Concéder un droit de reproduction d’œuvres d’art…
Cela relève de l’agence d’affaires.
Le contrat par lequel une SCI concède l’utilisation
exclusive de l’image d’œuvres d’art implique la sous-concession du droit de
reproduction de ces œuvres, de sorte que la SCI agit comme intermédiaire entre
les auteurs des œuvres et les sociétés commerciales en exploitant l’image.
On aurait pu s’en douter.
Mais ça eut été confirmé récemment par un arrêt du Conseil d’Etat, le 28 septembre dernier.
Arrêt n° 459886
Conseil d'État - 9ème chambre, n° 459886
Inédit au recueil Lebon
Lecture du mercredi 28 septembre 2022
Rapporteur : M. Olivier Pau
Rapporteur public : Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE
Vu la procédure suivante :
La société civile immobilière (SCI) Vae Homini Injusto
(VHI) a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en
droits et pénalités, des cotisations primitives d'impôt sur les sociétés
auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos le 31 décembre
2006 et le 31 décembre 2007 ainsi que des pénalités afférentes aux rappels de
taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période courant du
1er janvier 2005 au 31 décembre 2007. Par un jugement du 5 février
2019 nos 1708187, 1708303, le tribunal administratif de Lyon a rejeté
sa demande.
Par un arrêt n° 19LY01300 du 4 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de la société VHI, prononcé la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes en litige et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Par un pourvoi enregistré le 28 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société VHI.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société civile immobilière (SCI) Vae Homini Injusto (VHI) ;
Considérant ce qui suit :
(Procédure) :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la société civile immobilière (SCI) Vae Homini Injusto (VHI), l'administration fiscale, estimant que la société avait exercé une activité commerciale, a, notamment, remis en cause les revenus fonciers que celle-ci avait déclarés au titre des années 2006 et 2007 et établi un bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2006 d'un montant de 1,16 million d'euros. Le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de la SCI tendant à la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés, assortie de la majoration pour manquement délibéré, résultant de cette rectification. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande l'annulation des articles 1er à 3 de l'arrêt du 4 novembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a prononcé la décharge de ces impositions.
(La règle de droit applicable)
2. D'une part, aux termes de l'article 34 du code général des impôts : "Sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l'exercice d'une profession commerciale, industrielle ou artisanale". Aux termes de l'article 206 du même code : "1. (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet (...) toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. (...) 2. Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle : "Le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction".
4. Enfin, si, aux termes de l'article 544 du code civil, "La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements", le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci.
(Les
faits) :
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI VHI, filiale d'un groupe dont la société mère est la société Groupe Serveur, est propriétaire d'un bien immobilier dénommé "Domaine de la Source", situé à Saint-Romain-au-Mont-d'Or (Rhône). Par un contrat du 9 décembre 1999 signé entre la SCI et quatre artistes-auteurs, dont M. A..., dirigeant et principal associé de la SCI VHI ainsi que de la société Groupe Serveur, la SCI a accepté la transformation du domaine en un "corpus d'œuvres d'art", dénommé "Nutrisco et Extinguo, l'esprit de la salamandre" ou " Demeure du Chaos" et reçu la concession, par les auteurs, de l'usufruit de l'œuvre. Par un avenant à ce contrat, signé le 21 juin 2005, le droit de reproduction des œuvres a été concédé à la SCI pour une durée de sept ans. Par un autre contrat du 30 juin 2006, la SCI VHI a concédé à la société Groupe Serveur l'utilisation exclusive de l'image de la "Demeure du Chaos" et des œuvres qui la composent, pour une durée de trois ans, avec effet au 1er janvier 2006, en contrepartie d'une rémunération de 900.000 euros HT. Par un troisième contrat du 31 décembre 2006, la SCI VHI a transféré à une autre filiale du groupe, la société L'Organe, également dénommée Musée de l'Organe, la prise en charge des frais de réalisation des œuvres et de la gestion des droits de celles-ci, pour une durée de trois ans avec effet au 30 juin 2006, en contrepartie d'une rémunération de 900.000 euros HT.
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir estimé que le contrat conclu le 30 juin 2006 entre la SCI VHI et la société Groupe Serveur avait uniquement porté sur la concession, à cette dernière, de "l'utilisation exclusive de l'image véhiculée par la Demeure du Chaos et les œuvres qui la composent" et n'avait pas prévu la sous-concession du droit de reproduction des œuvres, la cour a jugé que l'administration fiscale n'avait pu, au motif que le contrat du 30 juin 2006 impliquait la réalisation d'actes de gestion du patrimoine d'autrui et par suite relevait de l'agence d'affaires et, à ce titre, d'une activité commerciale, assujettir la SCI VHI à l'impôt sur les sociétés.
(L’analyse
juridique) :
7. Il ressort du contrat du 9 décembre 1999 accordant l'usufruit de l'œuvre monumentale "Nutrisco et Extinguo, l'esprit de la salamandre" ou "Demeure du Chaos" à la société VHI, que toute utilisation de l'image de l'œuvre devait faire l'objet d'une demande écrite soumise à l'accord des artistes. Par l'avenant du 21 juin 2005 au contrat du 9 décembre 1999, la SCI a obtenu des artistes-auteurs la concession du droit à la reproduction des œuvres qui composent la "Demeure du Chaos". Par suite et compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 et 4, la concession par la SCI VHI, en juin 2006, du droit à "l'image véhiculée par la Demeure du Chaos et les œuvres qui la composent" s'analyse nécessairement comme la sous-concession de ce droit à reproduction, ainsi que le confirme le rapport établi le 30 janvier 2009 par le cabinet BMetA à la demande de M. A... pour la société Groupe Serveur, dont l'objet consistait à évaluer "la valeur du droit exclusif de reproduction de la Demeure du Chaos concédé par la SCI VHI à Groupe Serveur".
(La solution) :
8. Dès lors, en jugeant que le contrat du 30 juin 2006 entre la SCI VHI et la société Groupe Serveur avait uniquement porté sur la concession d'un droit à l'image et n'impliquait pas la sous-concession de droits de reproduction d'œuvres d'art dont la SCI était concessionnaire, la cour a dénaturé la portée des stipulations contractuelles en cause.
(Conclusion
logique) :
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1er à 3 de l'arrêt qu'il attaque.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'État qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
---------------
Article 1er : Les articles 1er à 3 de l'arrêt du 4 novembre 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SCI VHI au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société civile immobilière Vae Homini Injusto.
Autrement dit, le juge administratif en sait plus et
mieux que la cour administrative du côté du palais de justice de « Lugdunum »…
Car, effectivement et compte tenu du fait qu’en vertu de l’article L 122-1 du Code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction et que le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci, la concession par une SCI du droit à l’image véhiculée par l’œuvre fondamentale et les œuvres qui la composent s’analyse nécessairement comme la sous-concession de ce droit à reproduction, ainsi que le confirme un rapport établi pour la société par un cabinet à la demande d’un artiste auteur, dont l’objet consistait à évaluer la valeur du droit exclusif de reproduction de l’œuvre fondamentale.
En jugeant que le contrat par lequel la SCI concède l’utilisation exclusive de l’image des œuvres d’art a uniquement porté sur la concession d’un droit à l’image et n’implique pas la sous-concession de droits de reproduction d’œuvre d’art dont la SCI était concessionnaire, la cour administrative d’appel avait dénaturé la portée des stipulations de ce contrat.
On rappelle à cette occasion que si une SCI est
réputée « translucide » (ou « semi-transparente » pour
certains auteurs), c’est-à-dire que ses revenus fonciers encaissés une année ne
sont imposables que dans la cédule idoine et éponyme des revenus uniquement entre
les mains des associés en rapport avec les pacte social (les statuts ou les
clauses-croupiers), une société soumise à l’IS est réputée « opaque » :
En effet, les associés ne sont imposés que sur les dividendes perçus, mais
jamais sur les résultats de la société émettrice qui paye l’impôt directement
selon les principes de la cédule des bénéfices industriels et commerciaux
(comptabilité d’engagement et non d’encaissement, en incluant amortissements et
autres charges à venir non décaissées mais également produits à recevoir non
encaissés…).
Or, les SCI qui réalisent des bénéfices provenant
d’une activité d’agence d’affaires « civilement » de nature
commerciale sont passibles de l’impôt sur les sociétés en application de
l’article 206, 2 du CGI.
C’est marqué comme ça : Il suffit de savoir lire.
Et c’est logique : C’est le fameux « pouvoir attractif » des BIC qui contamine (presque) tout…
Tel est donc le cas depuis des lustres d’une société civile (même pas immobilière) qui traite avec des auteurs en vue de gérer les droits de reproduction de leurs œuvres et exerce ainsi la profession d’agent d’affaires, de nature commerciale (CE 24-3-1976 n° 94403).
Mais dans l’espèce rapportée ci-avant, la question
posée était de savoir si le contrat de concession du droit à l’image d’œuvres
d’art impliquait la sous-concession du droit de reproduction de ces œuvres, de
sorte que la SCI agissait comme intermédiaire (commerçant) entre les auteurs
des œuvres (activité civile) et les sociétés commerciales en exploitant
l’image.
Le Conseil d’État y répond affirmativement, contrairement à la cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon 4-11-2021 n° 19LY01300) qui, dissociant, le droit à l’image du droit à reproduction des œuvres, avait jugé que le contrat de concession portait uniquement sur l’utilisation de l’image (une sorte de « démembrement » entre usus/fructus et abusus d’une même chose… mobilière)
La rapporteure publique Céline Guibé souligne dans ses conclusions, que parmi les modalités d’utilisation de l’image véhiculée par l’œuvre fondamentale figure nécessairement la possibilité de reproduire les œuvres qui la composent et il s’agit du seul droit que la SCI détenait sur celles-ci.
Ce qui n’est pas totalement farfelu…
Ceci dit, quand une SCI passe d’une cédule « transparente »
à une autre « opaque », même par inadvertance comme c’est le cas dans
cette affaire-là, c’est tout une cascade d’emmerdements qui démarre.
Elle est soumise à l’IS, naturellement, mais également à la TVA si elle en était exonérée ou dispensée auparavant, plus les impôts commerciaux tels que la CVAE et consorts, ex-taxe professionnelle, mais également aux plus-values latentes hors bilan.
Soumise à l’IR chez ses associés, elle n’a pas de bilan à proprement parler : C’est une « indivision organisée » (par les statuts) et chacun des associés à un droit à son actif et reste responsable du passif. Elle tient une comptabilité de caisse, même si souvent un commissaire aux comptes exige une comptabilité de type commerciale (il ne connaît que ça…).
Quand elle est soumise à l’IS, tout d’un coup apparaissent les valeurs d’actif évaluées au moment du changement de régime, ainsi que le passif qui déormais appartiennent fiscalement « en propre » à la société.
Or, l’IS est assis sur l’accroissement entre actif et passif d’un exercice à l’autre en y rajoutant les distributions qui ont été réalisées d’une année non-prescrite sur l’autre (le taquet étant la prescription et le « principe de l’intangibilité [on n’y touche pas] du bilan d’ouverture »).
Ce qui peut faire très mal à l’arrivée.
Aussi, avec une SCI, surtout on fait très attention à
ne pas faire d’actes commerciaux. Comme par exemple avoir la mauvaise idée de meubler
un appartement ou une maison pour en tirer un meilleur revenu après que le
locataire « nu » ait été évincé…
Ou de concéder des « droits à l’image » sur des œuvres d’art (ou de créations musicales voire scénographiques…)
Vous voilà prévenus pour passer un meilleur week-end,
pour toutes et tous !
I3
Cela relève de l’agence d’affaires.
On aurait pu s’en douter.
Mais ça eut été confirmé récemment par un arrêt du Conseil d’Etat, le 28 septembre dernier.
Arrêt n° 459886
Lecture du mercredi 28 septembre 2022
Rapporteur : M. Olivier Pau
Rapporteur public : Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANÇAIS
Par un arrêt n° 19LY01300 du 4 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de la société VHI, prononcé la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes en litige et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Par un pourvoi enregistré le 28 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société VHI.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le code de justice administrative ;
- le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société civile immobilière (SCI) Vae Homini Injusto (VHI) ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de la société civile immobilière (SCI) Vae Homini Injusto (VHI), l'administration fiscale, estimant que la société avait exercé une activité commerciale, a, notamment, remis en cause les revenus fonciers que celle-ci avait déclarés au titre des années 2006 et 2007 et établi un bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2006 d'un montant de 1,16 million d'euros. Le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de la SCI tendant à la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés, assortie de la majoration pour manquement délibéré, résultant de cette rectification. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande l'annulation des articles 1er à 3 de l'arrêt du 4 novembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a prononcé la décharge de ces impositions.
(La règle de droit applicable)
2. D'une part, aux termes de l'article 34 du code général des impôts : "Sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l'exercice d'une profession commerciale, industrielle ou artisanale". Aux termes de l'article 206 du même code : "1. (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet (...) toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. (...) 2. Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle : "Le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction".
4. Enfin, si, aux termes de l'article 544 du code civil, "La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements", le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI VHI, filiale d'un groupe dont la société mère est la société Groupe Serveur, est propriétaire d'un bien immobilier dénommé "Domaine de la Source", situé à Saint-Romain-au-Mont-d'Or (Rhône). Par un contrat du 9 décembre 1999 signé entre la SCI et quatre artistes-auteurs, dont M. A..., dirigeant et principal associé de la SCI VHI ainsi que de la société Groupe Serveur, la SCI a accepté la transformation du domaine en un "corpus d'œuvres d'art", dénommé "Nutrisco et Extinguo, l'esprit de la salamandre" ou " Demeure du Chaos" et reçu la concession, par les auteurs, de l'usufruit de l'œuvre. Par un avenant à ce contrat, signé le 21 juin 2005, le droit de reproduction des œuvres a été concédé à la SCI pour une durée de sept ans. Par un autre contrat du 30 juin 2006, la SCI VHI a concédé à la société Groupe Serveur l'utilisation exclusive de l'image de la "Demeure du Chaos" et des œuvres qui la composent, pour une durée de trois ans, avec effet au 1er janvier 2006, en contrepartie d'une rémunération de 900.000 euros HT. Par un troisième contrat du 31 décembre 2006, la SCI VHI a transféré à une autre filiale du groupe, la société L'Organe, également dénommée Musée de l'Organe, la prise en charge des frais de réalisation des œuvres et de la gestion des droits de celles-ci, pour une durée de trois ans avec effet au 30 juin 2006, en contrepartie d'une rémunération de 900.000 euros HT.
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir estimé que le contrat conclu le 30 juin 2006 entre la SCI VHI et la société Groupe Serveur avait uniquement porté sur la concession, à cette dernière, de "l'utilisation exclusive de l'image véhiculée par la Demeure du Chaos et les œuvres qui la composent" et n'avait pas prévu la sous-concession du droit de reproduction des œuvres, la cour a jugé que l'administration fiscale n'avait pu, au motif que le contrat du 30 juin 2006 impliquait la réalisation d'actes de gestion du patrimoine d'autrui et par suite relevait de l'agence d'affaires et, à ce titre, d'une activité commerciale, assujettir la SCI VHI à l'impôt sur les sociétés.
7. Il ressort du contrat du 9 décembre 1999 accordant l'usufruit de l'œuvre monumentale "Nutrisco et Extinguo, l'esprit de la salamandre" ou "Demeure du Chaos" à la société VHI, que toute utilisation de l'image de l'œuvre devait faire l'objet d'une demande écrite soumise à l'accord des artistes. Par l'avenant du 21 juin 2005 au contrat du 9 décembre 1999, la SCI a obtenu des artistes-auteurs la concession du droit à la reproduction des œuvres qui composent la "Demeure du Chaos". Par suite et compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 et 4, la concession par la SCI VHI, en juin 2006, du droit à "l'image véhiculée par la Demeure du Chaos et les œuvres qui la composent" s'analyse nécessairement comme la sous-concession de ce droit à reproduction, ainsi que le confirme le rapport établi le 30 janvier 2009 par le cabinet BMetA à la demande de M. A... pour la société Groupe Serveur, dont l'objet consistait à évaluer "la valeur du droit exclusif de reproduction de la Demeure du Chaos concédé par la SCI VHI à Groupe Serveur".
8. Dès lors, en jugeant que le contrat du 30 juin 2006 entre la SCI VHI et la société Groupe Serveur avait uniquement porté sur la concession d'un droit à l'image et n'impliquait pas la sous-concession de droits de reproduction d'œuvres d'art dont la SCI était concessionnaire, la cour a dénaturé la portée des stipulations contractuelles en cause.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1er à 3 de l'arrêt qu'il attaque.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'État qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
---------------
Article 1er : Les articles 1er à 3 de l'arrêt du 4 novembre 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SCI VHI au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société civile immobilière Vae Homini Injusto.
Car, effectivement et compte tenu du fait qu’en vertu de l’article L 122-1 du Code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction et que le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci, la concession par une SCI du droit à l’image véhiculée par l’œuvre fondamentale et les œuvres qui la composent s’analyse nécessairement comme la sous-concession de ce droit à reproduction, ainsi que le confirme un rapport établi pour la société par un cabinet à la demande d’un artiste auteur, dont l’objet consistait à évaluer la valeur du droit exclusif de reproduction de l’œuvre fondamentale.
En jugeant que le contrat par lequel la SCI concède l’utilisation exclusive de l’image des œuvres d’art a uniquement porté sur la concession d’un droit à l’image et n’implique pas la sous-concession de droits de reproduction d’œuvre d’art dont la SCI était concessionnaire, la cour administrative d’appel avait dénaturé la portée des stipulations de ce contrat.
C’est marqué comme ça : Il suffit de savoir lire.
Et c’est logique : C’est le fameux « pouvoir attractif » des BIC qui contamine (presque) tout…
Tel est donc le cas depuis des lustres d’une société civile (même pas immobilière) qui traite avec des auteurs en vue de gérer les droits de reproduction de leurs œuvres et exerce ainsi la profession d’agent d’affaires, de nature commerciale (CE 24-3-1976 n° 94403).
Le Conseil d’État y répond affirmativement, contrairement à la cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon 4-11-2021 n° 19LY01300) qui, dissociant, le droit à l’image du droit à reproduction des œuvres, avait jugé que le contrat de concession portait uniquement sur l’utilisation de l’image (une sorte de « démembrement » entre usus/fructus et abusus d’une même chose… mobilière)
La rapporteure publique Céline Guibé souligne dans ses conclusions, que parmi les modalités d’utilisation de l’image véhiculée par l’œuvre fondamentale figure nécessairement la possibilité de reproduire les œuvres qui la composent et il s’agit du seul droit que la SCI détenait sur celles-ci.
Ce qui n’est pas totalement farfelu…
Elle est soumise à l’IS, naturellement, mais également à la TVA si elle en était exonérée ou dispensée auparavant, plus les impôts commerciaux tels que la CVAE et consorts, ex-taxe professionnelle, mais également aux plus-values latentes hors bilan.
Soumise à l’IR chez ses associés, elle n’a pas de bilan à proprement parler : C’est une « indivision organisée » (par les statuts) et chacun des associés à un droit à son actif et reste responsable du passif. Elle tient une comptabilité de caisse, même si souvent un commissaire aux comptes exige une comptabilité de type commerciale (il ne connaît que ça…).
Quand elle est soumise à l’IS, tout d’un coup apparaissent les valeurs d’actif évaluées au moment du changement de régime, ainsi que le passif qui déormais appartiennent fiscalement « en propre » à la société.
Or, l’IS est assis sur l’accroissement entre actif et passif d’un exercice à l’autre en y rajoutant les distributions qui ont été réalisées d’une année non-prescrite sur l’autre (le taquet étant la prescription et le « principe de l’intangibilité [on n’y touche pas] du bilan d’ouverture »).
Ce qui peut faire très mal à l’arrivée.
Ou de concéder des « droits à l’image » sur des œuvres d’art (ou de créations musicales voire scénographiques…)
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