Ou
quand le Conseil d’État confirme la doctrine
Conseil d’État, n° 399764
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
10ème – 9ème chambres réunies
M. Vincent Villette, rapporteur, Mme Aurélie Bretonneau,
rapporteur public.
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats.
Lecture du mercredi 8 novembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. et Mme B… A… ont demandé au tribunal administratif de Pau
de leur accorder la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le
revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2009 et 2010. Par
un jugement n° 1201490 du 28 janvier 2014, le tribunal administratif de Pau a
fait droit à leur demande.
Par un arrêt n° 14BX01701 du 15 mars 2016, la cour
administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel du ministre de l’économie et
des finances, annulé les articles 1er et 2ème de ce jugement
et rétabli M. et Mme A… au rôle à raison des impositions déchargées.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un
mémoire en réplique, enregistrés les 13 mai et 29 juillet 2016 et le 26 juin
2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, M. et Mme A… demandent au
Conseil d’État :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leurs
conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l’État la somme de 4.500 euros
au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur
public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions,
à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. et Mme B… A… ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond
que M. et Mme A…ont constitué, avec leurs enfants, une société civile
immobilière, dénommée « SCI Quatre », dans laquelle ils détiennent
chacun la pleine propriété de vingt parts sociales et l’usufruit de vingt
autres parts dont leurs enfants possèdent la nue-propriété. L’administration
fiscale a remis en cause, pour les années 2009 et 2010, la déductibilité des
sommes correspondant à la quote-part du déficit de la « SCI Quatre »,
résultant des charges courantes de réparation de son immeuble, que M. et Mme A…
avaient imputée sur leurs revenus fonciers à concurrence des parts sociales dont
ils détiennent uniquement l’usufruit. M. et Mme A… se pourvoient contre l’arrêt
du 15 mars 2016 de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui, faisant
droit à l’appel du ministre de l’économie et des finances, a annulé les
articles 1er et 2 du jugement du 28 janvier 2014 du tribunal
administratif de Pau qui avait fait droit à leur demande et les a rétablis au
rôle à raison des impositions supplémentaires d’impôt sur le revenu dont la
décharge leur avait été accordée au titre des années 2009 et 2010.
2. Aux termes de l’'article 8 du code général des impôts,
dans sa rédaction applicable au litige : « Sous réserve des dispositions de l’article 6, les associés des sociétés
en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont,
lorsque ces sociétés n’ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux,
personnellement soumis à l’impôt sur le revenu pour la part de bénéfices
sociaux correspondant à leurs droits dans la société. En cas de démembrement de
la propriété de tout ou partie des parts sociales, l’usufruitier est soumis à l’impôt
sur le revenu pour la quote-part correspondant aux droits dans les bénéfices
que lui confère sa qualité d’usufruitier. Le nu-propriétaire n’est pas soumis à
l'impôt sur le revenu à raison du résultat imposé au nom de l'usufruitier. / Il
en est de même, sous les mêmes conditions : / 1° Des membres des sociétés
civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l’une des formes de sociétés
visées à l’article 206 1 et qui, sous réserve des exceptions prévues à l’article
239 ter, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux
articles 34 et 35 (…) ». Il résulte de ces dispositions qu’en cas de
démembrement de la propriété des parts d’une société de personnes détenant un
immeuble, qui n’a pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, l’usufruitier
de ces parts est soumis à l’impôt sur le revenu à raison de la quote-part des
revenus fonciers correspondant aux droits dans les résultats de cette société
que lui confère sa qualité. Lorsque le résultat de cette société de personnes
est déficitaire, l’usufruitier peut déduire de ses revenus la part du déficit
correspondant à ses droits.
3. Il suit de là qu’en jugeant que l’article 8 du code
général des impôts ne permettait pas à M. et Mme A…, en leur qualité d’usufruitier
des parts de la « SCI Quatre », d’imputer sur leurs revenus fonciers
la quote-part du déficit correspondant à leurs droits dans cette société de
personnes, la cour administrative d’appel de Bordeaux a entaché son arrêt d’une
erreur de droit. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A… sont fondés à
demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent, sans qu’il soit besoin
d’examiner l’autre moyen de leur pourvoi.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de
mettre à la charge de l’État le versement la somme de 3.000 euros à M. et Mme
A… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative
d’appel de Bordeaux du 15 mars 2016 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative
d’appel de Bordeaux.
Article 3 : L’État versera à M. et Mme B… A… la somme de 3.000
euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme
B… A… et au ministre de l’action et des comptes publics.
Avouez que tout cela est fort drôle : Un couple et leurs enfants
possèdent un (ou des) actif(s) immobilier(s) géré(s) sous la forme d’une SCI
des plus classiques.
Sauf que le couple se réserve la totalité de l’usufruit des parts et
concède la nue-propriété sur la moitié de celles-ci, composant le capital
social, à leurs gamins.
La solution fiscale est très simple pour ce qui est du sort fiscal des
résultats d’exploitation : Que ce soit des pertes ou des bénéfices
(fonciers = activité civile, donc non-commerciale, cf. le Réf. à l’article 35
du CGI), hors les cas prévus aux articles 206-1 et 239 ter du même code, les
associés sont imposables en fonction et à hauteur de leurs droits dans la
cédule idoine.
D’ailleurs, le juge administratif de Pau le sait bien et leur accorde les
dégrèvements sur des redressements injustifiés effectués par l’administration
des « autistes-fiscaux » du Service-local.
En effet, la doctrine de la même administration fiscale est très
claire :
« Dans une société de
personnes, la répartition des résultats est déterminée par le pacte social, à
défaut de convention, actes ou libéralités contraires passés avant la date de
clôture de l'exercice, entre les seuls associés ».
(cf. RM PERICARD, député, JO, Débats AN du 30 août 1993, p. 2707).
« En cas de démembrement de
la propriété des droits ou parts sociales, la répartition du résultat est
établie en prenant en compte les droits financiers de l’usufruitier, qui
correspondent en pratique au bénéfice courant de l’exploitation. Cette répartition
peut également résulter d’une convention conclue avant la clôture de l’exercice
entre le nu-propriétaire et l’usufruitier ou d’un acte modifiant avant cette
date les statuts. De même, une convention peut déterminer une répartition entre
le nu-propriétaire et l’usufruitier de la charge correspondant à la mise en
œuvre de l'obligation de comblement des pertes.
Pour être opposables à l’administration, de tels actes ou
conventions doivent être régulièrement conclus et enregistrés avant la clôture
de l’exercice. Ils doivent être conformes aux dispositions du Code civil et
notamment à ses dispositions relatives aux droits de l'usufruitier (articles
582 à 599 du Code civil).
Dans l’hypothèse où de tels actes ou conventions entraînent
une mutation de propriété, l’administration serait fondée à en tirer les
conséquences en matière de droits de mutation à titre gratuit. En outre, s’il
apparaissait que de telles conventions n’ont été conclues que dans le but d’éluder
l’impôt, le service serait en droit d’appliquer la procédure de répression des
abus de droit prévue par les dispositions de l’article L 64 du livre des
procédures fiscales. »
N’était-ce pas assez clair, puisque jusqu’aux détails dilatoires et
superfétatoires y sont prévus ?
Mais encore :
« Sauf convention contraire
régulièrement conclue avec l’usufruitier, le nu-propriétaire supporte l’impôt à
raison des résultats qui ne sont pas imposés au nom de l’usufruitier, c’est-à-dire,
en pratique, à raison des résultats exceptionnels. Il est également fondé à
prendre en compte une quote-part des déficits réalisés par la société correspondant
à ses droits dès lors qu’en sa qualité d’associé, il est le seul à répondre des
dettes de la société.
Éléments exceptionnels : Le nu-propriétaire est
imposable sur le résultat net des cessions des éléments composant l’actif
immobilisé (plus ou moins-values nettes à long terme ou à court terme), à l’exclusion
par conséquent des profits sur cession d’éléments de l’actif circulant (stocks,
valeurs mobilières de placement). »
Mais ce qu’il y a encore
de plus drôle et qui mérite d’être relevé, c’est que si les juges d’Appel de
Bordeaux – tout comme le directeur départemental et ses vaillants agents
« subordonnés » – ne savent pas lire (ou ne comprennent rien à ce qu’ils
lisent), le Conseil d’État leur fait la leçon, et de quelle façon !
Non seulement ils n’aiment
pas trop être dérangés à l’heure de la sieste pour des contentieux stupides qui
ne devraient pas exister, mais il en coûtera au ministère 3.000 euros !
Une bagatelle.
Et le plus fort, c’est
que les juges du droit, ils re-balancent le litige devant… les mêmes juges du
fond, à Bordeaux !
Fabuleux !
C’est pour bien leur
expliquer qu’il faut qu’ils relisent le code et apprennent bien leur leçon de
droit fiscal, je suppose.
Bon, moâ, dans ce type de conclusion au « Directeur-fiscal », je
finissais mes mémoires par une formule du style « Il conviendrait d’envisager un programme de remise à niveau… »
au lieu d’aller emmerder des kon-tribuables avant qu’il ne soient convaincus
que plus on fraude gros, plus les risques de redressement sont légers, puisqu’à
contrario, même quand tu ne fraudes
pas, tu assumes la totalité du financement de ta réclamation pendant des années
pour pouvoir la contester…
Chié, quoi !
Bonne journée à toutes et à tous !
I3
Toujours aussi croustillants tes arrêts.
RépondreSupprimerSalut Vlad !
SupprimerC'est sympa la vie des tribunaux et cours, n'est-ce pas ?
Surtout que cet arrêt-là n'aurait jamais dû exister...
Bonne journée à toi !
I-Cube