Régime de TVA des biens fournis à bord
Vous n’imaginez pas que le journal qu’on met parfois à
votre disposition à l’entrée de la cabine à titre gratuit (en fait, il est déjà
dans le prix de votre billet, comme les cacahuètes qui vous seront peut-être présentées
pour vous déstresser des effets de l’altitude et soulager vos tympans) peut
générer un contentieux fiscal de « haute volée » (c’est le cas de le
dire) !
Et pourtant…
Deux décisions de juridictions administratives avaient
jeté le trouble concernant le régime de TVA applicable aux magazines et
journaux mis gratuitement à disposition des passagers de compagnies aériennes.
Le même jour et sur le même thème en mars de la même
année, par les tribunaux administratifs du ressort territorialement compétents
(TA Cergy-Pontoise 7-03-2018 n°1600873, SAS TTM et TA Paris 7-03-2018
n°1602650, SNC L), ces décisions avaient plongé les fiscalistes « bien-nés »,
tenant de l’unicité du droit, dans un état second.
Vous ne vous êtes rendu compte de rien ?
Tant mieux pour vous : Vous n’êtes pas
juriste-fiscaliste, parce que nous, il nous aura fallu attendre des mois et des
mois pour retrouver notre calme…
Le litige portait sur la notion d’avitaillement…
La question au cas d’espèce était de savoir si les
livraisons de magazines effectuées auprès des compagnies aériennes qui les
mettent à disposition de leurs passagers doivent ou non être considérées comme
des livraisons de biens destinés à l’avitaillement des aéronefs et dès lors
bénéficier ou non de l’exonération de TVA prévue par l’article 262, II-6° du
Code général des impôts.
Rappelons tout d’abord que les exportations de biens
se situent dans le champ d’application de la TVA mais sont exonérées de cette
taxe. Ainsi, les opérateurs économiques sont dispensés du paiement de la taxe
sur leur chiffre d’affaires à l’exportation tout en bénéficiant du droit de
déduire la TVA sur leurs achats.
Une telle exonération concerne plus particulièrement
les livraisons de biens destinés à l’avitaillement de certains navires et
aéronefs en application de l’article 262, II-6° du CGI. S’agissant des
aéronefs, ladite exonération ne peut s’appliquer qu’aux compagnies aériennes
réalisant au moins 80 % de leur trafic à l’international ou en outre-mer.
Cette disposition résulte de la transposition de
l’article 15 de la Directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, repris à l’article 148
de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006.
Voilà pour le cadre général du droit.
Seulement le diable se cache dans les détails : Le
régime de l’avitaillement, qui se veut compléter celui des exportations, se
caractérise par l’absence de définition légale ou règlementaire de
l’avitaillement. En effet, ni le Code général des impôts, ni le Code de
l’aviation civile, ni les dispositions relatives au secteur maritime ne
définissent cette notion. C’est donc l’administration fiscale qui, par ses
commentaires, a donné sa définition de la notion. Mais elle ne semble pas en
adéquation avec la véritable finalité du régime.
Selon la doctrine fiscale, il faut entendre la notion
d’« avitaillement » de manière stricte (BOI-TVA-CHAMP-30-30-30-20 n°190 et
BOI-TVA-CHAMP-30-30-30-10 n°410 et suivants).
Sont ainsi considérés comme produits d’avitaillement,
à l’exception de tous les autres produits, les fournitures de bord, les
produits utilisables à bord pour les besoins particuliers du personnel
naviguant et les provisions de bord, lesquels sont « destinés uniquement à
la consommation à bord par les membres de l’équipage et les passagers ».
Plus précisément, les commentaires nous enseignent que
les biens destinés à la consommation immédiate à bord sont ceux qui « disparaissent
par le premier usage ou qui ne peuvent être emportés ».
Et le Service d’ajouter que « l’approvisionnement
en biens d’avitaillement est en principe limité aux quantités nécessaires aux
besoins normaux de la consommation à bord, eu égard à la durée du trajet, au
nombre de passagers et de membres d’équipage présents à bord du moyen de
transport (…) ».
Et chose amusante, un contentieux relatif aux
magazines remis à bord est donc né d’une divergence de vue en ce qui concerne
la notion d’avitaillement. Par ses commentaires, l’administration paraissait
limiter les biens relevant de cette notion, outre le carburant et le nécessaire
pour l’entretien de l’avion, aux seules boissons et nourriture ayant vocation à
être servies aux passagers et consommées immédiatement à bord.
Du coup les sociétés d’édition fournissant les
magazines aux compagnies aériennes estimaient en revanche que relèvent de l’avitaillement
tous les produits mis à la disposition des passagers et consommés à bord et
parmi lesquels les journaux et revues. Sont inclus les « plaquettes »
des compagnies, mais aussi les magazines de la compagnie (j’avais une « cousine »
qui faisait celle d’Air-Transe/KLM) ainsi que la presse quotidienne mises à
disposition (et jusqu’à récemment même l’Huma !).
C’est ce conflit que les tribunaux administratifs de
Cergy-Pontoise et de Paris ont été invités à trancher.
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé,
en suivant les conclusions de son rapporteur public qui a examiné les
différentes définitions de l’avitaillement, que cette notion doit s’interpréter
largement.
Les juges du tribunal administratif de Paris ont jugé
le contraire.
Adieu l’unicité du Droit…
Le rapporteur public du tribunal administratif de
Cergy-Pontoise a relevé à raison que la définition fiscale gauloisienne de
l’avitaillement ne brille pas par son unicité comme l’illustre les différentes
définitions figurant dans de nombreux dictionnaires.
Elle ne brille pas non plus par sa clarté en l’absence
de définition légale.
À cette diversité « Gauloisienne », s’ajoute
également la différence de terminologie au sein de la Directive 2006/112/CE
selon les versions linguistiques. Alors que la version française utilise le
terme l’« avitaillement », les versions anglaise et allemande emploient
le terme d’« approvisionnement »
et la version italienne celui de « fournitures ».
Il semble donc difficile de recourir à une
interprétation stricte de la notion, étant précisé, ainsi que le relève la Cour
de justice de l’Union européenne, que la règle selon laquelle les exonérations
sont d’interprétation stricte « ne signifie pas que les termes utilisés pour
définir ces exonérations doivent être interprétées d’une manière qui priverait
celles-ci de leurs effets » (CJCE, 19-07-2012, aff. C-33/11 A Oy).
Pan sur le bec… et retour dans le kaka !
Le rapporteur public du tribunal administratif de
Cergy-Pontoise a également souligné qu’il ressort de la jurisprudence de la
Cour de justice que les opérations d’avitaillement sont exonérées de TVA en
raison du fait qu’elles sont assimilées à des opérations d’exportation (CJCE,
26-06-1990, aff. C-185/89 Velker International Oil Company Ltd NV). Il s’ensuit
que c’est la destination des produits et non leur nature qui conditionne le
bénéfice de cette exonération. Autrement dit, qu’il s’agisse d’un magazine ou
d’une collation, c’est la circonstance que le produit soit fourni à l’occasion
d’un transport international qui conduit à son exonération, la nature du bien
étant donc sans incidence.
Le tribunal administratif de Paris a pris lui une
position radicalement différente en s’attachant à la nature des produits
fournis à bord plutôt qu’à leur destination. Le juge parigot a en effet estimé
que seuls les produits nécessaires à l’exploitation des avions ou à la
subsistance des passagers ou de l’équipage doivent être regardés comme
constituant un avitaillement.
Le rapporteur public du tribunal administratif de
Cergy-Pontoise indiquait pourtant qu’il est de jurisprudence constante que
l’interprétation d’une norme communautaire doit être faite à la lumière du
décalage pouvant exister entre les différentes versions linguistiques (CJCE,
16-09-2004, aff. C-382/02 Cimber Air), d’autant que celles-ci conduisent à des
divergences de fond. Les termes employés dans les versions anglaise, allemande
et italienne confèrent à l’exonération une portée plus large que celle qui
résulte de la version francilienne-native telle qu’interprétée par le tribunal
administratif de Paris et par la doctrine administrative publiée dans la base
Bofip (la définition des produits d’avitaillement figure au BOI-TVA
CHAMP-30-30-30-10 n°410 et suivants).
Dès lors, une interprétation trop restrictive du
régime d’exonération semble créer un traitement inégalitaire entre les opérateurs
économiques pouvant conduire à d’importantes distorsions de concurrence entre
les États membres.
Il serait donc juste de considérer que les produits
d’avitaillement sont tous les biens destinés à satisfaire un besoin de
l’équipage ou des passagers au cours du voyage…
Et tirant dès lors les conséquences d’une telle
analyse, les magazines ou journaux destinés à être lus à bord par les passagers
répondent à cette finalité, quand bien-même ces biens ne disparaissent pas du
fait de leur premier usage.
D’ailleurs, les encas salés ou sucrés distribués aux
passagers dans les avions sont considérés comme des biens d’avitaillement
bénéficiant de l’exonération de TVA. Pourtant, les règles d’hygiène
recommandent qu’ils soient distribués dans des sachets hermétiques et
individuels, permettant en pratique une consommation postérieure au transport
aérien.
Et aucun de ces deux jugements contradictoires n’a
fait l’objet d’un appel…
La question a enfin été résolue par la publication
d’un rescrit de la Direction de la Législation Fiscale qui « complète »
sa doctrine et apporte les clarifications attendues (BOI-RES-000038 du
27-3-2019 sur renvoi du BOI-TVA-CHAMP-30-30-30-20 du 27-3-2019) un an plus
tard.
Et de façon astucieuse : Sans modifier la
définition des produits d’avitaillement, lesquels doivent en principe
disparaître du fait de leur premier usage, l’administration précise que « les
magazines et les journaux destinés à être lus à bord par les passagers d’un
aéronef répondent à (la) finalité (des produits d’avitaillement)
quand bien même ces biens ne disparaissent pas au premier usage ou sont susceptibles
d’être emportés par les passagers à la suite de leur mise à disposition.
Cela étant, le bénéfice de l’exonération ne pourra
être accordé que si les magazines et les journaux peuvent être rattachés à un
vol particulier, c’est-à-dire lorsqu’ils sont mis à disposition des passagers à
bord de l’aéronef mais également dans les « salons business » réservés à la
clientèle du vol, sur les passerelles d’embarquement, ou dans les salles
d’embarquement des terminaux ».
Voilà : On ne change rien, on fait juste « une
niche » de plus pour les journaux et magazines » !
Tout dans la nuance.
Bien que ce rescrit ne vise que le transport aérien, la
même solution doit également pourvoir s’appliquer dans les mêmes conditions au
transport maritime visé à l’article 262, II-6° du CGI ; même si ce n’est
pas certain : un rescrit s’interprète restrictivement…
En revanche, ladite exonération des livraisons de
biens destinés à l’avitaillement ne peut en aucun cas, en l’état actuel du
droit communautaire, être étendue aux autres modes de transport internationaux,
notamment ferroviaire ou routier. L’article 148 de la Directive 2006/112/CE
limite, il est vrai, le bénéfice de cette exonération aux seuls domaines des
transports maritime et aérien.
Une telle divergence de régime selon le mode de
transport peut ne pas paraître justifiée et mériterait peut-être une refonte de
la Directive : En effet, dès lors que les produits d’avitaillement sont
fournis à l’occasion d’un transport international, ils devraient pourvoir
bénéficier de l’exonération de TVA, quel que soit le moyen de transport
utilisé.
Mais ce que j’en dis, n’est-ce pas…
J’imagine que vous n’imaginiez pas ce qu’un simple bout
de papier noirci à l’encre, bénéficiant déjà d’une TVA au taux réduit ou « super-réduit »
selon sa périodicité, pouvait générer comme « soucis » fiscaux dès qu’il
prend l’avion.
Toute la saveur-discrète des règles de la fiscalité
européenne.
J’adore…
Et ça valait bien un post pour que vous appréciez à
votre tour tout le sel des « méninges en action » de vos « têtes-d’œuf »…
Bon week-end à toutes et tous !
I3
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