Charges déductibles du revenu : Décision n°
2020-842 QPC du 28 mai 2020
Un peu de fiscalité, s’il vous plaît !
C’est fait : Le Conseil constitutionnel a été
saisi le 2 mars 2020 par le Conseil d’État (décision n° 436454 du 28 février
2020), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d’une
question prioritaire de constitutionnalité importante et urgentissime.
Cette question a été posée pour M. Rémi V… par Maître
Christian Mear, avocat au barreau de Rennes.
Elle a été enregistrée au secrétariat général du
Conseil constitutionnel sous le n° 2020-842 QPC et elle est relative à la
conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des mots « lorsque
son versement résulte d’une décision de justice et » figurant au 2° du
paragraphe II de l’article 156 du code général des impôts.
C’est d’importance, d’une part parce que j’imagine que
tous les autres recours ont dû être épuisés et d’autre part, parce que la
mesure de déduction de la pension alimentaire des revenus d’un contribuable
qui, pour éviter de mobiliser l’appareil judiciaire, convient à l’amiable avec
son ex-conjoint d’une quotité « équitable » de pension alimentaire,
du fait de cet article du CGI – qui a force de loi – ne serait pas déductible.
Ce qui serait fâcheux au regard du principe d’égalité
républicain de la charge citoyenne devant l’impôt…
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- le décret n° 2015-608 du 3 juin 2015 portant
incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et
complétant certaines dispositions de ce code ;
- le décret n° 2016-775 du 10 juin 2016 portant
incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et
complétant certaines dispositions de ce code ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure
suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de
constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par le Premier ministre,
enregistrées le 25 mars 2020 ;
- les observations présentées pour le requérant par Me
Paul Harand, avocat au barreau de Rennes, enregistrées le 17 avril 2020 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu M. Philippe Blanc, désigné par le
Premier ministre, à l’audience publique du 12 mai 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur ce qui suit
:
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit
être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion
duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des
mots « lorsque son versement résulte d’une décision de justice et » figurant au
2° du paragraphe II de l’article 156 du code général des impôts dans ses
rédactions résultant des décrets du 3 juin 2015 et du 10 juin 2016 mentionnés
ci-dessus.
2. Le 2° du paragraphe II de l’article 156 du code
général des impôts prévoit que, pour la détermination du revenu imposable à l’impôt
sur le revenu, la contribution aux charges du mariage peut être déduite «
lorsque son versement résulte d’une décision de justice et » à condition que
les époux fassent l’objet d’une imposition séparée.
3. Le requérant soutient que ces dispositions seraient
contraires aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges
publiques. Elles introduiraient une différence de traitement injustifiée entre
les contribuables qui versent une contribution aux charges du mariage selon que
leur contribution est versée ou non en exécution d’une décision de justice
puisque la contribution ne peut être déduite du revenu que dans le premier cas.
Sur le fond :
4. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle
protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que
le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il
déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et
l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct
avec l’objet de la loi qui l’établit.
5. Les époux doivent, au titre de leurs droits et
devoirs respectifs, contribuer aux charges du mariage. L’article 214 du code
civil prévoit que, si les conventions matrimoniales ne règlent pas cette
contribution, les époux contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
Si l’un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être judiciairement
contraint par l’autre.
6. Le 2° du paragraphe II de l’article 156 du code
général des impôts prévoit que cette contribution peut être déduite du revenu
de celui qui la verse en exécution d’une décision de justice lorsque les époux
font l’objet d'une imposition distincte. Ce faisant, les dispositions
contestées instituent une différence de traitement entre les contribuables
selon que leur contribution est versée ou non en exécution d’une décision de
justice.
7. Or, d’une part, la décision de justice rendue dans
ce cadre a pour objet soit de contraindre un des époux à s’acquitter de son
obligation de contribuer aux charges du mariage, soit d’homologuer la
convention par laquelle les époux se sont accordés sur le montant et les
modalités de cette contribution. Ainsi, une telle décision de justice n’a ni
pour objet ni nécessairement pour effet de garantir l’absence de toute
optimisation fiscale. D’autre part, le simple fait qu’un contribuable
s'acquitte spontanément de son obligation légale sans y avoir été contraint par
une décision de justice ne permet pas de caractériser une telle optimisation.
8. Dès lors, la différence de traitement contestée n’est
justifiée ni par une différence de situation au regard de la lutte contre l’optimisation
fiscale ni par une autre différence de situation en rapport avec l’objet de la
loi. Elle n’est pas non plus justifiée par un motif d’intérêt général.
9. Par conséquent, les dispositions contestées
méconnaissent le principe d’égalité devant la loi et doivent donc, sans qu’il
soit besoin d’examiner l’autre grief, être déclarées contraires à la
Constitution.
Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité
:
10. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ».
En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur
de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée
contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours
à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel.
Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce
dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le
temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la
disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. Ces mêmes
dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer
à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions
déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites
particulières.
11. En premier lieu, les dispositions déclarées
contraires à la Constitution, dans leurs rédactions contestées résultant des
décrets du 3 juin 2015 et du 10 juin 2016, ne sont plus en vigueur.
12. En second lieu, la déclaration d’inconstitutionnalité
est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de
publication de la présente décision.
Le Conseil constitutionnel décide :
Article 1er : Les mots « lorsque son
versement résulte d’une décision de justice et » figurant au 2° du paragraphe
II de l’article 156 du code général des impôts, dans ses rédactions résultant
du décret n° 2015-608 du 3 juin 2015 portant incorporation au code général des
impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce
code et du décret n° 2016-775 du 10 juin 2016 portant incorporation au code
général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines
dispositions de ce code, sont contraires à la Constitution.
Article 2 : La déclaration d’inconstitutionnalité
de l’article 1er prend effet dans les conditions fixées aux
paragraphes 11 et 12 de cette décision.
Article 3 : Cette décision sera publiée au
Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions
prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du
28 mai 2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY
MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole
MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 28 mai 2020.
Vous l’aurez
compris, le « Conscons » valide le « divorce fiscal », même
amiable et dans tous ses effets.
La manœuvre
consistait à se mettre sous un régime matrimonial de séparation de biens ET à
faire « domicile à part » entre les conjoints.
Ils ne
divorcent pas, ne sont pas non plus aller chercher un jugement de « séparation
de corps » par plus que d’un divorce : L’un vit à la ville, l’autre à
la campagne, ou l’un à la mer, l’autre à la montagne et forcément, même mariés,
ils font « chambre à part »…
Bref,
ils baisent à l’hôtel ou chez l’un ou l’autre, que quand ils en ont envie :
Ça évite les disputes inutiles et facilite les « retrouvailles
sensuelles » !
L’astuce
fiscale, c’est que quand ces deux conditions étaient réunies (régime séparatif
et séparation de corps effectif), le couple faisait deux déclarations fiscales
sur les revenus.
Et se
partageaient les parts apportées au quotient familial par les rejetons nés de leur
coïts féconds.
Au lieu
d’avoir deux parts plus deux demi-parts pour les deux premiers « nains de
jardin », donc trois au total, avec deux déclarations ils cumulaient
chacun deux parts, soit quatre au total.
Ce qui
mécaniquement réduit la progressivité du barème fiscal applicable.
Ou de
la bonne « optimisation fiscale » parfaitement légale, à condition de
convaincre le conjoint (qui ne veut pas entendre parler de divorce, même
fiscal, comme de bien entendu…)
Bien
sûr, pour être honnête l’un vis-à-vis de l’autre, le plus fortuné payait une « soulte »,
une pension au plus désargenté. Le premier déduisait, le second déclarait. Ça équilibrait.
Mais
pour ça, il fallait un jugement « judiciaire », sans ça, dans sa « très
grande sagesse », le Législateur refusait la manœuvre avec son article 156
du CGI…
Et le
Service, dans sa célérité à appliquer la Loi, toute la Loi, redressait
systématiquement.
Anticonstitutionnel
aura décidé le « Conscons » pendant la période de confinement !
C’est
que ces « messieurs-dames » en connaissent un rayon sur les familles « recomposées ».
Alors
ils auront cogité durant tout le confinement pour sortir cette décision.
Vous
noterez que le principe du « divorce fiscal » aura beaucoup perdu de
sa pertinence.
D’abord
avec le plafonnement des effets du quotient familial (qui était un coup de
pouce aux familles nombreuses à une époque où on avait besoin de plein de futurs
défenseurs de la Patrie près à se faire tailler en pièces dans les tranchées…) ;
Ensuite
avec la « retenue à la source » où chacun, comme dans plein de pays,
paye son dû selon ses propres revenus sans même savoir combien au juste…
Mais ça
peut encore être utile.
Comme
quoi, ils « phosphoraient-fort » alors que tout le monde se tournait
les pouces devant ses ordinateurs et téléphones soudain devenus muets, tous
coincés entre quatre murs.
J’adore
cette République où finalement, chacun aura pu « performer » sans
heurt !
Bon
week-end à toutes et à tous : C’était le quart-d’heure fiscal du moment…
I3
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire