Retour d’estives
Bien content d’être parti à la dérive d’un monde qui s’écroule – le mien
seulement, rassurez-vous – je me suis fait plaisir : Déconnecté de tout,
réseaux et autres durant plusieurs semaines, le bonheur presque parfait.
Presque parce que seulement deux fois par jour, je téléphonais tout de
même pour prendre des nouvelles de ma « Môman-personnelle-à-moi-même »
durant tout l’été, qui un jour va bien, le lendemain pas du tout.
On ne sait pas combien vieillir (oh vieillir !) est si difficile
quand on nourrit un « crabe » inopérable malgré soi.
Le sien, situé dans la « boîte à tuyaux », réputé
« insécable » depuis l’origine, il y a plus de deux ans de ça, la
fait souffrir : Il « pousse » les tuyaux tout autour, dérègle
les fonctions habituelles des organes qu’il bouscule et ça fait un mal de chien
à ma « môman » à ne plus pouvoir en dormir, ni s’assoir, ni se tenir
debout durablement, toujours aux aguets d’un « départ en vrille » inopiné
des fonctions digestives.
Elle n’a rien dans le ventre, a fait deux séjours aux urgences dans
l’intervalle, mais soit elle va bien et fait des projets de voyages, soit elle déprime
parce qu’elle a mal, à ne plus savoir comment se poser pour ne pas trop souffrir
et passe son temps aux abords du « trône de Neptune » à tenter de se
vider, par le haut et par le bas… alors qu’elle n’a rien dans le ventre, à part
ses sucs gastriques inutiles.
Résultat, ça ne la soulage même plus, pas même la morphine ou quelques
succédanées, penser, ne serait-ce que « penser » à
« médicament », « boire », « manger », lui donne
des nausées et elle a mal partout pour avoir la peau sur les os.
Vieillir, oh vieillir…
Parfois, je me demande à quoi ça sert.
Elle aussi d’ailleurs, dans ses moments de déprime de plus en plus
nombreux, longs et fréquents.
Alors, ma « petite-sœur » l’entoure du mieux qu’elle peut et moâ
je retourne en « Gauloisie-supérieure » vivre pas loin de chez elle,
au cas où elle aurait besoin de ma pomme. Parce que prendre l’avion à chaque
fois qu’elle délire au téléphone pour la récupérer sous une couette avec 40 de
fièvre, parce qu’elle a froid… ce n’est pas raisonnable non plus.
Le métro, c’est plus facile, même s’il parait qu’au moment de la canicule
parisienne, elle n’avait même pas chaud sur son boulevard pour aller faire des
courses en plein soleil dans son quartier : un jour de folie,
probablement.
Un de plus.
La morphine atténue certainement la douleur, mais ça tue probablement
aussi bien que les chimiothérapies (elle en vient à sa troisième
molécule/protocole, il n’y en a que huit pour son crabe à elle, et à part les
deux premiers aux résultats à peu près probants, les autres ont des effets
aléatoires) ou vous font délirer.
D’ailleurs, autour d’elle, elle s’est fait des potes qui ont le même crabe
au fil des séances de chimio ambulatoires, et ils disparaissent tous les uns
après les autres…
Qu’est-ce qui la fait ainsi tenir ?
Probablement ses camarades de guerre !
Elle a eu l’occasion de nous délivrer à Noël dernier « ses
mémoires ». On savait qu’elle avait passé la dernière guerre-mondiale,
gamine, en partie à Angers et le reste à Paris où elle fréquentait
naturellement les enfants de son âge, dans une école de fille de la même classe
sous les bombes des alliés. Elles ne sont plus que trois survivantes qui se
téléphonent fréquemment : C’est à celle qui ne décrochera pas la première
pour avoir trépassé !
Elles étaient encore une dizaine il y a quelques années.
La « Grande Faucheuse » fait sa récolte régulièrement. Et les
trois dernières Se désespèrent les unes des autres…
Bientôt, notre tour viendra.
Si moâ, je
fais du rab depuis tout petit et jusqu’à encore tout récemment, en revanche
parmi mes amis de faculté, de lycée, de collège et même dans mon entourage
professionnel, voire mes amis d’adulte, ça commence à avoir des rangs
clairsemés.
Qui succombe soudainement d’une « attaque », qui trépasse d’une
« longue maladie » foudroyante, qui a un « accident-idiot »
mais mortel, qui n’en pouvait plus et s’arrête, une véritable hécatombe !
Y’en a même qui ne supporte plus leur « condition humaine » et
se flinguent sans autre raison…
Dans le temps, je faisais les mariages et les baptêmes, maintenant je fais
les enterrements à un rythme soutenu des mêmes.
Il est temps que je m’arrête à mon tour.
Je vais laisser partir ma « Môman » et puis je vais peut-être
faire comme mes vieux voisins britanniques : M’enterrer dans un trou cossu
à en devenir « ermite-troglodyte », ne sortant plus jamais, n’ouvrant
plus jamais les fenêtres et les rideaux, ne s’intéressant plus à rien.
Et mon « droit à déconnexion » estival en a été un avant-goût…
Ne penser à rien, se foutre de tout et jusqu’à l’avenir de la planète ou
de l’espèce, la seule connue dans l’univers capable de saccager son
environnement qui a été pourtant si beau.
Sauf qu’aux escales – il faut bien avitailler de temps-en-temps, surtout
en pinard et alcools-forts : Je n’ai pas de vigne à bord – le monde vous
rattrape de ses horreurs.
Cette année, parce que je n’ai lu aucun bulletin sauf ceux de la météo
marine, c’est « ma nichée » qui a apporté à bord son insouciance
troublée par le décès de Simon en « Ritalie ».
Et que ça a perturbé mon « caneton » et mon
« chouchou-baka ».
Le caneton a fait toute sa scolarité d’école primaire avec Simon, ils se
sont suivis au collège et sont restés en contact au Lycée : Ça crée des
liens !
Simon n’ira pas plus loin.
Quant à mon « chouchou-baka », il a fait lui aussi toute sa
scolarité jusqu’au collège avec Juliette, la petite sœur de Simon.
Ce qui fait que pendant plus de 10 ans, je croisais tous les matins
Delphine ou son mari, à l’entrée de l’école, parfois à la sortie des classes.
C’était mes voisins, dix ans plus jeunes que moi.
Parfois on prenait un verre au café du coin avant d’aller bosser. Lui
était senior chez McKinsey, elle était illustratrice-dessinatrice de livres
d’enfant.
Et puis nous sommes perdus de vus, mais pas nos gosses.
J’imagine leur dévastation à tous.
Ils ont suivi, comme tout le monde sauf moi, cette histoire de touriste
perdu dans le sud de la « Ritalie », avant même d’apprendre qu’il
était « gauloisien ».
L’affaire du coup de fil reçu de ce « Gauloisien » pour
expliquer qu’il était « tombé au milieu de nulle part et avait les jambes
cassées ».
En fait un message laissé sur une boîte vocale.
Delphine n’aura appris que trois jours plus tard qu’il s’agissait de son
fils !
Trois jours pour que le consulat l’avertisse…
Et une fois arrivée sur place, elle a eu un mal fou à mobiliser les
autorités pour qu’on lui retrouve rapidement la « chair de sa
chair » : Il y avait encore de l’espoir, le parcours est connu et
réputé « pas facile » mais archi connu, et Simon avait pris pour une
semaine de vivres et de quoi boire plusieurs jours.
Neuf jours plus tard, on retrouve sa dépouille brisée, probablement décédé
d’une hémorragie dans l’heure de sa chute, après qu’il ait laissé son message…
À jamais trop tard !
Vraiment pas de bol.
Même « ma bichée » aura appris trop tard son inhumation pour
envoyer des fleurs à son ami d’enfance : Les réseaux sont impuissants à
aller plus vite que la lumière !
Ça rend fataliste, finalement…
Et la tentation est forte de renoncer avant même de commencer, je l’avoue.
« Mon Gardien » a lui-même passé presque tout son séjour
balanéen avec un plâtre à la patte des suites d’une glissade dans son
escalier : impossible de conduire ni de marcher jusqu’à une plage, même
avec une canne !
En plus, il aurait pu y rester puisque la tête aura cogné à plusieurs
reprises ce qui a complété sa collection de bosses.
Il a été coincé devant sa table de bistrot une bonne partie de l’été et
depuis, il souffre à chaque changement de temps.
Il faut que je lui explique que ce baromètre-là, il fonctionne encore même
après 40 ans de bons et loyaux services : infatigable !
Il est temps d’arrêter les konneries : De toute façon, il ne sert à
rien de lutter contre les moulins de la fatuité des uns, l’autisme des autres,
la trisomie de la plupart.
S’indigner ou même en rire, c’est finalement assez inutile et même très
prétentieux.
Voire, dérisoire…
Le cap des 2.000 posts sur ce blog a été passé récemment. Pas vraiment
envie d’aller jusqu’aux 2.618 de l’ancien blog.
Quant à en faire des bouquins, je laisse « mon gardien » le
loisir de s’en occuper : Ça l’amuse encore…
On verra pour la suite : Les trois prochains posts qui viennent
jusqu’à la semaine prochaine ont été programmés en juillet…
Là, je retrouve un local pas trop inconfortable et je prends connaissance
des messages en attente pendant de longues semaines parce qu’il y a la fibre.
Puis organiser la suite avec le maigre pécule à attendre des caisses de
retraite, tant que c’est encore possible.
En bref, c’est la fin par anticipation : Il faut que je m’occupe de
redonner la niaque originelle à ma « Môman », rendre plus gaie sa fin
de vie à elle, même si je sais que c’est un combat déjà perdu d’avance.
C’est terriblement désolant.
Tout autant « dérisoire »…
Presqu’un désastre à vivre, que la vie.
Et pourquoi donc s’infliger autant de souffrances et désespoirs ?
À quoi ça sert ?
L’issue fatale est inévitable. Les joies & bonheurs restent souvent
éphémères et finalement pas si nombreux que ça pour compenser. Les
satisfactions de l’ouvrage « bien fait » sont assez rares et de toute
façon, vous êtes tout seul à l’apprécier, tous les autres s’en moquent
éperdument et même vous-même, vous finissez par les oublier.
À quoi ça sert au juste ?
Pascal avait raison : Ce sont des distractions. L’homme ne vit que de
distractions toutes aussi dérisoires les unes que les autres qui le détourne de
la recherche de l’absolu ou de Dieu (en ce qui concerne Pascal).
Celui-là, personne ne l’a trouvé : Ce n’est jamais qu’une hypothèse
et il n’y en a aucune trace dans les équations qui décrivent le fonctionnement
de l’univers, du plus petit au plus vaste de ses éléments.
Dieu a-t-il inventé le nombre Pi dans sa diabolique précision avant ou
après avoir généré la « singularité originelle » qui a fait tout
notre univers ?
Il faut bien reconnaître que Dieu n’aurait rien créé du tout, Il n’existerait
même pas, le nombre Pi serait ce qu’il est tout de même…
Et à quoi cela lui a-t-il été utile, s’il vous plait ? Quel a été Son
dessein ?
Bref, une « hypothèse » probablement rassurante, qui permet
aussi d’endurer toutes ces souffrances, dévastations, échecs et déconfitures,
toutes les douleurs de Delphine qui perd son fils Simon, toutes celles
qu’endure ma « Môman-à-moâ », mais qui restent finalement totalement
vaines.
En bref, ce retour d’estives marque un tournant pour ma pomme : Je
vais avoir plus de temps (et des moyens financiers réduits) que je vais
consacrer à adoucir dans la mesure du possible, à la fin de vie de l’auteuse de
mes jours.
Je dois pouvoir au moins lui « restituer » ça le temps qu’il
faudra, aidé par ma « petite-sœur » et le reste de la famille.
Je n’ai pas pu le faire pour mon « papa-à-moâ » (celui qui me
fait encore frémir 35 ans après sa disparition quand je l’évoque) et après on
verra… s’il y a encore quelque chose à voir.
Bonne rentrée à toutes et à tous quand même !
I3
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