Et elle est d’importance…
C’était avant le confinement du « monde d’avant ».
Au détour d’un tout autre sujet, presque mineur (une histoire d’éolienne),
les sages de la rue de Montpensier, ces « coquins », ont semé le
trouble sur la nature juridique des ordonnances consacrées par l’article 38 de
la Constitution.
Et vous ne vous étiez aperçu de rien !
Pourtant, avec la décision ci-après rapportée, le monde des juristes
redoute tout d’un coup un affaiblissement notable des pouvoirs du Parlement.
Vous me direz, ce n’est pas lui qui décide puisque le confinement a été
imposé par voie réglementaire après l’adoption de la loi d’urgence sanitaire
par… ledit Parlement.
Donc, sans importance…
Que croyez-vous ?
Conseil d’État – n° 434742
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP PIWNICA,
MOLINIE, avocats
Lecture du mercredi 4 mars 2020
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 19 décembre 2019 au
secrétariat du contentieux du Conseil d’État, l’association Force 5 demande au
Conseil d’État, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du
7 novembre 1958 et à l’appui de sa requête tendant à l’annulation de l’arrêt n°
19NT00848 du 19 juillet 2019 de la cour administrative d’appel de Nantes, de
renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et
libertés garantis par la Constitution de l’article L. 311-5 du code de l’énergie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article
61-1 ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- l’article L. 311-5 du code de l'énergie ;
- le code de justice
administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseiller d’État en
service extraordinaire,
- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe,
rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions,
à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de l’association
Force 5 ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance
du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le
moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et
libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une
instance devant le Conseil d’État (…) ». Il résulte des dispositions de ce même
article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de
constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit
applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée
conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du
Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question
soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l’article L. 311-5 du code de l’énergie,
dans sa rédaction applicable au litige : « L’autorisation d’exploiter une
installation de production d’électricité est délivrée par l’autorité
administrative en tenant compte des critères suivants : / 1° La sécurité et la
sûreté des réseaux publics d’électricité, des installations et des équipements
associés ; / 2° Le choix des sites, l’occupation des sols et l’utilisation du
domaine public ; / 3° L’efficacité énergétique ; / 4° Les capacités techniques,
économiques et financières du candidat ou du demandeur ; / 5° La compatibilité
avec les principes et les missions de service public, notamment avec les
objectifs de programmation pluriannuelle des investissements et la protection
de l'environnement ; / 6° Le respect de la législation sociale en vigueur. L’autorisation est nominative et incessible.
En cas de changement d’exploitant, l’autorisation ne peut être transférée au
nouvel exploitant que par décision de l’autorité administrative ».
3. Ces dispositions, qui n’ont pas déjà été déclarées
conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, sont applicables au
litige au sens et pour l’application de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7
novembre 1958. Il est soutenu qu’elles sont contraires à l’article 7 de la
Charte de l’environnement. Compte tenu de ce que l’autorisation d’exploiter une
installation de production d’électricité est susceptible d’avoir une incidence
directe et significative sur l’environnement, eu égard notamment au choix du
mode de production d’électricité à laquelle cette décision procède, le grief
tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés
garantis par la Constitution, notamment aux principes d’information et de
participation du public en matière environnementale garantis par l’article 7 de
la Charte de l’environnement faute de prévoir une procédure d’information et de
consultation du public, l’article L. 120-1-1 du code de l’environnement, devenu
l’article L. 123-19-2 du même code, n’étant pas en vigueur à la date du litige,
soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de
renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de
constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
---------------
Article 1er : La question de la conformité à la
Constitution de l’article L. 311-5 du code de l’énergie est renvoyée au Conseil
constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de l’association
Force 5 jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de
constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’association
Force 5, au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et
solidaire, à la société Total Direct énergie génération et à la Compagnie
électrique de Bretagne.
Et la question « idiote » des éoliennes à venir en Bretagne, pour
laquelle le juge administratif estime être incompétent pour trancher,
puisqu’il « renvoie aux 22 » et la patate chaude atterrit au Conseil
constitutionnel, sis dans les mêmes locaux, un peu plus loin, qui tranche en
faveur de la constitutionnalité des textes applicables, dans un avis du 28 mai… pour le
moins, certes fondée, mais iconoclaste.
(Les effets du confinement ?)
Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 5 mars 2020 par le
Conseil d’État (décision n° 434742 du 4 mars 2020), dans les conditions prévues
à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de
constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’association Force 5 par
la SCP Garreau Bauer-Violas Feschotte-Desbois, avocat au Conseil d’État et à la
Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil
constitutionnel sous le n° 2020-843 QPC. Elle est relative à la conformité aux
droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 311-5 du code
de l’énergie, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011
portant codification de la partie législative du code de l’énergie.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi
organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l’énergie ;
- le code de l’environnement ;
- l’ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011 portant
codification de la partie législative du code de l’énergie, ratifiée par l’article
38 de la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation
au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable ;
- la loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 relative à la mise
en œuvre du principe de participation du public défini à l'article 7 de la
Charte de l'environnement ;
- l’ordonnance n° 2013-714 du 5 août 2013 relative à la mise
en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la
Charte de l’environnement ;
- la décision du Conseil d’État n° 412493 du 25 février 2019
;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie
devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de
constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations en intervention présentées par l’association
France Nature Environnement, enregistrées le 11 mars 2020 ;
- les observations présentées pour les sociétés Total Direct
Énergie Génération et Compagnie électrique de Bretagne, parties au litige à l’occasion
duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP
Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation,
enregistrées le 25 mars 2020 ;
- les observations présentées par le Premier ministre,
enregistrées le 26 mars 2020 ;
- les secondes observations en intervention présentées par l’association
France Nature Environnement, enregistrées le 7 avril 2020 ;
- les secondes observations présentées pour l’association
requérante par la SCP Bauer-Violas Feschotte-Desbois Sebagh, avocat au Conseil
d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 16 avril 2020 ;
- les secondes observations présentées pour les sociétés
Total Direct Énergie Génération et Compagnie électrique de Bretagne par la SCP
Piwnica et Molinié, enregistrées le 17 avril 2020 ;
- les observations complémentaires présentées par le Premier
ministre à la demande du Conseil constitutionnel pour les besoins de l’instruction,
enregistrées le 6 mai 2020 ;
- les observations complémentaires présentées pour l’association
intervenante à la demande du Conseil constitutionnel pour les besoins de l’instruction,
enregistrées le même jour ;
- les observations complémentaires présentées pour l’association
requérante par la SCP Bauer-Violas Feschotte-Desbois Sebagh à la demande du
Conseil constitutionnel pour les besoins de l’instruction, enregistrées le 7
mai 2020 ;
- les observations complémentaires présentées pour les
sociétés Total Direct Énergie Génération et Compagnie électrique de Bretagne
par la SCP Piwnica et Molinié à la demande du Conseil constitutionnel pour les
besoins de l’instruction, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Fabrice Sebagh, avocat au Conseil d’État
et à la Cour de cassation, pour l’association requérante, Me François Molinié,
avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les parties au litige
à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée,
Me Alexandre Faro, avocat au barreau de Paris, pour l’association intervenante
et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à laudience publique du
12 mai 2020 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur ce qui suit :
1. L’article L. 311-5 du code de l'énergie, dans sa
rédaction issue de l’ordonnance du 9 mai 2011 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« L’autorisation d’exploiter une installation de production
d’électricité est délivrée par l’autorité administrative en tenant compte des
critères suivants :
« 1° La sécurité et la sûreté des réseaux publics d’électricité,
des installations et des équipements associés ;
« 2° Le choix des sites, l’occupation des sols et l’utilisation
du domaine public ;
« 3° L’efficacité énergétique ;
« 4° Les capacités techniques, économiques et financières du
candidat ou du demandeur ;
« 5° La compatibilité avec les principes et les missions de
service public, notamment avec les objectifs de programmation pluriannuelle des
investissements et la protection de l’environnement ;
« 6° Le respect de la législation sociale en vigueur.
« L’autorisation est nominative et incessible. En cas de changement
d’exploitant, l’autorisation ne peut être transférée au nouvel exploitant que
par décision de l’autorité administrative ».
2. L’association requérante soutient que la décision
administrative autorisant l’exploitation d’une installation de production d’électricité
a une incidence directe et significative sur l’environnement. Dès lors, en ne
prévoyant aucun dispositif permettant la participation du public à l’élaboration
de cette décision, le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence et
l’article 7 de la Charte de l’environnement.
3. Par conséquent, la question prioritaire de
constitutionnalité porte sur les mots « par l’autorité administrative »
figurant au premier alinéa de l'article L. 311-5 du code de l’énergie.
Sur le fond :
4. La méconnaissance par le législateur de sa propre
compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de
constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par
elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
5. Selon l’article 7 de la Charte de l'environnement : «
Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la
loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les
autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques
ayant une incidence sur l’environnement ». Depuis l’entrée en vigueur de cette
Charte, il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux
autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi
énoncés, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions.
6. Selon l’article L. 311-1 du code de l’énergie, dans sa
rédaction issue de l’ordonnance du 9 mai 2011, l’exploitation d’une
installation de production électrique est subordonnée à une autorisation
administrative délivrée, selon la procédure prévue aux articles L. 311-5 et L.
311-6 du même code, à l’opérateur qui en fait la demande ou qui est désigné au
terme d’un appel d'offres en application de l’article L. 311-10.
En ce qui concerne l’incidence sur l'environnement de la
décision autorisant l’exploitation d’une installation de production
d'électricité :
7. Aux termes de l’article L. 311-5, lorsqu'elle se prononce
sur l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité, l’autorité
administrative tient compte, notamment, du « choix des sites » d’implantation
de l’installation, des conséquences sur l’« occupation des sols » et sur l’«
utilisation du domaine public », de l’« efficacité énergétique » de l’installation
et de la compatibilité du projet avec « la protection de l’environnement ».
Selon la jurisprudence constante du Conseil d’État, l’autorisation
administrative ainsi délivrée désigne non seulement le titulaire de cette
autorisation mais également le mode de production et la capacité autorisée
ainsi que le lieu d’implantation de l’installation.
8. Il résulte de ce qui précède que la décision autorisant,
sur le fondement de l’article L. 311-5, l’exploitation d’une installation de
production d’électricité constitue une décision publique ayant une incidence
sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement. Est
indifférente à cet égard la circonstance que l’implantation effective de l’installation
puisse nécessiter l’adoption d’autres décisions administratives postérieurement
à la délivrance de l’autorisation.
En ce qui concerne la participation du public à l’élaboration
de la décision autorisant l’exploitation d’une installation de production d’électricité
:
9. En premier lieu, avant l’ordonnance du 5 août 2013
mentionnée ci-dessus, aucune disposition n’assurait la mise en œuvre du
principe de participation du public à l’élaboration des décisions publiques
prévues à l’article L. 311-5 du code de l’énergie. S’il est loisible au
législateur, compétent pour fixer les conditions et limites de l’exercice du
droit protégé par l’article 7 de la Charte de l’environnement, de prévoir des
modalités particulières de participation du public lorsqu’une même opération
fait l’objet de décisions publiques successives, c’est à la condition que ces
modalités garantissent une appréciation complète des incidences directes et
significatives de ces décisions sur l’environnement. Or, en l’espèce, ni les
dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne prévoyaient
un tel dispositif. Par conséquent, le législateur a méconnu, pendant cette
période, les exigences de l’article 7 de la Charte de l’environnement.
10. En second lieu, l’ordonnance du 5 août 2013, prise sur
le fondement de l’article 38 de la Constitution à la suite de l’habilitation
conférée au Gouvernement par l’article 12 de la loi du 27 décembre 2012
mentionnée ci-dessus, a inséré dans le code de l’environnement l’article L.
120-1-1, entré en vigueur le 1er septembre 2013. Applicable aux
décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l’environnement
qui n’appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des
dispositions législatives particulières ont prévu une participation du public,
cet article L. 120-1-1 prévoit la mise à disposition du public par voie
électronique du projet de décision ou, lorsque la décision est prise sur
demande, du dossier de demande. Il permet ensuite au public de déposer ses
observations, par voie électronique, dans un délai qui ne peut être inférieur à
quinze jours à compter de la mise à disposition.
11. D’une part, cet article L. 120-1-1 institue une
procédure qui répond aux exigences d’accès du public aux informations relatives
à l’environnement et de participation à l’élaboration des décisions publiques
prévues à l’article 7 de la Charte de l’environnement. D’autre part, si un
projet de loi de ratification de l’ordonnance du 5 août 2013 a été déposé dans
le délai fixé par l’article 12 de la loi du 27 décembre 2012, le Parlement ne s’est
pas prononcé sur cette ratification. Toutefois, conformément au dernier
alinéa de l’article 38 de la Constitution, à l’expiration du délai de l’habilitation
fixé par le même article 12, c’est-à-dire à partir du 1er septembre
2013, les dispositions de cette ordonnance ne pouvaient plus être modifiées que
par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif. Dès lors, à
compter de cette date, elles doivent être regardées comme des dispositions
législatives. Ainsi, les conditions et les limites de la procédure de
participation du public prévue à l’article L. 120-1-1 sont « définies par la
loi » au sens de l’article 7 de la Charte de l'environnement.
12. Par conséquent, à partir du 1er septembre
2013, les dispositions contestées de l’article L. 311-5 du code de l’énergie ne
méconnaissaient plus cet article 7. Elles n’étaient, par ailleurs, contraires à
aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
13. Il résulte de tout ce qui précède que ces
dispositions, dans leur rédaction contestée, applicable du 1er juin
2011 au 18 août 2015, doivent être déclarées contraires à la Constitution jusqu’au
31 août 2013 et conformes à la Constitution à compter du 1er septembre
2013.
Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :
14. Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la
Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement
de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du
Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les
effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ».
En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur
de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée
contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours
à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel.
Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce
dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le
temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la
disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes
dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer
à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions
déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites
particulières.
15. En premier lieu, les dispositions déclarées contraires à
la Constitution, dans leur rédaction contestée issue de l’ordonnance du 9 mai
2011, ne sont plus en vigueur.
16. En second lieu, la remise en cause des mesures ayant été
prises avant le 1er septembre 2013 sur le fondement des dispositions
déclarées contraires à la Constitution avant cette date aurait des conséquences
manifestement excessives. Par suite, ces mesures ne peuvent être contestées sur
le fondement de cette inconstitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel décide :
Article 1er : Les mots « par l'autorité
administrative » figurant au premier alinéa de l’article L. 311-5 du code de l’énergie,
dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011 portant
codification de la partie législative du code de l’énergie, étaient contraires
à la Constitution jusqu’au 31 août 2013.
Article 2 : Les mots « par l’autorité administrative »
figurant au premier alinéa de l’article L. 311-5 du code de l’énergie, dans la
même rédaction, sont conformes à la Constitution à compter du 1er septembre
2013.
Article 3 : La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article
1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 15 et 16
de cette décision.
Article 4 : Cette décision sera publiée au Journal
officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article
23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 mai
2020, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE,
M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD,
François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 28 mai 2020.
Autrement dit, ce qui était inconstitutionnel jusqu’au moment de sa non
habilitation par le Parlement, devient constitutionnel soit par « habilitation »
(dans les délais) soit par « absence d’habilitation » (dans les mêmes
délais), ou « face je gagne, pile tu perds » !
Ces quelques lignes écrites « en plein confinement », aura fait déjà
bondir les plus éminents juristes !
Forcément…
En effet, c’est aussi admettre, en « des termes inédits », qu’une
ordonnance qui n’a pas été ratifiée par le Parlement pourrait avoir
rétroactivement force de loi une fois passé le délai d’habilitation, à la seule
condition que le projet de loi de ratification de l’ordonnance ait été déposé
dans le temps imparti.
Le silence du Parlement valant alors l’acceptation des termes de
l’ordonnance qui devient définitivement « loi ».
En d’autres termes, passé leur date limite, les ordonnances « doivent
être regardées comme des dispositions législatives » à part entière. On
parlerait d’une « sorte de ratification implicite qui tait son nom. »
Une validation par abstention…
Notez que le Parlement peut accepter et ensuite amender le texte…
S’il refuse son imprimatur le texte n’existe plus et les décisions
prises en son application deviennent nulles et non-avenues.
Mais là, c’est un possible séisme : « C’est très technique, et ça
ne fera sans doute pas la une des journaux de 20 heures, mais c’est un gros
sujet ».
En fait « c’est une bombe à retardement, avec de nombreux enjeux »
abonde un enseignant-chercheur en droit public à l’Université d’Aix-Marseille.
Le Conseil constitutionnel a ainsi remis en cause certaines prérogatives
du Parlement, mais aussi bouleversé les recours possibles aux ordonnances pour
les administrés.
Pour bien comprendre le problème, il faut décortiquer le mécanisme des
ordonnances. Celles-ci sont consacrées par l’article 38 de notre Constitution
qui dispose que « le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme,
demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un
délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. »
Une ordonnance permet donc à l’exécutif « d’enjamber le Parlement »
et d’intervenir de manière limitée, un temps donné seulement, et à la condition
d’obtenir son autorisation au préalable, dans le domaine législatif.
On appelle cette « autorisation », une habilitation.
Mais pour éviter le « fait du prince » et que les ordonnances n’échappent
totalement au contrôle du Parlement, elles doivent être ratifiées par le
Parlement dans un délai fixé au moment de l’habilitation.
Selon la Constitution, passé ce délai, « les ordonnances deviennent
caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le
Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. »
Et pour justement éviter tout risque de « ratification implicite », la
révision constitutionnelle de 2008 de « Bling-bling » a permis
d’ajouter dans l’article 38, que les ordonnances « ne peuvent être ratifiées
que de manière expresse. »
Or, la décision du Conseil constitutionnel crée un précédent en bafouant
le principe de ratification des ordonnances : En effet, le
« Cons-Cons » vient de dire « que si le Parlement ne ratifie
pas expressément l’ordonnance, ne lui donne pas le sceau de la légalité, elle
devient quand même une loi et ce, même après le délai d’habilitation ».
« C’est un affaissement considérable des prérogatives du Parlement
» !
En d’autres termes, le gouvernement n’aurait plus l’obligation de faire
ratifier ses ordonnances (ce que je ne crois pas, le texte est clair sur ce
point) et le parlement se verrait amputé d’une prérogative majeure de contrôle
en cas de silence.
Les chambres seraient donc dans une impasse, puisque ratification ou non,
les ordonnances deviendraient automatiquement de la loi…
Mécaniquement, cela reviendrait à renforcer les pouvoirs du gouvernement
sur le Parlement, lui permettant d’intervenir plus largement dans le domaine de
la loi.
Aussi, l’équilibre entre le pouvoir exécutif et législatif s’en trouverait
réellement bouleversé.
Pour contourner ce problème, le parlement pourrait être tenté de restreindre
au maximum les délais d’habilitation, ou simplement d’en limiter drastiquement
le nombre accordé afin de se protéger.
« Sicile-du-Flot-vert », ancienne « sinistre de l’Égalité
des territoires et du logement » de « Tagada-à-la-fraise-des-bois »
(du temps où celui-ci faisait « Capitaine de pédalo » dans le civil),
actuelle directrice générale de l’ONG « Oxfam-Trance », s’en est même
émue sur Twister : « (…) Un gros souci quand même. Ça dépossède
totalement le Parlement de son pouvoir, ça dit le contraire de la Constitution
et ça prive aussi les citoyens de leur capacité de contester directement des
ordonnances obsolètes » s’agace-t-elle sur le réseau social.
Probablement, qu’il faut nuancer et y voir une décision plutôt «
contraire à l’esprit de la Constitution » qu’à la Constitution elle-même. «
L’article 38 comporte sa part d’imprécisions, voire de contradictions ».
L’autre problème reste pourtant de taille : Cette décision entraîne
une limitation des recours possibles pour les administrés souhaitant contester
le bien-fondé d’une mesure prise par ordonnance.
Pendant toute la durée d’habilitation, elles n’ont pas valeur de loi mais
sont des actes réglementaires : Ainsi, ces dispositions prises par le
gouvernement sont contestables par les citoyens devant les juridictions
administratives. « Du moment où les ordonnances sont regardées comme des
dispositions réglementaires, vous pouvez avoir des recours pour « excès de
pouvoir » comme pour n’importe quel décret, vous pouvez saisir le juge
administratif, et en contester la légalité, la proportionnalité.
Donc ça offre une garantie supplémentaire pour les
administrés qui ne conserveront plus comme arme que la question prioritaire de
constitutionnalité (QPC) » explique-t-on.
Là encore, je ne suis pas d’accord : Une ordonnance autorisée reste
avant tout une loi. Jusqu’à sa ratification du Parlement qui la transforme en
loi…
Mais en clair, une décision de constitutionnalité impliquerait qu’à
l’issue du délai d’habilitation, l’ordonnance devenant automatiquement loi, ne
serait plus contestable que par la QPC, relevant dans ce cas, uniquement du
Conseil constitutionnel…
Notez que s’il est résolument technique, le sujet est loin d’être
anecdotique à l’heure où le gouvernement a déjà pris une soixantaine
d’ordonnances depuis la loi du 23 mars 2020, instaurant l’état d’urgence
sanitaire. « Le fait que ça arrive maintenant, et au vu du caractère très
particulier de la période, et du caractère difficilement soutenable »
en termes constitutionnalité (…), « ça apparaît bizarre
».
Les ordonnances, qui permettent de légiférer très vite sur des pans
entiers du droit, ont été un moyen privilégié par l’exécutif pour gérer la
crise liée à l’épidémie du « Conard-virus ».
Si peu de parlementaires n’ont contesté leur utilité dans l’urgence,
députés et sénateurs ont récemment montré leur agacement au gouvernement et
réduit de 40 à 10 le nombre d’ordonnances du dernier projet de loi, dit «
fourre-tout », adopté en commission mixte paritaire le 2 juin au Sénat.
La rapporteuse Les Républicains-Démocrates du texte pour la
commission des Lois du Sénat, « Mumu-Jour-da », confirme toutefois
qu’il ne faut voir « aucun lien » entre la décision du Conseil
constitutionnel du 28 mai et la « réduction drastique » du nombre
d’ordonnances sur laquelle les parlementaires se sont accordés.
Bref, une histoire d’éoliennes implantées en Bretagne qui n’aurait pas
respecté les procédures d’enquête publique préalable et voilà que le silence du
Parlement bouscule la géométrie de la hiérarchie des textes !
Ce qui n’est effectivement pas banal…
Et fort drôle, même si ça ne change pas fondamentalement votre vie.
Bon week-end à toutes et à tous tout de même.
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