Création d’activité et reprise de patientèle
Voilà une commune rurale, classée « zone
de revitalisation rurale », qui perd son dernier toubib atteint par cette
maladie définitivement incurable : La limite d’âge…
Les administrés de Monsieur le Maire sont
bien embarrassés car la ville est loin au bout d’une route sinueuse, et qu’y
aller en tracteur, ce n’est pas bien vu…
Aussi, la Mairie reprend le local et le
matériel et se fait fort de trouver un remplaçant à peu près compétent.
Huit mois plus tard – et probablement grâce
au boulanger et ses petits-pains chauds si attractifs – une volontaire finit
par conclure un marché : Elle s’installe dans le local déserté,
ambitionnant de devenir le docteur Knock du canton à multiplier les
prescriptions et les soins en tout genre…
Et il se trouve que pour ne rien gâter et
encourager les vocations, les cabinets médicaux peuvent, sous certaines conditions,
bénéficier d’une exonération temporaire d’impôt sur les bénéfices lorsqu’ils
sont créés dans certaines zones du territoire, en particulier les zones d’aides
à finalité régionale (et autres déserts ruraux).
Cet avantage fiscal est toutefois réservé aux
activités libérales réellement nouvelles (c’est moins onéreux pour le fisc !)…
Et, notamment, précisent les textes
applicables, ces cabinets ne doivent donc pas avoir été créés dans le cadre
d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise
d’activités préexistantes.
Or, la reprise d’une activité libérale « préexistante »
se caractérise par une identité au moins partielle de l’activité exercée et par
le transfert de la patientèle, des locaux ou des moyens d’exploitation.
Le Service (des impôts) passe par-là et,
considérant que le retraité ayant vendus avec les meubles et les équipements professionnels
à la commune, le nouveau toubib venu s’enterrer vivant dans un bled perdu, qui lui
estime pouvoir bénéficier de l’exonération considérant que son activité était
nouvelle dans la mesure où le précédent docteur avait cessé son activité 8 mois
avant son installation et qu’il avait ensuite développé d’autres activités
médicales (correspondant SAMU, pratique de la mésothérapie…), le redresse assez
salement.
L’analyse de l’administration fiscale est
confirmée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
CAA de BORDEAUX
N° 16BX03866, 3ème chambre –
formation à 3 ; jeudi 27 septembre 2018
(Inédit au recueil Lebon)
M. DE MALAFOSSE, président
Mme Sylvie CHERRIER, rapporteur
Mme DE PAZ, rapporteur public
SCP ALCADE & ASSOCIES, avocat
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE
FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme E...C...ont demandé au tribunal
administratif de Toulouse de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires
d’impôt sur le revenu ainsi que des pénalités y afférentes auxquelles ils ont
été assujettis au titre des années 2008, 2009 et 2010, mises en recouvrement le
30 avril 2013, pour un montant de respectivement 76.867 euros, 98.754 euros et
89.968 euros, soit un montant total de 265.589 euros.
Par un jugement n° 1400693 du 18 octobre
2016, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique
enregistrés respectivement les 5 décembre 2016 et 20 juillet 2017, Mme le
docteur Emmanuelle C..., représentée par Me A..., demandent à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal
administratif de Toulouse du 18 octobre 2016 ;
2°) de prononcer la décharge des
impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l’État une
somme de 5.000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative.
Elle soutient que :
- la question de l’incompétence de la
commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires
du département de la Lozère n’a été soulevée qu’à l’occasion du délibéré, hors
de sa présence et de celle de son conseil, ce qui constitue une violation des
droits de la défense et, en particulier, du droit à un débat contradictoire ;
- son installation dans la localité de
Fournels ne peut s’analyser comme une reprise d’une activité existante au sens
des dispositions de l'article 44 sexies du code général des impôts.
Par deux mémoires en défense enregistrés
respectivement les 28 avril 2017 et 31 août 2017, le ministre de l’action et
des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il soutient qu’aucun des
moyens invoqués par Mme C...n’est fondé.
Par ordonnance du 18 septembre 2017, la
clôture d’instruction a été fixée en dernier lieu au 4 octobre 2017 à 12 h 00.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code général des impôts et le livre
des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties
du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience
publique :
- le rapport de Mme Sylvie Cherrier,
- et les conclusions de Mme Déborah de
Paz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... exerce depuis le 28 février
2005 une activité de médecin propharmacien à La Vachellerie, dans la localité
de Fournels (Lozère). Elle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au
titre des années 2008, 2009 et 2010 en matière de bénéfices non commerciaux et
de taxe sur la valeur ajoutée. À l’issue de ce contrôle, mené selon la
procédure de rectification contradictoire, l’administration a notamment remis
en cause le bénéfice du dispositif d’exonération prévu par l'article 44 sexies
du code général des impôts dont s’était prévalu Mme C... pour ces trois années.
Aux termes d’une proposition de rectification en date du 19 juillet 2011, l’administration
lui a notifié des rectifications en matière d’impôt sur le revenu pour un
montant total de 265.589 euros pour les trois années considérées. Ces
rectifications ont été maintenues à la suite des observations de l’intéressée,
par un courrier de l’administration en date du 23 septembre 2011, puis ultérieurement,
à la suite des entrevues du 15 novembre 2011 avec l’inspecteur principal dans
le cadre d’un recours hiérarchique et du 7 février 2012 avec l’interlocuteur
interrégional, par des courriers des 22 novembre 2011 et 23 février 2012. À la
demande de Mme C..., le litige a été soumis à la commission départementale des
impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui, dans sa séance du 25
janvier 2013, s’est déclarée incompétente pour en connaître. Les impositions en
litige, mises en recouvrement le 30 avril 2013, ont été contestées par l’intéressée
le 21 juin 2013. À la suite du rejet de sa réclamation, celle-ci a porté le
contentieux devant le tribunal administratif de Toulouse. Par la présente
requête, elle relève appel du jugement du 18 octobre 2016 par lequel le
tribunal administratif sa demande.
Sur les conclusions en décharge :
En ce qui concerne la régularité de la
procédure d’imposition :
2. Aux termes de l’article L. 192 du livre
des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : "Lorsque l’une
des commissions visées à l’article L. 59 est saisie d’un litige ou d’une
rectification, l’administration supporte la charge de la preuve en cas de
réclamation, quel que soit l’avis rendu par la commission (...)". Il
résulte de ces dispositions que les vices de forme ou de procédure dont serait
entaché l’avis de la commission départementale des impôts et des taxes sur le
chiffre d’affaires n’affectent pas la régularité de la’ procédure d'imposition
et ne sont, par suite, pas de nature à entraîner la décharge de l’imposition
établie à la suite des rectifications ou redressements soumis à l’examen de la
commission. Dès lors, le moyen tiré de ce que la question de la compétence de
cette commission n’aurait fait l’objet d’aucun débat contradictoire et n’aurait
été évoquée que dans le cadre du délibéré est, à supposer même que ce fait soit
établi et soit de nature à entacher d’irrégularité la procédure suivie devant cette
commission, inopérant à l’appui de la demande de décharge de l’imposition contestée.
En ce qui concerne le bien-fondé des
impositions :
3. Aux termes de l’article 44 sexies du
code général des impôts dans sa version applicable au litige : " I. Les
entreprises soumises de plein droit ou sur option à un régime réel d’imposition
de leurs résultats et qui exercent une activité industrielle, commerciale ou
artisanale au sens de l’article 34 sont exonérées d’impôt sur le revenu ou d’impôt
sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés, à l’exclusion des plus-values
constatées lors de la réévaluation des éléments d’actif, jusqu’au terme du
vingt-troisième mois suivant celui de leur création et déclarés selon les
modalités prévues à l’article 53 A. Dans les zones de revitalisation rurale
mentionnées à l’article 1465 A, le bénéfice des dispositions du présent article
est également accordé aux entreprises qui exercent une activité professionnelle
au sens du 1 de l’article 92, ainsi qu’aux contribuables visés au 5° du I de
l'article 35. (...) III. Les entreprises créées dans le cadre d’une
concentration, d’une restructuration, d’une extension d’activités préexistantes
ou qui reprennent de telles activités ne peuvent pas bénéficier du régime
défini au paragraphe I. ".
4. La reprise d’une activité préexistante
au sens des dispositions précitées suppose une identité au moins partielle d’activité
et le transfert, en droit ou en fait, de la clientèle, des locaux ou des moyens
d’exploitation de l’entreprise ancienne vers l’entreprise créée.
5. Il résulte de l’instruction que Mme C...
s’est installée, pour exercer une activité de médecin propharmacien, dans des
locaux anciennement occupés par le Dr B..., parti à la retraite, que celui-ci
avait vendus en même temps que les meubles et les équipements professionnels
nécessaires à l’installation d’un médecin ou à tout autre projet de santé, à la
communauté de communes des Hautes Terres. Lors de la vérification en litige, le
vérificateur a par ailleurs constaté que 70 % des patients de Mme C... avaient
été auparavant patients du Dr B.... Si la requérante fait valoir que le Dr B...
a cessé son activité dès le mois de juin 2014, soit huit mois avant la date de
son installation, et qu’elle a développé de nouvelles activités, s’agissant notamment
de la création dans l’Aubrac d’un secteur de permanence de soins et d’urgences
pré-hospitalières, de son activité de correspondant SAMU sur le canton, en
partenariat avec le SAMU de Lozère, de la pratique de la mésothérapie, qui
représente plus de 10 % des honoraires qu’elle perçoit, et de ses interventions
au sein d’une maison de retraite de 47 lits, ces circonstances, à les supposer
établies, ne sont pas de nature à caractériser une absence de reprise d’une
activité préexistante, au sens des dispositions précitées, dès lors notamment
que l’intéressée exerce, en tout état de cause, une activité partiellement
identique à celle du Dr B..., dont elle a par ailleurs initialement repris une
très large partie de la patientèle. À cet égard, et si Mme C... soutient
également qu’elle n’a eu aucun rapport juridique avec le Dr B... et, notamment,
ne lui a pas racheté sa patientèle ni n’a conclu avec lui de convention de
présentation, de cession de droit au bail, ou d’acquisition de biens mobiliers
ou immobiliers, ces circonstances sont, là encore, sans portée utile, dès lors
qu’il est constant qu’elle a bénéficié, lors de son installation, d’un
transfert de fait d’une partie de cette patientèle, ainsi que d’une mise à
disposition des locaux et d’une partie des équipements professionnels du Dr B...,
dans le cadre d’un contrat de location conclu avec la communauté de communes
des Hautes Terres, ce qu’elle ne conteste d’ailleurs pas. Dans ces conditions,
Mme C... doit être regardée comme ayant repris, lorsqu’elle s’est installée,
une activité préexistante au sens des dispositions précitées de l’article 44
sexies du code général des impôts, de nature à l’exclure du bénéfice du régime
d’exonération d’impôt sur le revenu prévu par ces dispositions.
6. Il résulte de tout ce qui précède que
Mme C... n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement
attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande de décharge
des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu ainsi que des pénalités y
afférentes auxquelles elle et son conjoint ont été assujettis au titre des
années 2008, 2009 et 2010.
Sur les conclusions tendant à l’application
de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. L’État n’étant pas, dans la présente
instance, la partie perdante, les conclusions de Mme C... tendant à l’application
des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne
peuvent qu’être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme
C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié
à Mme D... C... et au ministre de l’action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 30 août 2018
à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Sylvie Cherrier, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 27 septembre
2018.
Le rapporteur,
Sylvie CHERRIER
Le président, Aymard de MALAFOSSE
Le greffier, Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre
de l’action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers
de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les
parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.
L’analyse de l’administration fiscale est donc
confirmée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
En effet, le nouveau toubib exerçait une
activité partiellement identique à celle de l’ancien docteur et avait repris
une très large partie de la patientèle (70 %). En outre, il avait bénéficié
d’une mise à disposition des locaux et des équipements professionnels dans le
cadre d’un contrat de location avec la commune. Des éléments qui, selon eux,
caractérisaient la reprise d’une activité préexistante n’ouvrant pas droit à
l’exonération fiscale. Peu importait, en l’espèce, que le nouveau médecin n’ait
ni racheté la patientèle, ni acquis les locaux et les équipements
professionnels.
Un arrêt qui ne fera pas l’objet d’un recours
en cassation, et pour cause.
Non seulement il est correctement fondé en
droit, mais il est d’une lecture limpide : Pas d’erreur ni de droit ni de
fait.
Alors, où est-elle, « l’erreur »…
du contribuable (qui va lui coûter si cher) ?
Eh bien tout simplement dans le délai requis
par l’article 44 sexies du CGI qui indique clairement un délai minimum, mais
impératif, de 23 mois.
Or, elle s’est installée dans les pompes de
son prédécesseur huit mois après son départ !
Tout bête.
Et ça me rappelle une délibération de jury
ancienne où je participais avec un autre prof’ qui était « mon directeur »
et le maître de stage (un avocat « spécialiste » des entourloupes d’optimisation
bancales) où l’étudiante défendait le point de vue du cabinet d’accueil dans
son mémoire sur les exonérations d’IS, dans une affaire de cession d’entreprise
à une entreprise nouvellement créée par l’ancien boss…
Première cession, pas de souci, ça se passe
correctement.
Mais l’ancien boss, redevenu le « gérant
de fait » de l’entité nouvelle, recrée une troisième entreprise qui
reprend la seconde.
Tout, locaux, activités, clientèle, stocks,
machines, fournisseurs, banquiers, personnel au 24ème mois d’exploitation
et réclame l’exonération de l’IS sur les exercices suivants ce qui lui est
contestée.
Comme je suis le roi de la gaffe en pareille
circonstance, je demande ingénument à l’étudiante qui a eu cette idée « d’homme
de paille » intermédiaire ?
Elle est devenue toute rouge bégayant une
réponse inaudible et c’est le maître de stage co-jury (et titulaire de chaire) qui
la ramène en affirmant haut et fort que c’était lui…
« Bé
j’espère que vous avez une bonne assurance (professionnelle), parce que comme procédé d’abus de droit,
ce n’est pas mal, ça ! »
Parce que continuité du seul « maître de
l’affaire » (vous aviez deviné…)
Et le Président du jury qui part là-dessus
dans un fou-rire qu’il en a eu du mal à garder son sérieux…
L’étudiante a eu une bonne note (je ne me
souviens plus combien), mais on n’a plus revu le « maître de stage » titularisé
dans les couloirs de la fac.
Je ne sais pas pourquoi…
Bonne fin de week-end à toutes et tous !
I3
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