CE
du mercredi 24 octobre 2018, requête n° 419362
Il est plein de taxes « secondaires » qui vous pourrissent la
vie et la liberté du commerce.
La « Taxe sur les surfaces commerciales » en fait partie…
À l’origine – article 3 de la loi 72-657 du 13 juillet 1972 – elle devait
fournir, comme la vignette automobile, un effort supplémentaire demandé aux
« petits-commerces » pour financer la retraite des… « vieux
commerçants ».
Petits, pas tout-à-fait, puisqu’elle frappe les commerces disposant d’une
surface de vente ouverte au public de plus de 400 m² (un supermarché et au-delà…),
mais devant afficher tout de même un chiffre d’affaires annuel supérieur à 460.000
€.
Il y a des seuils, comme ça, parfaitement arbitraires, que vous retrouvez
dans « votre gamelle » sans même le savoir, parce que là
encore, si c’est le commerçant qui reste le redevable, il en met la charge dans
ses marges brutes (des marchandises vendues à vous-mêmes) générées par son
volume d’activité qu’il fait avec vous.
La « Tascom » en est une, comme en est une autre la taxe sur les
bureaux (+ de 100 m²), la « taxe-parking » (sur les surfaces
imperméabilisées, dès le premier mètre-carré, mais pas partout…) et quelques
autres moins célèbres.
La question inédite posée par le litige ci-après exposé portait sur le
point de savoir si, pour l’application de ce seuil, le chiffre d’affaires
réalisé par une société, exerçant dans un même local, une activité
d’achat-revente tant auprès des professionnels que des particuliers et une
activité conjointe de dépôt-vente à destination des particuliers, devait
inclure la part réalisée au titre de l’activité de dépôt-vente.
La réponse dépendait de la nature de cette activité : Vente au détail ou
prestations de services ?
Conseil d’État 8ème – 3ème chambres
réunies
M. Alexandre Koutchouk, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats
Lecture du mercredi 24 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL)
Floride a demandé au tribunal administratif de Limoges de prononcer la décharge
des rappels de taxe sur les surfaces commerciales auxquels elle a été
assujettie au titre des années 2011 et 2012. Par un jugement n° 1501820 du 1er
février 2018, ce tribunal a fait droit à sa demande.
Par un pourvoi et un
mémoire en réplique, enregistrés les 28 mars et 20 juillet 2018 au secrétariat
du contentieux du Conseil d’État, le ministre de l’action et des comptes publics
demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter la demande de la
société.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures
fiscales ;
- la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 ;
- le décret n° 95-85 du 26 janvier 1995 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Koutchouk, maître des requêtes
en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions,
à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société Floride.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond
que l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Floride exploite dans
un même local, sous l’enseigne « Troc.com », une activité d’achat-revente
tant auprès des professionnels que des particuliers et une activité de
dépôt-vente à destination des particuliers. À la suite d’une vérification de
comptabilité, l’administration a constaté que la société n’avait déposé, au
titre des années 2011 à 2014, aucune déclaration de taxe sur les surfaces
commerciales alors qu’eu égard à la surface des locaux dans lesquels elle
exerçait son activité et au montant du chiffre d’affaires réalisé au titre de
ses activités d’achat-revente et de dépôt-vente, elle entrait dans le champ de
cette taxe. L’administration fiscale a, par conséquent, assujettie la société à
cet impôt selon la procédure de taxation d’office, sur le fondement des
dispositions de l’article L. 66 du livre des procédures fiscales. Le ministre
de l’action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre le jugement
du 1er février 2018 par lequel le magistrat délégué du tribunal
administratif de Limoges a déchargé la société des rappels de taxe au titre des
années 2011 et 2012.
2. Aux termes de l’article 3 de la loi du 13 juillet 1972
instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et
artisans âgés, dans sa rédaction applicable aux années d’imposition en litige :
« Il est institué une taxe sur les
surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce
de détail, dès lors qu’elle dépasse quatre cents mètres carrés des
établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit
la forme juridique de l’entreprise qui les exploite. (…) La surface de vente des magasins de
commerce de détail, prise en compte pour le calcul de la taxe (…) s’entend des espaces affectés à la
circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, de ceux affectés à l’exposition
des marchandises proposées à la vente, à leur paiement et de ceux affectés à la
circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente. / (…) La taxe ne s’applique pas aux
établissements dont le chiffre d'affaires annuel est inférieur à 460 000 euros ».
Aux termes de l’article 1er du décret du 26 janvier 1995 relatif à
la taxe sur les surfaces commerciales, dans sa rédaction applicable aux années
d’imposition en litige : « (…) Les
prestations de service, notamment la restauration, ne sont pas considérées
comme des ventes au détail (…) ».
3. En jugeant que l’activité de dépôt-vente exercée par la
société Floride, consistant à exposer dans son magasin de commerce de détail
des marchandises dont elle n’acquiert pas la propriété, mais qui lui sont
remises par des particuliers qui lui ont donné mandat de les vendre pour leur
compte et de leur restituer le produit de cette vente minoré d’une commission
rémunérant son activité d’intermédiaire, devait être regardée comme une
prestation de service ne relevant pas des ventes au détail prises en
considération pour l’assujettissement à la taxe sur les surfaces commerciales, alors
que cette activité permet que soit réalisée, au sein du magasin, la vente
en l’état de marchandises à des consommateurs finaux, c’est-à-dire une vente
au détail au sens des dispositions de la loi du 13 juillet 1972 mentionnées
ci-dessus, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.
4. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à
demander l’annulation du jugement qu’il attaque.
5. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge
de l’État qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 1er février
2018 du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée au tribunal administratif
de Limoges.
Article 3 : Les conclusions de l’EURL Floride présentées au
titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre
de l’action et des comptes publics et à l’entreprise unipersonnelle à
responsabilité limitée Floride.
La cause est ainsi entendue : Le Conseil d’État juge que l’activité
de dépôt-vente constitue une vente au détail au sens de l’article 3 de la loi
72-657 du 13 juillet 1972, et non une prestation de services !
Intéressante, comme décision, finalement…
Parce que d’abord, il ne s’agit que d’une interprétation relative à ladite
loi, qui n’est donc pas généralisable, et que l’activité de « dépôt-vente »
exercée par une société, consistant à exposer dans son magasin de commerce de
détail des marchandises dont elle n’acquiert pas la propriété, mais qui lui
sont remises par des particuliers lui ayant donné mandat de les vendre pour
leur compte et de leur restituer le produit de cette vente minoré d’une commission
rémunérant son activité d’intermédiaire, permet aussi et « en même temps »
que soit réalisée, au sein du même magasin, la vente en l’état « classique »
(achat en vue de la revente) de marchandises aux mêmes consommateurs finaux.
Une décision qui peut « choquer » le bon sens d’autant que le
tribunal ressaisi sur renvoi sera sans doute conduit à se prononcer sur
l’argumentation subsidiaire de la société selon laquelle seules les commissions
versées par les déposants rémunérant son activité d’entremise et non les
produits des ventes devraient alors être retenues pour le calcul du chiffre
d’affaires : En effet, le rapporteur public aura indiqué que, dans la
logique de la décision, le produit des ventes devrait être retenu dans ce
calcul.
Je n’en suis personnellement pas bien persuadé dans la mesure où le
Conseil d’État veille à ne pas aborder ce problème-là.
Quoique… Soit qu’il considère que la « vente pour autrui » est
une vente comme une autre (avec ses propres liquidations de TVA sur biens d’occasion,
qui reste un régime particulier, mais tout autant de la CVAE ex-taxe
professionnelle, et autres) : Un commerçant vend toujours la production d’autrui
à la différence d’un artisan qui vend une « œuvre » (comme un MacDo
ne vend jamais qu’une production « sur-le-champ » jamais identique,
même si elle est « normée ») ;
Soit qu’il considère que la vente sous mandat de dépôt est assimilée à la
revente d’un achat instantanément préalable. Autrement dit, il s’agit d’une
vente à réméré qui n’est parfaite qu’une fois la livraison à un tiers et le
paiement du prix au mandaté sont réalisés, la commission n’étant jamais qu’une
marge commerciale « en dedans » et ex-post.
Autrement dit, si on sortait de l’un ou de l’autre de ces schémas
juridiques (qui sont des « autoroutes du droit »), on en reviendrait
à une « fiscalité de caisse », ce qui serait une régression
considérable des normes comptables commerciales (à valeur légale).
J’ose espérer que le TA de Limoges saura en tirer les conséquences
adéquates et que notre « foire-fouille » aura l’intelligence de
monter un mur physique (coupe-feu, avec deux compteurs électriques) entre ces
deux activités. L’idéal étant de se faire faire deux baux distincts pour les
deux activités (quitte à ce qu’il y ait des portes pour accéder à des caisses
communes et faciliter la circulation des chalands de clients, mais aussi l’accès
des pompiers… question d’assurance).
Avec deux entités juridiques différentes – quitte à avoir le même gérant –,
ça devrait faire l’affaire pour échapper à la « Tascom » sur l’ensemble.
Et ils sont nombreux à avoir comme ça « multiple activité » sous
le même toit un peu partout sur la planète…
Remarquez que ça me fait tout drôle : Dans un passé lointain, j’avais
co-exploité (avec mon « papa-à-moâ », celui qui me fait toujours
frémir quand je l’évoque…) une « boutique » qui faisait « petite-restauration ».
De la bouffe d’un côté, cuisinée devant le client et de l’autre, du pinard, des
sodas, des bières et des glaces/pâtisseries achetés au préalable et sortant de
la machine ou du frigidaire.
Bé figurez-vous que, parce que les taux de TVA était différents, on avait
deux caisses : Celle des ventes à emporter et celle des ventes (à déguster)
sur place…
Je ne te vous raconte pas le jour où le contenu des deux caisses s’était retrouvé
étalé, mélangé par maladresse assassine à terre.
« Bon, à droite, ce sont les
glaces, à gauche, le reste… »
Et là, au milieu ?
« Y’a pas de milieu ! »
Bonne fin de week-end à toutes et à tous !
I3
Toujours aussi intéressant. Après tout, une vente est une vente, avec une marge. Je suis curieux de savoir comment va être calculé le CA, comme tu le soulignes. C'est là la différence entre un magasin et un dépôt vente. Mais, finalement, ça reste une marge.
RépondreSupprimerSalut Vlad !
SupprimerLe rapporteur a déjà répondu : La vente d'un objet mis en dépôt-vente, n'est jamais qu'une vente "classique". C'est l'achat qui est suspendu d'effet.
Bon aurait pu décider de l'inverse, mais ça aurait été probablement incohérent avec le Code de Commerce qui indique qu'un commerçant, c'est celui qui achète dans l'intention de vendre.
Ce qui sera le cas même si notre "gugusse" ne fait que ça et aucun achat préalable d'objet remis à la vente.
Personnellement je note que s'il y avait eu un mandat entre les deux parties en amont de la vente finale, "le mur" se justifierait pour séparer physiquement les deux activités : Après tout, quand tu confies ta maison (ou ton bouquin) à vendre à "un agent", quand il a trouvé l'acheteur, il n'y a pas deux ventes successives, mais le paiement d'une commission de mandat !
Tu me diras qu'il s'agit aussi d'une profession réglementée avec carte professionnelle et garanties FNAIM ou autre...
La carte Auguet, si je me rappelle bien (mais en ce moment, il ne faut pas s'y fier, j'ai un peu de semoule dans la caboche : Les effets de l'âge, suppose-je...)
Bien à toi !
I-Cube
PS : Je n'ai toujours pas l'adresse de ton nouveau site...
Te rappelle-je !