On
croit parfois que…
La mise à disposition d’un logement à son enfant entraîne un risque tant
civil que fiscal si elle peut être qualifiée de donation.
Au plan civil, l’enfant qui occupe le bien gratuitement risque d’avoir
moins de droits dans la succession du parent donateur que ses frères et sœurs.
Et au plan fiscal, l’avantage indirect procuré par l’économie de loyers
serait taxable aux droits de donation.
Cour de cassation, première chambre civile
Audience publique du mercredi 11 octobre 2017
N° de pourvoi: 16-21419
Publié au bulletin
Rejet
Mme Batut, président
Mme Reygner, conseiller rapporteur
M. Sassoust, avocat général
SCP Foussard et Froger, SCP Garreau, Bauer-Violas et
Feschotte-Desbois, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu
l'arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 mai 2016), que
Jean X… est décédé le 11 novembre 2008, laissant pour lui succéder son épouse,
Mme Y…, et leurs deux enfants, Delphine et Pierre-Alain ; que ce dernier a
assigné sa mère et sa sœur en partage ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, ci-après annexé :
Attendu que ce moyen n’est manifestement pas de nature à
entraîner la cassation ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu que Mmes Y… et X… font grief à l’arrêt de rejeter
leur demande subsidiaire tendant à voir ordonner le rapport à la succession de
Jean X…, par M. X…, de l’avantage indirect dont il a bénéficié par la mise à
disposition, à titre gratuit, de l’appartement situé …, durant la période
allant du mois d’août 2000 au mois d’avril 2011, alors, selon le moyen, que
tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce
qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement
; que la jouissance gratuite d’un immeuble peut constituer un avantage indirect
rapportable dès lors qu’est établi, d’une part, un appauvrissement du disposant
et, d’autre part, son intention de gratifier ; qu’en rejetant la demande
tendant au rapport à la succession de l’avantage indirect dont a bénéficié M.
X… par la mise à disposition, à titre gratuit, de l’appartement situé au … pour
la période allant du mois d’août 2000 au mois d’avril 2011, au motif inopérant
et erroné qu’un commodat n’implique aucune dépossession de la part du prêteur
et qu’il serait incompatible avec la qualification d’avantage indirect, la cour
d’appel a violé les articles 843 et 893 du code civil ;
Mais attendu que le prêt à usage constitue un contrat de
service gratuit, qui confère seulement à son bénéficiaire un droit à l’usage de
la chose prêtée mais n’opère aucun transfert d’un droit patrimonial à son
profit, notamment de propriété sur la chose ou ses fruits et revenus, de sorte
qu’il n’en résulte aucun appauvrissement du prêteur ;
Et attendu qu’ayant retenu que la mise à disposition par
Jean X… à son fils d’un appartement depuis l’année 2000, sans contrepartie
financière, relevait d’un prêt à usage, la cour d’appel en a, à bon droit, déduit
qu’un tel contrat est incompatible avec la qualification d’avantage indirect
rapportable ; que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens
;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les
demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première
chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze
octobre deux mille dix-sept.
Vous avez compris ?
La mise à disposition gratuite d’un bien immobilier ne peut être qualifiée
de donation que s’il est démontré d’une part, à la fois l’appauvrissement du
parent donateur et d’autre part, l’intention de ce dernier de gratifier
l’enfant occupant le bien…
Dans cette décision, la Cour de
cassation a précisé que si cette mise à disposition constitue un « prêt à
usage », encore appelé « commodat », dès lors, la qualification de
donation est écartée au motif que le prêt à usage est un contrat de service
gratuit, n’entraînant pour le prêteur aucun appauvrissement.
Et de rappeler que la conclusion d’un contrat de prêt à usage au moment de
la disposition du bien peut donc être une précaution utile pour limiter le
risque de qualification de l’opération en donation.
Il convient cependant de rappeler que la qualification retenue par les
parties, même dans un contrat écrit, ne lie pas les juges. Par conséquent, le
prêt à usage pourra toujours être requalifié en donation si l’intention de
gratifier l’enfant occupant, analysée au cas par cas par les juges, peut être
établie.
Ce n’était pas le cas, en l’espèce, pour les juges du fond.
À retenir toutefois que lorsque la mise à disposition gratuite d’un
logement en faveur d’un enfant peut être qualifiée de prêt à usage, elle ne
constitue pas une donation taxable…
D’un point de vue civil, il n’y a rien à dire : Personne ne peut
obliger un père à soutirer de l’argent à son fils comme d’un vulgaire tiers au
motif de l’usage d’un bien à titre gratuit.
Évidemment, cette situation avantageuse cesse au décès du propriétaire.
D’un point de vue fiscal, l’administration éponyme n’oblige jamais
quiconque à maximiser ses gains et revenus imposables.
Il en va d’ailleurs de même pour les pertes fiscales : Toutes ne sont
pas déductibles, selon le principe énoncé par Maurice Cozian (mon pape-à-moâ)
selon lequel le fisc n’est pas l’assurance tous-risques du kontribuables.
D’ailleurs, à noter au sujet des éventuels revenus fonciers à tirer d’un
bien immobilier, quand il est remis à un parent du kontribuable, la loi prévoit
que les éventuels déficits ne sont pas imputables, ni sur des revenus de même
nature, ni sur le revenu global dudit kontribuable.
Autrement dit vous louez à un fiston votre studio, qu’il paye ou non un
loyer, on s’en fout, ça ne compte pas (surtout s’il ne le paye pas).
En revanche, s’il est convenu d’un loyer et que celui-ci reste impayé (ce
n’est pas le cas dans la famille « X… »), la créance est rapportée à
l’actif successoral et compensée au moment du partage qui suit la succession
(avec soulte de compensation éventuelle).
La « sœurette X… » est donc malvenue de demander des comptes à
son frangin (puisque le commodat est retenu comme valable) en revanche, la
suite risque d’être moins confortable pour ledit frangin.
Sauf à racheter le lieu où il habite, il va se retrouver occupant sans
titre ni droit de l’indivision dont il fait partie, donc expulsable au 1er
mars suivant, sauf convenir d’un demi-loyer avec ses co-indivisaires… forcément
à dire d’expert.
Bref, démerdez-vous autrement sans ça, il va y en avoir qui se sentiront
cocus et des procès-fleuve. Ne faites pas comme « Ah que »,
ne trichez avec personne et restez autant que possible « équitable &
juste » (je sais, c’est parfois contradictoire…).
Ou alors passez donc par des contrats plus « sophistiqués »,
comme les donations en avance d’hoirie (voire les tontines), ou les
assurances-vie qui sont aussi faites pour ça.
Bonne fin de week-end à toutes et à tous !
I3
Je suis ébahi par la richesse du droit sur les successions, et toutes ses ramifications, mariages, héritages, etc. Il ne faut pas croire qu'on peut faire ce qu'on veut en la matière!
RépondreSupprimerGlobalement, c'est du droit romain, adapté à la sauce "Napoléonienne" et revue à la marge par "l'immense sagesse de notre législateur" moderne.
SupprimerEn fait, tu peux faire ce que tu veux, à condition de le préparer et d'utiliser les bons outils juridiques.
Bref, ne vas pas voir un avocat, mais plutôt un "ingénieur-juridique" (et tant qu'à faire "fiscal") : Lui t'inventera le procédé idoine pour passer entre les fourches caudines du fisc et des juges, parce qu'il sait déjà qu'elles seront les conséquences retenues.
Bon d'accord, on n'était pas très nombreux à faire ce métier-là, mais ça avait du bon de ne pas avoir de concurrence.
Ceci dit, tu peux faire comme "Ah-Que" et te délocaliser là où il n'y a pas le même droit (voire pas du tout) et peu (ou pas du tout) de taxe.
C'est plus simple pour "les niais", mais ça oblige à chercher de verts-paysages exotiques...
Bien à toi !
I-Cube