À
propos de Vincent Lambert
Je n’ai absolument aucune légitimité pour interférer dans un drame
familial qui dure depuis trop longtemps entre diverses « tendances »
au sein de sa propre famille au sujet son sort, qui s’étale jusque devant les
tribunaux civils et administratifs du pays : Ce n’est pas à moi de m’y
substituer, là même où « Jupiter » s’est proclamé
« incompétent ».
Et il a raison : Il y a suffisamment « autorités
déléguées » institutionnelles pour trancher. C’est dans leur essence
constitutive.
Il n’empêche qu’on peut avoir une opinion.
Et ce qui ne facilite par un raisonnement serein, c’est que derrière le
sort de ce pauvre-gars cloué « à la vie à la mort » sur un lit
d’hôpital, c’est que se cache aussi une histoire de clan familial recomposé et
profondément divisé.
Autour de leur fils, époux, frère et oncle, il y a ceux qui refusent
catégoriquement, au nom notamment de leurs fortes convictions religieuses, tout
arrêt des traitements et ceux qui réclament que l’on cesse cet « acharnement
thérapeutique ».
Ah oui ?
Serait-il alors « en thérapie » ?
Je croyais que justement il ne recevait plus de soins, hors seulement un
peu d’eau et des poches d’aliments en intraveineuse…
Un « détail », mais qui a son importance…
Aujourd’hui âgé de 42 ans, Vincent est tétraplégique dans un état
végétatif jugé irréversible depuis plus de dix ans, après un accident de
voiture en septembre 2008, quelques jours après son 32ème anniversaire.
À sa naissance à Châteauroux, ses parents, Pierre Lambert et Viviane
Cassier, sont amants et ont chacun un conjoint : Curieux comportement pour
des « intégristes-papistes ».
La vie de Vincent n’est pas un long chemin tranquille parsemé de pétales
de rose. Jusqu’à six ans, il vit sous le toit du mari de sa mère, Jacky
Philippon, et porte son patronyme… celui du père cocu, mais qui lui-même n’est
pas un ange puisqu’il vit « sa vie » dans un autre lit tout autant.
Vincent appelle tour à tour les deux hommes « papa » pour un
schéma familial qui tranche avec les dogmes religieux reçus.
Lui est envoyé à 12 ans dans un établissement de l’Aude de la Fraternité
Saint-Pie-X, communauté intégriste proche de Mgr Lefebvre.
Il est renvoyé pour son « esprit rebelle » : Je veux bien
le comprendre moi qui ai eu à me confronter aux « petits-père-gris »
dans ma jeunesse.
Ça forme le caractère, croyez-moi.
Vincent devient infirmier, spécialisé en psychiatrie.
Il formule à plusieurs reprises, nous dit-on, son souhait de ne pas être « maintenu artificiellement en vie »
mais ne rédige pas de directive anticipée.
Qu’est-ce une « directive anticipée » ?
Depuis bien avant la loi Leonetti, toute personne majeure peut rédiger une
déclaration dans laquelle elle précise son souhait concernant sa fin de vie en
cas de maladie grave et incurable (en phase avancée ou terminale).
Les « directives anticipées » permettent d’indiquer en
particulier si les personnes souhaitent limiter ou arrêter les traitements en
cours, être mises sous respiration artificielle ou encore être soulagées de
leurs souffrances même si cela peut conduire à leur décès.
Ou au contraire être « repêché » au fil des progrès scientifiques.
Quoique bien souvent, le corps médical « laisse partir »…
Ce n’est pas qu’on manque de lit et que ça coûte cher, mais parfois, une
vie « entubée » ne vaut pas les efforts pour la prolonger de quelques
jours seulement un malade même conscient.
Ces directives qui sont écrites sur papier libre doivent être datées et
signées.
Elles ont une durée de validité illimitée mais elles peuvent à tout moment
être modifiées ou annulées.
Il est également important pour les personnes ayant rédigé des directives
de faire connaître leur existence, en informant leur médecin et leurs proches,
et leur lieu de conservation (le dossier médical partagé permet d’ailleurs d’enregistrer
ses directives anticipées).
Rappelons que la loi Leonetti a eu pour objectif de
« légaliser » certaines formes passives d’euthanasie : On arrête
les soins et on laisse faire la nature.
Si je me souviens bien, parfois devant les tribunaux, elle aurait justifié
l’euthanasie active pour certains prévenus…
C’est probablement une « dérive », non pas morale – parce que
notre compassion doit aller vers un soulagement de la douleur et de la misère –
mais juridique : Comment distinguer « l’ange de la mort » du
thérapeute qui n’a plus de solution palliative à proposer à son patient ?
La morphine a ses propres limites.
Je le vois bien avec ma mère qui lutte contre son crabe inopérable,
bourrée à sa troisième ligne de molécule de chimio thérapie (qui elles aussi
ont leurs limites) : Ses cures de morphine lui torturent le mental et la
douleur revient…
Une horreur.
Je me souviens de ce proche alité et sous perfusion, même pas malade mais
seulement « cassé », qui luttait contre ses fantômes en de longs
monologues incompréhensibles faits d’onomatopées saccadées, hachées,
impromptues et colériques…
Une désolation.
Ma « Môman » est parfaitement consciente qu’elle ne sera jamais guérie
et nous la soutenons en famille en lui procurant des « petits moments de
bonheur » : Elle en oublie son calvaire quelques heures et va se recoucher
ensuite pour se reposer de l’effort fourni pour faire « bonne
figure ».
Les questions restent les mêmes : Pourquoi tant de haine envers
elle ?
Mérite-t-elle ce sort-là ?
Mérite-t-elle ce sort-là ?
Et il est insoutenable qu’elle puisse se poser ces questions-là. Encore
plus de lui ne pas pouvoir lui apporter des réponses acceptables…
Je peux en témoigner.
Le problème de Vincent, c’est qu’il ne souffre probablement pas : Il
n’est plus là, totalement et définitivement inconscient. Et il ne verra jamais
sa fille née peu avant son accident.
Quel drame pour cette gamine.
Et pour sa mère à lui apprendre à vivre non pas avec une absence, mais
avec un zombie…
La médecine n’a pas trouvé de solution pour le soigner correctement à
temps. C’était au début qu’il fallait cesser les soins, pas dix ans plus tard
puisque… il n’y a plus de soin à lui apporter, même pas une machine à
débrancher, juste un goutte-à-goutte qui l’alimente.
Ne rien faire d’autre que de l’alimenter et attendre, c’est la position du
camp du « maintient ».
C’est d’abord le père, Pierre, 90 ans, et la mère, Viviane, 73 ans.
Au milieu des années 70, Viviane, mariée et mère de trois fils (Guy-Noël,
Frédéric et David Philippon) travaille pour Pierre et son épouse Renée-Odette,
parents de deux adolescents, Dominique et Marie-Geneviève.
Ce couple, un temps clandestin, se marie à la naissance, en 1982, de leur
quatrième enfant, Joseph.
Pierre exerce comme gynécologue. Anti-IVG, responsable départemental de « Laissez-les
vivre » : Ce sont ces choix, ça ne se discute même pas.
Catholique pratiquante, Viviane, femme forte et énergique, s’est depuis rapprochée
des milieux intégristes.
Un couple « mal assorti », selon plusieurs de leurs propres enfants :
Lui est « torturé » là où elle « ne se pose pas beaucoup de questions ».
« Leur vie à deux, c’était
épouvantable, ils s’engueulaient tout le temps », se souvient l’un des
fils.
Sur les neuf enfants, issus de trois lits différents, deux, David
Philippon (lui-même père de neuf enfants) et Anne Lambert (six enfants), tout
autant fervents catholiques, partagent ce combat pour « la vie ».
Pour David, arrêter les traitements serait « condamner à mort un handicapé ».
Bien vu : Sursis de 6 mois, le temps que les instances
internationales sur le handicap rendent leur avis !
Et « François 1er », le Pape, soutient.
Le Pape soutient non pas le handicap, mais la vie de la créature de
Dieu : C’est dans son rôle et son dogme.
Ce qui n’a jamais empêché la « Sainte Inquisition » d’avoir
organisé des « épurations » d’hérétiques en son temps…
Et la vie détruite de Rachel, alors ?
L’épouse, Rachel, 38 ans, infirmière, rencontrée en 2002 à l’hôpital de
Longwy. Le couple, marié en 2007, vit près de Reims et donne naissance à une
fille deux mois avant l’accident de Vincent.
Décrite comme « discrète » voire « taciturne », Rachel
partage avec son époux un certain « humour noir ».
Elle a écrit un livre « Parce que je l’aime, je veux le laisser
partir ».
Elle a raison : « Le laisser partir », pas le torturer
encore plus en ne le nourrissant plus de sa ration quotidienne minimale et de le
laisser « se dessécher ».
Un supplice tellement dégueulasse qu’on envisageait même de lui refiler un
« sédatif profond » pour lui éviter toute souffrance… et l’emporter.
C’est tout en dire pour un être « qui n’est plus là » !
Restent plusieurs questions en suspend :
– La loi Leonetti est-elle applicable à un handicapé ?
On saura dans quelques mois s’il y a exception ou non.
Le problème derrière cette question, c’est de poser des limites : Un
trisomique reste un handicapé. Au moins autant qu’un quadraplégique.
Doit-il faire partie du lot si la loi s’applique à lui avec la même
vigueur ?
Et l’on repense à notre Stephen Hawkins, physicien génial cloué dans son
fauteuil, complètement déformé par sa maladie, durant des décennies…
Sans lui, nous ne saurions pas qu’un trou noir pouvait rayonner !
C’est pourtant tellement logique…
La médecine avait proposé de le « débrancher » en 1985 (un bail !)
de ses machines qui le reliaient à la vie, à l’occasion d’une pneumonie, se
rappelle-t-on…
– Visitez également le centre thérapeutique de Berck avant de vous décider.
Il y a quantité de « morts virtuels » en sursis dans ces murs
(mais heureusement pas que ça) et je me rappellerai toujours d’avoir fait le
détour sur la côte d’Opale pour aller visiter une ex-collègue victime d’un
accident thérapeutique : Pour éviter qu’elle ne souffre à l’occasion d’une
intervention chirurgicale relativement bénigne, ses toubibs l’avaient plongée
dans un coma artificiel. L’opération se déroule normalement, sauf qu’ils ont
été incapables de la sortir de son état… artificiel !
Elle se « recroquevillait » au fil des mois : Insoutenable.
Et puis désormais, elle parle, mal, a quelques activités en plein-air et
surtout, surtout, elle sourit lumineusement quand elle vous voit !
Aurait-elle dû être « débranchée » ?
– La vie est un mystère. Quelques joies pour de nombreuses douleurs à
l’âme et au corps. Doit-on légiférer la « fin de vie » ?
Probablement pour protéger le corps soignant et évincer les dérives,
toutes les dérives.
Mais comment supporter le désarroi de cette mère de famille, tutrice de
son gamin majeur polyhandicapé (physique et mental) qui se débat dans les
difficultés sans nom du quotidien et ne se suicide pas uniquement parce qu’elle
ne sait pas ce que son fils deviendra… après son geste fatal.
Il faut dire que le père est depuis longtemps et très courageusement aux
« abonnés absents »…
La loi ne prévoit pas tous les cas.
« De toute façon… de toute
façon, tout a une fin. »
Et heureusement !
Le meilleur comme le pire.
Et tant d’autres questions : Les dictatures du siècle dernier ne se
gênaient pas pour « euthanasier » les « sous-hommes », de
toutes natures, même « dogmatiques ».
Et le Pape a raison de rappeler que la vie est un don sacré de Dieu.
De Dieu, je ne sais pas (la science nous dira probablement un jour que
« pas forcément »). Un don sacré… il n’en pas toujours été même chez
vous quand la guillotine ne fléchissait pas. Mais un don sans contrepartie,
très certainement : Jamais personne n’a demandé à naître !
Notez que jamais personne n’a demandé à être torturé non plus (par la
maladie ou par la main d’homme) jusqu’à ce que mort s’en suive.
Hommages appuyés, au passage, à tous ces résistants qui ont pu subir ce
sort-là pour que je puisse un jour « voter » librement…
Franchement.
Passons : Ça ne règle pas le « problème de conscience ».
Le problème de qui au juste ?
Pas celui de Vincent : Il n’a probablement plus de
« conscience » cohérente tellement elle est altérée.
C’est donc le problème des « survivants » qui l’entourent de
leur affection et de leurs « non-dits ».
C’est leur calvaire à eux, leur « chemin de croix ». Et force
est de constater qu’ils ne parviennent pas à le régler en adulte responsable,
tous assis sur leurs convictions personnelles voire dogmatiques.
Et de les déballer sur la place publique jusqu’à l’indécence.
Rappelons que Mounira Omar, une Émiratie, se trouvait dans le coma depuis
1991 après un accident de voiture en emmenant son fils à l’école dans la ville
d’al-Aïn. Elle avait 32 ans.
L’âge de Vincent.
Elle s’est finalement réveillée en Allemagne en 2018.
L’Allemagne, ce pays d’hérétiques-huguenots qui s’acharnent pour le compte
d’une mahométane…
Quel symbole !
On ne règle décidément pas des problèmes de conscience avec des
dogmes ou des lois : Seul le temps les règle.
On doit finalement pouvoir laisser partir Vincent « parce qu’elle l’aime », sans avoir ni
à l’assoiffer ni à l’affamer.
Non pas parce qu’il est handicapé-sévère, mais parce qu’il est tout
simplement sujet d’amour.
En revanche l’assommer d’un « sédatif profond », ça ressemble
tellement aux exécutions capitales américaines par injection…
Et si Vincent a besoin d’un toit accueillant, il reste le bienvenu dans
une de mes bergeries de montagne en « Corsica-Bella-Tchi-Tchi » :
Au moins l’air y reste pur et les nuages en liberté, loin des « hommes de
papier » qui ne savent même plus comment vous voler jusqu’à votre décès…
La viiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiie ne fait pas de cadeau
Et nom de Dieu, c'est triste Orly le dimanche
Avec ou sans Bécaud
La viiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiie ne fait pas de cadeau
Et nom de Dieu, c'est triste Orly le dimanche
Avec ou sans Bécaud
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire