Sexe : La pénétration ne s’imposerait plus
Contrairement à ce que pourront penser les paranoïaques
post-metoo, l’affirmation ne provient pas d’une bible « lesbo-féministe
séparatiste ».
Ce n’est pas non plus un « scientifique »
qui l’énonce, mais le romancier Martin Page. Le titre de son bouquin annonce d’ailleurs
clairement la couleur : « Au-delà de la pénétration ».
Et son propos est ponctué de formules-choc étonnantes
: « Si la sexualité était une question de
plaisir, les femmes seraient moins pénétrées et les hommes le seraient
davantage ».
De quoi parle-t-il ? D’un doigt, d’une langue, d’un pénis ou d’un sex-toy ?
De quoi parle-t-il ? D’un doigt, d’une langue, d’un pénis ou d’un sex-toy ?
Lui, il redécouvre le fil à couper le beurre en pense-je
de premier abord…
« Le but de la
pénétration au fond n’est pas vraiment le plaisir des deux partenaires, mais en
premier lieu celui de l’homme, puis éventuellement celui de la femme
(d’ailleurs la pénétration cesse généralement quand l’homme a atteint son
plaisir). C’est l’instauration d’une relation inégalitaire comme modèle. »
En général, parce que personnellement… je prolonge
jusqu’à ce que mon organe n’ait plus assez de vigueur pour empêcher d’être
expulsé !
Mais admettons-le avec lui : En 2019, la pénétration
constitue toujours et heureusement l’alpha et l’oméga de la pratique hétérosexuelle,
hermétiquement divisée entre le « vrai sexe » (celui qui consiste à fourrer son
pénis dans une personne) et le « reste » (préliminaires, masturbation,
fantasmes, cunnilingus, BDSM, fist-fucking, sex-toys, électrostimulation,
effleurements fétichistes, tartes aux pommes, etc.).
Notez tout de suite qu’il en oublie au passage les
pratiques « homosexuelles » (et la recherche de « l’orgasme
prostatique » que je n’ai pas encore expérimenté), mais il fait référence,
forcément, aux plaisirs lesbiens qui s’offrent également des sex-toys… qui
servent à quoi au juste ?
À monter les blancs d’œufs en neige ?
Il note tout de même que de manière plus surprenante,
la pénétration définit également les rapports gays (ah quand même !) mais avec une question idiote : « Qui fait le bonhomme ? »
Sous-entendu : Les gays passeraient leur temps à
s’emboîter selon des hiérarchies coulées dans le marbre, ce qui est contredit
par de nombreuses études sur leurs pratiques.
Même chose pour les rapports lesbiens : « Mais comment
elles font, du coup ? » Sous-entendu : Les lesbiennes ne se pénètrent jamais !
Elles sont condamnées à jouer au Scrabble avec uniquement des W et des M
jusqu’à la fin des temps !
Ou faire de la mayonnaise avec leurs vibro-masseurs…
Celui-là est vraiment un niais qu’il s’agirait de
déniaiser, me confirme-je à moi-même.
À une époque où même la procréation peut passer par
des seringues, la pénétration doit-elle être remise en cause ?
Du côté du plaisir féminin hétérosexuel, toutes les
études mettent en lumière le caractère relativement inefficace de cette
pratique : 50 % des femmes aimeraient donner plus de place aux autres
formes de sensualité, comme les caresses et pourtant ! Les uns et les autres ont besoin de se sentir fusionnant.
La pénétration peut en outre exposer à des douleurs,
des grossesses ou des infections.
Mais alors, cette performance en demi-teinte
constitue-t-elle un motif de relégation ?
Non. Les femmes ne mettent pas le feu au Fouquet’s
pour demander la fin de la pénétration : 74 % d’entre elles ont eu un
orgasme lors de leur dernier rapport (hétéro), ce qui n’est pas assez à mon
goût.
On peut aussi mentionner, en sa faveur, la logistique
minimale d’une pénétration : Un assemblage attendu, pas compliqué, vite expédié
(5 minutes et 40 secondes en moyenne… j’aimerai qu’on nous dise la « médiane »,
parce que si je fais exception dans les « prolongations », c’est qu’il
y en a qui expédie « ça » comme un œuf à la coque !), parfois
désinvesti (on peut compter les rainures du plafond, regarder la télé…),
assurant la paix des ménages.
Et du côté des hommes ? Eh bien sans surprise, ça
fonctionne.
95 % jouissent à tous les coups ou presque (Archives
of Sexual Behavior, février 2017).
La mécanique pénétrative est tellement bien rôdée
qu’on peut poser la question qui fâche : Constitue-t-elle une forme augmentée
de masturbation ?
Et quitte à vraiment finir fâchés : Quid des
inconvénients ?
Car même pour les hommes, la pénétration génère son
lot de contrariétés : L’éjaculation rapide sinon précoce, les angoisses de performance ou de
taille, la routine.
Justement parce qu’elle est efficace, cette pratique
peut réduire la sexualité à un seul organe (4 % de la surface d’un corps, 2 %
pour les dames) au détriment d’une sensualité plus globale et fusionnelle (de 20 à 30 % de la
surface de l’épiderme) : La masturbation solitaire est largement battue en
brèche !
Le phallocentrisme ne serait alors qu’une question
politique, il déborde sur nos terminaisons nerveuses : Quand on utilise
toujours les mêmes circuits cérébraux, on devient paresseux.
Comme l’auteur l’explique, le renouvellement du
répertoire sexuel passe à la trappe et avec lui, d’infinies richesses physiques
et fantasmatiques : « J’ai l’impression
que nous sommes prisonniers de conceptions naturalistes, de représentations, et
même si on sait que certaines choses pourraient nous être incroyablement
jouissives, nous les refusons. »
Ah oui ?
Pas certain que je refusasse quelques nouveautés
jouissives…
Mais culturellement, il faut reconnaître que la
pénétration implique encore d’autres paradoxes.
Côté pile, nous sommes attachés au grandiose idéal de
la fusion des corps (pure construction imaginaire, soit dit en passant selon lui : Quitte
à fusionner, il serait beaucoup plus romantique d’imaginer deux partenaires se
pénétrant mutuellement avec leurs doigts et tous les autres appendices disponibles qu’il en dit…).
D’ailleurs, il ne mentionne pas la fellation, l’indécent !
Mais ne crachons cependant pas dans la soupe : La
pénétration asymétrique porte en effet une part de transcendance.
Le philosophe Vincent Cespedes y consacrait de très belles lignes
émouvantes : « Le phallus entre, c’est là
sa fonction, sa jouissance, c’est cette capacité d’entrer et d’y trouver
délectation. Entrer en quoi ? Entrer en l’autre. (…) Nous retrouvons Hermès, le dieu des routes : il s’agit de se frayer un
chemin vers l’altérité. »
Et « à force de
pénétrer, on oublie tout le reste ».
Mais pas d’en sortir…
Côté face, nous pouvons difficilement ignorer que la
pénétration est systématiquement associée à des hiérarchies gagnant/perdant, à
un vocabulaire de la dégradation, à un folklore de la possession dénué de toute
logique effective.
Comme le note une journaliste dans une récente
émission radio dédiée à la pénétration, « on
utilise le verbe « prendre » pour un homme qui pénètre une femme,
alors que si vous prenez un caillou, ce n’est pas le caillou qui vous prend. »
Sauf dans la tronche : On dit bien se prendre un
caillou, une balle, un épieu, une tasse d’eau de mer…
Mais justement, là il y a tentative de pénétration…
Alors ?
Juste un détour rigolo du vocabulaire, rien d’autre.
Dès lors, on peut considérer que ces tensions
symboliques posent la question de la compatibilité entre une sexualité « phallo-centrée »
et les valeurs contemporaines d’égalité, de plaisir, d’excitation, de
nouveauté, d’intensité, ou tout simplement d’amour.
Pour notre auteur, « à force de pénétrer, à force de ne penser qu’à ça, on oublie tout le
reste, on ne voit pas l’étendue du corps. Pénétrer c’est passer à côté et fuir.
C’est penser qu’on fait l’amour alors qu’on s’en débarrasse. J’ai le sentiment
qu’on pénètre pour cacher les sexes, ne pas les voir, comme si c’était une
honte. C’est un aveuglement. (…) Sans
pénétration, tout le reste du corps est hypersensible et délicieusement
hyperactif. Faire l’amour devrait être la rencontre des corps et leur
conversation. »
J’en rigole : On ne fuit pas, puisqu’on s’imbrique à
en vouloir fusionner !
Moi qui fais en ce moment des recherches documentaires
sur la sexualité du moyen-âge pour le futur roman de l’été, s’ils savaient ce
qu’on découvre au fil des pages/lues…
Notez que quoiqu’on en pense, nous ne sommes jamais
que leurs héritiers, puisque s’ils ne savaient pas faire, nous ne serions pas là
pour en discuter.
C’est la mathématique « 1 + 1 = 3 » !
Mais bon, à l’époque, ça n’avait rien à voir (ou
presque) pour être encore pire ou balancer vers « l’amour-courtois »,
très… platonique.
Des idées qui flottent dans l’air du temps, non comme
une injonction, encore moins comme une condamnation ou une interdiction, mais
comme une délicieuse invitation.
Ce petit manifeste propose finalement d’entrevoir ce
qui se tapit au-delà de la pénétration… mais aussi et surtout, de voir plus
loin que le bout de notre nez.
Bé je regarde et je découvre le bout de mon « unique
neurone » (qui commande tout le reste), celui du nerf honteux, avec son
aspect pour le moins bizarre d’amanite phalloïde !
Parce que lui, il n’a qu’une envie, qu’une idée en
tête (de gland), qu’un seul objectif, qu’une seule raison d’être et qui reste
de « pénétrer », non pas pour le geste lui-même, mais pour être totalement
entouré et sollicité par les tissus de quelques dames accueillantes possédant
la « cavité idoine » entre les jambes pour ce faire…
Un vrai paradis, d’autant mieux quand c’est partagé à
deux avec Madame qui ne saurait pas vraiment faire autrement, le reste étant certes
« intéressant », mais parfois superflu et en tout cas « insuffisant ».
Dans ces conditions, elle n’est pas formidable la vie ?
Et tant pis pour ces chercheurs et autres « auteurs »
qui cherchent et causent de choses qu’ils font semblant de découvrir.
Parce que c’est là que je reste sidéré : Je
savais que les émois que provoquent ce « pénétrations » successives
ont produit l’humanité, mais tout autant une incroyable densité de littérature,
poétique ou non, qui fait toute la richesse de cette même humanité.
Résumer tout cet ensemble à quelques coups de rein, c’est
tellement… sidérant !
Bonne journée tout de même à toutes et à tous !
I3
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