C’est demain…
… que seront votée les lois de la sortie de l’état-d’urgence,
pour entrer dans le droit commun de tous les jours : Un petit-pas en
avant, mais un grand bond vers la dictature !
Ou comment la « Gauloisie-des-droits-de l’homme »
s’apprête à devenir un État policier que même le bloc communiste n’a pas pu ni su pérenniser,
où chacun est désormais transformé en un horrible suspect potentiel.
Finalement, j’ai bien fait de me tirer avant l’heure
de ce pétrin invraisemblable et vous plains bien.
Vous, vous êtes encore béats, tous, ravis que « Tagada-à-la-fraise-des-bois »
ait pu, avec son « état-d’urgence » ,vous protéger des islamistes.
Après tout, ils n’ont fait que quelques centaines de
morts sur le territoire, plus que partout ailleurs en Europe – où il n’y a
jamais eu le piège de l’état-d’urgence – mais comme chacun sait, « ça
aurait pu être pire » sans cette mesure.
Et en plus, vous aurez dit « merci » !
(C’est marqué comme ça dans le manifeste des « Maîtres
du Monde », je vous le répète assez…).
Les grands vainqueurs, ce sont les « barbus »
du Califat qui n’est pas mort pour rien, finalement.
« État policier », « despotisme doux », « Jupiterien »
: Juristes, avocats et grandes organisations de défense des droits humains
critiquent très sévèrement ce projet sur « la sécurité intérieure et la
lutte contre le terrorisme », qui doit être votée à l’Assemblée nationale
demain. Remplaçant l’état-d’urgence qui arrive à expiration, cette loi en
prolonge plusieurs dispositions très controversées, banalise l’arbitraire, et
autorise même le recours à des polices privées sur la voie publique. À croire
que, bien au-delà de la lutte anti-terroriste, c’est toute forme de
contestation de l’ordre établi qui pourrait être visée.
C’est en tout cas ce qu’en dise la plupart : Moi
je ne crois plus à rien, je constate !
Coincée entre la fameuse réforme du code du travail –
dont les cinq ordonnances ont été signées vendredi dernier en direct sous les
projecteurs – et le projet de loi de finance 2018, présenté aujourd’hui même
(on y reviendra), elle passerait presque inaperçue.
Elle n’a pourtant rien d’anecdotique : « C’est une révolution, puisqu’elle nous fait
changer de régime politique : Jamais une telle concentration des pouvoirs aux
mains de l’exécutif n’a été atteinte sous la Vème République »,
s’insurge un avocat membre de la Ligue des Droits de l’Homme.
Après son adoption par le Sénat le 18 juillet dernier,
puis son passage devant la Commission des lois de l’Assemblée la semaine
dernière, son vote au Palais Bourbon risque d’être une simple formalité : « La nouvelle majorité parlementaire n’a
peut-être ni le choix, ni le recul nécessaire sur ce texte, mais elle n’a pas
l’air de s’en préoccuper beaucoup, en tout cas », raconte un avocat au
barreau de Lille et membre du Syndicat des avocats du pays. Le juriste se dit «
inquiet » après son audition par le
rapporteur de la loi et par les députés membres de la commission des lois : « D’habitude, il y a toujours du débat, de la
confrontation ou, au moins, quelques questions. Là, rien, aucune réaction…
»
Le désintérêt est d’autant plus gênant que l’enjeu est
conséquent : La loi « renforçant la
sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » ne vise rien de
moins qu’à remplacer l’état d’urgence installé en « Gauloisie-des-Lumières »
au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Après une sixième et dernière
prolongation cet été, ce régime doit être levé au 1er novembre, sans
pour autant disparaître du paysage : Plusieurs de ces dispositions sont
directement reprises dans le texte qui lui succède.
C’est le cas des assignations à résidence ou des
perquisitions, maintenues moyennant un petit changement de nom. Il faudra
désormais parler respectivement de « mesures
individuelles de contrôle et de surveillance » et de « visites domiciliaires »
(Gag !).
« Mises à part
quelques petites modifications d’application à la marge, ce sont exactement les
mêmes mesures, décrivant les mêmes logiques », décryptait la
secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. « On les maquille simplement d’une novlangue pour faire croire à une
distinction entre l’état d’urgence et l’actuel projet de loi. »
Ce faisant, le projet de loi pérennise donc dans le
droit commun un régime d’exception, qui étend considérablement les pouvoirs de
l’exécutif, au détriment du judiciaire. « C’est
la remise en cause d’un principe fondamental à tout État de droit : La
séparation et l’équilibre des pouvoirs », rappelle un juriste et
chercheur pour l’ONG Human Rights Watch (HRW). « C’est d’autant plus inquiétant qu’on touche là directement aux libertés
individuelles. »
« Lorsqu’une démocratie
transfère trop de pouvoirs à la police administrative, on appelle cela une
dictature du commissaire. Avec de telles dispositions, on peut sans exagération
parler d’État policier ».
Même son de cloche du côté de la juriste Mireille
Delmas-Marty, qui voit la menace d’un « despotisme
doux » dans cette « dynamique
sécuritaire marquée par l’abandon des principes qui devaient garantir les
individus contre l’arbitraire ».
Et comme d’habitude, notez que les routiers (et
quelques autres grévistes) jouent le rôle de « l’idiot-utile » en
masquant par leurs actions cette abdication éhontée du minimum-syndical qui vise
votre démocratie…
J’admire.
Comme depuis les débuts de l’état d’urgence, ce choix
est officiellement motivé par le besoin de renforcer les dispositifs de lutte
contre le terrorisme. Un discours resté inchangé avec l’arrivée du nouvel
exécutif : « Le risque auquel on est
confrontés aujourd’hui et le niveau élevé de menaces justifient parfaitement
que l’on prenne un certain nombre de mesures législatives pour lutter contre le
terrorisme » se défendait ainsi le « Premier-sinistre », traite « Républicains-démocrates »
parmi d’autres, « Éd-Fil-lippe », cet été, dans une interview
accordée au magazine Society.
Une obsession qui est toutefois loin d’être aussi
légitime qu’on veut bien la présenter : « La
France est déjà dotée d’un arsenal législatif très puissant en la matière, l’un
des plus robustes d’Europe. Il ne s’agit pas de nier le problème que représente
le terrorisme, mais d’expliquer qu’on n’y fait pas face en empilant à chaque
fois une loi supplémentaire… », analyse la directrice de « HRW-Transe ».
Pis, depuis deux ans, l’état d’urgence a eu pour
conséquence d’engendrer toute une série d’abus, outrepassant nettement le cadre
présumé de la lutte contre le terrorisme. « Des
militants écologistes ont été assignés à résidence lors de la COP 21 ; des
interdictions de séjour ont été prononcées à l’encontre de militants
participant au mouvement « Nuit Debout » et des interdictions et restrictions
de manifester ont été imposées aux organisations syndicales dans le contexte de
l’opposition à la loi d’août 2016 relative à la réforme du code du travail
».
L’observation émane de la Commission nationale
consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui dresse la liste de ces « dérives (…) constatées récemment dans le cadre de l’état d’urgence » dans un
avis public dénonçant « une dangereuse
banalisation des mesures de l’état d’urgence ».
Mais vous n’en avez rien à foutre !
Vous préférez bénir la perspective de payer moins de
taxe d’habitation dans un an…
Moyennant plus de CSG, naturellement, et vous insurger
de la baisse des APL…
J’admire la
cécité généralisée.
De son côté, Amnesty International avait publié au
printemps un important rapport comptabilisant les différentes entraves,
notamment politiques, faites au prétexte de l’état d’urgence : 639 mesures
d’interdictions individuelles de manifester ont été prises en 18 mois – dont
574 dans le cadre des manifestations contre la loi travail et 21 dans le cadre
de manifestations liées à la COP 21 – ainsi que 155 manifestations interdites,
soit une tous les trois jours.
Chapeau-bas !
De pareils dévoiements sont-ils à craindre avec
l’adoption de ce nouveau projet de loi ? « On
ne peut pas préjuger de l’intention, mais on constate qu’on avait le même
discours sur le seul ‘‘objectif terroriste’’ avec la loi de renseignement en
2015. Aujourd’hui elle a une utilisation beaucoup plus étendue, preuve que ce
genre de dispositif peut ensuite servir à autre chose, et notamment à contrôler
les mouvements sociaux. Il faut considérer ce texte à plus long-terme »
témoigne l’association La Quadrature du Net.
En singeant l’état-d’urgence, le texte risque donc de
produire les mêmes effets.
C’est même une certitude pour certains : « Ce que l’on a vu avec l’état d’urgence était
une expérimentation de ce qui va se pérenniser ici ». En cause, plusieurs
mesures qui inquiètent plus particulièrement les juristes et associations de
défense des droits de l’Homme. Parmi elles, l’une des « quatre mesures phares » selon le Gouvernement : Les « périmètres de protection » que pourront
instaurer les préfets pour « assurer la
sécurité d’un lieu ou d’un événement soumis à un risque d’actes de terrorisme à
raison de sa nature ou de l’ampleur de sa fréquentation », tel que le
stipule l’article 1er du projet.
« On pouvait
difficilement faire plus vague. Ça
signifie que le seul nombre peut engendrer l’activation du dit ‘‘risque terroriste’’
: cela peut devenir très facilement un outil pour enfreindre le droit de
manifester… ».
Je vois déjà la gueule que vont faire des
grands-magasins des beaux-quartiers parigots les jours de soldes ou de promotions !
Concrètement, palpations, inspections des bagages et
fouilles des véhicules – autant de pouvoirs jusque-là soumis à réquisition
judiciaire – pourront dès lors être effectuées sur un périmètre, dont l’étendue
et la durée sont régies par des critères tout aussi flous, officiellement « adaptées et proportionnées aux nécessités
que font apparaître les circonstances » selon le texte.
La nouvelle loi stipule que ces contrôles pourront
être assurés par des forces de sécurité privé. « Il faut désormais s’attendre à voir des agents de Securitas gérer les
manifestations de la voie publique ».
Pourtant une mesure dont l’étude d’impact du projet de
loi questionnait même sa constitutionnalité…
Une chose est sûre, les débats brûlants sur la gestion
et l’encadrement des manifestations, depuis l’entrée en vigueur de l’état
d’urgence, ne devraient pas s’éteindre de sitôt : « Les pratiques d’entonnoir et de souricière, les obligations de ranger
autocollant ou drapeau risquent de devenir monnaie courante et créer toujours
plus de tension ».
D’autres dispositions nourrissent les préoccupations,
telle l’extension massive des contrôles d’identité sur une bonne partie du
territoire Gauloisien. Les « zones
frontalières » sont élargies. Auparavant elles ne concernaient que les
ports, les aéroports, les gares ferroviaires et routières ainsi qu’une bande de
20 km à partir d’une frontière terrestre. Ce périmètre de 20 km est désormais
étendu autour de tous les points de passages de frontières – ports, aéroports,
gares – englobant ainsi la plupart des agglomérations, soit 28,6 % du
territoire métropolitain, où réside 67 % de la population. La police pourra y
mener des contrôles d’identités massifs pendant 12 heures d’affilée (6 heures jusqu’à
présent), en s’affranchissant de tout feu vert judiciaire, du principe
constitutionnel de la liberté d’aller et de venir, et du principe européen de
libre-circulation.
Fort !
La Cimade dénonce de son côté l’effacement « des derniers garde-fous juridiques »,
ouvrant la voie à une forme de « légalisation
du contrôle au faciès ». Une accentuation du régime dérogatoire qui
pourrait aussi servir d’autres objectifs : « Le caractère exorbitant du dispositif débouche en pratique sur du
contrôle discriminatoire et va d’abord servir la politique migratoire, c’est
très classique. En l’espèce, il pourrait aussi servir à suivre, voire à
empêcher les mouvements des militants politiques, puisque chacun est transformé
en potentiel suspect ».
Quel pays…
Vous aurez intérêt à vous savonner à l’eau de Javel en
rentrant de vacances…
Autre mesure dont on parle moins, inscrite la semaine
dernière après le passage devant la commission des lois : La possible radiation
d’un fonctionnaire, « eu égard à la
menace grave qu’il fait peser sur la sécurité publique » (art 4 sexies).
« Or, cette
fois, étrangement, il n’est pas fait mention du terme « terrorisme » dans la
rédaction de cet article… ».
Hein ? Malin…
Le concept de « menace
grave » étant par définition à géométrie variable, les syndicalistes de la
fonction publique auraient-ils, par exemple, du souci à se faire avec le projet
de loi ? « Cette disposition incarne tout
ce que l’on dénonce sur le fond avec ce texte : accepter un régime dérogatoire
aux procédures classiques ainsi que des mesures privatives de liberté sur la
base de critères extrêmement flous », poursuit la présidente du Syndicat de
la Magistrature.
À bien des égards, la notion de terrorisme apparaît –
quand elle est mentionnée – comme un alibi, tant elle reste insuffisamment
définie. Pour mieux y inclure dans son champ d’approche, les mouvements sociaux
et les activistes de tout poil ? « Si
quelqu’un dérange, il est relativement facile dans ce contexte d’invoquer le
terrorisme… ». Effectivement, le
précédent de l’affaire Tarnac rappelle que l’État peut à tout moment
et vite assimiler des mouvements de gauche et écologistes à une forme de terrorisme…
« La Cour de
Cassation a tranché en considérant que Tarnac n’était pas du terrorisme, ‘‘en
l’espèce’’. Le débat est loin d’être clos ».
L’histoire même du terme « terrorisme » trace des
contours politiques incertains : « C’est
un mot qui a longtemps servi à discréditer les mouvements anarchistes en
France, puis à combattre des courants politiques anticapitalistes au niveau
international. »
Voilà qui est acté dans le droit-commun…
Peu importe qu’il vise effectivement, ou non, des entreprises
de nature terroriste ou seulement « islamistes », ce projet de loi
produit un glissement fondamental dans le Droit en se fondant désormais
également sur des suspicions ou des prédictions. « C’est un renversement d’un principe essentiel du droit : la preuve. En
droit pénal, on juge sur des faits, pas sur des comportements. Avec ce texte,
on ouvre grand la porte à une police comportementale ».
Le délit ou crime « d’intention » fait son
entrée dans le droit pénal et vous approuvez par votre honteux silence…
Notez que les défenseurs du texte ont fait valoir auprès
de vos élus et des experts qu’il prévoit une évaluation annuelle de la loi,
ainsi qu’une clause de caducité pour certaines dispositions. Les assignations à
résidence et les perquisitions, notamment, ont une date de péremption fixée au
31 décembre 2020. « Mais on sait
d’expérience qu’une fois que c’est rentré dans le droit, il est très difficile
de faire marche arrière », tempère d’autres. Quand l’exception devient la
norme, on finit par s’y habituer, en témoigne l’expérience du Patriot Act aux
États-Unis, loi antiterroriste supposée temporaire devenue permanente.
« Il y a un ‘‘effet
cliquet’’, ces mesures ne disparaîtront plus de notre régime de droit. Sans
compter le phénomène d’accoutumance alimenté par un discours public largement
contaminé au tout-sécuritaire. »
Une banalisation qui a déjà frappé de plein fouet
l’inconscient des principaux responsables politiques, à l’image de
l’invraisemblable lapsus du sinistre de l’Intérieur, « Gégé-Colombe », au moment
de défendre ses amendements devant la commission des lois, la semaine dernière,
évoquant la « sortie de l’état de droit
» pour parler de la sortie de l’état-d’urgence.
Lapsus renouvelé à New-York par « Jupiter »…
Dans un tel contexte, le discours du Défenseur des
Droits, le très « Chir-rat-qu’ien » « D’jack-All-Good »
(qui n’est pas non plus ma « tasse-de-thé » depuis l’affaire de
l’hélicoptère au Népal), proactif sur la critique de l’état-d’urgence et de ses
dérives depuis plusieurs mois, semble tristement inaudible : « Les démocraties ne peuvent pas répondre aux
barbares en allant sur leur terrain, en mettant en cause la protection des
libertés. L’État de droit est et restera (à jamais) notre arme la plus efficace ».
C’est certain, mais ce n’est pas le point de vue des « Jupitériens ».
Ils n’ont pas été si nombreux à voter pour lui, mais
il faut reconnaître que c’était dans son programme : Il avait prévenu.
Bien à vous toutes et tous, finalement (et ce n’est
hélas pas de l’humour…).
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