Les enquêtes de « Charlotte »
Pourquoi ne s’est-il pas rendu chez la police, ou chez un juge, mais directement chez Paul, sans même en parler à sa femme. « Il a pourtant plein d’amis ! »
« Figurez-vous que j’ai d’autres chats à fouetter que de m’occuper des affaires des autres. Ici même, on prépare des prototypes qui feront date, et c’est bien plus important pour les intérêts de mon pays et les centaines d’emplois qui participent à faire vivre la région ! »
Et de présenter l’avion mono-corps, sans ses ailerons déployés, montés sur
son train tricycle. Il en fait une brève description pour affirmer qu’en fait,
« cet engin est uniquement développé pour tester ses céramiques.
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un roman, une fiction,
une « pure construction intellectuelle », sortie tout droit de l’imaginaire de
son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des actions, des
situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie lactée (et autres
galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc purement, totalement et
parfaitement fortuite !
On ne parvient pas à régler les rampes d’admission du kérosène dans la
chambre de combustion de du statoréacteur du Nivelle 001.
Soit c’est trop puissant, soit c’est trop faible. C’est une question, à la
fois de puissance des pompes d’admission, et de configuration des buses
d’injection.
Pour bien faire, il faudrait redessiner l’ensemble et ré-usiner les deux
statoréacteurs : jamais ils seront près pour la mi-juillet qui pointe son nez
dans peu de semaines.
Le pilote d’essai, pressenti s’entraîne sur un simulateur de fortune et
lui ne parvient pas à contrôler sa machine sous pilote automatique : il lui
faudra faire tout le vol ou presque, notamment en faible altitude, « à la main
». Et à Mach 4, c’est vraiment casse-gueule.
Ou reconfigurer le vol à haute altitude, là où l’ordinateur de bord peut
reprendre la main sans risquer pour l’appareil et son pilote.
Pendant ce temps-là, Rémarde laisse Shirley aux bons soins de Lydia
quasiment enfermée dans l’espace clos autour de la maison de maître et de la
piscine.
Et l’anglaise de prendre son mal en patience devant les promesses répétées
de la venue de Paul le lendemain…
Mais pourquoi tant d’assiduité à l’égard du patron ?
Au bout de quelques jours, elle finit par lâcher à Lydia qu’elle a
vraiment flashée sur l’allure de Paul.
« Tu comprends, je ne sais pas si c’est l’homme de ma vie, mais je suis
sûre que c’est lui qui doit me dépuceler. Je veux que ce soit lui ! Et personne
d’autre… »
Du coup, Paul sachant que les « pucelles », c’est ce qu’il y a de pire
dans la vie d’un célibataire, il en avait fait l’expérience tout jeune avec une
de ses « cousines », filles de « tante Jacqueline » au point qu’il avait dû
convaincre la sœur d’y passer aussi pour remettre un peu de calme dans les
esprits, ce que l’autre garce n’avait pas évidemment pas refusé tellement elle
avait envie de faire chier sa sœur, il en a profité pour secouer un peu « DD »
sur les origines de « Shirley, la tâche de rousseur ».
On ne sait jamais.
Et « DD » d’expliquer que Charlotte et Aurélie sont dans la nature, à la
recherche des survivants de la centrale régionale pour femmes.
La rencontre est pour la « chef matonne », devenue bretonne d’adoption
passée la retraite, du côté de Redon, à Fégréac exactement.
Pas facile à trouver son HLM de circonstance. Une femme empâtée, vieillie
par l’alcool, mariée à un ex-gendarme passant ses journées à la pêche autour de
l’étang Au Mée voisin.
Pas facile non plus de lui faire fouiller dans sa mémoire.
D’abord méfiante, elle accueille les visiteuses avec une certaine
réticence.
Puis celles-ci devenues plus précises sur le cas de la cliente de Jacques,
elle s’est peu à peu détendue et commence à leur raconter des mi- mensonges,
mi- vérités.
Oui, à la centrale, il y avait des détenues privilégiées et d’autres non.
Celles qui l’étaient, c’étaient celles qui restaient « consentantes ».
« Et ça veut dire quoi ? Consentantes à quoi ? »
À des séances avec Monsieur le directeur. « Oh, je ne peux pas en dire
plus : je n’y ai jamais participé. Mais des bruits, des ragots, circulaient
dans les couloirs, le réfectoire et les ateliers. »
Et elle repart inlassablement sur le travail des ateliers où on y
fabriquait des sacs de cuir pour des « belles dames », l’organisation des
corvées, la routine, quoi.
Quant aux « non-consentantes », elles faisaient du mitard plus qu’à leur
tour, les corvées les plus dures et dégradantes, jusqu’à craquer.
« On en retrouvait régulièrement à l’infirmerie, parfois après une TS,
parfois avant. »
L’administration pénitentiaire n’ayant pas les moyens, les personnels
soignants venaient bénévolement de la clinique voisine. Celle d’un chirurgien
réputé de la région. « On l’a vu plusieurs fois faire des consultations.
Surtout pour les nouvelles. »
Il venait aussi pour constater les décès, voire pour tenter de sauver
quelques candidates au suicide, tout ça à l’œil : « Un bien bon docteur ! ».
« Même si on n’en voyait pas souvent revenir, finalement, de ces
désespérées-là… »
Un métier épuisant, plein de compromis dégueulasses qui ne lui laissent pas
un souvenir merveilleux.
Mais c’était quoi ces « bruits » ?
Elle finit par lâcher : « Vous n’êtes quand même pas tombées de la
dernière pluie, les jeunettes ! Qu’est-ce que vous croyez que font les « bons
bourgeois » des villes voisines quand ils ont le démon de midi chevillé dans le
caleçon ? »
Une prison proxénète ? Une maison clause bordélique ?
« Je n’ai rien dit ! » s’enflamme-t-elle.
Mais bon, certaines nuits, les vendredis, les consignes étaient de tourner
le dos quand le directeur faisait sa tournée nocturne, trousseau de clé en
main.
« On entendait bien sa voiture filer à pas d’heure par la porte du
personnel non gardée, il avait les clés. Et rentrer avant l’aube avec son
chargement. »
Les filles participaient à des « sorties » ?
« Les consentantes seulement ! »
Grand bien leur fasse : « Au moins, leur vie n’était, sinon pas plus
douce, en tout cas moins dure. On en a vu qui sont même sorties plus tôt que la
norme, que le juge d’application des peines, forcément, il restait partial, «
attentif », nous disait-on. »
Mais on sait aussi qu’une fois en liberté, elles n’en ont pas toute
profité. « Beaucoup se sont suicidées dès après leur sortie : le choc de la
liberté, celui de découvrir qu’elles n’avaient plus leur place dans leur
famille, qu’on les avait oubliées, reniées ! C’est presque aussi dur que la
prison, la liberté, quand on a fait une longue peine ! »
Le seul qui en sait le plus, c’est le directeur de la prison de l’époque.
Elles ont son nom et son adresse. Et son pedigree : une pointure. Elles se
font confirmer qu’il s’agit bien du même et pas d’un homonyme : Marc Lacuistre.
Le bonhomme est issu de la pénitentiaire directement de l’école pour un
poste de directeur adjoint d’une maison d’arrêt dans le Gard.
Attention, il met à peine un an à avoir un poste de directeur à
Villefranche-sur-Saône, puis file directeur de la centrale pour femme de Normandie,
un établissement-modèle, spécialisée pour les peines longues pour femme, unique
en France.
« Il y reste 7 ans avant d’être nommé aux grâces à Paris » dira plus tard
Charlotte à Paul.
Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’à partir de ce moment-là, il
entame une carrière politique de proximité, puis ravit un siège de député à un
socialiste avant de devenir sénateur de centre quelque-chose actuellement.
« On l’a plusieurs fois vu candidat ministre, avec une préférence pour le
portefeuille de la justice ou de la santé, mais à chaque remaniement
ministériel, depuis 15 ans, il passe à côté. »
Elle ne sait pas si elle va pouvoir l’interroger sur son passé.
« En revanche, on a encore parlé de lui récemment pour être un candidat
putatif à la prochaine présidentielle, même si ses chefs de parti l’ont
finalement viré, pas vraiment confiance en lui, vu ses propos sur son blog.
Mais aussi parce que du temps où il n’était que directeur en Normandie, il
fréquentait tout le gotha local et que ses amitiés politiques l’ont un temps
entraîné dans la mouvance mégrétiste du Front.
Tu comprends, un type qui se dit pour la peine de mort, qui fait carrière
de haut-fonctionnaire sous les socialistes, passe ensuite par le RPR pour
atterrir chez des rad-soces quelconques où équivalent, ça fait plus que suspect
aux yeux des « historiques » ! ».
On fait comment alors ?
« On fait qu’il a un blog que « DD » a visité. Et c’est plutôt saumâtre.
Il est carrément pour l’abolition de la République, le retour au franc et des
Bourbons sur le trône. Avec l’abolition complète des codes-napoléons en entier,
un gouvernement fort et un retour aux valeurs éternelles de la France.
Vois-tu où je veux en venir ? » fait-elle à Paul qui est un peu perdu…
Pas du tout !
Comment un arriviste pareil peut-il espérer se présenter à la prochaine
présidentielle sous la bannière « rad-soc » ou n’importe quelle autre ?
On a vu pire, y compris la secte Moon.
« Non décidément, tu me déçois. Relis donc l’annonce de la « liste des
mille ». Je te lis : « Vous avez mis la nation et le peuple à genou. Tous à des
degrés divers vous paierez pour vos crimes. Subiront le châtiment de Dieu tout
puissant, à un moment ou à un autre, ceux désignés par le doigt de la justice
divine, à savoir les personnes suivantes ». Tu comprends mieux, le chef, là ? »
Qui donc détient son pouvoir de Dieu à part le Pape et le sacré collège ?
« Attends, chérie-chérie ! Tu ne penses donc quand même pas qu’on est face
à un complot royaliste ? Faut savoir comment vivent ces gens-là : ils n’en ont
plus rien à cirer de régler leurs comptes avec la gueuse depuis au moins
l’arrivée de De Gaulle, voire même avant et la fin de l’épisode des croix de
feu, je te signale !
On vit au IIIème millénaire, désormais, tu sais ! »
Elle veut bien, mais tout de même. « Il y a des rapprochements étranges
entre le texte et le contexte.
D’abord ton père, puis ton frère qui se frottent tous les deux
indirectement à ce personnage-là et à Risle… »
« Risle et mon frère, d’accord. Mon père, on n’en sait rien ! » corrige
Paul.
« Oui mais Risle est lié de longue date à Lacuistre. Ils étaient voisins
et je suis désolée, mais la mort de ton père me paraît tout d’un coup assez
suspecte si par hasard il copinait aussi et forcément avec les gens de la
pénitentiaire dans son palais de justice.
Et je te rappelle que c’est SA liste qui nous a mises sur la piste de cette
prison, donc sur son directeur, et comme par hasard sur le bon docteur et
voisin Risle !
Si tu ne sais plus additionner deux et deux, où va-t-on ? »
Il faut reconnaître que tout ça est assez troublant, effectivement.
« Et on peut aller plus loin : si deux et deux font bien quatre, quand tu
rajoutes encore deux, ça fait six !
Or, que fait Risle sinon sa fortune internationale sur les greffes
d’organe ? Et comment on se procure des organes ? Sur des cadavres, non ?
Et où trouve-t-on des cadavres en bon état ? Tiens, comme par hasard du
côté d’une prison pour nanas dont on sait, et c’est confirmée par la
matonne-chef, que beaucoup font, ont fait ou feront des suicides, pendant ou
après leur séjour.
Ça va, tu suis l’arithmétique, jusque-là dans ta tête de matheux ? »
On peut adhérer, on peut.
« Car ça fait huit si tu rajoutes la chaîne de prostitution et la carrière
fulgurante de notre ami Lacuistre. »
Paul encaisse et rajoute : « Ça fait même 10 sur 10 quand tu entends les
gusses s’expliquer sur le sort des faibles quand je suis allé en Écosse, quand
les mêmes me cernent par le haut, ma candidature supposée à sa fondation, et
par le bas, l’invitation de la fille de Risle à Montréal. Mais je ne vois
toujours pas le rapport avec les morts de la liste des mille ! »
« Moi non plus » entend-il dire dans le combiné de son portable entre deux
coupures sur la ligne TGV.
Mais on peut en imaginer plusieurs : « La première serait le fait d’un
complot visant la forme républicaine du pays : il s’agit bien de « punir » les
méchants et de restaurer un ordre nouveau.
La seconde serait plus prosaïque et sordide, c’est-à-dire de se procurer
des organes pour quelques clients privilégiés. Il faut que nous enquêtions sur
les morts suspectes du doigt de Dieu, rien que pour savoir ce que sont devenus
leurs organes. S’il y a un lien, faudra en aviser Scorff, où un autre.
La troisième pourrait être liée à un plan plus vaste de mainmise de
quelques potentats sur la culture des organes : je te rappelle que ton frère
bossait sur les lois bioéthiques au Parlement de Strasbourg ! Quand même
curieux pour un juriste pur que de s’intéresser par la bande à l’environnement
juridique des affaires de sa belle-famille toute neuve.
Et on gardera une quatrième, comme piste inconnue : on ne sait jamais. »
Pour la troisième hypothèse, après tout, c’est finalement normal : «
D’autant que notre mère y travaillait comme fonctionnaire, exactement sur le
même domaine pour être pharmacienne de formation ! »
Elle en convient, mais elles arrivent à Nice et le tiennent au courant.
De son côté, Paul est accueilli en fin d’après-midi à l’aéroport d’Aubenas
par le couple hétéroclite et improbable Scorff/Trois-Dom : ils repartaient vers
la capitale, s’étant cassé le nez à la porte de l’usine.
« Bé qu’est-ce que vous faites-là ? »
« Et vous ? On vous cherche partout depuis ce matin ! »
C’est pour l’arrêter une nouvelle fois ?
« Non pour vous entendre ensemble sur les circonstances de la mort
suspecte de votre frère. Il y a des détails troublant… » commence la jolie juge
Hélène qui, en ayant refait sa coiffure ressemble fort à la ministre de
l’écologie. En plus smart et plus blonde quand même.
Lesquels ?
Il leur offre de faire une pause à la cafétéria en attendant d’être
appelés pour l’embarquement de leur vol.
Globalement, ils ont compris l’enchaînement des pannes et lui font savoir que
l’épave de l’avion a été repérée par les autorités locales. Mais que ça prendra
plusieurs jours pour la repêcher et encore plus pour l’expertiser.
Quant à la dépouille, ça devient plus improbable : les courants ont pu la
faire dériver sur un vaste périmètre.
« Mais on ne comprend pas pourquoi vous aviez pris cet avion et pas celui
avec lequel vous venez d’atterrir. »
Les gyroscopes déconnaient. Ils ont été changés depuis. « Et sans les
gyros, on ne peut pas piloter en mode automatique, l’avion fait des embardées à
n’importe quel moment, pensant corriger son cap et son altitude. C’est vraiment
très inconfortable et épuisant. »
Il leur faut revenir aux raisons du départ précipité de Jacques.
Pourquoi ne s’est-il pas rendu chez la police, ou chez un juge, mais directement chez Paul, sans même en parler à sa femme. « Il a pourtant plein d’amis ! »
« Parce que ça devenait urgent, que sa plainte n’a pas été traitée assez
rapidement et que justement, moi je suis hors des circuits habituels de ses
fréquentations. »
« Par ailleurs », annonce Paul, « depuis j’ai fait de mon côté
ma petite enquête dont se charge Charlotte. Vous connaissez, je crois ? »
Elle est toujours dans le circuit, fait étonnée et presque ravie la juge,
pendant que Scorff allonge un peu plus la tête…
« Oui ! La « liste des mille » n’est pas vraiment une farce, même de
mauvais goût. Je ne sais pas comment vous expliquer ça, déjà que les évidences
passées, vous passiez dessus allègrement. Je n’espère pas vous convaincre, mais
je me dois de vous rapporter les deux ou trois détails ahurissants qui ressortent
de leurs investigations. »
Lesquels ? Ils sont toutes ouïes ouvertes, se préparant à se bidonner
franchement.
« Non seulement la liste existe, mais les gars qui sont derrière la
mettent en œuvre. Quand on gratte un peu, on tombe sur un sénateur dissident
qui pourrait se préparer à un coup d’État, on ne sait pas encore ! »
Toujours ces mystérieux complots ?
Oui la liste existe et oui, on en est à trois morts en comptant Jacques,
mais au moins deux qui meurent selon le même mode opératoire.
« Des complots, j’en ai démêlé encore un il y a quelques mois :
renseignez-vous ! Mais passons !
Car je ne sais pas encore quel crédit donner à cette information.
En revanche, j’ai compris que ma famille, mais pas seulement mon frère,
peut-être ma mère aussi et plus sûrement mon père, mais dans quelle mesure, je
n’en sais encore rien exactement, serait mêlé de près ou de loin à cette
histoire par des détours parfaitement improbables.
Et finalement, c’est retombé sur la tronche de mon frangin. Dommage que ça
ait précipité sa perte au lieu de le sauver : on aurait dû garder des contacts
plus étroits et plus fréquents. Je m’en veux atrocement ! »
« N’en rajoutez pas » énonce Scorff.
Même pas à peine !
« Figurez-vous que j’ai d’autres chats à fouetter que de m’occuper des affaires des autres. Ici même, on prépare des prototypes qui feront date, et c’est bien plus important pour les intérêts de mon pays et les centaines d’emplois qui participent à faire vivre la région ! »
Alors non, il n’en fait « même pas à peine ».
« Entendu, entendu ! Pourquoi on ne peut pas visiter vos installations ?
Je suis pourtant juge d’instruction et peux forcer n’importe quel lieu sur
simple ordonnance ! »
Ordonnances qui ne valent rien sur un site militaire, protégé par ses
secrets. « Il aurait fallu que vous me laissiez-vous délivrer un
laisser-passer. Pensez-y la prochaine fois. Parce que ça, je peux en prendre la
responsabilité. »
D’ailleurs, s’ils renoncent à leur avion du soir, il peut faire la visite
immédiatement : « Vous y verrez une partie des « petits-secrets » de la
République, à condition d’accepter de nier y avoir été à quiconque, même votre
hiérarchie : c’est vous dire si moi je vous fais confiance, moi ! »
Scorff n’est pas très chaud : « Germaine » l’attend pour dîner. Mais la
juge volage est une curieuse par nature.
Et Paul y voit une bonne façon de détourner un peu le poids du soupçon qui
pèse sur ses épaules dans l’esprit de ces deux-là.
Finalement, il laisse la moto pour un taxi, direction l’usine. La tête du
gardien quand il ouvre à Paul escorté par les deux mêmes qu’il avait
promptement éconduits !
« Monsieur Paul, vous souhaitez que j’appelle la gendarmerie, comme
tout-à-l’heure ? »
En fait, c’est carrément Scorff qui l’a faite venir en fin de matinée :
les palabres avaient duré un bon moment avant de se terminer au restaurant
contigu du poste de la ville.
« Non, ça va aller ! Merci. Vous pouvez avertir Madame Nivelle que je
passe chez elle avec deux invités qui resteront sans doute coucher. »
Et se tournant vers la brochette parigote : « À moins que vous souhaitiez
aller à l’hôtel avant de reprendre le premier vol du matin ? Je n’impose rien !
»
Pour être honnête, il leur avoue qu’il aimerait bien leur tirer les vers
du nez, sachant que l’intention reste la même pour ses visiteurs.
« Voilà le clou, le petit-bijou que nous finissons de mettre au point : le
« Isabelle », Nivelle 001. Un démonstrateur. »
Comprenez : vous avez vu l’atelier de concassage de poudres, celui de leur
traitement chimique et de leur usinage. Ce sont des explosifs très puissants
dont on maîtrise la combustion pour en faire des accélérateurs à poudre pour
les missiles de nos armées.
Bien ! Si on sait mélanger, broyer, laver et cuire nos poudres, nous sommes
capables de faire la même chose pour en faire des céramiques réfractaires.
Celles-là ont été testées à 2.500° C.
En revanche, on ne sait pas grand-chose de leur comportement mécanique en
mode réel d’usage, même si nous savons tout d’elles jusqu’à leur intimité et
cristallisation en laboratoire. Il nous manque de les avoir testées à haute
vitesse en atmosphère réelle sur leur support mécanique.
Parce que l’innovation, ce ne sont pas elles-mêmes, mais le four que vous
voyez là-bas, la fabrication des moules telle que chacune d’elle est un
monobloc à encastrer dans les ailes et toutes les parties chaudes de l’avion à
protéger.
Si ça marche, on devrait pouvoir relancer le projet de navette Hermès pour
lequel les américains avaient refusé l’accès aux licences de leur tuile de
navette. Le projet en a été abandonné et depuis l’Europe se contente de
spationautes assis sur un strapontin Russe ou Américain.
En fait, c’est l’usinage qui a péché, y compris chez les américains qui se
contentent de tuiles de petites dimensions assemblées collées pour leur propre
navette avec les conséquences que vous savez : ils en ont perdu deux à cause de
ce genre de conneries.
Et autant d’équipages complets… »
Et en plus, aucune tuile n’est semblable à sa voisine et à chaque fois, c’est
un moule différent à fraiser dans un bloc d’acier qu’il faut faire.
« Alors qu’avec notre procédé, le moule est en résine d’époxy, coulé
autour de la matrice de la pièce en plâtre, et cuit de telle sorte que la
céramique ressort d’un seul bloc. »
C’était là la vraie nouveauté qui avait l’avantage de permettre des
dimensions nettement plus importantes, en fait limitées par la taille du four
lui-même.
Impressionnant. Paul a pourtant l’impression de parler chinois.
Mais le plus intéressant reste à venir, dans la vaste
demeure de la Présidente, sur la colline, dès après l’apéritif de bienvenue.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire