4 – Aparté sur la civilisation de la
châtaigne
Avertissement : Vous l’aviez compris, ceci n’est qu’un
roman, une fiction, une « pure construction intellectuelle », du pur jus de
neurone garanti 100 % bio, sortie tout droit de l’imaginaire de son auteur.
Toute ressemblance avec des personnages, des lieux, des
actions, des situations ayant existé ou existant par ailleurs dans la voie
lactée (et autres galaxies), y compris sur la planète Terre, y est donc
purement, totalement et parfaitement fortuite !
« Le soleil s’étant couché, je vous propose
de rentrer dans le carré pour dîner ! »
Effectivement, l’astre diurne est passé derrière les
montagnes et n’éclaire plus de mille feux que celles situées à l’Est du golfe
de Calvi où se situent Lumio, Muro, Zilia et Calenzana.
Le spectacle est magnifique avec les ocres qui
illuminent le relief, qui passent au rose flashy, puis qui virent au mauve, et
au pourpre pour finir en bleu sombre, écrasant les diverses teintes de la
végétation qui était encore verte et kaki, mélangées aux couleurs minérales des
rochers de granit.
« Comment savez-vous tout ça ? »
questionne Gustave qui ne se fait toujours pas aux « talents » de
Paul.
« Julie pourrait vous expliquer : la
méthode hypothético-déductive que vous enseignez dans nos écoles
militaires ! »
Julie en a les yeux qui roulent comme des billes, un
peu ahurie d’être mise ainsi en première ligne sur un sujet dont elle n’a
jamais entendu parler.
Ou alors, il y a longtemps et elle a déjà oublié…
Le carré d’Eurydice est splendide de lambris, vernis
dans les tons miel/acajou, ornés de laiton et de bronze. C’est une grande pièce
qui traverse de part en part le voilier dans sa plus grande largeur, aussi
large que le voilier et profond d’environ 5 à 6 mètres. Le toit du roof est
surélevé sur une grande partie et s’ouvre sur des hublots rectangulaires par
lesquels on peut observer le pont en lamellés de teck clair vernis et les
alentours du voilier jusqu’à l’horizon, y compris vers la poupe.
Vers la proue et le mât de misaine, joliment décorée
de natures mortes, une cloison sépare le carré des deux cabines doubles qui
entourent un couloir central.
Le plafond est tapissé de poutrelles auxquelles sont
accrochés de petits lustres en cristal, des images nautiques sont encadrées sur
les parties pleines des bordages et l’éclairage est renforcé par des appliques
lumineuses au-dessus des canapés de velours rouge installés sous le pont de
manœuvre.
Au milieu trône deux demi-tables rectangulaires en
bois, impeccablement vernies, chacune entourées de quatre fauteuils fixés au
plancher, fauteuils dont l’assise peut coulisser d’avant en arrière et tourner
sur leur axe, face aux profonds canapés qui peuvent se transformer en lits
double.
L’arrière du carré s’ouvre sur la descente située
devant le grand-mât par où tout le monde est entré. Sur les côtés de la
descente, de part et d’autre, deux portes donnent l’une sur la cuisine, l’autre
sur la table à cartes et les installations de navigation.
Alexis, qui connait le voilier, sait que plus loin,
vers l’arrière et sous le pont de manœuvre, les coursives débouchent sur le
poste de pilotage, le premier étant sur le pont arrière, partiellement abrité
par un petit roof s’ouvrant sur le cockpit de pilotage lui-même où se situe la
barre à roue, et plus loin encore sur deux cabines de maître, une sur chaque
bord, qui se partagent une salle de toilettage, douche incluse, au-dessus de la
quille et un WC.
Les deux annexes du voilier, qui font les liaisons
avec la terre, sont situées au-dessus de la mer sur le pont arrière, sous la
grand-voile, l’une et l’autre chacune sous leur portique, prêtes à
l’appareillage, et les deux jet-skis sont arrimés à la poupe, au-dessus du
coffre à pare-battage et autres aussières.
Mais ce soir-là, il manque un canot qui aura
transporté l’équipage jusqu’au port.
À l’avant du carré, on retrouve le pied de mât de
misaine après les deux cabines, plus une porte qui donne sur le poste avant
avec deux cabines d’équipage équipées d’ouvertures sur le pont, et la même
disposition d’une salle de douche commune au centre, plus un second « trône
de Neptune » lui aussi équipé d’un broyeur.
Et encore plus en avant se situe les coffres à voiles
et autres aussières qui se terminent, au bout de la proue par le coffre du
mouillage et le mât de beauprés sur lequel les deux focs, dont le foc volant,
peuvent grimper jusqu’en tête de mât, plus un bômé appelé trinquette, dont le
rail d’écoute est fixé sur le pont avant et grimpe jusqu’au deuxième étage des
barres de flèche qui tiennent le mât.
Il y a un autre foc bômé, qui peut être hissé par
gros temp entre les deux mâts, en lieu et place de la voile de misaine cornée
qui est alors parfois accompagnée d’un fischerman quadrangulaire qui grimpe
jusqu’en tête des deux mâts.
Quant à la grand-voile, elle est elle-même
accompagnée d’une flèche de grand-voile pour compléter le gréement et le tout
est actuellement ferlé sur la bôme, au-dessus du pont arrière.
Une très belle unité où les drisses, les haubans, les
écoutes, les hale-bas, les rails de poulies de renvoi des écoutes et les bômes
s’enchevêtrent avec bonheur pour donner toute leur puissance même par vent
léger et l’ensemble, hormis les drisses fixées aux mâts, parcourt les ponts
pour être manœuvré autour des winchs animés par deux paires de « moulins à
café », une sur chaque bord, deux sur chaque pont, intermédiaire et
arrière. Ce qui laisse peu de place pour étaler ses jambes une fois en mer et à
la manœuvre.
Car pour l’heure, tout est ferlé avec des garcettes
et les écoutes sont bien lovées sur le pont, les drisses également le long des
winchs de drisses, les haussières et hale-bas également, sagement au repos.
C’est sans oublier un gros moteur qui est posé sur la
quille entre les deux mâts, juste sous le plancher du carré dans un
compartiment très bien insonorisé.
Les réservoirs d’eau et de carburant se situent sur
les côtés, sous les canapés du carré qui peuvent se transformer en bannettes de
couchage et sont bordés par de plein de placards de rangement, ainsi que sous
les couchettes des quatre cabines de passager.
On peut vivre à 16 sur ce voilier sans se bousculer,
sauf parfois autour des deux « trônes de Neptune » du bord, au moment
de soulager de la « grosse commission »…
Une magnifique unité.
Évidemment, Paul avait prévu de régaler ses invités
avec des mets locaux. Gigantesques assiettes de charcuterie, coppa, prizutu,
lonzu, jambon, saucisson, quelques crevettes roses et grises, avant d’attaquer
le fameux veau aux olives local, un ragoût parfumé aux herbes de maquis qui
fume doucement sur son réchaud, sous un couvercle posé sur la cuisinière à
cardan, accompagné de polenta.
Le tout est arrosé au choix, d’un blanc qui sent le
maquis, d’un rosé gris des caves du clos Landry, du patronyme d’un ancien
sénateur-maire local, et d’un rouge des coteaux d’Alziprato.
Et pour terminer ces agapes, un plateau de fromages,
forcément corses, essentiellement du chèvre et de la brebis, qui sera complété
par des pâtisseries également locales, fiadone, ambrucciata, panizze, gâteau au
fromage, tartes et gâteaux à la farine de châtaigne, au cédrat et quelques
figues fraîches, en guise de dessert, en plus des premières clémentines locales
accompagnées de grappes de raisin, probablement italien.
C’est rustique et succulent à la fois.
Et, en se mettant à table, Paul abandonne ces sujets
de préoccupations actuelles pour parler de la « civilisation de la
châtaigne ». Ça lui vient comme d’un pet sur une toile cirée !
Mais c’est intéressant.
On y apprend ainsi qu’il y bien sûr la civilisation
du blé, la nôtre née de l’Égypte antique, celle du riz en Extrême-Orient, celle
du manioc sur le continent africain et celle du maïs sur le Nouveau continent,
mais qu’il y a aussi la civilisation insulaire de la châtaigne !
Les invités apprennent ainsi que si sa culture n’a
pas toujours été privilégiée sur l’île, « l’arbre à pain » a, au fil
des siècles, su faire montre de ses multiples atours. Au point que, séduits par
ses milles et une richesses, les Corses ont su l’exploiter sous toutes ses
formes, en faisant de la farine, du tanin ou même des meubles et des poutres de
charpente.
Sa silhouette majestueuse et robuste se dessine aux
quatre coins de l’île, en faisant certainement l’un des symboles emblématiques
de l’île, depuis des siècles, les Corses ont bien compris la richesse et les
multiples usages de celui qui est encore appelé à juste titre « l’arbre à pain
».
Pourtant, la Corse n’a pas toujours été une terre où
la castanéiculture avait une place si importante. « C’est d’abord du fait
d’obligations de la République de Gênes que de multiples châtaigniers ont été
plantés », en précisant que les Génois, constatant que le blé n’avait pas
une rentabilité assez importante en Corse, ils ont poussé les insulaires à
développer la culture de châtaigniers avec pour objectif de préserver la
population des famines, son fruit permettant de surcroit de nourrir les hommes
comme les animaux.
« Le blé, il y en avait pourtant partout
quand il y avait assez de bras. Les hommes ont même monté des murets jusqu’en
haut des montagnes pour se partager les terres fertiles.
Or, les guerres sont passées par là et
la châtaigne est devenue fondamentale en Corse depuis au moins le XVIème
siècle ».
Car réduit en farine, ce fruit prend rapidement une
place prépondérante sur les tables corses au point d’être de tous les repas,
sous différentes formes, jusqu’au milieu du XXème siècle.
« Tant que nous aurons des châtaignes, nous aurons
du pain » aurait déclaré le généralisme Pascal Paoli.
Grâce à cette solide réputation d’ingrédient
principal de « pain des pauvres », le châtaignier investit un espace très
important sur l’île. « Les chiffres que nous avons entre le Plan Terrier,
fin XVIIIème, et le milieu du XIXème siècle montrent
qu’il existe alors à peu près 35.000 hectares de châtaigneraies en Corse. C’est
le maximum qui a été atteint. La châtaigneraie était principalement concentrée
en Castagniccia au XVIIIème siècle, au point qu’elle a donné son nom
à cette région, dont elle constitue alors jusqu’à 80 % du terroir. Une quasi
monoculture ».
La grande Castagniccia concentrait à ce moment-là 40
% de la population de la Corse.
« Cette culture existe aussi dans quelques autres
régions. Mais en Balagne ou dans le Sud c’est une culture qui n’est pas du tout
connue fin XVIIIème alors qu’une étude des années 1980-1990, avait
recensé près de 47 variétés de châtaignes et de marrons en Corse ».
Il continue en assurant qu’outre les bienfaits
nutritionnels de son fruit, les Corses se rendent rapidement compte des multiples
usages que peut avoir le châtaignier. On commence ainsi à se servir de son bois
pour fabriquer du mobilier comme des chaises, notamment du côté de Verdèse et
de Nocario, ou même des charpentes, planchers et autres cloisons.
Ses feuilles, quant à elles, deviennent
indispensables pour les cuissons au four des falculelle et des migliacci,
traditions qui perdurent encore aujourd’hui.
Et même les éclisses, ces jeunes pousses qui
grandissent près des arbres, sont utilisées pour de la vannerie dans un petit
secteur entre Orezza et Saliceto. « Le
châtaigner a jusqu’au milieu du XIXème siècle un rôle vraiment
fondamental en Corse, notamment en Castagniccia ».
Mieux, durant la seconde moitié du siècle, un
changement profond de l’économie insulaire intervient : « Les Corses
quittent les villages et l’intérieur se vide. Le châtaignier perd alors son
rôle majeur dans l’économie.
Toutefois, parallèlement, des
inventions dans l’industrie chimique vont rapidement lui donner un nouvel
attrait. Du côté de la région lyonnaise, on utilise notamment du tan de
châtaignier, appelé aussi acide gallique, pour teindre les soies en noir. »
Un chimiste trouve également le moyen d’utiliser du
tan de châtaignier pour fabriquer des cuirs !
« Plus exploités, ces arbres sont en effet
tout d’abord peu coûteux. Et puis comme ce sont des arbres qui ont des
centaines d’années… Or, après 50 ans, le châtaignier peut avoir jusqu’à 10 % de
tanin ».
L’occasion est donc trop belle pour les industriels
qui ne tardent pas à s’en saisir.
Cet âge d’or du tanin de châtaignier aura également
permis la création d’une tonnellerie artisanale à Folelli ― les tonneaux étant
indispensable pour exporter cette matière ―, ainsi que l’ouverture de
parqueteries, où seront fabriqués des parquets en bois de châtaignier, tout
comme une usine à papier cartonné, conçu à base de copeaux de châtaignier. « Le
châtaignier est vraiment décliné sous toutes ses possibilités en Corse. On l’a
même utilisé aussi comme charbon pour fabriquer du fer ! ».
Et il continue sur sa lancée…
« En l’an 2000 seulement 1.200 hectares de
châtaigneraies étaient exploités. À cela s’ajoutent 2.000 à 3.000 hectares
packagés par les cochons et encore quelques dizaines d’hectares utilisés pour
des cueillettes familiales.
Le cochon parvient à ouvrir le bogue de
châtaignier sans se blesser, en deux coups de groin, qui est pourtant la partie
la plus sensible fragile de l’animal. »
Et puis, depuis les années 2000 avec l’arrivée en
plus du cynips et les sécheresses qui se multiplient, la production de
châtaigniers n’est plus qu’autour de 1.000 à 1.500 hectares exploités, ce qui
est négligeable par rapport à ce que cela a été.
« Mais pas seulement : grâce à ses
arbres pluri-centenaires qui ont déjà survécu à un changement climatique, cette
extraordinaire forêt fait l’objet de recherches d’un groupement européen de
scientifiques depuis une décennie. Car la Corse abrite probablement la plus
ancienne châtaigneraie d’Europe. Voire même l’une des plus vieilles forêts du
continent !
Parfois situés loin des routes, ces
châtaigniers multi-centenaires ont résisté aux importantes coupes de
l’industrie du tanin, et n’ont, sur certaines zones, jamais été exploités par
l’homme. On y trouve même des arbres endémiques qui datent d’avant l’époque
génoise. Certains ont presque mille ans. C’est unique ! »
Par exemple, la plupart des arbres présents à
Pianello ont plus de 600 ans, et auront connu la mini ère glaciaire du
Moyen-Âge et l’augmentation des températures à partir de 1850. Donc, ils ont
déjà résisté à un certain réchauffement climatique.
« Ce sont des sentinelles incroyables qui ont
encore énormément de choses à nous raconter sur la façon dont ils se sont
adaptés à ce changement climatique ».
C’est tout d’abord un filtre extraordinaire contre la
pollution. Le châtaigner a une capacité, même dans des milieux extrêmement
perturbés, à conserver une quantité d’humidité étonnante au niveau de ses
racines, y compris quand il n’y a pas de précipitations pendant de longues
périodes, et même isolé, sans autre végétation autour de lui.
« Mais ce n’est pas tout : ces arbres
ont aussi appris à se défendre au fil des siècles. Certains châtaigniers
pluri-centenaires ont développé des pièges contre le cynips, ce petit insecte
ravageur. Certains arbres dominants ont créé des bourgeons qui font office de
défenses naturelles contre le cynips. Ces bourgeons ont changé leur morphologie
et sont devenus tellement durs que le cynips évite de pondre ses œufs en son
sein. »
Pour mémoire (n’en déplaise à « Poux-tine ») : « LE PRÉSENT
BILLET A ENCORE ÉTÉ RÉDIGÉ PAR UNE PERSONNE « NON RUSSE » ET MIS EN LIGNE PAR
UN MÉDIA DE MASSE « NON RUSSE », REMPLISSANT DONC LES FONCTIONS D’UN AGENT «
NON RUSSE » !
Éditions I3
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