en capital ne participe
pas à la contribution aux charges du mariage.
En revanche, la question du simple remboursement périodique de l’emprunt au-delà de sa quote-part indivise reste en suspens à ce jour : Il ne s’agit pas dans ce cas d’un apport en capital donc il n’est pas possible d’étendre la solution à cette situation.
Dans l’arrêt du 17 mars 2021, la Cour de cassation indique que les époux
peuvent prévoir une convention contraire : Les époux peuvent donc inclure l’apport
en capital dans les modes de contribution aux charges du mariage.
Dans ce cas, si l’un d’entre eux finance intégralement l’acquisition du logement de la famille, même par un apport en capital, il ne pourra pas bénéficier d’une créance contre l’autre.
Se pose alors la question de savoir si a contrario les époux pourraient exclure des modes de contribution aux charges du mariage le remboursement de l’emprunt, par une convention contraire.
Les choses se précisant malheureusement au fil des litiges, il faudra sans doute attendre quelques années avant de pouvoir répondre à cette question avec certitude.
Des volontaires ?
Ça permettrait de faire avancer la science juridique.
Qui a naturellement des conséquences fiscales : En cas de revente du bien acquis de la sorte, sur lequel des ex-époux s’impute les plus-values et surtout sur quelles bases de calcul…
Sachant que la résidence principale est exonérée et la plus-value sur une résidence secondaire tout autant mais sous condition de durée de possession.
Probablement que je serai mort depuis longtemps quand on aura enfin la
solution…
Dans plusieurs décennies, peut-être.
Tant mieux : Ça reste une question accessoire, bien entendu !
Bon week-end à toutes et tous !
I3
Veillez m’en excuser, mais j’avais été « débordé » par la production judiciaire un temps, puis j’avais oublié cet arrêt rigolo comme tout.
Et survient invariablement le sort de la résidence principale acquise en indivision, notamment quand le régime matrimonial choisi par les futurs divorcés emporte « séparation de biens ».
Car en général, lorsque des époux sont séparés de biens, il arrive qu’ils acquièrent leur résidence familiale en indivision, pour moitié chacun, même si le financement est assuré majoritairement ou en totalité par seulement l’un d’entre eux.
L’un se retrouve donc en quelque sorte à payer la part de l’autre sur les bons conseils des notaires…
Évidemment, lorsque le couple se sépare, la question de savoir si celui qui a financé la part de l’autre bénéficie d’une créance à son encontre surgit tout aussi invariablement.
Et c’est précisément de cette question que traite l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 mars 2021.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Rapporteur : M. Buat-Ménard, conseiller référendaire
Avocat général : M. Sassoust
Avocat(s) : Maître Bouthors
Demandeur(s) : Mme U... T... , épouse V...
Défendeur(s) : M. Q... V...
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de Mme T... tendant à se voir reconnaître une créance au titre de l’acquisition du bien immobilier sis [...], l’arrêt rendu le 9 mai 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
Cette analyse avait d’ailleurs même été étendue aux résidences secondaires.
Or, dans les contrats de mariage il est en général prévu que les époux séparés de biens contribuent aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives et sont réputés y contribuer au jour le jour, de sorte qu’ils ne sont assujettis à aucun compte entre eux à la liquidation de leur régime.
Ainsi, lorsque l’un des époux finançait seul le logement de la famille, il ne pouvait bénéficier d’une créance contre l’autre.
Dans une telle situation, l’époux ayant financé la part de l’autre bénéficie dès lors d’une créance contre lui.
Cet arrêt semble toutefois restreindre cette analyse à la contribution par un apport en capital provenant de la vente d’un bien personnel.
En revanche, la question du simple remboursement périodique de l’emprunt au-delà de sa quote-part indivise reste en suspens à ce jour : Il ne s’agit pas dans ce cas d’un apport en capital donc il n’est pas possible d’étendre la solution à cette situation.
Dans ce cas, si l’un d’entre eux finance intégralement l’acquisition du logement de la famille, même par un apport en capital, il ne pourra pas bénéficier d’une créance contre l’autre.
Se pose alors la question de savoir si a contrario les époux pourraient exclure des modes de contribution aux charges du mariage le remboursement de l’emprunt, par une convention contraire.
Les choses se précisant malheureusement au fil des litiges, il faudra sans doute attendre quelques années avant de pouvoir répondre à cette question avec certitude.
Ça permettrait de faire avancer la science juridique.
Qui a naturellement des conséquences fiscales : En cas de revente du bien acquis de la sorte, sur lequel des ex-époux s’impute les plus-values et surtout sur quelles bases de calcul…
Sachant que la résidence principale est exonérée et la plus-value sur une résidence secondaire tout autant mais sous condition de durée de possession.
Dans plusieurs décennies, peut-être.
Tant mieux : Ça reste une question accessoire, bien entendu !
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