Encore un acte manqué de la « MacRonnie ».
À chaque fois que la puissance publique produit un
rapport sur un secteur donné du numérique avec l’ambition de faire de la « Gauloisie-éclairée »
un leader mondial de l’intelligence-artificielle, les acteurs de l’écosystème
correspondant sont tout feu tout flammes parce que leur sujet intéresse les
plus hautes autorités. Avec le recul et depuis le « Plan-Calcul », le
pays n’atteint jamais l’objectif assigné et, entre temps, les gouvernements ont
changé et le marché est passé à autre chose.
Probablement que le récent « rapport » du
député-matheux n’échappera pas à cette fatalité…
Certes, l’introduction est admirablement bien écrite.
Elle témoigne d’une passion non feinte de son auteur pour le sujet et il recense
un catalogue de 135 propositions. Pas moins, pas plus.
Il faut dire qu’on y retrouve l’essentiel des poncifs
traditionnels sur l’organisation de la recherche, sur la valorisation
industrielle de ses travaux et sur le rôle de la puissance publique comme acheteuse
de technologies…
Il faut préciser que la première piste de réflexion
était de « mener une politique
industrielle et économique innovante et ambitieuse ».
Hein, la confusion entre « recherche et
innovation » a encore de belles journées devant elle…
Toutefois, la principale ligne de force de ce rapport
est de mettre en avant une vision d’une « IA » éthique et
responsable, soucieuse des utilisateurs. C’est naturellement de bon aloi et le
plan est très bien documenté de ce point de vue-là. « Moumou-Nir-Ma-joue-bi »
(le sinistre resté KO durant le week-end de Pâques) défend de tout façon cette
approche en mettant en avant la dimension sociale de « l’IA » : Elle
doit être mise au service du bien de la société et ne pas être qu’un enjeu
économique, alors autant brosser dans le sens du poil…
Personnellement, plusieurs « curiosités »
m’interpellent.
– Une volonté affichée de faire du pays un leader
mondial d’une vision éthique de l’IA, de son impact sociétal et aussi de sa
régulation se retrouve dans les liens entre l’IA et la responsabilité
environnementale ou encore dans le besoin d’améliorer la diversité des profils
dans les métiers du numérique et de l’IA en particulier, et notamment, celui d’attirer
plus de jeunes filles dans ces filières.
En fait, quel rapport entre « IA » et
l’écolologie-sociale, si non de répondre aux aspirations de la jeunesse-bobo,
mal éduquée aux contraintes de l’économie en général et du « social »
en particulier ?
Il serait évidemment préférable d’avoir à la fois une
IA « éthique » et un leadership économique mondial dans l’IA, bien
qu’au bout du compte on risque bien de n’avoir ni l’un ni l’autre, comme trop
souvent : Sans leadership industriel, nos vies numériques continueront d’être
envahies par les solutions d’acteurs internationaux qui valorisent plus leurs
modèles économiques (dominant).
Enfin passons…
D’ailleurs, l’absence de vision industrielle se
traduit par un Rapport qui est bien trop « franco-Gauloisien » dans
ses recettes. 113 de ses 135 propositions relèvent des usages et du marché de
l’IA du pays, et pas dans le monde…
Conclusion : Nous restons engoncés dans une
vision locale du marché de l’IA, entretenant l’illusion que le marché « lilliputien-local »
et « Gauloisien » est un piédestal suffisant pour obtenir un leadership
moral et un leadership industriel qui nous seraient dus dans l’IA.
On veut jouer dans la cour des grands en se contentant
de notre bien petit pré-carré.
Cela se manifeste aussi dans la propension à
privilégier les sujets « à systèmes complexes » plus qu’à « produits
génériques » comme les systèmes de transports intelligents ou de santé.
Les solutions et approches de déploiement de ces systèmes dépendent étroitement
des systèmes et acteurs locaux.
C’est une vision d’intégration plus qu’une vision industrielle
de solutions en volume, me semble-t-il…
Et pourtant, ils restent très hardis sur la question
des données, prévoyant d’imposer « au cas par cas » l’ouverture des
données provenant d’acteurs privés, y compris étrangers. Ces données seront
malgré tout liées à des usages en « Gauloisie-éternelle » et
renforceront donc le tropisme « Gauloisien » de l’entrepreneuriat
local.
Je ne comprends pas comment ces
« sachants-là » ne comprennent pas encore que l’internet n’a pas de
frontière : L’IA et les données qui vont avec circulent à la vitesse de la
lumière autour de toute la planète.
C’est quand même pas de chance d’oublier cette
dimension pour un « brillant » et les quelques « sommités »
qui l’auront entouré…
Notez toute de même que pour faire bonne figure, le
rapport affiche quelques ambitions européennes, notamment « Gallo-Teutonnes »,
présumant, par exemple, que le projet « Quaero » concernant la
robotique pourrait en être le fer de lance. Mais il fait juste référence à un
projet collaboratif de recherche européen qui n’associe finalement que le
laboratoire de recherche LAAS du CNRS à Toulouse. Un peu léger pour créer un
Airbus des robots !
En revanche ce rapport abonde de propositions
relatives aux chercheurs. Nombre d’entre elles ne sont pas spécifiques à l’IA,
notamment pour rendre les carrières de chercheurs plus attractives. Si l’intention
louable est de mieux rémunérer les chercheurs et limiter la fuite des cerveaux
actuelle, qui est d’ailleurs assez mal chiffrée : Il propose surtout la
création de quatre à six Instituts 3IA (Interdisciplinaires d’Intelligence
Artificielle) organisés dans un réseau national RN3IA. Ils seront voisins, dans
leur principe, des IRT (Institut de Recherche Technologiques) qui avaient été
lancés dans le cadre des Programmes
d’Investissement d’Avenir à partir de 2009 qui visent à améliorer le
lien entre la recherche fondamentale publique et les entreprises. Ils serviront
aussi à faire perfuser l’IA dans l’ensemble des disciplines scientifiques qui y
feront appel.
Ceci dit, on est en pleine croissance de
l’autisme-national sur le sujet : Même en multipliant par trois (on n’y
est pas encore) les rémunérations de nos « chercheurs-d’élite », ils
poursuivront à « trouver » et développer aux USA : Les salaires
offerts y sont encore trois à fois supérieurs.
Et la « chasse-aux-cerveaux » bat son
plein : Les recruteurs ricains n’ont aucun mal à rapporter de la
main-d’œuvre qualifiée à laquelle ils facilitent l’intégration aux USA (carte
verte, logement, déménagement, facilités diverses, etc.). Y goûter, c’est
l’adopter !
Les 3IA s’ajouteront à des dispositifs existants tels
que les contrats CIFRE qui permettent aux entreprises d’employer des doctorants,
aux Pôles de Compétitivité qui associent déjà entreprises et laboratoires de
recherche, au réseau des Instituts Carnot, un label attribué aux laboratoires
publics encourageant la recherche partenariale et au réseau RETIS qui regroupe
notamment les incubateurs publics. Bref, la proposition des 3IA ne va pas
simplifier la cartographie de la recherche Gauloisienne qui ressemble déjà à
ça…
Toutefois, une proposition originale est faite et qui
provient visiblement de chercheurs en mal de reconnaissance : En nommer dans
les conseils d’administration d’entreprises dont l’État est actionnaire.
Pourquoi pas ?
Mais ils risquent de bien s’y ennuyer !
Ce n’est pas là que la stratégie des entreprises est
établie. Ce sont le plus souvent de simples chambres d’enregistrement.
Autre étonnement de ma part : Tout le monde sait
qu’il est quasiment impossible de créer un leader mondial du numérique sans
avoir une assise de marché large et homogène comme en bénéficient les acteurs
des USA et de Chine. La Gauloisie-matheuse »e est trop petite et l’Europe
trop fragmentée pour ce faire. Comment donc conquérir les marchés mondiaux ?
Là, rien : Tout juste avons-nous des velléités d’influencer
les politiques d’ouverture de données à l’échelle internationale.
Le rapport propose surtout des mesurettes, encore
liées au marché intérieur comme la création de « labels IA » associés
à celui de la « French-Tech » pour augmenter la visibilité de l’offre
domestique en IA. L’idée d’un guichet unique de l’IA prendrait la forme d’un
annuaire des solutions logicielles prêtes à l’emploi pour créer des solutions à
base d’IA, notamment pour conseiller les entreprises utilisatrices, dont les
TPE/PME.
S’en suit une litanie de propositions pour développer
le rôle d’acheteur d’IA de l’État. Il doit certainement tirer parti des
technologies pour se moderniser en pense-t-on en « haut-lieu ». Mais
c’est un piège le plus dangereux qui soit pour les startups nationales ! Déjà
qu’il n’est déjà pas simple de travailler avec un grand compte Gauloisien, alors,
avec l’État, je ne vous raconte même pas !
Déjà qu’il faut montrer son kul et ses roubignoles
pour répondre au moins appel d’offre, et que le tout a intérêt à être torché,
sans la moindre suspicion de souillure…
Re-passons…
La proposition de création d’une DARPA française ou
européenne présente nénanmoins du sens. Elle est issue de l’initiative Joint
European Disruptive Initiative (JEDI) lancée par André Loesekrug Pietri, en
collaboration avec des Allemands et des Italiens.
Mais le diable de ce genre « d’objet » est caché
dans les détails de sa mise en œuvre.
Enfin, nous avons quatre secteurs d’activité cibles
considérés comme relevant d’opportunités de leadership : Santé, agriculture,
transports, défense et sécurité avec quelques concepts génériques intéressants
autour de l’expérimentation, l’accès à des données d’expérimentation – toujours
locales – ainsi que les bacs à sable d’innovation.
Côté transports, ça parle de code de la route et d’expérimentations,
mais pas d’industries… Qui sont les acteurs ? Où sont les économies d’échelle ?
Où sont nos opportunités de création de valeurs ? Quid d’expérimentations dans
des villes avec 100 % de véhicules autonomes ?
Personnellement, ça me fait doucement rigoler :
Les véhicules autonomes sont une superbe ânerie qui va tuer les bagnoles. On
oublie qu’une grosse partie du succès des « tas-de-boue-à-roulette »,
c’est justement le plaisir (tout relative dans les bouchons, je le reconnais),
de conduire soi-même.
C’est comme l’ABS : Un superbe
« progrès », mais qu’il faut débrancher (quand c’est possible et ça
l’était sur les première « BM »), pour faire des tête-à-queue
contrôlées…
Dans la santé, le rapport évoque surtout la manière d’exploiter
les données de parcours de santé de la CNAM au lieu de se poser la question du
marché mondial de la santé. En attendant, les startups nationales d’imagerie
médicale alimentent leur IA avec des bases d’origine américaine…
Mais si.
Pour l’agriculture, les propositions relèvent beaucoup
plus des usages que du développement de technologies agricoles à base d’IA exportable.
C’est presque plus un vœu d’autosuffisance alors que l’on importe presque tous
nos engins agricoles !
Marrant…
Enfin, l’IA dans la défense et la sécurité est plus
régalienne qu’industrielle. Le point de vue affiché est celui d’un État
acheteur de technologies, même si nous sommes aussi un grand exportateur d’armes
devant l'éternel, faut-il reconnaître.
Bref, ces cinq thématiques ressemblent plus à des
plans de rattrapage ou de déploiements qu’à des plans industriels dignes de ce
nom.
Ce rapport propose d’« innover dans l’industrie du composant adapté à l’IA ». Après
un exposé clair des enjeux dans les processeurs neuro-morphiques, la proposition
faite consiste à créer un supercalculateur (une fois de plus : On en causait
déjà il y a 40 ans et on a totalement loupé le tournant des PC), une propension
habituelle à s’éloigner dangereusement des marchés de volume !
L’influence probable « d’ATOS-Bull » qui est
le fournisseur national de ce genre d’engins ou celle des chercheurs qui
voudraient disposer de leur propre puissance de calcul pour entrainer leurs
modèles de réseaux de neurones sans passer par le cloud des « GAFAM ».
Ça frise le « hors sujet », car cela passe
d’un enjeu industriel mondial à celui de l’équipement local de nos chercheurs.
De plus, rien n’est dit de la filière Gauloisienne et
européenne des composants ou des architectures d’IA distribuées et réparties
dans les objets connectés, qui présentent un bénéfice directement lié à des
préoccupations écologiques et de protection de la vie privée pourtant évoquées
par ailleurs dans le rapport.
Quant à la question cruciale de l’informatique
quantique, dont certaines applications auront un lien avec l’IA, mais qui
attendra probablement un « plan calcul quantique » gouvernemental
entre 2025 et 2030, quand il sera bien trop tard. Le mot
« quantique » n’apparait même une seule fois pas dans ce rapport.
Pas de bol…
Ou un effet de « l’autisme-trisomique »
triomphant.
Comment arrive-t-on à un tel résultat ? Les raisons sont
toujours les mêmes et liées à la méthode et au casting : Les chercheurs
défendent la recherche. Les « sachants » de l’État veulent le
moderniser. Les chercheurs en éthique défendent l’éthique. Les investisseurs
veulent investir. Les avocats veulent faire évoluer le droit. Certains
entrepreneurs recherchent du financement ou un assouplissement règlementaire.
D’autres se plaignent du manque de compétences et de personnes formées. L’open
source promeut l’open source et au final peu affichent une vraie vision
globale.
Les demandes des chercheurs ont été visiblement mieux
prises en compte. Pas étonnant ! La mission comprenait deux chercheurs, un
ingénieur de l’armement de la DGA et pas moins de cinq permanents du CNNum.
Il n’est pas étonnant dans ces conditions que ce rapport
Villani se soit intéressé plus à l’amont de l’innovation, à savoir la
recherche, qu’à sa valorisation industrielle qui est un sujet complexe où l’État
doit jouer un rôle de facilitateur plus que de stratège.
Enfin, ultime curiosité de mon point de vue : On
parle des moyens, on parle d’IA, mais on ne sait toujours pas ce que c’est.
Vous savez, vous, ce que c’est que l’intelligence,
naturelle ou artificielle ?
Deux confusions : « L’intelligence »,
dans le monde anglo-saxon d’où le terme est issu, c’est le
« renseignement ».
En « Gauloisie-dogmatique », l’intelligence
c’est « concevoir un rapport nouveau entre deux notions nouvelles »,
au moins depuis les philosophes antiques…
On n’est pas dans le même monde, me semble-t-il…
Et « artificiel », c’est quand ce n’est pas
naturel, quand c’est le fait d’une machine, autrement dit d’un robot traitant
de l’information.
Mais le robot, s’il « travaille » infiniment
plus vite qu’un cerveau humain, « naturel », pouvant ainsi traiter
des « renseignements » aux dimensions colossales qu’une seule vie n’y
suffirait pas, il ne comprend absolument pas ce qu’il fait !
Aucune once d’intelligence…
Ni pourquoi : Il obéit à un programme, un
logiciel ou une série de logiciels qu’on appelle « système-expert ».
Point-barre.
Alors certes, les applications sont spectaculaires et
dans des domaines de la connaissance en générale jusqu’à des activités réputées
« ludiques » voire « créatrices ».
Et personnellement, j’attends le moment où on va nous
annoncer un « robot » qui ira fureter les « data-bases » de
la connaissance « humaine », justement comme ça par curiosité, et
nous sortir une « nouveauté » à laquelle on ne s’attendait pas.
Là, il y aura véritablement « disruption »
encore à éclore, mais elle n’est même pas envisagée dans ce rapport.
Bref, un « plan-calcul » de plus.
Rien d’autre.
C’est vous dire ma déception finale des hommes de « Jupiter »…
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