La branche politique de l’IRA en tête des élections législatives !
C’est passé un peu inaperçu en « Gauloisie-des-retraités »,
mais c’est un résultat historique. Époustouflant, même.
Il faut dire qu’avec un peu plus de 4,8 millions d’Irlandais
(sans compter les 1,8 Irlandais du Nord), ils ont un mode de scrutin « un
peu » compliqué pour élire leurs députés en charge de former et contrôler
leur gouvernement : C’est de la proportionnelle intégrale !
Mais plus encore… parce qu’il n’y a pas de liste
concoctée, arrêtée, bloquée, par les partis comme en « Teutonnie » ou
à nos Européennes voire pour nos municipales, mais autant de listes que de
circonscription (une quarantaine je crois) qui propose de 3 à 5 candidats… de
tous les partis et tendances…
Dès lors, le système de vote est loin de ressembler au
système que nous connaissons, celui à deux tours et par circonscription, quand
personne n’obtient la majorité des votes au premier tour.
Chez nous, c’est un « vote majoritaire uninominal ».
Chez eux, ils n’en ont pas besoin puisque le système fonctionne
sur la base d’un scrutin proportionnel, mais avec « panachage ». Et un
système de « transfert de voix », pour les circonscriptions offrant
plusieurs sièges (trois, quatre, ou cinq).
Autrement dit, chaque électeur fait son cocktail
personnel !
Dans les faits, le jour du vote, ils se voient
remettre une carte sur laquelle tous les candidats sont listés, par ordre
alphabétique, avec s’ils le souhaitent leur photo et le logo de leur parti en
face de leur nom.
Dans l’isoloir, l’électeur classe ses candidats : Il
met un 1 en face de son premier choix, un 2 en face de son second choix, et
ainsi de suite et il est libre de classer ainsi tous les candidats, de n’en
choisir qu’un, ou de s’arrêter en cours de classement.
Je ne te raconte pas le boxon au moment du dépouillement :
Normalement, ça prend une bonne semaine.
Car si ce système permet à l’électeur de pleinement
exprimer ses souhaits, il fournit beaucoup de travail lors du décompte des voix.
Les bulletins sont d’abord rassemblés et triés, les votes nuls sont éliminés.
Le quota est alors déterminé : Il est obtenu en
divisant le nombre de votes valides par le nombre de sièges à pourvoir plus 1,
puis en ajoutant 1. Par exemple, si 30.000 votes valides ont été enregistrés
pour une circonscription offrant trois sièges, le quota est de 30.000 divisé
par 4, plus 1, c’est-à-dire 7.501. Ce quota est le nombre de voix que les
candidats doivent atteindre pour être élu. Il est ainsi impossible d’avoir plus
de candidats au-dessus du quota que de sièges.
Par exemple, il est possible d’avoir trois candidats
avec 7.501 voix (ou plus), mais il n’est pas possible d’en avoir quatre (même s’il
est possible d’avoir quatre candidats avec 7.500 voix).
Le premier décompte commence alors. Si un candidat a
obtenu suffisamment de voix pour atteindre ou dépasser le quota, il est élu.
Son surplus de voix, la différence entre le nombre de voix reçues et le quota,
est alors « transféré ». Par exemple, si le candidat A est élu avec
1.000 voix « de trop », et que pour 40 % des bulletins montrant A en
premier choix, le candidat B figure en second choix, alors le candidat reçoit
400 voix. Cela se matérialise par le transfert de 400 bulletins pris au hasard.
Et si deux candidats dépassent le quota en même temps,
on commence par celui qui a le plus important surplus.
Si la distribution de surplus ne permet pas d’élire un
nouveau candidat, ou s’il n’y a pas de surplus, le candidat avec le plus faible
nombre de voix est éliminé. Plusieurs candidats peuvent être éliminés à la fois
s’il est clair que les transferts ne peuvent pas les « sauver ».
La totalité des votes des candidats éliminés sont
transférés, suivant le même principe.
Le deuxième tour des décomptes commence alors. Le
principe est le même, à la seule différence que le transfert ne s’effectue plus
que sur les votes reçus au décompte précédent, et non plus sur la totalité.
Les décomptes se poursuivent ainsi de suite et aussi
longtemps que nécessaire.
Il y a deux conditions pouvant mener à la fin du
processus : Le premier est évident, tous les sièges sont pourvus. Le
second se produit quand il ne reste plus qu’un candidat de plus que de sièges
encore vacants et qu’il est clair qu’il ne peut plus rattraper les autres. Il
est alors éliminé et les autres remportent les sièges.
Par exemple, dans une circonscription fournissant
quatre élus, deux sièges ont été attribués après plusieurs séries de décomptes.
Il reste donc deux sièges à pourvoir. À un moment, à force d’éliminations, si
aucun candidat n’atteint le quota, on arrivera à trois candidats en lice.
Alors, si le dernier candidat a plus de retard que ce que pourrait lui apporter
d’éventuels transferts, il est éliminé et les deux autres sont élus.
Simple, n’est-ce pas.
Sauf qu’il faut compter deux à trois fois (et avec une
bonne calculette…)
À ce jeu-là, samedi en huit c’est le Sinn Fein qui a
fait la surprise.
D’autant mieux qu’à l’heure du « Brexit » que
chacun pressent comme « dur », ni la réunification de l’Irlande ni le
Brexit n’ont figuré au cœur de la campagne pour ces élections législatives-là.
Pourtant, le succès éclatant du Sinn Fein, parti dont
la raison d’être, depuis sa fondation en 1905, est l’indépendance de la
totalité de l’île vis-à-vis de la Grande-Bretagne, constitue manifestement la
première réplique du tremblement de terre qu’a constitué le « Brexit ».
Qui ne concerne pas vraiment Dublin, mais plutôt
Belfast et le sort de la frontière entre les deux Irlande, devenue plus ou
moins évanescente…
Par conséquent et comme d’une ironie de l’Histoire, la
sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, que ses promoteurs justifient par
une exigence de souveraineté accrue, a déclenché en Irlande du Nord (rattachée
à Londres) comme dans la République d’Irlande une poussée émancipatrice nourrie
par l’indifférence, voire le mépris affiché par Londres, dont la petite île,
largement pro-européenne, a fait l’objet pendant les négociations de divorce
avec l’UE.
Les dirigeants du Sinn Fein – dont le nom signifie «
nous-mêmes » en gaélique – s’attendaient si peu à ce triomphe qu’ils n’avaient
présenté que 42 candidats pour les 160 sièges du Dáil Éireann (« Assemblée d’Irlande
» en irlandais) qui est la chambre basse de l’Oireachtas.
(L’Oireachtas de l’État libre d’Irlande, en anglais,
Oireachtas of the Irish Free State ; en irlandais : Oireachtas Shaorstát
Éireann, c’est le parlement de l’État libre d’Irlande…)
Autrement dit, ils ont fait un « carton plein » !
Notez que ce système de vote préférentiel peut
réserver des surprises lors de l’attribution des sièges. Mais le fait que le
Sinn Fein arrive en tête (24,5 %) des premiers choix des électeurs balaie le
quasi-monopole qu’exercent sur le pouvoir, depuis un siècle, les partis de
centre droit Fine Gael et Fianna Fáil, eux-mêmes héritiers des protagonistes de
la guerre civile des années 1920.
Depuis la création de l’État d’Irlande et le système
électoral conduit immanquablement à l’existence de nombreux gouvernements de
coalition.
À l’heure actuelle sept partis politiques sont
représentés aux Oireachtas
Le scrutin s’est d’abord joué sur les enjeux
économiques et sociaux. Bien des Irlandais, terriblement éprouvés par la crise
financière des années 2007-2010, ne supportent pas de ne récolter aucun des
fruits du formidable rebond du « tigre celtique » dopé par son dumping fiscal
et l’implantation de multinationales.
Face à une terrible crise du logement et à la carence
des services publics délaissés par un gouvernement ultralibéral, les électeurs
ont été séduits par le programme du Sinn Fein : Gel des loyers, construction de
HLM, taxation des sociétés et des riches, etc.
Des décennies durant, le Sinn Fein, branche politique
de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) pendant le conflit des années
1968-1998, associé au terrorisme, était largement considéré comme toxique en
Irlande. Ce n’est désormais plus le cas.
L’élection de ce samedi-là représente un succès au long
cours pour la stratégie de son ancien dirigeant Gerry Adams : En 1986,
convaincu que les bombes ne suffiraient pas à obtenir la réunification, il a
imposé au parti la fin du boycott des élections.
La signature de l’accord de paix de 1998 qui a mis fin
à la violence, le tournant pro-européen du Sinn Fein et, plus récemment, son
retrait au profit de la charismatique Mary Lou McDonald, trop jeune pour avoir
participé à la lutte armée, constituent d’autres jalons vers l’émergence sur la
scène électorale.
Une génération a donc passé…
Le « déclic ».
Manifestement, le Sinn Fein ne fait plus peur aux
Irlandais. Ni la ferme défense des intérêts nationaux dans la négociation sur
le « Brexit » ni les succès sur le front de l’emploi n’ont permis au
premier ministre sortant, Leo Varadkar, d’obtenir un satisfecit.
La constitution du futur gouvernement apparaît par
conséquent incertaine car les deux partis jusqu’ici dominants ont toujours
exclu une coalition avec le « diable » Sinn Fein considéré par beaucoup comme
une formation liée à la guerre contre la domination britannique en Irlande du
Nord, un conflit qui aura fait environ 3.600 morts avant l’accord de paix de
1998.
Mais la percée du seul parti irlandais présent au nord
comme au sud l’île, et du plus ardent défenseur de la réunification – il
propose un référendum d’ici à 2025 –, revêt, au-delà des stratégies
parlementaires du moment, une évidente signification historique.
Et dès le lundi, le Sinn Fein faisait savoir qu’il
souhaitait un rôle majeur dans le prochain gouvernement irlandais.
Il a en effet battu les deux partis de centre-droit
qui dominent la vie politique, doublant presque son vote par rapport aux
dernières élections il y a quatre ans.
Or, présentant beaucoup moins de candidats, le Sinn
Fein ne peut donc viser au mieux qu’une place minoritaire au sein du
gouvernement. S’il obtient 37 sièges, juste derrière le Fianna Fail (crédité de
38 sièges), il bat pour la première fois le Fine Gael, parti de l’actuel
Premier ministre Leo Varadkar (probablement 35 sièges).
La formation d’un gouvernement va être compliquée dans
un parlement extrêmement divisé comptant 160 sièges.
Pourtant, les enquêtes d’opinions montraient que la
percée du Sinn Fein s’explique aussi par les préoccupations des Irlandais
pendant cette campagne. Et l’ex-vitrine politique de l’Armée républicaine
irlandaise (IRA) avait fait savoir avant le scrutin que la condition en vue d’une
éventuelle coalition serait l’engagement de lancer immédiatement les travaux
préparatoires à un référendum sur la réunification irlandaise qui se tiendrait
dans un délai de cinq ans.
« Les gens veulent de nouvelles politiques et
je crois que le Sinn Fein sera au cœur de cela », a déclaré, Mary Lou
McDonald, tout juste 50 ans, la dirigeante du parti.
La formation de Leo Varadkar a réitéré son engagement
de ne pas se coaliser avec la formation de « Mary Lou », alors que le
Fianna Fail a indiqué qu’il discuterait avec le Sinn Fein, même s’il restait
des obstacles importants à un tel rapprochement.
En cas de coalition entre deux des trois principales
formations, il leur faudra encore et de toute façon le soutien d’autres députés
ou de petits partis pour assurer une majorité.
Tâche compliquée.
Mary Lou McDonald a fait savoir qu’elle tenterait d’abord
de déterminer s’il lui est possible de former une coalition de gauche, sans les
deux partis de centre-droit, une hypothèse jugée extrêmement irréaliste. Mais c’est
bien d’essayer.
Rappelons que lors des dernières élections en 2016,
les discussions en vue de former un gouvernement ont duré dix semaines.
Et il peut s’en passer, des choses, en deux mois,
notamment venues de Londres.
C’est donc autour de Pâques prochain que les Irlandais
pourraient être amenés à écrire les plus belles pages de leur Histoire.
Vous n’étiez probablement pas né(e)s, mais vous vous
souvenez (au moins autant que moâ) de cette guerre civile qui succéda au traité
de Londres ratifié de peu par le Dáil Éireann en décembre 1921.
Une guerre qui aura opposé entre eux les
indépendantistes irlandais divisés.
La majorité suit Arthur Griffith et Michael Collins,
membres du premier gouvernement de l’État libre d’Irlande créé par le traité,
et une minorité suit Éamon de Valera.
La guerre éclate après la victoire des partisans du
traité aux élections de 1922.
Elle aura coûté la vie à près de 4.000 Irlandais en
moins d’un an et se conclut par la victoire de l’État libre sur les partisans
de Valera.
Rappelons que la guerre d’indépendance irlandaise qui
a précédé cet épisode désolant de l’Histoire de l’Irlande, était une campagne
de guérilla que mène déjà l’Armée républicaine irlandaise (IRA) contre la
Police royale irlandaise (RIC), l’armée britannique et les Black and Tans, de
janvier 1919 à juillet 1921 et qui aura fait 1.400 morts.
Le conflit avait commencé juste après la déclaration d’indépendance
de la République irlandaise.
L’accord de décembre 1921 met fin à la domination
britannique sur la plus grande partie de l’Irlande, et après une période de
transition de dix mois supervisée par un gouvernement provisoire, l’État libre
d’Irlande fut établi.
Cependant, six comtés au nord choisirent de rester au
sein du Royaume-Uni en tant qu’Irlande du Nord avec leur propre parlement et ce
seront probablement eux qui sont les cocus de l’Histoire un siècle plus tard.
Des combats finalement inutiles…
Après le cessez-le-feu, les violences politiques et
religieuses (entre républicains et loyalistes, mais aussi entre catholiques et
protestants) continuèrent en Irlande du Nord tandis que l’État libre d’Irlande
plongeait sa guerre civile entre les partisans et les opposants du traité
anglo-irlandais.
S’ils pouvaient se réconcilier et en plus se
respecter, franchement, je serai très fier d’avoir vécu jusque-là.
Mais c’est aussi ouvrir une autre page de l’Histoire
de l’UK : Les Écossais pourraient vraiment être poussés à créer une
frontière au nord de l’Angleterre.
À part ça, Londres et « BoJo » veulent
reconstruire l’empire britannique : Ils ont intérêts à progresser à très
vive allure avant qu’il ne soit trop tard pour la Couronne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire