Il faut une intention spéculative
La vente d’un bien immobilier relève normalement
du régime des plus-values des particuliers (ou de l’IS pour les entreprises soumises
à cet impôt, commerciales par la forme ou l’activité) et du régime des
marchands de biens quand il ne s’agit plus de la gestion de « bon père de
famille » d’un patrimoine.
Parce que le bien immobilier est traité comme
d’un stock, une marchandise.
J’achète, je porte, je rénove éventuellement,
en vue de revendre. Une activité « commerciale » comme une autre.
Notez qu’à côté subsiste le régime des lotisseurs :
Je possède un bien, je le découpe, je le morcèle et je revends par « petits-bouts »
après une éventuelle rénovation ou construction.
Plus de dix lots, et je suis « marchand
de biens ».
Attention, car cette qualité de « marchand
de biens » est attachée « à vie » à la personne qui réalise ces
opérations, même pour son habitation ou les biens reçus en legs, par héritage…
On ne s’en défait jamais : Un vrai
piège.
Dans cette affaire, une société civile
immobilière (SCI), ayant pour objet la location de biens immobiliers, avait
acheté un terrain nu en 1994.
Dix ans plus tard, elle avait fait construire
sur ce terrain deux bâtiments.
Des constructions qui allaient lui permettre
de devenir propriétaire de six appartements et d’un local commercial.
En 2004 et 2005, la SCI avait mis en location
le local commercial et vendu les logements.
Les produits ainsi dégagés par cette cession
avaient été soumis au régime d’imposition des plus-values des particuliers, le plus
favorable.
Seulement voilà t’y pas que le fisc, toujours
au plus près de « ses sous », an 2006, déclenche une vérification de
comptabilité de ladite société.
À la suite de cette procédure,
l’administration fiscale lui avait notifié un redressement, justifié par le
fait que les produits de la vente devaient être imposés à l’impôt sur les
sociétés dès lors qu’ils étaient liés à une activité de marchand de biens.
Estimant être dans son bon droit, la SCI
avait porté l’affaire devant la justice :
CAA de PARIS – N°17PA22522
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
M. DALLE, président
M. David DALLE, rapporteur
Mme MIELNIK-MEDDAH, rapporteur public
STRATENE AVOCATS, avocat
Lecture du vendredi 5 juillet 2019
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE
FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière Barbadine a
demandé au Tribunal administratif de la Réunion la décharge des cotisations d’impôt
sur les sociétés, de contribution sur l’impôt sur les sociétés et d’imposition
forfaitaire annuelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2004
et 2005 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1500075 du 24 mai 2017,
le Tribunal administratif de la Réunion a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés
le 27 juillet 2017 et le 15 mars 2018, la société Barbadine, représentée par
MeA…, demande à la Cour administrative d’appel de Bordeaux :
1°) d’annuler le jugement n° 1500075 du 24
mai 2017 du Tribunal administratif de la Réunion ;
2°) de prononcer la décharge des
impositions et pénalités en litige ;
3°) de mettre une somme de 3.000 euros à
la charge de l’État au titre de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative.
Elle soutient que :
- la procédure de taxation d’office ne
pouvait être mise en œuvre ;
- elle ne peut être soumise à l’impôt sur les sociétés à raison des opérations réalisées en 2004 et 2005 ;
- elle a respecté ses obligations
déclaratives ; les pénalités sont infondées.
Par un mémoire, enregistré le 23 janvier
2018, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la
requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la société
requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance n° 428220 du 1er
mars 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d’État a
attribué le jugement de l’affaire à la Cour administrative d’appel de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre
des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties
du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience
publique :
- le rapport de M. Dalle,
- les conclusions de Mme Mielnik Meddah,
rapporteur public,
- et les observations de M° Labbez, avocat
de la société Barbadine.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Barbadine,
dont le siège est situé à Saint-Louis (Réunion), a fait l’objet en 2006 d’une
vérification de comptabilité, portant sur les années 2003 à 2005. À l’issue, l’administration
a estimé que ses résultats des exercices clos en 2004 et 2005 devaient être
imposés à l’impôt sur les sociétés, à la contribution sur l’impôt sur les
sociétés et à l’imposition forfaitaire annuelle, au motif qu’au cours de ces
années elle avait réalisé une opération de construction d’immeuble suivie d’une
revente par lots, la faisant entrer dans le champ de l’impôt sur les sociétés
par application des dispositions combinées des articles 206-2 et 35 du code
général des impôts. Elle a relevé appel devant la Cour administrative d’appel
de Bordeaux du jugement en date du 24 mai 2017 par lequel le Tribunal
administratif de la Réunion a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces
impositions et des pénalités correspondantes. Par une ordonnance du 1er
mars 2019 prise en application de l’article R. 351-8 du code de justice
administrative, le président de la section du contentieux du Conseil d’État a
attribué le jugement de cette affaire à la Cour administrative d’appel de
Paris.
2. En vertu du 2 de
l’article 206 du code général des impôts, les sociétés civiles sont passibles
de l’impôt sur les sociétés si elles se livrent à des opérations visées à l’article
35 du même code. Il résulte de ce dernier article qu’ont le caractère de
bénéfices industriels et commerciaux « les bénéfices réalisés par les
personnes... qui, à titre habituel, achètent des biens immeubles, en vue d’édifier
un ou plusieurs bâtiments et de les vendre, en bloc ou par locaux… ». L’application
de ces dispositions est subordonnée à la double condition que les opérations
procèdent d’une intention spéculative et présentent un caractère habituel. L’intention
spéculative doit être recherchée à la date d’acquisition des immeubles
ultérieurement revendus et non à la date de leur cession.
3. En l’espèce, il
résulte de l’instruction que la SCI Barbadine a été créée le 16 décembre 1992,
avec pour objet la location de biens immobiliers. Elle a fait l’acquisition le
5 septembre 1994, près de deux ans plus tard, des terrains sur lesquels les
deux bâtiments litigieux, comportant six logements et un local professionnel,
ont été édifiés. Cette construction, réalisée en 2004, a été décidée lors d’une
assemblée générale ordinaire des associés de la SCI en 2003, plus de huit ans
après l’achat des terrains. Si les six logements ont été vendus par la SCI en
2004 et 2005, la société requérante soutient sans être contredite que cinq de
ces six ventes ont été effectuées à prix coûtant et ne lui ont procuré aucun
bénéfice. Le local professionnel, qui représente 30,68 % de la superficie
totale des bâtiments, est donné en location par la SCI depuis l’achèvement de
la construction. Il ne résulte pas de l’instruction et n’est pas soutenu par l’administration,
que, depuis sa création, la SCI Barbadine aurait accompli d’autres opérations d’achat
revente ou de construction d’immeubles que celle ci-dessus décrite. Dans ces
conditions, l’achat des terrains litigieux en 1994 ne peut être regardé comme
procédant d’une intention spéculative.
4. Il résulte de ce
qui précède et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la
requête, que la SCI Barbadine est fondée à soutenir que c’est à tort que, par
le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Réunion a rejeté sa
demande.
Sur les conclusions tendant à l’application
des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Dans les
circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’État une
somme de 1.500 euros au titre des frais exposés par la SCI Barbadine.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°
1500075 du 24 mai 2017 du Tribunal administratif de la Réunion est annulé.
Article 2 : Il est accordé à la SCI
Barbadine la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés, de contribution
sur l’impôt sur les sociétés et d’imposition forfaitaire annuelle auxquelles
elle a été assujettie au titre des années 2004 et 2005 et des pénalités
correspondantes.
Article 3 : L’État versera à la SCI
Barbadine une somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l’article L
761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié
à la société Barbadine et au ministre de l’action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction du
contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2019
à laquelle siégeaient :
M. Dalle, président,
Mme Notarianni, premier conseiller,
Mme Stoltz-Valette, premier conseiller
Lu en audience publique, le 5 juillet
2019.
L’assesseur le plus ancien, Le
président-rapporteur, L. NOTARIANNI D. DALLE
Le greffier, C. BUOT
La République mande et ordonne ministre de
l’action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de
justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les
parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Les juges estimant que le redressement
n’était pas justifié dans la mesure où, pour être considéré comme marchand de
biens, il faut réunir deux critères.
1 – Doivent être remplis la condition du « caractère
habituel » des opérations d’achat/vente, ce qui n’était pas le cas puisque
l’opération est unique.
2 – Et l’intention spéculative au jour de
l’acquisition du bien revendu.
Or, la construction des biens immobiliers
cédés avait été réalisée 10 ans après l’acquisition du terrain par la SCI.
Et, sur cinq des six lots vendus, aucun
bénéfice n’avait été dégagé.
Ce qui vous laisse penser que l’imposition
des associés, au titre de l’article 8 du CGI, n’aura eu aucun impact sur leur
IR…
Puisque l’intention spéculative au jour de
l’acquisition du terrain n’était donc pas établie, que par ailleurs il n’y a
pas « dix lots » mais 6, les quidams en reviennent dans le champ d’application
de l’IR et non de l’IS.
Avec le régime des « revenus fonciers »
pour ce qui est de l’imposition sur les loyers encaissés.
Ainsi en veut la loi.
Vous me direz que peut-être, c’est un calcul :
Parfois, il vaut mieux passer sous le régime de l’IS, puisqu’on peut déduire
tous les frais de gestion et en sus un amortissement, ce que ne permet pas le
régime du foncier.
En revanche, je peux vous dire que le passage
d’un régime fiscal à un autre (notamment quand on n’a pas comptabilisé ledit
amortissement, non déductible à l’IR), ça fait mal, bien sûr.
Et quand il s’agit d’une procédure d’office,
c’est encore pire, même quand c’est bien fait (et justifié pour le Service).
D’où la réaction des associés.
Qui ont eu finalement gain de cause…
Encore quelques « agents-sous-les-tropiques »
qui devraient retourner à l’ékole des impôts de Clermont, au lieu d’emmerder le
citoyen de bonne foi en permanence…
D’autant qu’il me semble – ce n’est évoqué
que dans les demandes – que ces gens-là ont probablement dû demander conseil
auprès de leur centre des impôts quand ils affirment que « l’administration
a manqué à son devoir de loyauté » et à son devoir de conseil.
Bonne fin de week-end à toutes et à tous :
Force reste à la Loi !
I3
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