Tribunal de grande instance de Paris, 17ème
ch. corr., jugement du 4 juillet 2017
M. X. / M. Y.
Par ordonnance rendue le 29 août 2014 par l’un des
juges d’instruction de ce siège, à la suite de la plainte avec constitution de
partie civile déposée par Monsieur X. le 13 juin 2013, Monsieur Y. a été
renvoyé devant ce tribunal sous la prévention :
– d’avoir, à Paris, en tous cas sur le territoire
national, le 7 avril 2013 et depuis temps non prescrit, commis le délit de
diffamation publique envers un « serviteur de l’Etat », pour avoir publié sur
sa page facebook à l’adresse url « www.facebook.com/#/m.y.5?fref-=ts », les
propos suivants : « Cette personne a été
décorée par François Hollande alors qu’il est impliqué dans une procédure pour
avoir voyer un individu sur ordre de monsieur X. (conseiller à l’Élysée) pour nous casser la porte à notre domicile
pour qu’on enlève une plainte contre Monsieur X. pour faux et usage de faux.
», comportant des allégations susceptibles de porter
atteinte à l’honneur et à la considération de Monsieur X., ès qualité de
conseiller … auprès du Président de la République,
faits prévus et réprimés par les articles 23 alinéa 1
(s’agissant de la publicité), 29 alinéa 1, 30 (pour la pénalité) 31 alinéa 1 de
la loi du 29 juillet 1881 et 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.
À l’audience de fixation du 3 novembre 2014, le
tribunal a établi le calendrier et renvoyé l’affaire aux audiences des 3
février 2015, 14 avril 2015, 30 juin 2015, et 1er septembre 2015,
pour relais, et 24 novembre 2015, pour plaider, date à laquelle l’affaire a été
renvoyée aux audiences des 19 février 2016, 13 mai 2016, 1er juillet
2016, 30 septembre 2016, 2 décembre 2016, pour relais, et 6 janvier 2017, pour
plaider.
À cette dernière audience, à l’appel de la cause, le
président a constaté la présence et l’identité de Monsieur Y., lequel était
assisté de son conseil, ainsi que la présence de Monsieur X. assisté de son
avocat.
Les débats se sont tenus en audience publique.
Le président a informé le prévenu présent de son
droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux
questions qui lui sont posées ou de garder le silence.
Après rappel de la prévention, le président a instruit
l’affaire, rappelé les faits et la procédure, et procédé à l’interrogatoire de
Monsieur Y. et à l’audition de Monsieur X.
Puis le tribunal a entendu dans l’ordre prescrit par
la loi :
• le conseil de
la partie civile qui a développé ses conclusions écrites ;
• le
représentant du ministère public en ses réquisitions ;
• l’avocat du
prévenu qui a soutenu ses conclusions aux fins de relaxe ;
• Monsieur Y.,
qui a eu la parole en dernier.
À l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré
et la présidente, dans le respect de l’article 462, alinéa 2, du code de
procédure pénale, a informé les parties que le jugement serait prononcé le 4
juillet 2017.
À cette date, la décision suivante a été rendue :
DISCUSSION
Sur les faits et les propos poursuivis :
Le 13 juin 2013, Monsieur X., à l’époque conseiller …
auprès du Président de la République, déposait plainte avec constitution de
partie civile devant le doyen des juges d’instruction de ce tribunal, pour
diffamation publique « à l’encontre
d’un serviteur de l’État », à la suite de la publication, le 07 avril
2013, sur la page facebook de Monsieur Y., des propos suivants :
« Cette personne
a été décoré par François hollande alors qu’il est impliqué dans une procédure
pour avoir voyer un individu sur ordre de monsieur X. (conseiller à
l’Élysée) pour nous casser la porte à
notre domicile pour qu’on enlève une plainte contre monsieur X. pour faux et
usage de faux ».
Il y a lieu de préciser :
– que, selon la partie civile, Monsieur Y. menait une
campagne diffamatoire à son égard depuis le mois de juin 2009, celui-ci, ancien
militant du Parti socialiste, estimant qu’il avait été employé plusieurs mois
sans contrat ni rémunération par ce mouvement politique, et plus spécialement
par Monsieur X., anciennement maire-adjoint à Z. ;
– que le plaignant soulignait que sa qualité de
conseiller auprès du Président de la République le rattachait à la catégorie
des membres des chambres, des fonctionnaires publics, des dépositaires ou
agents de l’autorité publique ou des citoyens chargés d’un service ou d’un
mandat public de l’article 31 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 ;
– que, lors de son interrogatoire de première
comparution du 26 mars 2014, Monsieur Y., mis en examen pour diffamation
publique envers un « serviteur de l’État
», déclarait notamment qu’il était bien l’auteur des propos en cause, que sa
page était désormais fermée et qu’il faisait référence à un certain Monsieur W.
lorsqu’il évoquait une personne décorée par le Président de la République
François HOLLANDE.
C’est dans ces conditions que, par ordonnance du 29
août 2014, Monsieur Y. était renvoyé devant le tribunal correctionnel pour diffamation
publique envers un « serviteur de l’État
», pour avoir publié les propos en cause sur sa page facebook.
À l’audience, le conseil de Monsieur X. demandait la
condamnation du prévenu à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de
dommages et intérêts, outre 5.000 euros sur le fondement de l’article 475-1 du
code de procédure pénale. Il précisait que la demande de requalification des
faits aurait dû être présentée in limine
litis, de sorte que le tribunal devait la considérer comme irrecevable.
Le ministère public estimait, dans ses réquisitions,
qu’il était difficile de retenir que la fonction de conseiller à l’Élysée était
le support nécessaire de la complicité de dégradation relevée. Il relevait que,
si le tribunal estimait que la plainte visait la bonne qualification, les
propos étaient bien diffamatoires et diffusés publiquement, le prévenu échouant
à démontrer sa bonne foi.
Le conseil de Monsieur Y. demandait sa relaxe et la
condamnation de la partie civile à lui verser les sommes de 1.000 euros et de
3.000 euros, sur le fondement respectif des articles 472 et 800-2 du code de
procédure pénale. Il faisait notamment valoir que la partie aurait dû viser la
qualification de diffamation publique envers particulier et que,
subsidiairement, le tribunal devait retenir la bonne foi du prévenu.
Sur le caractère diffamatoire des propos :
Il sera rappelé que :
– l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881
définit la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte
atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le
fait est imputé ;
– il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de
faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui
distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure – caractérisée, selon
le deuxième alinéa de l’article 29, par toute expression outrageante, termes de
mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait – et, d’autre
part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont
la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées
mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;
– l’honneur et la considération de la personne ne
doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de
celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale
provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement
répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises
;
– la diffamation, qui peut se présenter sous forme
d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments
intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même
des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.
En l’espèce, il résulte des propos en cause que la
partie civile aurait envoyé au domicile du prévenu une personne pour casser sa
porte, afin de lui faire retirer sa plainte pour faux et usage de faux.
Il s’agit d’un fait précis, qui peut faire l’objet
d’un débat sur la preuve de sa vérité, et attentatoire à l’honneur et à la
considération de Monsieur X., un tel fait étant susceptible de qualification
pénale, notamment complicité de dégradation au préjudice d’une partie civile
pour l’influencer ou par représailles, ou encore menace et intimidation visant
une victime pour la déterminer à ne pas porter plainte ou à se rétracter.
Ainsi, les propos poursuivis présentent bien un
caractère diffamatoire.
Sur la qualité de la personne visée :
En application de l’article 31 alinéa 1er de
la loi du 29 juillet 1881, sera punie de 45.000 euros, la diffamation publique
commise, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers le Président de
la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de
l’une ou de l’autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent
de l’autorité publique, un ministre de l’un des cultes salariés par l’État, un
citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent, un
juré ou un témoin, à raison de sa déposition.
Cette disposition ne punit de peines particulières les
diffamations dirigées contre les personnes revêtues des qualités qu’elle énonce
que lorsque ces diffamations, qui doivent s’apprécier, non d’après le mobile
qui les a inspirées ou le but recherché par leur auteur, mais d’après la nature
du fait sur lequel elles portent, contiennent la critique d’actes de la
fonction ou d’abus de la fonction, ou encore que la qualité ou la fonction de
la personne visée a été soit le moyen d’accomplir le fait imputé, soit son
support nécessaire.
La qualité de dépositaire ou agent de l’autorité
publique ou citoyen chargé d’un service public ou d’un mandat public, au sens
de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881, n’est en outre reconnue qu’à
celui qui accomplit une mission d’intérêt général en exerçant des prérogatives
de puissance publique.
En l’espèce, il faut préciser, à titre liminaire, que,
contrairement à ce que fait valoir le conseil de la partie civile, l’erreur de
qualification n’a pas à être soulevée in
limine litis, s’agissant d’un moyen au fond qui, s’il est accueilli,
entraîne la relaxe du prévenu et non la nullité de la procédure.
Force est de relever en outre :
– que, si la partie civile est, au moment des faits,
conseiller auprès du Président de la République, ce qui résulte de l’arrêt du
17 mai 2012 portant nomination à la présidence de la République versé aux
débats, cette seule qualité n’est pas, en elle-même, de nature à lui conférer
la qualité de citoyen chargé d’un service public ou d’un mandat public,
accomplissant une mission d’intérêt général et exerçant des prérogatives de
puissance publique ;
– qu’il n’est en effet pas démontré par la partie
civile qu’elle disposait, en cette qualité de conseiller, de pouvoirs propres
ou d’une délégation de signature lui conférant des prérogatives de puissance
publique ;
– que le fait d’être compétent sur les thèmes de
l’égalité et de la diversité, ou de donner des instructions dans le cadre des
réunions interministérielles, comme l’invoque la partie civile, ne caractérise
pas l’exercice de telles prérogatives, étant observé qu’un conseiller à la
présidence, dont l’activité consiste par définition à conseiller le chef de
l’État, n’a pas vocation à exercer la puissance publique en lieu et place de
celui-ci et qu’au demeurant, la partie civile ne verse aucun pièce pour
justifier ses dires sur les points évoqués ;
– que, de plus, le fait diffamatoire, à savoir
chercher à intimider un plaignant en faisant casser sa porte, est sans rapport
avec les fonctions à l’Élysée, dans la mesure où il n’est pas nécessaire
d’être conseiller du Président pour commettre le fait allégué et où les
activités professionnelles de Monsieur X. n’ont été, ni le moyen d’accomplir
les menaces supposées, ni leur support nécessaire, le fait d’envoyer quelqu’un
pour casser une porte pouvant être commis par un simple particulier.
La poursuite aurait dû ainsi être exercée sur le
fondement de la diffamation publique envers particulier, de sorte que, sans
examiner les autres moyens soulevés, le tribunal renverra Monsieur Y. des fins
de la poursuite.
Sur l’action civile et sur les autres demandes :
Il convient de recevoir Monsieur X. en sa constitution
de partie civile, mais il sera débouté de ses demandes compte tenu de la relaxe
intervenue.
S’agissant de la demande de Monsieur Y. fondée sur
l’abus de la constitution de partie civile, en application de l’article 472 du
code de procédure pénale, il faut constater que le caractère particulièrement
téméraire de l’action reprise n’est pas démontré, la partie civile ayant pu se
méprendre sur la portée de ses droits. La demande sera ainsi rejetée.
En outre, la demande du prévenu sur le fondement de
l’article 800-2 du code de procédure pénale, qui ne respecte pas les conditions
fixées par les articles R.249-2 et suivants de ce code, sera elle déclarée
irrecevable.
DÉCISION
Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort
et contradictoirement à l’égard de Monsieur Y., prévenu, et de Monsieur X.,
partie civile ;
Renvoie Monsieur Y. des fins de la poursuite ;
Reçoit Monsieur X. en sa constitution de partie civile
;
Le déboute de ses demandes ;
Rejette la demande de Monsieur Y. fondée sur les
dispositions de l’article 472 du code de procédure pénale ;
Déclare Monsieur Y. irrecevable en sa demande fondée
sur les dispositions de l’article 800-2 du code de procédure pénale ;
En application de l’article 1018 A du code général des
impôts, la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 127
euros dont est redevable Monsieur X.
Le Tribunal : Fabienne Siredey-Garnier
(vice-président), Thomas Rondeau (vice-président), Anaïs Charbonnier (juge),
Virginie Reynaud (greffier)
Avocats : Me Amir Aslani Ardavan, Me Nicolas Cellupica
Personnellement, j’adore la lecture de ce genre de
décision.
Pensez donc, voilà un ex-conseiller de « Tagada-à-la-fraise-des-bois »
qui dépose plainte à tort pour diffamation publique envers un serviteur de l’État,
alors qu’il ne sait même pas qu’il n’est rien qu’un conseiller qui donne des
conseils, manifestement iconoclastes.
On comprend mieux la décision du « Capitaine de
pédalo » de renoncer à un second mandat, tellement il était mal entouré,
finalement…
Notons que fait diffamatoire publié sur Facebook était
en plus sans rapport avec ses fonctions à l’Élysée.
En 2013, une personne avait publié sur sa page
Facebook que ce conseiller du Président de la République était impliqué dans
une procédure judiciaire pour avoir envoyé à son domicile un individu en vue de
lui « casser la porte » afin qu’il retire une plainte pour faux et usage de
faux. Il s’agit bien d’un fait précis pouvant faire l’objet d’un débat sur la
preuve de sa vérité, susceptible de porter atteinte à son honneur et à sa
réputation.
Et j’adore le paragraphe où Fabienne (la vice-Présidente de
la chambre du TGI), après avoir énoncé une petite leçon de droit qui reste un « vrai
bijou » se lâche en affirmant qu’il « n’est pas nécessaire d’être conseiller du Président pour commettre le
fait allégué »…
Magnifique : N’importe quel voyou peut en faire
autant, effectivement !
Et d’ajouter que les « activités professionnelles de M. X. n’ont été, ni le moyen d’accomplir
les menaces supposées, ni le support nécessaire, le fait d’envoyer quelqu’un
pour casser une porte pouvant être commis par un particulier ».
Une belle perle vraiment trop drôle…
Bonne fin de journée à toutes et à tous !
I3
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire