Pas tout-à-fait, mais…
La mise en relation de deux personnes,
acheteur/vendeur, est un acte de commerce. Personne n’en doute même pas le fisc
qui taxe les gains du proxénétisme au titre des Bénéfices Industriels et Commerciaux.
(TVA, CFE et CVAE en sus… sans jeux de mots).
Du pain béni en cas de non-présentation de
comptabilité opposable pour n’importe quel inspecteur des impôts « junior »
fraîchement débarqué de l’ékole.
Et ils trouvent ça comment ?
Mais tout simplement par le train de vie qui suppose
des encaissements et décaissements occultes.
Mon pote d’études, lui faisait dans les courses de
chevaux : Un doué des trotteurs.
Étudiant, il était rattaché au foyer fiscal de son
père qui s’est vu notifier un redressement coton sur ce motif avant de
justifier que son fils jouait aux courses…
Grosse rigolade.
Reste que la prostituée reste imposable au titre des « bénéfices
non-commerciaux » (on ne fait pas commerce d’un corps qui n’est pas
légalement dans le commerce…)
Mais on aurait pu dire que la location de « meuble »
reste fiscalement « commerciale »…
La brèche dans laquelle s’est engouffré Uber. Tu
prends un mek avec son vélo, tu lui donnes pour tâche d’aller chercher et de livrer
une pizza ramassée chez un pizzaïolo quelconque avec lequel tu es en cheville.
Tu le payes à la course (livrée) et toi tu te fais payer par le type qui a
passé commande 30 minutes plus tôt.
Le cycliste fait son affaire de son statut social et
de l’imposition de son travail.
Pas d’horaire, pas de lieu de travail, il est
considéré comme un travailleur indépendant et peut même refuser une course :
Donc pas de lien de subordination, pas de déclaration d’embauche, pas de
cotisation Urssaf-employeur, tout rien que de la marge brute qui file directement
en caisse.
Et surtout, pas d’emmerdements à assumer en « back-office »
avec le petit personnel.
Et jusqu’à un temps, idem pour les VTC. Mais sous la
pression, il y a été mis bon ordre.
Seulement voilà, catastrophe, le 28 novembre 2018, la
Cour de cassation a jugé que le contrat liant un livreur de repas à vélo à une
plate-forme numérique de mise en relation était un contrat de travail.
Une société (depuis en déconfiture et représentée par
un liquidateur pas férocement attaché au « modèle économique » de la
boîte) utilisait une plateforme numérique et une application informatique pour
mettre en relation des restaurateurs, des clients passant commande de repas et
des livreurs à vélo exerçant sous un statut d'indépendant.
Un de leurs coursiers demandait la requalification de
son contrat de prestation de service en contrat de travail.
La cour d’appel avait rejeté sa demande aux motifs que
celui-ci était libre de fixer lui-même les plages horaires au cours desquelles
il souhaitait travailler ou ne pas travailler.
Du travail à la carte à moins que ce soit de … la « grève
perlée » comme avait pu l’inventer les cheminots encore récemment, je ne
sais pas.
De plus, il n’était lié à la plateforme numérique par
aucun lien d’exclusivité ou de non-concurrence : Il pouvait bosser avec qui
voulait bien de lui.
Ce raisonnement n’a pas été suivi par la Cour de
cassation. Elle a considéré qu’il existait un pouvoir de direction et de
contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant ainsi un lien de
subordination. En autres points, l’application était dotée d’un système de
géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position
du coursier et du nombre total de kilomètres parcourus. Celle-ci disposait
aussi d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, ce qui impliquait un
contrat de travail.
Décision fort utile à plus d’un titre.
Cour de cassation – chambre sociale
Audience publique du mercredi 28 novembre 2018
N° de pourvoi: 17-20079
M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de
président), président
SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Piwnica et Molinié,
SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat(s)
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU
PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt
suivant :
Donne acte à la CGT de son intervention volontaire ;
Sur le moyen unique :
Vu l’article L. 8221-6 II du code du travail ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Take
Eat Easy utilisait une plate-forme web et une application afin de mettre en
relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas
par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant leur
activité sous un statut d’indépendant ; qu’à la suite de la diffusion d’offres
de collaboration sur des sites internet spécialisés, M. Y... a postulé auprès
de cette société et effectué les démarches nécessaires en vue de son
inscription en qualité d’auto-entrepreneur ; qu’au terme d’un processus de
recrutement, les parties ont conclu le 13 janvier 2016 un contrat de prestation
de services ; que M. Y... a saisi la juridiction prud’homale le 27 avril 2016 d’une
demande de requalification de son contrat en un contrat de travail ; que, par
jugement du 30 août 2016, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation
judiciaire de la société Take Eat Easy et désigné en qualité de mandataire
liquidateur Mme E... ;
Attendu que pour rejeter le contredit, dire que M.
Y... n’était pas lié par un contrat de travail à la société Take Eat Easy et
dire le conseil de prud’hommes incompétent pour connaître du litige, l’arrêt
retient que les documents non contractuels remis à M. Y... présentent un
système de bonus (le bonus "Time Bank" en fonction du temps d'attente
au restaurant et le bonus "KM" lié au dépassement de la moyenne
kilométrique des coursiers) et de pénalités ("strikes") distribuées
en cas de manquement du coursier à ses obligations contractuelles, un
"strike" en cas de désinscription tardive d’un "shift"
(inférieur à 48 heures), de connexion partielle au "shift"
(en-dessous de 80 % du "shift"), d’absence de réponse à son téléphone
"wiko" ou "perso" pendant le "shift", d’incapacité
de réparer une crevaison, de refus de faire une livraison et, uniquement dans
la Foire aux Questions ("FAQ"), de circulation sans casque, deux
"strikes" en cas de "No-show" (inscrit à un "shift"
mais non connecté) et, uniquement dans la "FAQ", de connexion en
dehors de la zone de livraison ou sans inscription sur le calendrier, trois
"strikes" en cas d’insulte du "support" ou d’un client, de
conservation des coordonnées de client, de tout autre comportement grave et,
uniquement dans la "FAQ", de cumul de retards importants sur
livraisons et de circulation avec un véhicule à moteur, que sur une période d’un
mois, un "strike" ne porte à aucune conséquence, le cumul de deux
"strikes" entraîne une perte de bonus, le cumul de trois
"strikes" entraîne la convocation du coursier "pour discuter de
la situation et de (sa) motivation à continuer à travailler comme coursier
partenaire de Take Eat Easy" et le cumul de quatre "strikes"
conduit à la désactivation du compte et la désinscription des
"shifts" réservés, que ce système a été appliqué à M. Y..., que si,
de prime abord, un tel système est évocateur du pouvoir de sanction que peut
mobiliser un employeur, il ne suffit pas dans les faits à caractériser le lien
de subordination allégué, alors que les pénalités considérées, qui ne sont
prévues que pour des comportements objectivables du coursier constitutifs de
manquements à ses obligations contractuelles, ne remettent nullement en cause
la liberté de celui-ci de choisir ses horaires de travail en s’inscrivant ou
non sur un "shift" proposé par la plate-forme ou de choisir de ne pas
travailler pendant une période dont la durée reste à sa seule discrétion, que
cette liberté totale de travailler ou non, qui permettait à M. Y..., sans avoir
à en justifier, de choisir chaque semaine ses jours de travail et leur nombre
sans être soumis à une quelconque durée du travail ni à un quelconque forfait
horaire ou journalier mais aussi par voie de conséquence de fixer seul ses
périodes d’inactivité ou de congés et leur durée, est exclusive d’une relation
salariale ;
Attendu cependant que l’existence d'une relation de
travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la
dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait
dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de
subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un
employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en
contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;
Qu’en statuant comme elle a fait, alors qu’elle
constatait, d’une part, que l’application était dotée d’un système de
géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position
du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par
celui-ci et, d’autre part, que la société Take Eat Easy disposait d’un
pouvoir de sanction à l’égard du coursier, la cour d’appel, qui n’a pas
tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait l’existence
d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation
caractérisant un lien de subordination, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt
rendu le 20 avril 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la
cour d’appel de Paris, autrement composée ;
Condamne Mme E..., ès qualités, aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, la
condamne à payer la somme de 3.000 euros à M. Y... et rejette les autres
demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près
la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en
marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre
sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit
novembre deux mille dix-huit.
Autrement dit, la Haute Cour précise (mais ce n’est qu’une
« redite ») ce qu’est un « lien de subordination »
caractéristique d’un contrat de travail : C’est « l’exécution d’un travail sous l’autorité
d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en
contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».
Notez que ce n’est pas forcément si clair que ça :
Donner un travail à faire, c’est le rôle du loueur d’ouvrage (ou maître d’ouvrage).
En contrôler la bonne exécution, c’est le rôle du maître d’œuvre (je simplifie),
celui qui est chargé d’exécuter la commande du premier.
Quant au « pouvoir de sanction », il est
assez simple : Le maître d’œuvre est en principe assuré en cas de défaut d’exécution
et de toute façon, il n’est pas repris pour un contrat ultérieur.
L’erreur est humaine, certes, mais persévérer reste l’œuvre
du diable…
Et on se rappelle que chez Uber, la course est
prépayée et le client note son prestataire.
Une pratique qui existe même chez les hôteliers, les
restaurateurs, les loueurs de meublés et quelques autres métiers du B2C (que je
trouve pour ma part déplorable : Il y a tellement de faux-nez qui laissent
des appréciations… « déconnectées »).
Mais le point important reste que le paiement est une
relation triangulaire (client/plateforme/exécutant), alors que dans les autres
applications, si la réservation peut-être triangulaire, le paiement de la
prestation reste binaire.
Ceci dit, cet arrêt n’est pas une nouveauté. Je me rappelle
très bien, du temps où je faisais juriste-fiscaliste des pratiques des « bases »
d’Intermarché, pour le nommer, qui un jour avait décidé de licencier tous ses
chauffeurs-livreurs.
Un métier « pas chiant », avec horaires « cadrés »
avec les magasins à livrer (qui mobilisent du personnel à temps-partiel pour
dépoter), des itinéraires connus au kilomètres près, des consommations d’huile
et de gasoil maîtrisées et des palettes pré-emballées dans les semis qu’il
suffisait de se mettre à quai pour les jeter sur l’entrepôt (et inversement)
avec un simple rétract (ou un tire-pal électrique).
Bé, avec le « prime de départ »
(licenciement), la centrale s’occupait d’inscrire ses ex-chauffeurs au registre
des métiers, leur louait le tracteur, leur payait le carburant et l’entretien
du bahut, s’occupait des formalités sociales et autres, et le gars pouvait
reprendre le boulot le jour même, mais payé à la course (ou au kilomètre, je ne
me souviens plus).
L’intérêt ? Mais les charges sociales n’étaient
pas les mêmes et ça faisait parfois descendre les effectifs sous les seuils
sociaux qui obligeaient à verser de la participation et à monter un comité d’entreprise…
source de multiples emmerdements récurrents : On est là pour bosser, pas
pour palabrer interminablement.
Dépassé par le phénomène, le législateur, dans son « immense
sagesse », avait alors légiféré estimant que de se procurer un travail
auprès de son ancien employeur faisait subsister le contrat de travail
antérieur.
Bing : Insécurité juridique dans les dents !
Réplique : Il suffisait de laisser un temps de
latence suffisant ou de déplacer le gusse sur une autre plateforme de l’enseigne.
Heureusement est passé par là la Cour de cassation qui
en a été obligé de suppléer le législateur (dans sa trisomie-appliquée) et d’appliquer
sa jurisprudence préexistante sur les trois éléments constituant un contrat de
travail (tâche, rémunération, lien de subordination).
Précisant déjà ce qu’était un lien de subordination :
On en a ici une illustration supplémentaire (qui devrait tuer « l’uberisation »
de l’économie, qui ne vit finalement que sur une « niche » à laquelle
il est ainsi mis fin – la « distorsion » de la charges sociales – sauf
si demain Uber offre des services que n’offre pas d’autres prestataires et qu’il
trouve son marché solvable).
Car, vous allez être étonnés, mais il n’existe nulle
part dans la loi une définition du contrat de travail : C’est une
construction uniquement jurisprudentielle (appliquant les lois du Code civil).
Et pourtant, le Code du travail, il est presque plus
gros que le code général des impôts…
Bonne fin de week-end à toutes et à tous !
I3
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