Y-a-t’il une parade possible ?
On se souvient du rôle joué par « Cambridge-Analytica »
et l’exploitation des « profils » d’internautes dans la cadre d’une
action globale de « micro-markéting » politique, ainsi, que l’armée
des « trolls » russes à l’occasion du Brexit-anglais, de l’élection
de « MacDo-Trompe », de celle de « Jupiter » et encore
ailleurs (Autriche, Hongrie, « Ritalie » et probablement Turquie).
Il se trouve qu’il y a eu récemment un « contre-exemple »
assez marquant : Le référendum sur l’avortement en Irlande où, malgré une
opinion très divisée, les tactiques numériques douteuses semblent ne pas avoir payé.
La campagne « officielle » avait pourtant révélé
des clivages les plus profonds du pays, par ailleurs très « catholique-papiste »,
pour qui « l’enfant à venir » est un cadeau de Dieu.
J’en dirai plus prosaïquement qu’il s’agit seulement
de rapports « sexuels-féconds » (je sais, j’en ai eus), mais il faut savoir
rester tolérant en toutes circonstances (ne serait-ce que par simple respect de
l’autre, qui lui aussi est fait à « l’image de Dieu »… ou issu de
rapports sexuels torrides et également féconds).
La réalité de ce scrutin est plus « discrète » et
on l’aura appris plus tard : Un petit groupe de vingt journalistes en poste
dans diverses rédactions nationales se rencontrait en réalité dans un petit
bureau de Dublin à l’occasion d’heures-supplémentaires.
Ces réunions faisaient partie d’une initiative
collective, informelle et fructueuse, menée par des journalistes et des
activistes. Elle visait à protéger le pays du genre d’offensive de
désinformation et de propagande qui avait empoisonné d’autres événements de ce
type dans le monde.
Différents groupes internationaux, à la fois « pro-vie »
et « pro-choix », ont vu l’île et ses quelque 4,7 millions d’habitants
comme la ligne de front d’un champ de bataille idéologique plus large.
Notamment du côté de groupes anti-avortement issus de la droite américaine,
dont l’espoir était de sauvegarder ce qu’ils estimaient être l’un des derniers
bastions occidentaux hostiles à l’avortement.
Pour ces groupes étrangers, leur arme de choix fut le
micro-ciblage des électeurs et électrices irlandaises sur « Fesses-book ».
En réaction, des citoyennes et citoyens établissaient
la Transparent Referendum Initiative (TRI), pour consigner toutes les
publicités les ciblant. Les données furent « crowdsourcées » par un
groupe de 600 bénévoles, via une extension du navigateur « Gogol-Chrome »
collectant les annonces affichées sur leur compte de « livre-de-fesses »
(Fesses-book).
Et l’objet de ces réunions dublinoises était le
traitement de cette énorme masse de données. Et pour structurer les
informations reçues de la TRI, les journalistes avaient collaboré avec l’agence
de presse irlandaise Storyful.
L’initiative a généré beaucoup d’articles sur les groupes
étrangers ou anonymes ciblant les électeurs et électrices irlandaises, de
désinformations mises à nu et de réflexions sur la nature de chaque campagne.
Finalement, l’ensemble a alimenté un sain scepticisme numérique en Irlande.
Cette séquence médiatique a fait réagir « Fesses-book » :
Deux semaines avant le scrutin, l’entreprise annonçait qu’elle ne permettait
plus aux groupes basés à l’extérieur de l’Irlande de concevoir et de poster des
annonces relatives au référendum. « Gogol » s’est aligné le
lendemain, en interdisant tous les services liés au référendum sur « Gogol-AdWords ».
Ce qui a apaisé un sentiment d’indignation croissant face à l’avalanche de
publicités politiques.
Sauf que les données du TRI méritent qu’on s’y arrête
d’encore plus près. En effet, elles nous font comprendre comment des élections
ou d’autres événements peuvent être faussés par les réseaux sociaux, et comment
combattre ce genre de manipulations.
Niamh Kirk, chercheuse en journalisme et en médias
numériques à l’université de la ville de Dublin, a analysé les groupes ayant
acheté des publicités avant ces interdictions, pour constater que le rôle joué
par des groupes étrangers était faible mais significatif. Seulement neuf pour
cent des publicités provenaient de groupes basés à l’extérieur de l’Irlande.
Dans la base de données du TRI, vingt-huit annonces (3
% de l’ensemble) provenaient de groupes basés aux États-Unis, une d’un groupe
situé au Canada, trois d’un groupe « gauloisien-pétri-de-liberté » et
l’origine de trente-neuf d’entre elles (4 % du total) n’a pas pu être
spécifiée.
S’est aussi posée la question des financements :
La loi électorale irlandaise stipule que tous les dons supérieurs à 100 € faits
à des campagnes politiques doivent être déclarés auprès de la Standards in
Public Office Commission (SIPO), la commission réglementant la fonction publique
en Irlande. En d’autres termes, les groupes ayant payé ces publicités auraient
dû être connus du public.
Sauf qu’un grand nombre de publicités avaient été
postées par des groupes non déclarés ou tout simplement anonymes, et notamment
du côté des contenus appelant à la conservation de l’amendement reconnaissant
le droit égal à la vie de la mère et de l’enfant à naître.
Une autre crainte électorale concernait les « bots »,
ces comptes automatisés sur les réseaux sociaux utilisés pour promouvoir
certains sujets ou internautes et en conspuer d’autres. Ils ont pu jouer un
rôle clé en perturbant les échanges démocratiques sur Twister.
Selon le Computational Propaganda Project de l’Université
d’Oxford, lors des élections américaines de 2016, les « bots »
favorables à « MacDo-Trompe » ont surpassé ceux de « Il-a-ri-Pine-tonne » à
cinq contre un.
La fameuse « armée de trolls »…
Les mêmes techniques ont menacé les échanges sur l’avortement
en Irlande. Une analyse de plus de 400.000 twists collectés deux mois avant le
référendum révèle une quantité importante de « bots » au sein des
comptes participant à cette discussion.
Sur 165.323 twists « #Savethe8th », le
hashtag anti-avortement, 14 % proviennent de comptes à pseudonymes numériques
(trois chiffres ou plus dans le pseudo), 6 % de comptes à chiffres et sans
aucune localisation, et 2 % n’ont pas de bio, en plus des deux caractéristiques
précédentes.
Sur 267.274 twists « #Repealthe8th », le
hastag pro-avortement, la proportion de bots est moitié moindre.
Et il est à noter que lors de ce référendum irlandais
sur l’avortement, un facteur a pu atténuer l’effet des « bots » dans
les échanges : L’usage de « Repeal Shield ».
Créé par un groupe de bénévoles « pro-abrogation »,
l’outil offrait aux internautes la possibilité de bloquer une liste de plus de
16.000 comptes assimilés par ses créateurs à des « trolls, bots et faux comptes déversant des mensonges et des messages
haineux ». Selon eux, 70 % des comptes bloqués étaient situés en Amérique (une
conclusion issue de l’analyse de leurs fuseaux horaires).
Parce qu’il a été plébiscité par plus de 4.500
utilisateurs, « Repeal Shield » est peut-être l’une des principales
raisons pour lesquelles beaucoup de twists ont été envoyés de la communauté « #Savethe8th »
à la communauté « #Repealthe8th », pour obtenir peu de réponses.
Les outils comme « Repeal Shield » suscitent
bien naturellement leurs propres inquiétudes, comme le danger des chambres d’écho
et d’un manque d’échanges ou de pluralisme. Mais son succès montre à quel point
le débat était devenu toxique, en grande partie à cause du trolling, des abus
et de la rareté des discussions honnêtes.
La campagne pour l’abrogation s’est largement appuyée
sur des témoignages exprimant la souffrance de femmes en butte à une
interdiction générale de l’avortement. Des réponses agressives, souvent
misogynes, ont généré un besoin de protection contre les comptes
anti-avortement, qui avaient davantage envie de les exclure de l’espace public
par la violence que par le débat.
Ce qui signifie que le pouvoir des récits et des
témoignages personnels – une technique particulièrement fructueuse en Irlande,
un petit pays riche d’une longue tradition narrative – a pu s’épanouir. Et que
les militantes et militants ont été capables de s’organiser et de s’encourager
sans encombre sur les réseaux sociaux.
De telles histoires, préservées du harcèlement, ont eu
un impact. Un sondage de sortie des urnes réalisé par RTE, la chaîne nationale
irlandaise, montre que pour 43 % des personnes interrogées, le vote a été
influencé par des récits personnels. Et pour seulement 34 % d’entre elles, les
témoignages venaient d’une femme de leur entourage…
Durant la campagne référendaire, le camp conservateur
a combiné clips agressifs à l’américaine, tactiques alarmistes et articles
mensongers, alors que le camp abolitionniste est resté relativement fair-play.
Si de telles stratégies populistes peuvent rencontrer
un certain succès dans les grands pays, où les divisions politiques sont plus
accentuées, l’Irlande est une nation relativement petite. Avec une population
inférieure à cinq millions d’habitants, le centrisme politique est dominant et
les valeurs fondamentales ont tendance à se focaliser sur la communauté et la
politesse.
Le camp pro-abrogation a joué sur ce créneau, en
évitant sciemment la rhétorique de la division avec son slogan « Ensemble pour le oui ».
Sur un échantillon de 571 de ses publicités « Fesses-book »,
18 % des annonces ciblaient la collecte de fonds et 25 % étaient axées sur la
promotion du démarchage local (réunions publiques et petits déjeuners
citoyens). La campagne voulait séduire ses électeurs et électrices par des
échanges en face-à-face.
Les publicités ont tiré profit d’années de campagne
pour l’abrogation, focalisée sur la construction d’une culture positive, en
particulier parmi les jeunes via l’art et la mode, comme en attestent les
t-shirts « Repeal ».
La fréquence des messages plus directement politiques
a tardé à s’intensifier dans la campagne pour l’abrogation, sans doute en
réaction à celle du camp conservateur, dont 82 % de la campagne publicitaire a
été constituée de messages politiques.
Mais même en fin de campagne, ces messages ont
conservé un ton serein, courtois et focalisé sur la santé et le bien-être des
femmes.
Alors que du côté conservateur, la campagne a été plus
antagoniste et agressive, de la désinformation et une rhétorique populiste et
droitière qui a parfois pu tourner au « conspirationnisme ».
Certaines lignes rhétoriques ont pu rappeler celles de
« Trompe », en laissant entendre qu’on ne pouvait pas faire confiance
aux médias « mainstream » ou aux politiques : Les axes
classiques des « populistes » (qui se sont retournés contre « Marinella-tchi-tchi »
en « Gauloisie-démocratique » en mai 2017…)
Le principal groupe de la campagne anti-avortement est
allé jusqu’à accuser l’édition irlandaise du Times de vouloir « salir les gens dans le cadre de sa campagne obsessionnelle
pour légaliser l’avortement en Irlande ». Une autre présentait la ministre
de la Santé, favorable à l’abrogation, comme la « ministre de la diminution des enfants ». De même, la campagne « Save
the 8th » a appelé à la démission d’un éminent médecin, Peter Boylan.
Les autres tactiques comprenaient le ciblage d’électeurs
et électrices « profilés » indécis, avec des sites web qui avaient l’air
de reposer sur des données factuelles, mais qui étaient en réalité biaisés en
faveur des anti-avortement.
Une enquête menée par le journaliste irlandais Gavin
Sheridan révélera qu’un de ces sites, « Undecided8.org », était
visiblement associé à une société de marketing d’obédience catholique et
missionnaire basée aux USA, une entreprise qui a aussi travaillé avec le
principal groupe de la campagne anti-avortement.
Ces initiatives ont été dénoncées à plusieurs reprises
par des médias et des collectifs citoyens, ce qui a sapé une grosse partie de
leur efficacité. Quelques temps après la publication de l’enquête de Sheridan
et le buzz qui s’est ensuivi sur Twister, le site et la page « Fesses-book »
d’Undecided8.org ont ainsi été supprimées, six jours seulement après leur
création.
Les actions douteuses du camp conservateur se sont globalement
retournées contre lui, pourrissant encore un peu plus sa réputation auprès de l’opinion
et accroissant la méfiance du public vis-à-vis des informations postées en
ligne.
En Irlande, la victoire du « oui » a été telle – 66,4 %
des suffrages exprimés – que les effets de ces perturbations sont a priori restés minimes : C’est le principe qui reste scandaleux. Mais les
scrutins au Royaume-Uni et aux États-Unis sont ordinairement plus serrés, d’où
la plus grande sensibilité de ces pays à ce genre d’interventions.
Si la force de perturbation du débat démocratique
irlandais – avec des publicités ciblées, des « bots » et de la
désinformation – a été très active, elle s’est révélée relativement inefficace
en pratique, voire contre-productive, en détournant les électeurs et les
électrices de celles et ceux qui les employaient.
Vu comment les discussions sur internet se sont
transformées en champs de mines dans bon nombre de démocraties, la résistance
de ce petit pays pourrait nous offrir un bon motif d’espoir. Sauf qu’une telle
résilience, permise par le petit gabarit et l’homogénéité de l’électorat
irlandais, est sans doute difficile à reproduire dans des démocraties plus
conséquentes.
Reste que les mesures concrètes prises par les médias,
des groupes citoyens et des activistes pour contrer ces techniques
destructrices demeurent finalement une puissante inspiration.
Forcément plus conséquente qu’une simple
loi d’interdiction forcément imparfaite et d’application difficile (autre principe scandaleux).
D’autant que cette loi, après une série d’autres (loi
contre le terrorisme, sur l’état-d’urgence dont l’efficacité reste douteuse), est
sciemment et de façon assumée un coup de hache à la Liberté d’expression,
inscrite dans la Constitution.
Notez que la Constitution, comme elle va une nouvelle
fois être « triturée », on a l’impression que tout le monde s’en fout…
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