19 avril 2023, Cour de cassation, pourvoi n° 21-21.053
La règle, depuis quelques temps, c’est que le salarié qui dénonce des
faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important
qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur
dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la
connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce.
Or, ayant constaté que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir adressé aux membres du conseil d’administration de l’association une lettre pour dénoncer le comportement du supérieur hiérarchique de la salariée en l’illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la Cour d’appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral.
Dès lors, ayant estimé que la mauvaise foi de la salariée n’était pas démontrée, la Cour d’appel en a déduit à bon droit que le grief tiré de la relation par l’intéressée d’agissements de harcèlement moral emportait à lui seul la nullité du licenciement
Blam, dans les gencives !
Audience publique du 19 avril 2023
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 502 FP-B+R
Pourvoi n° T 21-21.053
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL
2023
L'Association institution familiale Sainte-Thérèse (AIFST),
dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 21-21.053 contre l'arrêt
rendu le 15 avril 2021 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section
1), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [O] [L], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Pôle emploi Direction régionale de Normandie, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de
la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'Association institution familiale
Sainte-Thérèse, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme
[L], et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en
l'audience publique du 23 mars 2023 où étaient présents M. Sommer, président,
Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Capitaine,
Monge, Mariette, M. Rinuy, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mme Cavrois, MM.
Rouchayrole, Barincou, Mme Lacquemant, conseillers, Mme Ala, M. Le Corre, Mmes
Lanoue, Valéry, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général,
et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Exposé du litige
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 15 avril 2021), Mme [L] a été engagée par l'Association institution familiale Sainte-Thérèse (l'AIFST) à compter du 28 novembre 2002 en qualité de psychologue, affectée au sein de l'établissement le foyer du [4] qui accueille des adolescents en difficulté.
2. Par lettre du 9 avril 2018, elle a été licenciée pour faute grave.
3. Soutenant avoir subi et dénoncé des agissements de harcèlement moral, la salariée a saisi, le 31 octobre 2018, la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes au titre du harcèlement moral, de la violation de l'obligation de sécurité et de la rupture du contrat de travail.
Moyens
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
Motivation
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen
Énoncé du moyen :
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement de la salariée est nul et de le condamner au paiement d'une somme sur ce fondement, alors :
« 1°/ que si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, c'est à la condition qu'il soit effectivement reproché au salarié d'avoir dénoncé l'existence de faits de « harcèlement moral » ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait à Mme [L] d'avoir adressé à la direction du foyer du [4] un courrier en date du 26 février 2018 au sein duquel elle avait « gravement mis en cause l'attitude et les décisions prises par le directeur, M. [D], tant à [son] égard que s'agissant du fonctionnement de la structure » et y avait « également porté des attaques graves à l'encontre de plusieurs de [ses] collègues, quant à leur comportement, leur travail, mais encore à l'encontre de la gouvernance de l'Association » ; qu'en considérant néanmoins que la formulation de la lettre de licenciement autorisait Mme [L] à revendiquer le bénéfice des dispositions protectrices de l'article L. 1152-2 du code du travail, et en annulant en conséquence le licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé, ensemble les articles L. 1152-3 et L. 1232-6 du code du travail ;
2°/ qu'en retenant que « le grief énoncé dans la lettre
de licenciement tiré de la relation d'agissements de harcèlement moral par la
salariée dont la mauvaise foi n'est pas démontrée emporte à lui seul la nullité
de plein droit du licenciement », quand la lettre de licenciement ne
reprochait pas à la salariée d'avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, la
cour d'appel a dénaturé la lettre de licenciement du 9 avril 2018, et violé le
principe interdisant au juge de dénaturer les documents qu'il examine, en
méconnaissance de l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que si le licenciement motivé par la dénonciation de
faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié,
le juge ne peut prononcer la nullité du licenciement qu'à la condition que le
salarié ait qualifié les agissements visés de harcèlement moral ; qu'ayant
constaté que « en l'espèce, la lettre de licenciement reproche pour
l'essentiel à Mme [L] l'envoi d'un courrier, le 26 février 2018, à des membres
du conseil de l'administration pour dénoncer le comportement de M. [D],
directeur du foyer du [4] en l'illustrant de plusieurs exemples qui ont
entraîné selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son
état de santé », la cour d'appel a décidé que « le grief énoncé dans
la lettre de licenciement tiré de la relation d'agissements de harcèlement
moral par la salariée dont la mauvaise foi n'est pas démontrée emporte à lui
seul la nullité de plein droit du licenciement » ; que partant, en
énonçant que Mme [L] avait été licenciée pour un grief « tiré de la
relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée », alors qu'il
ne résultait pas de ses propres constatations que la salariée avait relaté dans
le courrier du 26 février des faits qualifiés par elle de harcèlement moral, la
cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L.
1152-2 du code du travail, ensemble les articles L. 1152-3 et L. 1232-6 du code
du travail ;
4°/ que l'AIFST exposait dans ses écritures que Mme [L] ne
mentionnait « aucun moment le terme de harcèlement » dans sa lettre
du 26 février 2018, et en déduisait qu'elle ne pouvait conclure à la nullité de
son licenciement en considérant que la mesure prise à son encontre aurait été
fondée sur un harcèlement moral qu'elle aurait prétendument dénoncé ; qu'en
décidant néanmoins que Mme [L] avait été licenciée pour un grief « tiré de
la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée », sans
rechercher, alors qu'elle y était pourtant invitée, si la salariée avait
qualifié dans sa lettre du 26 février 2018 le comportement dénoncé de
harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au
regard de l'article L. 1152-2 du code du travail, ensemble les articles L.
1152-3 et L. 1232-6 du code du travail.
Motivation
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
(Fume, ça m’est arrivé tant de fois…
Et on apprend très vite à fermer son clapet…=
7. Aux termes de l'article L. 1152-3 du même code, toute
rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L.
1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
8. La Cour de cassation en déduit que le salarié qui relate
des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf
mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié
de la fausseté des faits qu'il dénonce, et que le grief énoncé dans la lettre
de licenciement tiré de la relation par le salarié de faits de harcèlement
moral emporte à lui seul la nullité du licenciement (Soc., 7 février 2012,
pourvoi n° 10-18.035, Bull. 2012, V, n° 55 ; Soc., 10 juin 2015, pourvoi n°
13-25.554, Bull. V, n° 115).
9. La Cour de cassation a également jugé que le salarié ne
pouvait bénéficier de la protection légale contre le licenciement tiré d'un
grief de dénonciation de faits de harcèlement moral que s'il avait lui-même
qualifié les faits d'agissements de harcèlement moral (Soc., 13 septembre 2017,
pourvoi n° 15-23.045, Bull. 2017, V, n° 134).
10. Postérieurement, la Cour de cassation a énoncé que
l'absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise
foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral
n'est pas exclusive de la mauvaise foi de l'intéressé, laquelle peut être
alléguée par l'employeur devant le juge (Soc., 16 septembre 2020, pourvoi n°
18-26.696, publié).
11. Par ailleurs, la Cour de cassation juge qu'il résulte
des articles L. 1121-1 du code du travail et 10, § 1, de la Convention de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que sauf abus,
le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté
d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la
tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées et
que le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non
abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul (Soc., 16 février
2022, pourvoi n° 19-17.871, publié).
12. Dès lors, au regard, d'une part de la faculté pour
l'employeur d'invoquer devant le juge, sans qu'il soit tenu d'en avoir fait
mention au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié
licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, d'autre part de la
protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à l'exercice non
abusif de sa liberté d'expression, dont le licenciement est nul pour ce seul
motif à l'instar du licenciement du salarié licencié pour avoir relaté, de
bonne foi, des agissements de harcèlement, il y a lieu désormais de juger que
le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié
pour ce motif, peu important qu'il n'ait pas qualifié lesdits faits de
harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne
peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits
qu'il dénonce.
13. D'abord, ayant constaté, hors toute dénaturation, que la
lettre de licenciement reprochait à la salariée d'avoir adressé à des membres
du conseil d'administration de l'AIFST, le 26 février 2018, une lettre pour
dénoncer le comportement du directeur du foyer du [4] en l'illustrant de
plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions
de travail et de son état de santé, de sorte que l'employeur ne pouvait
légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de
harcèlement moral, la cour d'appel a pu retenir que le grief énoncé dans la
lettre de licenciement était pris de la relation d'agissements de harcèlement
moral.
14. Ensuite, ayant estimé que la mauvaise foi de la salariée
n'était pas démontrée, la cour d'appel en a déduit à bon droit que le grief
tiré de la relation par l'intéressée d'agissements de harcèlement moral
emportait à lui seul la nullité du licenciement.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Association institution familiale Sainte-Thérèse aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Association institution familiale Sainte-Thérèse et la condamne à payer à Mme [L] la somme de 3.000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois. Par un arrêt du 19 avril 2023 faisant l’objet d’une large publication (FS-BR, n° 21-21.053) et d’une notice explicative, la Cour de cassation revient sur une jurisprudence antérieure concernant l’application des articles L.1152-2 et L.1152-3 du Code du travail et l’immunité disciplinaire du salarié licencié pour avoir relaté des agissements de harcèlement moral dont il résultait que l’immunité ne pouvait produire effet que pour autant que le salarié avait dénoncé des faits qualifiés par lui d’agissements de harcèlement moral.
Petit rappel des textes applicables et de la jurisprudence antérieure (pour
éclairer le sujet) :
Pour rendre effective l’interdiction du harcèlement moral énoncée à l’article L.1152-1, l’article L.1152-2 du Code du travail dispose qu’aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure de rétorsion pour s’être plaint d’avoir subi des agissements de harcèlement moral, en avoir témoigné ou les avoir relatés. Et, si c’est le cas, la mesure prise est nulle par application de l’article L.1152-3.
Le dispositif légal se présente comme ayant un caractère d’automaticité.
La Cour de cassation en a donc logiquement déduit, dans un premier temps,
que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié
pour ce motif et que le grief, énoncé dans la lettre de licenciement, tiré de
la relation par le salarié de faits de harcèlement moral emporte à lui seul la
nullité du licenciement, sauf à réserver la mauvaise foi du salarié dans la
relation de ces faits, laquelle mauvaise foi ne peut cependant résulter que de
la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il allègue, et non
de la seule circonstance que les faits ne seraient pas établis (Cass. soc., 7
février 2012, n°10-18.035 ; 10 juin 2015, n°13-25.554).
Toutefois, la Chambre sociale de la Cour de cassation a décidé en 2017,
dans un arrêt publié rendu en formation plénière de chambre qui fixait donc la
jurisprudence, que le salarié ne pouvait bénéficier de la protection légale que
si les faits dont il se plaignait ou s’était plaint étaient qualifiés par lui
d’agissements de harcèlement moral.
En d’autres termes, si un salarié se plaignait de faits, d’agissements, ou
de comportements qu’il n’avait pas qualifiés (expressément) d’agissements de
harcèlement moral, il ne pouvait ensuite prétendre à la nullité de la rupture
qui s’en était suivie.
Cette solution, qui ne paraissait pas se déduire des textes et a fait l’objet de nombreuses critiques, était ainsi expliquée :
« La règle de l’immunité a un effet radical et automatique avec des conséquences lourdes. C’est l’effet (dit contaminant) d’un grief affecté d’une cause de nullité mentionné dans la lettre de licenciement ».
Dans l’hypothèse où le salarié s’est plaint de faits ou comportements
critiquables, mais sans les qualifier de harcèlement moral, « il était
permis de se demander si une interprétation stricte de l’article L. 1152-3 ne
pouvait ouvrir la voie à un risque d’instrumentalisation de la règle posée.
C’est dans ces conditions que la chambre sociale a décidé de limiter
l’application de la règle de l’immunité au cas où l’intéressé a dénoncé des
faits qualifiés par lui d’agissements de harcèlement moral » (entretien
avec le Président de la Chambre sociale.
Apport et justifications de l’arrêt du 19 avril 2023
C’est sur la solution adoptée en 2017 que revient l’arrêt du 19 avril 2023 avec une motivation enrichie et une note explicative.
Les faits de l’espèce s’y prêtaient idéalement : Une salariée, engagée comme psychologue dans un établissement pour adolescents en difficulté, avait été licenciée pour faute grave, la lettre de licenciement lui reprochant « d’avoir gravement mis en cause l’attitude et les décisions prises par le directeur et porté des attaques graves à l’encontre de plusieurs de ses collègues » dans un courrier adressé aux membres du conseil d’administration en y ajoutant des faits ayant entraîné selon elle une dégradation matérielle des conditions de travail.
Au regard de ces éléments, la salariée s’appuyait sur les dispositions
légales des articles L.1152-2 et L.1152-3 du Code du travail pour demander la
nullité de son licenciement tandis que l’employeur s’appuyait sur la
jurisprudence de 2017 pour faire juger que son licenciement n’était pas nul.
Pour approuver la Cour d’appel d’avoir décidé, à bon droit, que le grief
tiré de la relation par l’intéressée d’agissements de harcèlement moral
emportait à lui seul la nullité du licenciement, la Cour de cassation retient
d’abord, sans ambiguïté « qu’il y a lieu désormais de juger que le salarié qui
dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu
important qu’il n’ait pas qualifié lesdits fait de harcèlement moral lors de
leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la
connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce ».
Puis elle ajoute, prenant appui sur les constatations et appréciations de la Cour d’appel, que celle-ci avait « pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral, ce que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer », et que la Cour d’appel avait par ailleurs estimé (dans son appréciation souveraine) que la mauvaise foi de la salariée n’était pas démontrée.
La Cour de cassation prend soin, comme il est désormais d’usage en matière
de revirement de jurisprudence, d’asseoir sa décision sur deux arguments
principaux qui sont énoncés dans l’arrêt et explicités dans la note
explicative.
L’un est tiré du principe de l’égalité des armes : la Cour rappelle ainsi que, dans un arrêt de 2020 (Cass. soc., 16 septembre 2020, n°18-26.696), elle a jugé que l’absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n’est pas exclusive de la mauvaise foi de l’intéressé, laquelle peut être alléguée par l’employeur devant le juge.
Dès lors, par symétrie et souci d’équilibre, il est logique de permettre
au salarié, en application du principe de l’égalité des armes, de se prévaloir,
devant le juge, de la protection légale contre le licenciement quand bien même
il n’aurait pas lui-même employé les mots « harcèlement moral » pour qualifier
les faits dénoncés.
Le second argument est tiré d’un souci de cohérence avec la jurisprudence «
relative à la protection conférée au salarié licencié pour un motif lié à
l’exercice non abusif de sa liberté d’expression, dont le licenciement est nul
pour ce seul motif, à l’instar du licenciement du salarié licencié pour avoir
relaté, de bonne foi, des agissements de harcèlement ».
La Cour de cassation rappelle ici son arrêt du 16 février 2022 par lequel
elle a jugé que, « sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors
de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions
justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but
recherché peuvent être apportées et que le licenciement prononcé par
l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa
liberté d’expression est nul ».
Et du coup, on a plus de mal ici à percevoir en quoi la jurisprudence, par
ailleurs très ancienne sur la nullité du licenciement prononcé en violation du
droit à la liberté d’expression justifiait, par souci de cohérence, ce
revirement de jurisprudence sur le harcèlement moral ; sauf peut-être à
considérer qu’un salarié se plaint parfois à la suite d’un licenciement de
faits qui seront finalement qualifiés par le juge d’atteinte à sa liberté
d’expression sans qu’il ait lui-même invoqué son droit à la liberté d’expression.
Or, si le juge retient l’exercice non abusif de la liberté d’expression, il en résulte la nullité du licenciement.
Et par mimétisme, la Cour aurait estimé qu’il est logique de raisonner de
la même façon avec des agissements de harcèlement moral non qualifiés comme
tels.
Il reste à souligner un point qui fait le lien entre l’ancienne jurisprudence et la nouvelle jurisprudence, et que s’applique à faire ressortir l’arrêt du 19 avril 2023 (comme on l’a brièvement évoqué plus haut).
Pour que l’immunité joue, il faut quand même qu’il soit bien clair – même simplement au vu des apparences – que le salarié s’est effectivement plaint d’agissements de harcèlement moral et que c’est ce qui lui est reproché, entre autres, dans la lettre de licenciement.
Or, dans certains cas, on peut y avoir un doute. C’est la raison pour
laquelle l’arrêt et la notice explicative prennent soin de préciser que « la
nouvelle solution ne s’applique que si l’employeur ne pouvait ignorer, à la
lecture de l’écrit adressé par le salarié, ayant motivé son licenciement, que
ce dernier dénonçait bien des agissements de harcèlement. Il appartient donc
aux juges du fond de vérifier le caractère évident d’une telle dénonciation
dans l’écrit du salarié, quand les mots de harcèlement moral n’ont pas été
utilisés par ce dernier ».
En bref un arrêt très « byzantin »
Et ne répond à ma question « patron » : Quand c’est le salarié qui se montre harceleur à l’égard de sa hiérarchie, qu’est-ce qui se passe au juste ?
Peut-être qu’il nous faudra attendre plusieurs années pour le savoir !
En attendant, bon week-end à toutes et tous !
I3
Pour mémoire (n’en déplaise à « Poux-tine ») : « LE PRÉSENT BILLET A
ENCORE ÉTÉ RÉDIGÉ PAR UNE PERSONNE « NON RUSSE » ET MIS EN LIGNE PAR UN MÉDIA
DE MASSE « NON RUSSE », REMPLISSANT DONC LES FONCTIONS D’UN AGENT « NON RUSSE »
!
Or, ayant constaté que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir adressé aux membres du conseil d’administration de l’association une lettre pour dénoncer le comportement du supérieur hiérarchique de la salariée en l’illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la Cour d’appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral.
Dès lors, ayant estimé que la mauvaise foi de la salariée n’était pas démontrée, la Cour d’appel en a déduit à bon droit que le grief tiré de la relation par l’intéressée d’agissements de harcèlement moral emportait à lui seul la nullité du licenciement
COUR DE CASSATION
Rejet
Arrêt n° 502 FP-B+R
Pourvoi n° T 21-21.053
R É P U B L I Q U
E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
1°/ à Mme [O] [L], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Pôle emploi Direction régionale de Normandie, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 15 avril 2021), Mme [L] a été engagée par l'Association institution familiale Sainte-Thérèse (l'AIFST) à compter du 28 novembre 2002 en qualité de psychologue, affectée au sein de l'établissement le foyer du [4] qui accueille des adolescents en difficulté.
2. Par lettre du 9 avril 2018, elle a été licenciée pour faute grave.
3. Soutenant avoir subi et dénoncé des agissements de harcèlement moral, la salariée a saisi, le 31 octobre 2018, la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment à la nullité de son licenciement et au paiement de diverses sommes au titre du harcèlement moral, de la violation de l'obligation de sécurité et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
Motivation
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Énoncé du moyen :
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement de la salariée est nul et de le condamner au paiement d'une somme sur ce fondement, alors :
« 1°/ que si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, c'est à la condition qu'il soit effectivement reproché au salarié d'avoir dénoncé l'existence de faits de « harcèlement moral » ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait à Mme [L] d'avoir adressé à la direction du foyer du [4] un courrier en date du 26 février 2018 au sein duquel elle avait « gravement mis en cause l'attitude et les décisions prises par le directeur, M. [D], tant à [son] égard que s'agissant du fonctionnement de la structure » et y avait « également porté des attaques graves à l'encontre de plusieurs de [ses] collègues, quant à leur comportement, leur travail, mais encore à l'encontre de la gouvernance de l'Association » ; qu'en considérant néanmoins que la formulation de la lettre de licenciement autorisait Mme [L] à revendiquer le bénéfice des dispositions protectrices de l'article L. 1152-2 du code du travail, et en annulant en conséquence le licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé, ensemble les articles L. 1152-3 et L. 1232-6 du code du travail ;
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
(Fume, ça m’est arrivé tant de fois…
Et on apprend très vite à fermer son clapet…=
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Association institution familiale Sainte-Thérèse aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Association institution familiale Sainte-Thérèse et la condamne à payer à Mme [L] la somme de 3.000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois. Par un arrêt du 19 avril 2023 faisant l’objet d’une large publication (FS-BR, n° 21-21.053) et d’une notice explicative, la Cour de cassation revient sur une jurisprudence antérieure concernant l’application des articles L.1152-2 et L.1152-3 du Code du travail et l’immunité disciplinaire du salarié licencié pour avoir relaté des agissements de harcèlement moral dont il résultait que l’immunité ne pouvait produire effet que pour autant que le salarié avait dénoncé des faits qualifiés par lui d’agissements de harcèlement moral.
Pour rendre effective l’interdiction du harcèlement moral énoncée à l’article L.1152-1, l’article L.1152-2 du Code du travail dispose qu’aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure de rétorsion pour s’être plaint d’avoir subi des agissements de harcèlement moral, en avoir témoigné ou les avoir relatés. Et, si c’est le cas, la mesure prise est nulle par application de l’article L.1152-3.
Le dispositif légal se présente comme ayant un caractère d’automaticité.
Cette solution, qui ne paraissait pas se déduire des textes et a fait l’objet de nombreuses critiques, était ainsi expliquée :
« La règle de l’immunité a un effet radical et automatique avec des conséquences lourdes. C’est l’effet (dit contaminant) d’un grief affecté d’une cause de nullité mentionné dans la lettre de licenciement ».
C’est sur la solution adoptée en 2017 que revient l’arrêt du 19 avril 2023 avec une motivation enrichie et une note explicative.
Les faits de l’espèce s’y prêtaient idéalement : Une salariée, engagée comme psychologue dans un établissement pour adolescents en difficulté, avait été licenciée pour faute grave, la lettre de licenciement lui reprochant « d’avoir gravement mis en cause l’attitude et les décisions prises par le directeur et porté des attaques graves à l’encontre de plusieurs de ses collègues » dans un courrier adressé aux membres du conseil d’administration en y ajoutant des faits ayant entraîné selon elle une dégradation matérielle des conditions de travail.
Puis elle ajoute, prenant appui sur les constatations et appréciations de la Cour d’appel, que celle-ci avait « pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral, ce que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer », et que la Cour d’appel avait par ailleurs estimé (dans son appréciation souveraine) que la mauvaise foi de la salariée n’était pas démontrée.
L’un est tiré du principe de l’égalité des armes : la Cour rappelle ainsi que, dans un arrêt de 2020 (Cass. soc., 16 septembre 2020, n°18-26.696), elle a jugé que l’absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n’est pas exclusive de la mauvaise foi de l’intéressé, laquelle peut être alléguée par l’employeur devant le juge.
Or, si le juge retient l’exercice non abusif de la liberté d’expression, il en résulte la nullité du licenciement.
Il reste à souligner un point qui fait le lien entre l’ancienne jurisprudence et la nouvelle jurisprudence, et que s’applique à faire ressortir l’arrêt du 19 avril 2023 (comme on l’a brièvement évoqué plus haut).
Pour que l’immunité joue, il faut quand même qu’il soit bien clair – même simplement au vu des apparences – que le salarié s’est effectivement plaint d’agissements de harcèlement moral et que c’est ce qui lui est reproché, entre autres, dans la lettre de licenciement.
Et ne répond à ma question « patron » : Quand c’est le salarié qui se montre harceleur à l’égard de sa hiérarchie, qu’est-ce qui se passe au juste ?
Peut-être qu’il nous faudra attendre plusieurs années pour le savoir !
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