Naturellement, elle est « encadrée » !
Dans une entreprise, il est notamment interdit à chacun
de tous les salariés de tenir des propos excessifs, injurieux ou diffamatoires
(racistes je raye parce que les races n’existent plus, sexistes,
antisémites, négationnistes, homophobes, d’apologie de crimes & délits, d’appels
à la violence ou à la grève des impôts et j’en passe) : Vous avez encore
le droit de penser ce que vous voulez, mais à condition de le garder pour vous…
C’est d’ailleurs vrai hors des lieux de labeur et
jusque sur la voie publique.
Chez vous, hein, c’est la sphère-privée : Pas
touche !
En revanche, si des propos ne peuvent être
caractérisés comme tels, alors ils relèvent de la liberté d’expression.
Ouf !
Dans l’affaire rapportée qui a fait le tour de la presse spécialisée cette semaine, une entreprise licencie un
cadre commercial pour faute grave car, en réponse à des collègues, il avait
tenu des propos tels que « concernant ma demande je ne vous parle pas d’urgence,
je vous demande une réponse dans les meilleurs délais », « le premier
bon à tirer n’est ni fait ni à faire », ou « crois-tu que je puisse
traiter ce genre de mails ? ».
Une façon courtoise de traiter des collaborateurs d’ignare,
d’incompétent ou de simple débile profond.
Exit des effectifs de la boutique sur plaintes
répétées du personnel pour ambiance délétère, et tout le monde se retrouve
devant les Prud’hommes, la Cour d’appel et même la plus haute juridiction
civile du pays, la Cour de cassation, pour en découdre !
Cour de cassation chambre sociale
Audience publique du mercredi 15 janvier 2020
N° de pourvoi : 18-14177
M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de
président), président
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Potier de La Varde,
Buk-Lament et Robillot, avocat(s)
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt
suivant :
M. E… L…, domicilié (…) , a formé le pourvoi n° H
18-14.177 contre l’arrêt rendu le 23 janvier 2018 par la cour d’appel de Nîmes
(chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Bornes et Balises, société par
actions simplifiée, dont le siège est (…),
2°/ à la société Sogemap, société par actions
simplifiée, dont le siège est (…), ayant procédé à une fusion absorption avec
la société Bornes et Balises,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les
deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller
référendaire, les observations de la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et
Robillot, avocat de M. L…, de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la
société Bornes et Balises, après débats en l’audience publique du 4 décembre
2019 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de
président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme
Aubert-Monpeyssen, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée
des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à
la loi, a rendu le présent arrêt.
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. L… a été engagé
à compter du 1er mars 2010 par la société Bornes et Balises, devenue
la société Sogemap, en qualité de responsable commercial régional, statut cadre
; que le salarié a saisi la juridiction prud’homale, le 15 octobre 2013, afin
de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que le
paiement de diverses sommes ; qu’il a été licencié le 29 novembre 2013, pour
faute grave pour avoir tenu des propos dépassant son droit d’expression et de
critique à l’égard des dirigeants ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu’il n'y a pas lieu de statuer par une
décision spécialement motivée sur le moyen annexé, qui n’est manifestement pas
de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles L. 1121-1 et L. 1232-1 du code du
travail ;
Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en
paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif, l’arrêt retient qu'à
l'appui du comportement agressif et critique à l’égard d’autres salariés et des
responsables hiérarchiques, provoquant un climat conflictuel et une ambiance
délétère, reproché au salarié dans la lettre de licenciement, l’employeur
produit des échanges de courriels, que si deux salariés reprochent l’arrogance
et/ou l'attitude agressive de l’intéressé, il ressort des courriels produits qu’aucun
propos agressif n’a expressément été tenu par ce dernier, qu’en revanche les
propos irrespectueux de l’intéressé à l’égard de ces deux salariés, de qui il n’est
pas le supérieur hiérarchique, sont inappropriés eu égard au contexte
professionnel des échanges, ce dernier ne pouvant s’adresser à eux de la
manière suivante : « peut-on répondre à son besoin oui ou non ? » , « concernant
ma demande je ne vous parle pas d’urgence, je vous demande une réponse dans les
meilleurs délais », « le premier bon à tirer qui n'est ni fait ni à
faire », « crois-tu que je puisse traiter ce genre de mail ? », que
si les courriels ne peuvent pas traduire le ton arrogant ou agressif employé
par l’appelant, et si le salarié s’est défendu de toute agressivité, il n’en
demeure pas moins que ces salariés se sont plaints de son attitude, un tel
comportement répété étant nécessairement nuisible au bon fonctionnement de l’entreprise,
que l’employeur justifie également du caractère déplacé des propos du salarié à
l’égard de son supérieur hiérarchique tel que repris par la lettre de
licenciement, notamment par l’emploi des termes suivants « je ne sais pas
comment vous pouvez écrire de telles calembredaines »,« vous êtes très
mal informé », « soyez plus visionnaire M. G… » et du courriel aux
termes duquel il indique « on est dans la vente de
produits techniques pas à la Redoute », que pour autant, il résulte des
échanges entre MM. G… et D… que le salarié n’est pas à l’origine du fait que
ces courriels aient été adressés en copie à d’autres salariés, qu’enfin l’employeur
ne justifie pas de l’attitude du salarié « particulièrement agressive,
allant jusqu’à traiter, à plusieurs reprises, M. G… de ‘‘menteur’’ », lors
de l’entretien de licenciement, que par conséquent l’attitude du salarié, si
elle n’est pas constitutive d’une faute rendant impossible son maintien dans l’entreprise
et la poursuite du contrat, en l’absence de tout propos expressément agressif
ou arrogant, est néanmoins constitutive d’une cause réelle et sérieuse de
licenciement ;
Qu’en se déterminant ainsi, alors que, sauf abus, le
salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression,
sans caractériser en quoi les courriels rédigés par le salarié comportaient des
termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, la cour d’appel a privé sa
décision de base légale ;
Et attendu que la cassation encourue sur le second
moyen entraîne, par voie de conséquence en application de l’article 624 du code
de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l’arrêt ayant
requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle
et sérieuse ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il requalifie
le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et
sérieuse et en ce qu’il déboute M. L… de sa demande de dommages-intérêts pour
licenciement abusif, l’arrêt rendu entre les parties par la cour d’appel de
Nîmes le 23 janvier 2018 ;
Remet sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état
où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de
Montpellier ;
Condamne la société Bornes et Balises, devenue la
société Sogemap aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure
civile, rejette la demande formée par la société Bornes et Balises, devenue la
société Sogemap et la condamne à payer à M. L… la somme de 3.000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près
la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en
marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre
sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze
janvier deux mille vingt.
Vous avez compris que le demandeur ne demande même pas
à voir son licenciement requalifié ni à être réintégré aux effectifs : Il
veut juste que soit prononcé la « résiliation judiciaire » de son
contrat de travail.
Notez que ça revient au même dans les indemnités à lui
verser, mais il y a une nuance.
Vous aurez également compris que la Cour d’appel de
Nîmes estime que l’envoi de ces mails ne constituait pas une faute grave justifiant
d’un licenciement car leurs contenus n’étaient pas excessifs et n’empêchaient
donc pas le salarié de rester dans l’entreprise. Mais elle a cependant établi
qu’ils constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement : La
résiliation judiciaire, elle devait ne pas connaître de l’intérêt…
Dont acte.
Sauf que la Cour de cassation n’est pas du même avis.
Cette dernière, en application de la loi, toute la loi
applicable, estime que tant qu’il n’y a pas abus provenant de propos injurieux,
diffamatoires, ou excessifs (racistes je raye parce que les races n’existent
plus, sexistes, antisémites, négationnistes, homophobes, d’apologie de crimes
& délits, d’appels à la violence ou à la grève des impôts et j’en passe),
le salarié dispose alors de toute sa liberté d’expression au sein de l’entreprise.
Conclusion, son licenciement est donc sans cause
réelle et sérieuse !
Sec, quoi, ce qui revient à une résiliation
judiciaire.
CQFD.
Ceci dit, Monsieur G… manque non seulement de « vision »
mais également d’humour puisqu’il n’aurait pas encore compris que la boutique
de « bornes & balises » où il œuvre depuis quelques temps est « dans
la vente de produits techniques pas à la Redoute »…
Comme quoi, il reste réellement « très mal informé » !
D’un autre côté, être traité de « menteur »
a dû le rendre soudainement « agressif » et de mauvaise humeur, mais c’était
seulement lors de l’entretien préalable au licenciement déjà décidé.
D’ailleurs, il est mis au défi : « Je ne
sais pas comment vous pouvez écrire de telles calembredaines »…
Une façon gentille de lui dire qu’il n’était qu’un
sinistre konnard !
Bé, il a pu faire illusion, partiellement, devant la
Cour d’appel nîmoise, mais ça n’a pas fonctionné devant le doyen (faisant
office de Président : Le titulaire de la fonction faisait défaut pour une
raison inconnue) de la chambre sociale de la Cour de cassation et tout le monde
se retrouve à Montpellier !
Leçon de droit appliqué : Restez courtois, ne
proférez jamais aucun propos injurieux, diffamatoires, ou excessifs (racistes
je raye parce que les races n’existent plus, sexistes, antisémites, négationnistes,
homophobes, d’apologie de crimes & délits, d’appels à la violence ou à la
grève des impôts et j’en passe), même hors du lieu de travail, la Loi vous
protège !
Bonne fin de week-end à toutes et tous !
I3
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire